La Lune et pleine,
et moi aussi…

J'ai vidé la bouteille de gin
et je regarde la rue déserte.
Elle est belle cette rue,
avec la lumière des réverbères
qui se reflète sur les voitures
et qui lui donne des airs
de décor de cinéma…

À travers ma vitre
je regarde un film noir
sans comédiens,
sans dialogues,
sans meurtres,
sans rien,
avec une bande originale
jouée par le Clodo's Band
qui beugle une sorte de yaourt
que seuls peuvent comprendre
les alcooliques.

Ils beuglent la solitude de ceux
qui n'ont plus rien
et qui s'accrochent à ce rien
pour qu'on ne le leur prenne pas
comme on leur a pris tout
le reste.

Ils beuglent la colère de ceux
qu'on veut cacher,
qu'on ne veut plus voir
et qui font tout pour qu'on les voie,
conscients que le jour
où on ne les verra plus
ils seront morts
pour de bon.

Ils beuglent le désespoir,
et rien n'est harmonieux dans
leurs cris ;
et leurs cris me touchent.

La Lune est pleine,
et moi aussi…

Et je m'avance sur le balcon
pour hurler à la Lune
comme les coyotes
comme les clochards,
comme les pochtrons.
Et mes hurlements deviennent
le contre-chant
du chant du Clodo's Band.

Et dans l'immeuble en face
les fenêtres s'allument,
les têtes sortent
et les gens se mettent à hurler
à leur tour.
Des hurlements désespérés
qui voudraient nous faire taire.

Et tout ce désespoir
devient alors une fête immense
pour mes clodos du coin de la rue
qui applaudissent
et qui saluent
avant de partir ailleurs
continuer leur tour
de chant…

La Lune et pleine,
et moi aussi…
Mais le spectacle est réussi…