Une toute petite perle qui éclate comme une bulle aux coins des yeux ; c'est juste une gouttelette. Puis quand une seconde la rejoint, elles s'accrochent l'une à l'autre, et leurs sœurs les renforcent pour venir mourir en un fin ruisseau. La traînée claire atteint les ailes du nez, puis glisse lentement vers le menton qui tremble. Ces larmes sont les derniers cris de ce cœur qui se déchire. Elle, elle ne contient plus ces sanglots qui finissent par secouer sa poitrine, si belle pourtant. Le vert de ses iris donne l'impression de se diluer dans cette eau salée qu'elle ne maîtrise plus. Sur la table, celle sur laquelle ses mains soutiennent sa tête trop lourde de ce chagrin, la flaque s'élargit rapidement mais Claude n'en a cure. Maintenant rien ne peut plus arrêter ces grandes eaux ; elle pleure sans discontinuer.

Claude, c'est un petit bout de femme, une belle brune, et sur la toile cirée qui recouvre la table de bois de la cuisine, elle laisse éclater ce chagrin qui la submerge totalement. Avec un sursaut d'orgueil, elle relève la tête, renifle un coup, comme pour conjurer, pour arrêter les vannes de ces yeux qui déversent leur trop-plein de désespoir. Pourquoi est-elle dans cet état, qui la rend si triste, qui ravage son visage aux traits si doux ? Ses cheveux frisés qui tombent en cascade sur ses épaules secouées par les sanglots profonds qui l'accablent sont soigneusement brossés.

Lorsqu'on la regarde de plus près, c'est une belle femme d'une trentaine d'années. De cette fille se dégage un charme fou, une sorte d'aura qui attire et retient l'attention. Devant elle, posé sur le plateau de la table, l'objet, sans doute, de cette immense tristesse. Une lettre, simple, dactylographiée, sans âme, une feuille qui résume en quelques mots une situation qui semble à Claude insurmontable. Le papier émane d'un cabinet médical et il est écrit sur celui-ci que dans l'état des choses, une grossesse est impossible. Ensuite, suit une file de chiffres, de noms qu'elle n'arrive pas à décoder. Le jargon médical la rebute, mais les conclusions semblent tellement définitives qu'elle ne peut s'empêcher de sangloter. Elle reprend en main ce fichu passeport pour une solitude à deux, qui martèle dans son crâne l'irréversible vérité.

Michel rentre tranquillement à la maison. Du garage où il vient de remiser sa voiture, il entend des bruits inhabituels provenant de la cuisine. Il prête l'oreille, et soudain il s'inquiète. C'est Claude qu'il entend sangloter. Que se passe-t-il ? Pourquoi pleure-t-elle de la sorte ? Il se précipite à l'intérieur de l'habitation. Sur le pas de la porte, il la regarde. Ses coudes sur la table, elle soutient, de ses deux mains sous le menton, une tête qui paraît trop lourde.

— Que se passe-t-il ? Pourquoi es-tu dans un pareil état ?
— …
— Eh bien ! Pourquoi pleures-tu, ma belle ? Dis-moi. Il est arrivé quelque chose de grave ?

Pour toute réponse, un énorme sanglot et la main de Claude qui se saisit du papier blanc sur la toile cirée. Michel le prend et lit lentement ce que le médecin a écrit. Il comprend tout de suite que cette crise est bel et bien due à ce qui s'étale devant ses yeux. Il est dit là que jamais dans un pareil contexte Claude et lui n'auront d'enfant. Un pincement au cœur le fait frémir. Il ressent toute la peine du monde dans ces quelques lignes.

— Attends ! Attends, mon cœur, il doit bien exister une solution. La science, de nos jours, fait des miracles ; nous allons trouver, nous allons trouver une clé, une solution. Je sais, je sens que nous allons entrevoir une issue concrète à nos attentes. Et nous demanderons un autre avis : ils peuvent se tromper, eux aussi.

Il passe ses deux bras tremblants autour du cou de cette femme qu'il aime de toutes ses forces. La frimousse de celle-ci vient essuyer les larmes qui coulent de nouveau sur la veste du costume qu'il n'a pas encore pris le temps de retirer. Comme c'est difficile de réconforter quelqu'un, quand on est soi-même aussi secoué… Cette nouvelle, il lui faut la relire, en analyser chaque mot, en décortiquer la teneur, la revoir de long en large, et en diagonale si c'est nécessaire.

