Ce matin-là, lorsque le réveil fit son bruit de crécelle pour indiquer qu'il était l'heure de se lever ; il n'y eut ni grognements, ni cris, et comme par miracle il resta en place sur la table de nuit…
Dès la première sonnerie, Émilie Maiblag se leva pour aller prendre son petit déjeuner. Ce n'était pas dans ses habitudes : elle avait toujours eu du mal à se lever le matin et aimait bien rester à paresser dans son lit, surtout lorsqu'elle bénéficiait – comme aujourd'hui – d'une journée de congé. C'était une journée assez particulière puisqu'elle devait se rendre dans la cité des Gones pour satisfaire d'impérieux et intimes besoins avec la machine à baiser.

Pour le lecteur, il convient de bien s'imprégner de notre héroïne. Donc, notre chère Émilie Maiblag est une jolie blondinette d'une trentaine d'années au visage angélique ; elle a un certain charme, et beaucoup d'hommes se retournent sur elle car elle dégage un je-ne-sais-quoi de perversité et de froideur. Elle a toujours eu un caractère assez particulier, voire difficile ; aussi, pour ses études, ses parents l'avaient placée en internat chez les bonnes sœurs austères de Kelboijmechoff. Elle y avait fait toute sa scolarité. Ses remarques, parfois judicieuses mais très souvent acerbes, lui avaient valu de très nombreuses et sévères punitions ; ses compagnes d'infortune la surnommaient affectueusement « la guêpe ».

Après son long séjour « en caisse » (comme on dit dans le Forez), juste à sa majorité, notre jolie Émilie fraîchement diplômée avait quitté sans aucun regret cet établissement et était bien décidée à rattraper le temps perdu. Elle n'eut aucun mal à trouver un emploi – pas très bien payé – mais qui lui permettait de se loger et de vivre décemment. Elle multipliait les conquêtes mais n'était jamais satisfaite : ses multiples amants ne restaient jamais bien longtemps en raison de son caractère.

Sa vie professionnelle était bien réglée, et traditionnellement depuis une dizaine d'années elle déjeunait chaque vendredi avec ses deux vraies amies qu'elle avait connues pendant sa détention chez les bonnes sœurs de Kelboijmechoff, Erika Dupeau et Élodie Dékonery.

Erika Dupeau était brune, très élancée, un peu filiforme ; elle réussissait tout ce qu'elle entreprenait, et sa vie affective semblait être un long fleuve tranquille. Élodie Dékonery était plus petite avec des formes généreuses ; on sentait chez elle une forte sensualité. Elle était toujours de bonne humeur et adorait plaisanter.

C'est au cours d'un de ces repas qu'Émilie leur confia sa misère sexuelle : depuis plus de quatre mois, suite à sa dernière rupture avec un hobereau, elle ne parvenait pas à trouver chaussure à son pied et s'en trouva réduite à des techniques masturbatoires. Erika essaya bien de la convaincre de s'inscrire sur un site ou un club de rencontres, mais Émilie était trop déprimée et n'en avait pas l'envie. C'est alors qu'Élodie, avec des mots entrecoupés de rires, indiqua qu'il existait à Lyon une société qui détenait une machine à baiser grâce à laquelle tous ceux qui s'y rendaient se faisaient baiser. Les trois amies partirent dans un grand délire sur cette fameuse machine, imaginant à tour de rôle des situations complètement loufoques. Émilie avait retrouvé sa bonne humeur, ce qui était, pour ses amies, le plus important.

De retour chez elle, bien qu'elle ne croyait pas trop à ce qu'avait pu raconter Élodie, elle se mit à faire des recherches sur Internet afin d'en savoir plus sur cet engin. Évidemment, elle trouva sur la toile un tas d'engins que les anglo-saxons appellent « fucking machines », mais pas question d'acheter et d'avoir cet appareil chez elle ; ça faisait trop mauvais genre…

Après de longues recherches, elle finit par dénicher l'adresse de cette société lyonnaise, située dans le quartier de la Part House ; ainsi, Élodie Dékonery n'avait pas menti : cela existait réellement. Elle nota soigneusement l'adresse, fit des repérages sur un plan de la ville et promit de s'y rendre dès qu'elle aurait une journée de congé. Ce soir-là, après quelques caresses, elle s'endormit détendue.

