J'ai quelques difficultés pour me lever depuis quelque temps ; un coup de fatigue dû aux chaleurs des jours derniers, sans doute. Une certaine lassitude qui, si je la laisse s'installer, va encore me bouffer la vie, je me connais. Alors puisque tu es au travail et que le mien n'est pas urgent, je vais aller faire un tour en ville. J'aime bien de temps à autre déambuler dans les magasins de fringues, m'enivrer de cette odeur de chiffons ; les femmes se reconnaîtront dans cette façon très féminine de sortir de ce spleen matinal !

C'est comme un sentiment d'angoisse, un sixième sens qui me dit de me méfier et de bouger, de ne pas rester cloîtrée dans notre chalet. Cette sorte de torpeur, je l'ai déjà rencontrée au début de notre mariage, alors que les médecins venaient de me dire que nous n'aurions jamais d'enfant. Il m'a fallu des mois pour me sortir de ce marasme engendré par la nouvelle de mon impossible maternité.

Je décide donc d'attaquer le mal à la source et de ne pas attendre. C'est dit : je vais courir les allées des magasins, acheter des jupes, des robes, me faire belle ! Tu es parti tôt pour ton bureau, et ma foi, cela m'arrange bien. Comme tu ne rentres pas pour le déjeuner, j'ai la journée devant moi. Autant en profiter, et Nancy est accueillante avec ses boutiques qui fleurissent sur chaque trottoir. Un paradis pour les femmes qui veulent se faire belles.

J'y suis. En premier lieu, le centre commercial Saint Sébastien : le plaisir à l'état pur ! Des vêtements féminins à en perdre la vue ; le bonheur… Je fouille, je tripote, je remets en place – pas tout le temps – et j'essaie ici un top dernier cri, là une jupe qui me plaît. Mais toucher ou essayer ne veut pas forcément dire acheter, et pour le moment pas un seul petit paquet ne m'accompagne dans les allées de ces magasins où je folâtre allégrement. Finalement, c'est désespérant d'avoir trop de choix ! Je me dis que j'achète tout… ou rien. Cruel dilemme ! Tout me plaît, et je ne parviens pas à me décider entre le brun de cette chemise ou le rose d'un corsage qui, de sage, ne porte que le nom.

Bien. Ce n'est pas ici que je vais dénicher la perle rare, je le sais déjà : trop de choix nuit au choix, c'est connu. Alors tant pis, je vais comme d'habitude me rendre chez Morgan-Nancy dans la rue Saint-Georges. Quelques minutes avec le tram suffisent pour arriver à destination. La boutique est toujours aussi bien achalandée et les portants remplis de belles robes, de beaux tops qui me ravissent les yeux au moins autant que le cœur. Je palpe plusieurs jupes qui me tapent dans l'œil, trouve ma taille et les prends sur le bras, direction la cabine d'essayage. L'une après l'autre, je les passe, et je sors pour me regarder dans le miroir.

J'aurais bien besoin d'un avis ; mes goûts sont sûrs, mais parfois il est bon de prendre conseil d'un regard extérieur. Une vendeuse qui remarque mes allées et venues devant les immenses glaces placées près des cabines s'approche alors de moi.

— Cette jupe a sûrement été faite pour vous : elle vous va à merveille !
— Merci. C'est vrai qu'elle me plaît beaucoup, mais comment tombe-t-elle sur l'arrière ? J'ai un peu de mal à me faire une idée.
— C'est une seconde peau sur vous ; vous êtes bougrement bien faite ! Sexy, voilà ce qui transparaît de vous avec cette jupe et vos chaussures qui vous cambrent parfaitement les jambes. Vous êtes belle ; j'en suis presque jalouse…

La femme qui dit cela a quoi ? Quarante ans à tout casser ? Des yeux comme je n'en ai jamais vus. Une couleur d'un bleu-gris ; on dirait ceux d'une chatte sacrée de Birmanie. Son sourire est un rayon de soleil à lui seul. Des cheveux blonds remontés en chignon, une poitrine qui avance sans fausse pudeur ; une belle femme assurément. Mais ce que je remarque, outre ses yeux fascinants, ce sont ses mains : fines, blanches, elles donnent une impression de douceur à l'ensemble de sa personne. Elle aussi est en jupe, et j'admire la cambrure de ses reins ; je n'en jamais remarqué de pareille, sauf peut-être chez les belles Noires. Elle me regarde aussi, et les petites rides aux coins de ses yeux lui donnent un air joyeux.

