En 1965, Tonton Fred (celui qu'on surnommait « Dard de Ville », rapport à son habitude de poinçonner toutes les greluches perchées sur 16 cm de talons qui passaient à sa portée), Tonton Fred donc, écrivait « Le standinge selon Bérurier » qui manqua le Goncourt de seulement 15 voix, et le Nobel de juste 15 ans, mais qui fut, reste et restera en ce qui concerne l'apprentissage des bonnes manières ce que le petit futon est à l'apprentissage de la galipette coquine dans les espaces réduits.

C'était il y a plus de 50 ans… et le monde a changé. Les bonnes manières sont devenues désuètes en ces temps de productivité effrénée. Désuètes, voire ringardes, voire ridicules, voire quasiment des aveux de faiblesse.

Il fut un temps où, par exemple, les écrivains qui se détestaient se flinguaient avec talent. Ça défouraillait grave à la Remington, et souvent on retrouvait la victime étendue sur la chaussée, baignant dans son sang ou noyée dans un étang avec l'ancre de ses vieux attachée à la cheville. Quelques exemples :

« Quel homme aurait été Balzac s'il eût su écrire. » (Flaubert)
On notera ici le « eût su » qui donne à cette vacherie haut de gamme un brillant littéraire absolument fabuleux.

« Mallarmé, intraduisible, même en français. » (Jules Renard)

« Proust, un poète persan dans une loge de concierge. » (Maurice Barrès)

Ah, mes zamours, y a pas photo… En ce temps-là, la vie était plus belle, et le soleil plus brûlant qu'aujourd'hui. Les intellos avaient des idées, les philosophes avaient de la philosophie, les prostituées savaient faire l'amour en français, les comédiens savaient leurs rôles par cœur. C'était le temps béni de la rengaine, c'était le temps où les chanteurs avaient de la voix, où les parlementaires parlementaient, où les concierges étaient dans l'escalier, et où les écrivains s'étripaient entre eux avec talent.

Parce que le talent, mes zamours, foi de Brodsky, ça excuse tout !

Depuis que j'écris comme je pense (quand d'autres pensent comme ils font caca, voire font juste caca sans penser), j'ai eu le temps, la chance et l'honneur de me faire détester par tout ce que le (de plus en plus) petit monde des lettres compte de glands, d'imbéciles, de culs bénis, de démocrates chrétiens, de chrétiens pas démocrates, de critiques rêvant d'écrire, d'écrivains devenus critiques, d'écrivains qui n'écrivent pas, d'écrivains spécialistes en écrits vains, et parfois – il faut bien le reconnaître – de types talentueux, maniant l'acide et l'acerbe comme je manie le cidre et le serbe, c'est à dire façon nitroglycérine destinée à me faire exploser, de rire souvent, de rage parfois…

S'ensuivent habituellement de grands et beaux duels où, la plume dans une main (voire au pied pour certains), on se tape sur la tronche à coups de bons mots, de gros mots, de jeux de mots, de mots laids, de mots anciens, de mots inventés, de mots passés de mode jusqu'à finir par retrouver, toi et moi, lecteur adoré, des plaisirs démodés. Ton cœur contre mon cœur, malgré les rythmes fous, je veux sentir mon corps par ton corps épousé… mais je m'éloigne du propos.

Ce texte, donc, est un encouragement aux critiques littéraires à apporter une attention soutenue à la manière dont désormais ils rédigeront leurs commentaires. Je le dis et le répète : OUI à la critique, à l'ironie, à l'indignation, à la destruction en règle d'un texte, au carnage, au pillage, à la bombe à neutrons… à condition de faire cela avec un minimum de talent. Comme disait l'autre : « Et c'est tellement plus mignon de se faire traiter de con… en chanson. »
En chanson, mais pas seulement : « Essaye depuis trente ans que je le connais de faire un roman. Il n'y arrivera jamais. » écrivait Céline à propos de Blaise Cendrars. Ou encore : « Elle est bête, elle est lourde, elle est bavarde. […] Comment quelques hommes ont pu s'amouracher de cette latrine ? » (Baudelaire, à propos de George Sand)

On le voit, la critique perfide, fielleuse, écrite avec du vitriol à la place de l'encre est un art aussi majestueux et pertinent que l'écriture d'un texte classique, de SF, de cul, de cul classique, ou de cul fantastique comme celui de ma voisine que j'astique dans ma dernière fiction scientifique.

Mais (dira le lecteur lambda – et seulement lui, car de toute évidence l'Admirateur Brodskyen voit parfaitement où je veux en venir), mais dans quel but Brodsky, le phare de la pensée de ce XXIe siècle balbutiant, écrit-il tout cela ? C'est qu'il y en a marre, ou plutôt « Ya basta ! » comme disait le sous-commandant Marcos, de lire des âneries du genre : « Brodsky arrive à faire en vulgaire et pas drôle une blague éculée en moins d'une semaine sur une actu débile. Et ça prend 16, mini. Bah, c'est bien les gars ! »
Afin de préserver la dignité qui est due à ce genre de travail, nous ne donnerons pas le nom de l'auteur de cette critique ; nous nous contenterons d'analyser le commentaire.