C'était donc aujourd'hui le grand jour : elle allait se rendre à Lyon pour rugir de plaisir. Après un rapide petit déjeuner, elle prit une douche, se pomponna longuement, choisissant un ensemble de lingerie en dentelle bleu marine, enfila une longue robe en lin pastel aussi échancrée devant que derrière et descendit prendre sa voiture au sous-sol de l'immeuble.

Il n'y avait qu'une petite heure de route pour se rendre à Lyon, aussi elle conduisait très décontractée en songeant aux plaisirs que la machine allait lui procurer. Elle pénétra dans la ville, trouva un stationnement dans la rue Steen et continua à pied son chemin vers la rue Minant ; là, devant une porte cochère, une plaque de cuivre avec une simple inscription :

MAB
au fond de la cour à gauche

Suivant les indications, elle se rendit au fond de la cour et prit place dans la file d'attente.
Il y avait une bonne vingtaine de personnes, autant de femmes que d'hommes, qui faisaient la queue. Apparemment, les affaires marchaient bien, vu le nombre de personnes qui venaient se faire baiser ici ; c'était plutôt rassurant.

Elle voyait les gens entrer à tour de rôle, mais aucun ne ressortait. Elle aurait bien aimé recueillir quelques impressions, mais ils devaient sans doute regagner la sortie par un autre chemin.

Cela la fit sourire de voir qu'on faisait la queue pour en recevoir une ensuite.

Son excitation montait au fur et à mesure que l'attente se prolongeait, si bien que lorsque vint son tour, elle était trempée. Elle pressa fébrilement le bouton de la porte et entra dans la pièce.

Une douce lumière bleutée nimbait une machine clignotante de voyants jaunes, verts, rouges, bleus, orange. Cela tenait un peu du distributeur automatique de billets et du scanner hospitalier avec ce portique d'où pendouillait un ensemble hétéroclite d'objet indéfinissables au-dessus d'une table d'examen.

Émilie, très impressionnée, sursauta lorsqu'un synthétiseur lui demanda de poser sa main droite bien à plat sur la vitre. La machine reprit avec sa voix synthétique :

— Bonjour ; vous êtes Émilie Maiblag, vous êtes née en 1986, etc. (description complète de sa vie) ; maintenant, retirez votre robe.

Émilie retira sa robe et se retrouva juste avec ses dessous bleus en dentelle.

— Veuillez introduire votre carte bancaire dans la fente sous le voyant vert.
— Sélectionnez le montant de votre baise.
— Clair de lune romantique : 100 €.
— Baise épicée : 200 €.
— Baise sévère et salée : 500 €.

Émilie choisit la baise à 500 euros ; elle tapa son code et attendit. Il ne se passait rien ; elle ne comprenait pas. Après plusieurs minutes d'un silence total, la synthèse vocale se remit en marche :

— Parfait. Vous venez de vous faire baiser de 500 euros ; nous vous offrons ce magnifique poster de vous en petite tenue. Maintenant, cassez-vous : il y a d'autres personnes qui attendent leur tour pour se faire baiser.

Vexée de s'être fait avoir de la sorte, Émilie était verte de rage. Ce n'était pas un robot qui allait lui tenir tête ; elle en avait vu d'autres à Kelboijmechoff ! Elle commença par donner d'inutiles coups de pieds et de poings à la machine en pensant qu'elle reviendrait, s'il le fallait, avec une masse ou une hache afin de réduire en mille morceaux la diabolique machine.

Les coups portés par Émilie Maiblag sur la machine semblaient l'avoir complètement détraquée : tous les voyants clignotaient en rouge et la synthèse vocale répétait inlassablement « Je suis en panne, vous devrez payer les réparations. Je suis en panne, vous devrez payer les réparations. Je suis en panne… »

Peu à peu, la colère d'Émilie retombait ; elle réfléchissait à la manière dont elle pourrait se sortir de ce mauvais pas car ses moyens ne lui permettaient pas d'assurer le coût de la réparation. Déjà, les 500 euros prélevés représentaient son loyer mensuel, et elle ne se voyait pas aller quémander auprès de l'Abbé Ennepé un emprunt pour justifier ce bref instant folie sexuelle. Elle ne trouvait pas de solution pour résoudre ce problème.