Elle est près de moi, et je me sens toute remuée. Que m'arrive-t-il ? Une impression de calme émane d'elle. Ses gestes sont mesurés, comme si elle pesait chacun d'entre eux. Je retire la jupe et la mets de côté, dans le coin de ce que je vais sûrement garder. Je prends une robe, mais pour l'enfiler je dois retirer mon chemisier. Le rideau de la cabine s'entrouvre. Elle est là ! Sa main dégrafe les boutons alors qu'elle garde son regard rivé au mien. Je n'esquisse aucun mouvement pour la repousser. Elle est, toute entière, entrée dans la cabine maintenant. Je n'arrive pas à comprendre pourquoi je laisse cette inconnue m'approcher ainsi. Ses grands yeux gris-bleu me plongent dans l'âme… Les longs doigts extrêmement fins s'agitent et les boutons s'ouvrent, alors que je ne fais rien pour l'empêcher. Les ailes de ses mains effleurent le satin des bonnets qui couvrent mes seins. Rien de bien extraordinaire ; c'est sans doute dû à son aide au déshabillage. Enfin, je veux penser cela : c'est plus commode pour moi.

Les doigts qui me frôlent sont d'une incomparable douceur. Ils ne cherchent pas à me toucher ; juste un effet de caresse, une sensibilité exacerbée par cette arrivée à laquelle je ne m'attendais pas. Mais quand elle entoure de ses deux bras mon torse, qu'elle me presse contre elle, je ne peux plus croire au hasard. Je n'ai aucune réaction, ni amicale, ni hostile ; je subis les événements. Je suis comme spectatrice de ce qui se passe, alors que je suis dans mon propre rôle. Les lèvres qui se posent sur les miennes, c'est comme si je les voyais dans un film, dans une autre vie. Je ne suis pas non plus offusquée par cette langue qui s'immisce dans ma bouche, par ce baiser qu'elle me donne dans cet abri de toile précaire. Les autres clientes qui s'engouffrent dans les cabines avoisinantes se doutent-elles que nous sommes deux dans celle-ci ?

Pourquoi ai-je répondu à ce viol de ma bouche ? Mais est-ce vraiment une violation de cet endroit si intime ? Et l'ai-je vraiment subi, ou bien ai-je participé activement à ce bécot amoureux ? Je me pose aussi la question de savoir quel effet cela fait d'être ainsi embrassée pour la première fois par une femme. Sont-ce les circonstances qui font que j'ai l'impression très nette que c'est bon ? Que je viens d'aimer ce baiser ? Elle est debout face à moi et elle ne semble pas du tout effrayée par les réactions que je pourrais avoir ? Après tout, je peux aussi sortir de la cabine en vociférant, faire un scandale dans la boutique ! Comment a-t-elle jugé qu'elle pouvait, sans risque, se permettre de venir me rouler une pelle là, en plein milieu d'un essai de fringues ?

Toujours est-il que je ne dis rien ; je me contente seulement de la regarder. Nos deux salives mélangées rendent son gloss encore plus brillant que dans la lumière du magasin. Le mien aussi sans doute, mais lui, je ne le vois pas. Son sourire est toujours présent, elle ne cherche pas à s'excuser ou autre chose. Elle me tire une seconde fois contre elle, et je sens que cette fois c'est ma bouche à moi qui s'ouvre la première. Le baiser est donc un véritable échange. Je sens son parfum, je sens son cœur qui bat la chamade, à l'unisson du mien. Cette fois, ma langue aussi participe à la fête, et nos souffles en même temps que nos salives se mélangent. J'aime les baisers que me donne cette femme !

Je ne peux m'empêcher, dans un instant de lucidité, de me dire que je les préfère aux tiens ; et pourtant, Dieu sait combien j'aime quand tu m'embrasses ! Elle a fait grimper ma température de quelques degrés en deux baisers. Nous nous séparons sans vraiment nous lâcher, juste pour reprendre haleine. Elle garde un énigmatique sourire aux coins des lèvres, Joconde de chez Morgan ! Ensuite, elle m'aide à passer la robe genre « bain-de-soleil » ; encore une pièce qui moule mon corps, mettant en avant mes appâts de femelle. Un petit tour devant la glace, toujours en sa compagnie et retour dans la cabine, suivie par cette ombre nouvelle. La robe penche du côté de ce que je vais garder.

Elle me donne la main pour la retirer, alors même que je n'en ai pas besoin. C'est sa façon à elle de me remercier pour les baisers ? En passant le tissu qui serre mon corps, je tends les bras vers le plafond – enfin, le ciel de l'espace réduit qui nous met à l'écart des regards indiscrets. Et cela remonte légèrement mon soutien-gorge. Le remet-elle en place ou le soulève-t-elle pour voir cette poitrine qui lui fait face ? J'ai le pressentiment qu'il m'arrive un truc. Quoi ? C'est indéfinissable, c'est imperceptible, mais au fond de moi, je sens bien qu'il arrive quelque chose que je ne peux maîtriser. Aucun mot n'est échangé ; seuls nos regards et nos mains parlent pour nous. Elle est aussi très belle ! Je la trouve charmante, et pourtant je ne connais rien d'elle.