« Brodsky arrive à faire en vulgaire […] » : jusque là, tout est bon, quoique notre Divin Détracteur aurait pu ajouter : « Chez Brodsky, le vulgaire est un art qui apporte à la langue parlée ses lettres de noblesse. » Mais bon, admettons que la fielleuse ait eu envie de me traîner dans le caniveau. Là, elle aurait dû écrire : « Je ne peux prétendre que Brodsky est vulgaire sans faire un stupide pléonasme, tant cet écrivain incarne la vulgarité. » Ah, mon pauvre faux ami… Si vous aviez commencé ainsi votre critique, je vous aurais sucé la queue au lieu de vous botter le cul. Mais voyons la suite…

« […] et pas drôle une blague éculée en moins d'une semaine sur une actu débile. Et ça prend 16, mini. Bah, c'est bien les gars ! » Passons sur la drôlerie avérée ou non d'un texte qui était en réalité une étude sociologique pointilleuse, et non pas un texte marrant comme certains l'ont cru (mais d'autres l'ont cuite, m'a-t-on dit). Passons sur l'actu débile… Qu'y peut l'auteur ? Non, ce qui semble noircir le cœur (mais en a-t-il un ?) de notre asticot (du Rhône), ce qui semble la tournebouler (de canon), c'est que des lecteurs aient pu aimer un texte dont il déteste l'auteur. On se rappelle d'un Premier ministre ayant décrété qu'un livre dont il n'aimait pas l'auteur « ne méritait pas d'être lu ». Ou du Petit Père des Peuples tourmentant Boulgakov, ou de ses héritiers enfermant Soljenitsyne, ou encore de la junte de la Pine au Ché s'en prenant au camarade Sepủlveda… Autoritarisme ? Fascisme ? Je ne suis pas là pour en juger. Simplement, toujours les mêmes méthodes, les mêmes pratiques, les mêmes injures, les mêmes stigmatisations… sans humour, sans ironie, sans talent.

Parce qu'on peut quand même faire l'effort d'être drôle, même dans l'abjection. Premier prix décerné à feu Elena des Carpates, femme du dernier dictateur de Roumanie, affirmant : « Tout corps plongé dans un liquide… finit par avouer. » Un trait d'esprit aussi magnifique aurait dû lui éviter d'être fusillée, voire d'entrer à l'Académie Française.

Bref, tout ça pour dire à l'autre que la prochaine fois qu'il aura envie de me cracher dessus, il serait prié de se laver les dents.

Et puis, sérieusement : c'est quoi toutes ces histoires concernant mes histoires, hein ? À chaque fois que je poste 7 000 signes, la partie commentaires du texte se transforme en bataille d'Hernani. Et quelle que soit la qualité de l'œuvre, on trouve toujours un guignol prêt à endosser le rôle de BHL commentant un spectacle de Dieudonné : « Brodsky, vulgaire, malsain, stupide, égoutier de la pensée, un masque de libertaire sur des idées de nazi, et blablabla, et blablabla… » alors que franchement, si vous saviez ce que l'auteur lui-même pense de son œuvre…

Pour résumer, je dirais que les histoires de Brodsky sont à la littérature ce que la bière est à la gastronomie. On peut en lire entre les repas, pendant les vacances, en rentrant du taf pour penser à autre chose, mais faut pas y chercher autre chose qu'un éclat de rire ou un clin d'œil fraternel. Brodsky, ça pisse pas loin, et ce malgré la taille du zob de l'auteur. Et surtout, il ne faut pas lire que ça… sinon, on finit transformé en bourrin à supporter l'équipe de France de foot devant sa télé en bouffant des pizzas.

Tout ça, mes zamours, j'en suis conscient. Je l'assume, et j'en suis fier… Mais quand même, devenir l'axe du mal à moi tout seul sous prétexte que Patrick Sébastien m'a fait un bisou sur le front le jour de mon baptême, faudrait voir à pas pousser mémère dans la choucroute quand elle pédale dans les orties.

Bon, voilà… C'était mon coup de gueule du jour suite à la découverte d'une salissure littéraire dans mon bol de céréales. Rien de bien grave, mais bon… Je vais aller calmer mon ego en jouant au Lego avec les enfants et cesser de me demander « Pourquoi tant de haine ? »
De toute façon, je m'en tape. Écrire me fait jouir. Et aucun guide de bonnes manières n'a jamais expliqué ce qu'il fallait faire après l'orgasme ; moi, je m'essuie dans les draps. Je comprends que certains n'aiment pas.