Notre héroïne était blanche, toute pâle, tremblante ; elle en arrivait, malgré son peu de foi, à invoquer Sainte Nitouche et Notre-Dame des Culs-Bénis, allant même jusqu'à promettre d'aller passer ses toutes prochaines vacances au couvent de Kelboijmechoff pour y faire une retraite salutaire si une solution divine lui était apportée pour se sortir de cet imbroglio.

Ses réflexions lui firent penser à son ancienne professeur de mathématiques, la Sœur Hisesurlegato, qui fréquemment répétait « Il n'y a pas de problèmes, mais des solutions ! » ou encore « La réponse est dans la question. »

Une idée lui traversa l'esprit : elle allait débrancher la machine pour déclencher une sorte de remise à zéro, et voir ensuite ce que cela provoquerait. Elle se mit donc en quête de l'alimentation et parvint à arrêter la machine pendant plusieurs secondes, coupant le son répétitif de la satanée synthèse vocale qui n'arrêtait pas de lui dire qu'elle devrait payer les réparations.

Une fois rebranchée, la machine se réinitialisa lentement ; les voyants passaient un à un de l'orange au vert. Après plusieurs minutes, elle était de nouveau en état de fonctionner. Elle se remit à parler :

— Retirez vos sous-vêtements et posez votre main bien à plat sur la vitre.

Craignant un nouveau piège, Émilie retira ses dessous bleus en dentelle et, tremblante, posa sa main sur l'écran.

— Votre demande de retraite au couvent de Kelboijmechoff est enregistrée. Par contre, comme vous m'avez débranchée, vous devrez vous y rendre accompagnée de vos deux amies Erika Dupeau et Élodie Dékonery.

Impressionnée et gênée d'emmener ses deux amies dans cette histoire, Émilie répondit faiblement oui. La machine reprit :

— Je vous pose une énigme ; si vous répondez correctement, votre compte bancaire sera de nouveau crédité de 500 euros, et en plus je vais vous faire jouir de manière très forte. Voici l'énigme :

Vous aimer les enlever
Un, dans la main, vous avez
Dans son bon sens, il faut vous caresser
Son homonyme peut vous chauffer
Maintenant vous l'êtes.

Vous n'avez droit qu'à une seule réponse. La bonne vous conduira au septième ciel ; une mauvaise réponse et vous vous retrouverez dehors. Vous avez trente secondes.

Le compte à rebours défilait sur l'écran. Émilie réfléchissait à toute vitesse, et juste avant la fin du temps imparti elle tapa sur le clavier la réponse de l'énigme, un peu angoissée, attendant fébrilement le verdict de la machine. En même temps que l'écran affichait en clignotant « Bonne Réponse », la synthèse vocale annonça :

— Réponse exacte. Maintenant, allez vous allonger sur la table située sous le portique et enfilez les lunettes virtuelles.

Émilie, soulagée d'avoir bien répondu, s'allongea rapidement sur la table et mit les lunettes. Presque aussitôt, un léger ronronnement de machine qui démarre se fit entendre, puis une musique douce commença à couvrir le bruit de l'appareil tandis que des images syncopées aux couleurs vives défilaient devant ses yeux. Ses flancs étaient caressés avec douceur ; cela devenait plus précis et remontait lentement vers ses seins dont les pointes commençaient à s'ériger.

Deux espèces de ventouses vinrent se coller sur ses seins, aspirant goulûment chaque téton tandis qu'une troisième s'emparait du clitoris, lui faisant subir une délicieuse torture. Sous l'effet de ces douces caresses siliconées, Émilie commençait à sentir sa liqueur intime s'échapper de sa fente trempée. Elle écartait les cuisses, tendait son corps ; il lui fallait être pénétrée maintenant.