— Si vous voulez, je vais prendre ma pause-déjeuner. Vous voulez que nous allions manger un morceau toutes les deux ?
— Ben, je ne sais pas trop ; je n'ai pas trop prévu…
— Laissons le sort définir nos priorités ; cela me ferait tellement plaisir de partager un peu plus que cette minuscule cabine de toile avec vous… Et puis vous êtes mon invitée !
— Ce n'est pas une question d'argent : c'est juste que… je ne sais pas si je dois.
— Allons, ne dites pas non ! J'ai tellement envie de parler avec vous, de partager aussi, et je connais un petit bistrot qui fait des menus rapides et super bons ; laissez-vous tenter !

Finalement, pourquoi est-ce que j'accepte cette invitation aussi soudaine qu'étrange ? Rien ne me prédispose à avoir quelque faiblesse pour une autre femme. Je n'ai jamais eu de tendances homosexuelles, et encore moins une bisexualité refoulée. Alors existe-t-il une cause particulière à cette attirance que j'éprouve pour cette… je ne sais pas même son prénom. Toujours est-il que je me laisse tenter par cette approche presque mâle de la vendeuse. Je règle mes achats, et elle met le tout dans un sachet de papier au nom de la marque de sa boutique. Elle y glisse une carte du troquet et m'affirme qu'elle y sera dans une petite demi-heure.

— Merci pour vos emplettes dans notre magasin et pour le reste ; c'est à vous de décider : j'aurai plaisir à déjeuner en votre compagnie. Peut-être à tout à l'heure ?
— Au revoir ; bonne journée !

Apparemment, ses collègues de travail ne se sont aperçu de rien. Je sors pour reprendre le tram, pour rejoindre ma voiture sur le parking de la gare. Maintenant, me voilà tiraillée entre « j'y vais, j'y vais pas ». Je dois être complètement folle de m'être ainsi laissée aller ! Je ne sais rien de cette personne, et je l'ai laissée m'embrasser… Mais le pire, c'est que ces baisers m'ont fait un effet que même les tiens ne font pas. Ne me font plus. Qu'est-ce qui m'arrive ? « Alors, ma petite Claude ? Il faut te décider ! Tu montes dans ta voiture et tu rentres sur Gérardmer ou tu te rends à ce rendez-vous qui risque d'être spécial ? » J'ai une pensée pour toi, toi mon chéri qui travailles pendant que ton épouse modèle se fait embrasser par une vendeuse de fringues. Serais-tu offusqué, outré de savoir ça ?

C'est presque plus fort que moi ; il me faut en savoir davantage ! Et je ne lutte plus contre la petite voix dans ma tête qui me dicte d'aller à ce rencard bizarre. La brasserie Le petit monde de Barnabé, sur la place Henri Mengin à Nancy, c'est d'abord une attraction locale. Un de ces endroits où les amoureux des bonnes choses du terroir aiment à se retrouver, à midi ou le soir, pour manger un morceau sur le pouce. À mon arrivée, je suis prise en charge par un serveur zélé qui, après lui avoir dit que j'attendais une amie – eh oui, je n'ai pas vraiment trouvé d'autre mot – m'entraîne vers une table pour deux personnes. Quelques regards d'hommes, consommateurs au bar ou clients du restaurant, s'appesantissent sur ma croupe qui ondule pour rejoindre la table, dans le sillage du garçon. Il est presque douze heures ; je passe tout de suite commande d'un apéritif pour moi. Évidemment, je ne connais pas les goûts de ma nouvelle… amie en matière de boisson ; et elle saura bien commander elle-même à son arrivée.

Mon verre de porto arrive alors que dans l'entrée j'aperçois la vendeuse qui scrute la salle. Je lève la main pour ne pas la laisser chercher trop longtemps, et elle arrive vers moi avec un lumineux sourire.

— Je savais bien que nous étions faites pour nous entendre ; merci de m'avoir fait confiance. Vous verrez, la nourriture est d'une finesse et d'une délicatesse… Le chef est un as ; il mériterait des étoiles au Michelin.
— J'ai commandé un porto pour moi ; je ne savais pas ce que vous aimez.
— La même chose m'ira parfaitement.
— Garçon ! Un autre porto s'il vous plaît.
— Je vais commencer par me présenter : nous n'avons pas encore eu l'occasion de le faire. Je suis Sonia, et vendeuse chez Morgan comme vous l'avez constaté.
— Enchantée ; moi, c'est Claude. Un peu plus classique comme prénom, mais je fais avec celui-ci.

Son rire de gorge est très communicatif, et nos éclats de rire qui fusent doivent nous faire passer pour des amies de longue date. Je vois encore quelques regards qui viennent caresser nos deux poitrines, les hommes présents ici ayant sans doute besoin de se sentir virils. Je ne me lasse pas de voir ses yeux gris-bleu : ils sont uniques. C'est un atout pour elle ; de cela je suis certaine. Nous déjeunons dans un climat agréable et elle me raconte sa vie ; je crois déceler dans son regard une ombre fugitive lorsque je lui dis que j'ai un mari adorable. Je voudrais bien lui poser des questions sur sa vie privée, mais encore faudrait-il que j'ose le faire, et pour l'heure c'est elle qui m'inonde de questions. Elle apprend vite que je suis architecte d'intérieur, que je vis un bonheur sans nuage avec toi. Elle connaît déjà ton prénom ; elle ne parle cependant à aucun moment de toi ou d'un quelconque autre homme.

À l'heure du café, elle me demande si cela me plairait de le prendre à son appartement, lequel se situe à deux pâtés de maisons du restaurant. La vision furtive de ses baisers refait surface, mais rien de bien affolant. Je décide de lui faire confiance. Alors, allons pour un café chez elle !

Chez elle, c'est un peu comme si j'entrais dans un musée. Des poupées partout, mais elles sont belles, de collection. Cela va du poupon en celluloïd de notre jeunesse à la Barbie blonde en passant par toutes celles des provinces de France et d'ailleurs, en boîtes transparentes. Des photos au mur également, que j'examine pendant qu'elle prépare le café. Toutes représentent des femmes ou des enfants : elle vit donc dans un monde où l'homme n'a pas l'air d'avoir sa place.

L'odeur de son café est aussi agréable que le bonheur de le boire. Installée confortablement dans son salon, je suis face à elle dans un profond fauteuil de velours. Elle ne cesse de me regarder, et malgré notre conversation axée sur sa collection de jouets, je sens que c'est d'autre chose qu'elle voudrait m'entretenir. Elle garde encore et toujours ce sourire que j'ai remarqué dans la cabine d'essayage ; elle dévie tout doucement la causette sur ce qui lui tient à cœur.

— Ce matin, je ne sais pas pourquoi, j'ai eu une envie soudaine de venir te retrouver dans cette cabine. Une impression qu'il me fallait le faire, aller vers toi ! Je ne sais pas pourquoi, mais je devais le faire.
— Je dois, moi, t'avouer que c'est la première fois de ma vie qu'une femme m'embrassait.
— Ça t'a déplu ? Tu n'as pas aimé et tu ne l'as pas dit ? Je n'aurais pas dû le faire, alors…
— Je n'ai jamais dit que cela m'avait paru déplaisant ; juste que je suis surprise par mes réactions personnelles. Je dois dire que j'ai presque aimé cela, mais qu'en plus j'ai trouvé tes baisers… meilleurs que ceux de Michel, mon mari. Comprenne qui pourra ! Tu m'as pratiquement fait mouiller ! Mais je suis folle de parler de cela avec toi… Tu te rends compte qu'il y a encore deux heures nous nous disions « vous » ? Et me voici à parler de cul avec toi, qui m'es presque encore une inconnue.
— Rassure-toi, cela ne fait que confirmer mon impression : j'ai sûrement vu juste. Pour le moment tu ne le sais pas encore, mais tu es une femme à femmes. De surcroît, tu n'es pas complètement ringarde puisque tu abordes librement le sujet du sexe avec moi qui ne suis pas du tout – mais alors pas du tout ! – hétérosexuelle. Je me qualifierais plutôt de « lesbienne pure et dure », mais j'ai un sixième sens pour dénicher les femmes qui me ressemblent. Tu peux me jurer les grands dieux que ton mari compte plus que tout au monde, il n'en reste pas moins vrai que tu es une femme à femmes, et que mon odorat ne s'y trompe pas !
— Et tu peux définir cela juste à ma seule venue dans ton magasin ? À deux baisers échangés ? Tu es devin, ma parole ! Ou folle, ce qui revient au même !

En disant cela j'éclate d'un grand rire, mais Sonia persiste à plonger ses yeux dans mon regard, et j'ai cette curieuse impression qu'elle me déshabille bien plus qu'avec ses doigts. Elle a les mains – ces grands papillons blancs – qui tremblent un peu et, au fond de moi, je ne suis pas aussi sereine que je veux le laisser paraître. Chacune de ses paroles, tous ses mots, je les analyse, les dissèque. Ses phrases tournent en boucle dans ma petite cervelle de brune. Comment peut-elle être aussi catégorique ? Le café a soudain un autre parfum, un parfum d'amertume. Je reste pensive quelques minutes.

— Ça te donne à réfléchir sur ta condition de femme ? Tu peux avoir l'impression d'être parfaitement heureuse avec ton mari ; sans doute est-il l'homme doux et aimant que tu me décris, mais moi je peux t'assurer que tu as aussi ce quelque chose d'une femme qui aime les femmes et que tu n'oses pas encore te l'avouer à toi-même. Peut-être aussi que jamais tu ne voudras prendre conscience de cela, mais si un jour tu franchis le pas qui te sépare des plaisirs saphiques, je reste persuadée que tu n'iras plus vers les hommes. J'ai une longue expérience, et autant de désillusions de cette vie de femme homo ; je sais les reconnaître entre toutes ! Ceci ne veut pas dire pour autant que je sais les garder, ni même m'accorder avec toutes, mais la marge d'erreur est mince. Tu es faite pour aimer les femmes !
— Alors explique-moi pourquoi je prends autant de plaisir à faire l'amour à mon mari, pourquoi j'ai le cœur qui bat dès que je le retrouve.
— Non : c'est à toi de m'expliquer pourquoi, alors que je t'ai embrassée une première fois, tu es revenue pour une seconde tournée. J'ai senti à ce moment-là ce que je te dis actuellement. Il y avait dans ton baiser toute l'envie et l'amour du monde, de notre monde ; pas de celui des mecs ! Et pourquoi m'avoir dit également que les baisers de ton mari n'avaient pas la même saveur, que tu avais aimé le mien ? Enfin, ceux que nous avons échangés.
— J'avoue qu'ils étaient différents ; cela ne prouve pas que je n'aime pas mon mari. C'est juste différent, et…