Quand elle sentit que l'objet touchait ses grandes lèvres, elle s'ouvrit davantage pour permettre à l'olisbos de pénétrer au plus profond de son intimité. L'appareil la pistonnait lentement avec la régularité d'un métronome. Des ondes de plaisir annonciatrices de l'orgasme parcouraient son corps.

Rapidement, un premier orgasme vint la libérer de plusieurs mois de frustration, mais la machine poursuivait inexorablement ses caresses. Par instants, Émilie avait l'impression d'être chatouillée sous les pieds, les bras, comme si son corps était traversé par de multiples décharges électriques. Alanguie, dans une douce torpeur, elle se laissait aller, soumise au bon vouloir de la machine.

À un moment, elle comprit qu'un deuxième leurre, écartant ses globes fessier et s'insinuant dans la raie, venait lui titiller la rosette (la rosette… une spécialité lyonnaise !) avant de la pénétrer par cette voie, la pistonnant alternativement avec celui qui officiait dans son vagin.

Prévenant ses désirs, une sorte de grosse tétine s'enfonça dans sa bouche. Ça tombait bien : elle adorait sucer quelque chose tandis qu'elle se faisait prendre, et là elle pouvait aspirer goulûment un mélange de lait concentré sucré aromatisé à la gelée de groseille.

Les orgasmes se succédaient, elle ne les comptait plus ; combien de fois avait-elle pu jouir ? Elle ne pouvait le dire. Elle était devenue tributaire de cet appareil. Lorsque la machine à baiser s'arrêta enfin, il lui fallut un certain temps pour qu'elle reprenne ses esprits. Dans sa tête résonnaient encore les notes d'une symphonie de l'Abbé Toveine, et par instants des éléphants bleus ou roses explosaient devant ses pupilles dilatées.

Émilie commençait à se rhabiller lorsque la voix nasillarde d'un interphone lui demanda d'allumer le grand téléviseur situé dans un angle de la pièce où elle se trouvait. Tout en s'interrogeant sur le pourquoi d'une telle demande, elle mit en marche l'appareil. Après quelques secondes apparut à l'écran une figure qui lui était familière : la Mère Hique, la terrible Mère Supérieure du couvent de Kelboijmechoff, celle qui décernait les sévères punitions aux élèves qui avaient commis quelque bêtise.

Émilie se demandait bien ce qu'elle faisait là, en visioconférence dans cette salle de la machine à baiser. Redevenant d'un seul coup la jeune fille convoquée chez la Mère Sup', notre héroïne, la gorge serrée, ne pipait mot. Le silence était pesant, angoissant. C'est avec un certain soulagement qu'elle entendit la voix de la Mère Hique :

— Mademoiselle Émilie Maiblag, vous êtes certainement surprise de me voir ici. Par contre, vous sachant vicieuse, je ne suis guère étonnée de votre présence en ce lieu de débauche. Vous vous demandez sans doute la relation que je peux avoir avec cette machine à baiser ; eh bien, c'est tout simple : notre communauté religieuse a acquis cet appareil, et les très lucratives retombées financières permettent de financer largement le couvent de Kelboijmechoff. Bref, nous nous enrichissons avec les nombreux gogos qui se sont fait baiser ici et qui repartent sans rien demander une fois leur compte bancaire débité. Je pourrais vous citer des hommes politiques, des gens dans la vie bien sous tous rapports ; je peux même vous dire que notre vénérable confesseur, le Père Igor, prétextant une importante réunion à l'évêché afin de s'absenter du couvent, est également venu se faire baiser ici : cela nous a permis de récupérer l'argent de plusieurs quêtes qu'il avait détourné. Comme vous le voyez, depuis le couvent je contrôle tout ce qui se passe ici, et à votre mine défaite je vois que vous avez eu beaucoup de plaisir. Bon, je dois vous laisser : c'est l'heure des vêpres ; et pensez à la retraite que vous allez devoir faire à Kelboijmechoff.

La Mère Hique disparut de l'écran ; Émilie s'empressa de quitter la pièce. Elle retrouva sa voiture dans la rue Steen ; la tête bourdonnante, les jambes flageolantes, elle était crevée.

Demain matin, dès qu'il sonnera, il est certain que le réveil traversera à basse altitude la chambre d'Émilie avant de se crasher contre le mur !