Je me perds dans des conjectures philosophiques qui dépassent largement mon esprit. Je dois me rendre à l'évidence : j'ai aimé ses baisers, et le pire, c'est que j'aimerais qu'elle m'embrasse là, maintenant. Mais je ne vais sûrement pas lui dire cela ! Une petite pointe d'envie me creuse inexorablement les reins. Je sens fourmiller mon sang dans mes veines. Elle me regarde encore, droit dans les yeux, et ses mains – ses bon sang de mains ! – volent dans l'air. Elles sont deux ailes qui me rattrapent, deux ailes que j'imagine caressantes et d'une autre douceur. Mais enfin, suis-je cinglée ? Pourquoi avoir de telles idées ? Rien ne cloche dans ma vie, pourtant : nous avons de l'argent, une maison merveilleuse, une vie dorée, et… un immense ennui, peut-être bien.

— Bon, il se fait tard ; je dois rentrer. Merci pour le déjeuner, merci pour le café et ta compagnie, aussi agréable soit-elle, mais je dois te laisser pour retourner à la maison.
— Attends, Claude. Je ne vais pas te forcer à faire quoi que ce soit : je veux juste t'ouvrir les yeux. Que tu penses à cette conversation, que tu pèses le pour et le contre. Et puis c'est à toi de faire la part des choses, de savoir ce qui te convient le mieux dans la vie ; mais ne fais pas l'autruche et, sous prétexte d'un petit bonheur matériel, ne va pas te forcer à croire en l'amour éternel avec un homme. Si je me suis trompée, je serai la première heureuse de te savoir toi, bien dans ta vie, bien dans ta tête, mais ce n'est pas le reflet que tu donnes aujourd'hui. Penses-y, prends quelques minutes de ton si précieux temps, fais le point, regarde lucidement les choses comme elles sont.

Ces paroles sont dites sur un ton extrêmement doux, sans hausser la voix. J'écoute ses mots qui martèlent mon esprit de chaque petite virgule ou point. Je me lève, et alors que je me dirige vers la porte, elle me prend doucement le bras. Sonia m'attire de nouveau vers elle ; j'ai un petit mouvement des épaules, mais c'est seulement pour me tourner vers elle. Sa bouche vient sans prévenir écraser la mienne. Mes lèvres, comme ce matin, s'entrouvrent pour laisser passer la langue qui en profite. C'est le souffle court, toutes les deux, que nous nous séparons, non sans qu'elle m'ait fourré dans la poche son numéro de téléphone.

— Tu peux m'appeler quand tu veux : ma porte t'est et te sera toujours ouverte. Viens quand tu en auras besoin.
— Eh bien, bonne fin de journée, et encore mille mercis pour tout !

Je rentre tranquillement ; tu n'es pas encore de retour. Dans ma tête me trotte l'idée que j'aurais bien pu faire l'amour avec cette femme. Son visage est resté là, bien présent. Pourquoi ? Il me vient à l'esprit que cela ressemble fort à un coup de foudre. J'ai l'impression d'être une midinette en quête d'un autre amour. Cependant, je ne veux rien casser, rien détruire, et le dilemme est de taille. Comme c'est compliqué ! Je pars le matin pour faire les boutiques, et je rentre avec des envies de baise avec une femme ! Tout ceci ne me ressemble guère. C'est bon ; la nuit sera de bon conseil.

Le bruit du moteur de ta voiture plus que le ronronnement du portail me rappelle que tu arrives, et le repas est tout juste prêt. Te raconter ma journée, voilà une gageure… Je ne veux pas te mentir, mais je n'ai pas non plus forcément envie de te narrer dans les détails ma conversation avec Sonia. Finalement, j'opte pour l'omission pure et simple, ce qui me laisse quand même un goût étrange au fond de la gorge. Je fais abstraction de ce qui s'est aussi passé dans la cabine d'essayage ; tu sembles heureux de voir mes achats.

La soirée qui s'annonce est presque désagréable pour nous deux. J'évite de te frôler, j'évite que tu aies envie de sexe : je n'aurais pas le cœur de te dire non, et je suis sûre que je ne serais pas une partenaire sympathique pour toi. J'ai cette femme au fond du crâne, et ça me rend presque malade d'y songer. Il y a quand même un moment où je sais que tu devines quelque chose. Oh, bien entendu, tu ne demandes rien, mais cette façon spécifique de me regarder, de me sonder, je la connais. Tu te poses des questions. Je ne t'apporterai aucune réponse, du moins pas ce soir.

À l'heure de se coucher, après le programme télé, je file à la douche – encore une excuse – juste pour éviter que tu ne veuilles me faire l'amour. Je passe un temps infini sous le jet brûlant. L'eau qui me lave le corps ne me rince pas le cerveau, et les images défilent, film qui tourne en boucle dans cette petite boîte à pensées. J'aimerais bien la déconnecter, mais rien à faire : je l'entends me dire que je suis faite pour aimer les femmes, et plus je tente de me persuader du contraire, plus je ressens l'inverse. Aujourd'hui, j'ai rencontré le diable ! Je ne suis pas loin de penser cela quand, d'une main fatiguée, je coupe l'eau et me sèche avec une serviette bien épaisse et douce.

Dans la chambre, mon pauvre Michel, tu dors à poings fermés. Ta respiration ne s'interrompt absolument pas quand je me glisse dans les draps frais. Le sommeil réparateur auquel j'aspire, sur lequel je compte pour y voir plus clair, ne veut pas venir me prendre dans ses bras sombres. Sur le cadran, les heures défilent sans qu'aucune ne me donne une once de repos. Au petit matin, quand les heures deviennent blêmes, juste avant que le jour ne lève le voile de la nuit, je sombre enfin corps et âme dans cet abîme d'oubli qui m'a fait défaut jusque là.

À mon réveil, les draps froissés sont vides de ton corps. Il est plus de dix heures du matin et tu n'es plus là. Sonia par contre ne m'a pas quittée une seconde ; même dans mes rêves, elle était présente. C'est cuit, je le sais : je ne pourrai pas lutter bien longtemps contre elle, contre moi. Cette bataille que je perds lentement, c'est aussi la tienne, mon amour ! À peine le petit déjeuner terminé, je l'appelle.

— Sonia ? C'est Claude. Écoute, j'ai bien réfléchi et je serais heureuse de te voir, de parler avec toi.
— Quand tu veux, ma belle. Tu viens ?
— Il serait préférable que toi tu te déplaces, tu veux bien ? Je t'attends. Voici l'adresse. Michel ne rentrera qu'en fin de journée, alors nous pourrons passer un peu de temps toutes les deux.
— Attends, je prends un papier pour noter ton adresse. Voilà, c'est fait. Juste le temps de me changer et de faire le chemin, une heure et demie tout au plus. À tout à l'heure, ma toute belle !

J'ai à peine raccroché le téléphone que je regrette mon geste, mais c'est trop tard : les dés sont jetés. Il me faut savoir, comprendre. Que se passe-t-il dans ma vie ? Pourquoi tout semble soudain basculer vers un autre horizon ? Comment tout ceci va-t-il finir ? Mal, je le crains fort ! Une heure et cinquante minutes plus tard, la sonnerie du portail grelotte, et c'est d'une main qui tremble que j'actionne le bouton de l'ouverture. Sonia est là ! Une jolie robe blanche à fleurs roses ; elle arbore un décolleté vertigineux. J'ai immédiatement la certitude qu'elle n'a rien sous cette peau de tissu. Dès qu'elle est près de moi, mon cœur se met à battre la chamade ; il cogne fort, incompréhensible comportement puisque je ne la connais que depuis vingt-quatre heures !

Elle me prend tout de suite dans ses bras, m'attirant contre son corps chaud et lascif. Bon Dieu, qu'elle est belle ! Ces yeux qui me fascinent tellement, des yeux de félin qui me subjuguent. Elle me presse contre cette poitrine que je sais nue sous le voile léger du tissu. Sa bouche et la mienne se rencontrent de nouveau, et c'est toujours la même magie. Elle et moi partageons ce baiser de retrouvailles avec un plaisir que je ne veux même plus dissimuler. J'ai aussi la sensation très nette que les choses évoluent vite, très vite, trop vite. Sa langue et la mienne jouent un ballet fantastique, se retrouvant comme deux reines dans leur palais. Elles se croisent, s'emmêlent, se démêlent et nous entraînent dans un frisson qui nous flanque la chair de poule à toutes deux.

Les mains de Sonia virevoltent sur mon dos ; elle cherche sans jamais le trouver un hypothétique élastique de soutien-gorge, puisque comme elle j'ai laissé ma poitrine libre de tout carcan. L'une d'entre elles trouve ma nuque sur laquelle elle appuie pour maintenir ma bouche contre la sienne, et nous ne nous désunissons plus. Je n'ai même pas un geste de recul quand elle me tire par le bras pour me pousser gentiment vers le divan proche. Me voici à demi allongée, embrassée et délicieusement envoûtée par cette femme si belle. Les papillons – je m'obstine à les voir ainsi – sont déjà en train de batifoler sur le devant de mon chemisier. Elle semble avoir une prédilection pour ouvrir les boutons ! Ceux-là sont des pressions cette fois.

Je suis la proie de la femme tigresse qui entre comme un tourbillon dans ma vie. Elle bouscule tout sur son passage, et mes principes de petite bourgeoise bien casée en prennent un rude coup ! Mais je n'ai plus qu'une envie : qu'elle aille encore plus loin, plus vite dans sa découverte de moi. Elle me caresse les seins qui sont rapidement mis à nu. Ses doigts sont des petits lutins qui s'infiltrent partout, qui savent vraisemblablement ce qu'ils cherchent, et surtout qui ne trouvent aucune résistance à leurs manœuvres d'approche.

Ma bouche reste la cible privilégiée de ce gouffre qui me ventouse les lèvres en permanence, et nos salives n'en font plus qu'une. Est-ce la sienne qui coule dans ma gorge, ou un mélange des deux nôtres ? Totalement enivrée par la perspective de ce qui va arriver, je soupire d'aise ; je suis déjà vaincue avant même que d'avoir livré un quelconque combat. De mes seins, une exploratrice à cinq tentacules est passée sur mon ventre et la voilà qui vient fouiner bien plus bas que ma ceinture. Et j'ose me dire que c'est bon, que j'aime cela, que c'est ce que je désire le plus au monde depuis hier. Mon corps réagit comme il ne l'a plus fait depuis tellement longtemps… Dans mon esprit fiévreux, j'ai envie de crier « Je t'aime ! » à cette harpie qui fout ma vie douillette en l'air, qui prend cependant juste ce que je veux bien lui donner. Après tout, c'est de bonne guerre.

Oubliés, Michel et ses mots d'amour ! Michel et ses mains qui ont pourtant exploré les mêmes sentiers ! Trois baisers « passion » auront-ils eu raison de ces vingt années à créer tellement de choses ? Je sais, sens que la roue vient de tourner et que ce duel que je livre depuis quelques heures, ce combat contre moi-même, c'est Sonia qui vient de le gagner. Les larmes qui me montent aux yeux sont autant de bonheur que de dépit pour toi, pour toi, mon mari qui ne va rien comprendre. Je laisse aller mes doigts là où ils en ont envie d'errer. Ils caressent le visage de celle-là alors que mes lèvres lui donnent des dizaines de bisous sur le front, les joues, les paupières… Je suis gagnée par ce besoin d'être aimée par elle.

Sa peau est douce comme celle d'un bébé ; je me surprends à la comparer avec la tienne ! Ici, pas de barbe – même bien rasée – pour m'irriter les lèvres ; pas du tout la texture de celle de ta figure. J'arrive presque à détester ces joues que j'ai si souvent embrassées, que j'ai si souvent câlinées ! Mais qu'est-ce qui me passe par la tête ? Pourquoi suis-je au bord d'un gouffre où les sentiments contradictoires que je ressens pour cette femme détruisent peu à peu ceux que jusqu'alors j'éprouvais pour toi ? Elle me touche, et c'est comme si le soleil me brûlait toutes les parties du corps que ses mains rencontrent. Je n'arrive plus à gérer ce qui pour moi reste invraisemblable ! Comment puis-je tomber en amour pour cette femme, si belle soit-elle ? Je veux revenir à la raison, mais dès que je fais une comparaison entre ce que je ressens là, tout de suite, et ce que j'éprouve pour toi, c'est toujours vers elle que penche la balance.

Puis, je ne veux plus penser à rien ; goûter seulement l'instant qui passe. Je savoure le passage des doigts qui frôlent mon ventre, je salive de la caresse à venir, celle où, enfin, la bouche de Sonia va visiter mon sexe qui pleure son impatience. Mes hanches se dandinent doucement au rythme des câlins qui me submergent. Je deviens folle sous ces pattes qui se glissent totalement au plus intime de moi. Les lèvres qui m'ont embrasé les sens par leurs baisers si tendres m'entraînent dans une sarabande féerique et une cohorte de décharges électriques qui me font oublier tout ce qui peut me rattacher à toi.

Peut-on aimer deux êtres à la fois ? Puis-je partager l'amour que je ressens pour Sonia et celui qui me reste pour toi ? Cette idée trotte au fond de mon crâne, mais elle est diluée dans des caresses tellement précises que je ne parviens plus à songer correctement. Je laisse aller cette musique qui me court dans les tympans. Les notes, des sons que seule j'entends, sont douceur et miel ! Elle conjugue le verbe « aimer » au féminin, et je l'aide pour tous les temps de celui-là.

Mais elle ne se contente plus de me toucher, de me brouter, de me saliver dans les moindres replis cachés de cette peau que toi, Michel, tu as si bien su attendrir avant elle. Oh, Sonia ! Ce sont maintenant les miennes de menottes qui découvrent autre chose. Elles deviennent exploratrices pour des vallons inconnus, pour des monts chauds, pour des cavernes lisses et offertes. Est-ce que je fais bien ? Je n'en sais que ses soupirs et cette chair de poule qui m'enivre de plus en plus. Le corps de Sonia, plus nu que nu, plus ouvert que tout, qui réagit à ces caresses inédites pour moi, comme je l'aime déjà… Trop, aussi !

Il n'existe plus rien d'autre que ces gémissements qui se succèdent, s'enchaînent, se mêlent, se dispersent et recommencent. Devant mes yeux, sous ma bouche, sous ma langue, sous mes doigts, sous mes mains et dans mon cœur, c'est un reflet de moi qui bouge, c'est un reflet de moi qui se perd dans les langueurs de ces amours qu'une autre « moi » me prodigue. Qu'une autre « elle » lui concède également. Nous sommes sœurs, nous sommes jumelles, nous sommes UNE. C'est bien, c'est bon ! Je sais d'instinct quel geste va venir maintenant déclencher le feu en moi ; je sais, j'attends et je reçois, je donne, je rends, et elle hurle, elle se cabre sous les mêmes caresses que celles qu'elle me fait.

Je cherche – mais si peu de temps – le pénis miniature qui se cache encore dans des replis roses, et lorsque de deux doigts j'étire le capuchon d'où il jaillit soudain, je sais ce qu'elle va ressentir si j'y passe le bout de ma langue. Je sens qu'elle espère, qu'elle frémit, et mes hésitations deviennent mes alliées, mes amies, et son supplice. Elle roule des hanches, mouvements que Sonia ne peut réprimer, qu'elle adapte au baiser de ma bouche sur sa rivière féminine, et les soupirs sont devenus des halètements ! Dans des gestes désordonnés, la poitrine tout entière se frotte à moi ; elle remue tellement que c'est presque compliqué de persister dans la caresse que j'ai entreprise. Elle geint, elle souffle, elle en oublie que je suis là !

Je n'ai jamais senti encore cette liqueur de femme qui m'envahit la bouche. Elle se crispe tout entière, ses jambes se resserrent autour de ma taille : peur que je l'abandonne ? Ou plus simplement une énorme envie de me faire lécher encore plus profondément cette vallée qui doit tellement ressembler à la mienne ? Comment ses mains sont-elles arrivées sur ma tête, la projetant dans la fourche des jambes qui tanguent et se secouent violemment, accompagnant les cris qu'elle pousse désormais ? Je bascule tout entière dans ce délicieux délire. Il n'y a plus de place dans mon cerveau pour une reculade, pour un retour en arrière.

C'est fait : je t'ai trompé, toi avec qui j'ai vécu tellement de merveilleux instants. Je viens de le faire en parcourant un corps étranger, un corps qui ne te ressemble pas. Un corps qui pourrait être un double du mien. Un clone. Et je n'ai pas un seul remords ; j'ai juste la sensation que mon cœur s'emballe devant la femme nue, repue, qui me tient encore la main. Je viens juste de découvrir que mes sens exacerbés aiment la texture, la finesse, le grain de ce satin qu'elle a mis à ma disposition. J'ai léché, humé, senti cette douceur, et j'ai plongé à maintes reprises doigts et langue dans le calice humide, dans la nef sacrée du sacrilège. Sonia, de son côté, a rendu une multitude de caresses que pourtant toi et moi avons pratiquées ensemble, mais qu'elle rend pourtant si différentes.

C'est à partir de ce moment-là que je sais, que je saisis que rien ne pourra plus jamais être pareil. Ce coup de foudre se prolonge bien au-delà de la décence et je suis conquise par les mains de femme, par la façon tellement plus douce de me faire l'amour. Mon ventre la réclame, la pleure, et il en saute de joie dès qu'elle le touche. Ma peau redécouvre des frissons qui ne la parcourent plus depuis trop longtemps.

Un amour meurt sans doute pour qu'un autre éclose !

Dans cette découverte de l'autre face du miroir, celui derrière lequel je cache mes préjugés trop nombreux, il reste l'image un peu floue de ton sourire. Mais quel poids peut-il bien avoir face à l'envie qui m'habite désormais ? La femme dont la nudité éclabousse notre chalet autant que notre amour me regarde, et son sourire est la perte de mes capacités à dire non. Je suis à elle bien plus que je ne le serai désormais pour toi, et c'est profond, enraciné en moi depuis que je l'ai vue. Elle le sait, je le sais, et toi tu dois l'apprendre de ma bouche. Je ne veux pas imaginer tes réactions, celles de ton amour-propre. Que je quitte tout pour un autre que toi, tu pourrais le comprendre sans nul doute. Mais que ce départ soit provoqué par une femme, me le pardonneras-tu un jour ?

Elle est rentrée chez elle, et pour moi va débuter le plus difficile. Le douloureux passage de « chez nous » à un ailleurs encore inconnu.

À toi, Sonia, pour ce grand bonheur.
À toi, Michel, pour celui qui est passé mais dont je ne regrette pas une minute.
À cette vie, qui choisit pour nous sans nous demander notre avis.