— De toute façon, au pire nous adopterons un bébé ; tu sais c'est plus simple, les formalités…
— C'est toi ? Toi qui me dis ça ? Les formalités ! Toi l'avocat qui connaît le chemin incroyablement tordu de l'administration française pour les adoptions ? Tu crois que nous pouvons encore attendre d'avoir cinquante ans pour voir un enfant vivre sous notre toit ? Trois ans que nous faisons tout pour avoir un bébé, et trois ans à voir des médecins qui se contredisent tous ; trois ans, au rythme des douches froides, des attentes interminables, des nuits sans sommeil à croire, et croire encore… Et puis ça !

Dans ses mains, le papier qu'il relit sans arrêt et qui n'en finit pas de dire, chiffres bizarres à l'appui : stérilité définitive. Et soudain, devant ses yeux, une évidence : c'est tellement énorme, ce que son regard lui révèle ; et pourtant, il la fixe depuis dix minutes, cette maudite feuille !

— Claude, ce n'est pas toi qui ne peux pas avoir d'enfant : c'est moi qui suis stérile. Ça change tout !
— Et quelle est la différence ? Toi ou moi ? Tu vois bien que nous ne pourrons jamais tenir un petit être dans nos bras ; je n'entendrai jamais pleurer dans cette chambre qui est censée l'accueillir.
— Si ; c'est même la chose la plus importante, c'est juste… qu'il faut que nous en discutions sérieusement tous les deux. Il y a une solution.

Les larmes ont ravagé le visage de Claude, mais il la regarde avec calme ; elle est si belle… Il ose penser qu'elle est lumineuse, son idée. Mais comment lui en parler ? Il veut, avant tout, que cette femme qu'il aime plus que tout au monde reprenne quelques couleurs. Au fond de lui, malgré son désarroi, c'est vrai qu'il a une toute petite lueur, un morceau de soleil qui éclaire son esprit. Il se dit que c'est encore possible, que finalement rien n'est perdu, pour peu qu'il puisse lui expliquer, lui faire comprendre, et surtout qu'elle accepte. Mais ce n'est sans doute pas le bon moment pour en débattre. Il veut que son amour retrouve une sérénité qui lui permettra de penser et de voir clairement cet espoir que lui entrevoit.

Elle s'est calée au creux de cette épaule, elle a cessé de pleurer. Son cœur bat plus fort aussi ; il a trouvé une solution ! Quelle solution ? Elle se dit qu'elle doit en parler avec lui, et elle se blottit contre la poitrine réconfortante. Comme elle l'aime, cet homme… C'est vrai qu'elle n'est guère lucide, pas prête à écouter. Elle est encore trop fâchée par la vie, par cette injustice qui lui fait mal.

— Tu veux que nous dînions tranquillement, que nous parlions gentiment de tout cela sans se prendre la tête ? Juste en parler, et ensuite tu jugeras si ce que je te propose est jouable, acceptable, si c'est dans l'ordre des choses possibles. Enfin, tu vois, on peut ne pas tout détruire, même si le sort nous fait un pied de nez. Je t'aime, Claude, et je suis prêt à accepter tout, juste pour ton bonheur.
— Tu vois bien que je n'ai rien préparé ! Ce foutu bout de papier m'a anéantie, et je n'ai pas eu le cœur à bouger. Je suis vidée par ce bon Dieu de diagnostic.
— On s'en fiche que tu n'aies pas eu envie de faire quoi que ce soit ; prends ton sac et viens ! Nous allons manger une pizza en ville : ça nous changera les idées et on se remettra de nos émotions. Après, nous pourrons parler de ce que nous pourrions envisager.
— Si tu veux, mais je ne suis pas très présentable, mon cœur ; laisse-moi une minute ou deux pour me remettre en état.

Elle file vers la salle de bain et Michel la regarde partir. Il sait qu'il vient de gagner le premier round de cette soirée. Mais il lui reste encore à lui soumettre son projet ; et là, comment va-t-elle le prendre ? Il se pose cette question longtemps, jusqu'à ce que Claude revienne vers lui. C'est drôle comme elle est redevenue la femme attirante qu'il aime avoir à son bras, avec laquelle il prend plaisir à discuter, à vivre. Timide encore, mais pourtant déjà si présent, son sourire est affiché. Il se dit qu'elle est belle, et son idée lui fait comme un pincement au cœur.


— Bonjour, Françoise. Vous allez bien ? Eh bien, c'est plein, ce soir chez vous.
— Vous voulez la carte ou c'est comme d'habitude ?
— Pas besoin de la carte ; comme d'habitude : une « Indienne » pour Madame et une « Texane » pour moi.
— Deux pressions pour arroser l'ensemble ?
— Oui. Ah, vous n'oubliez pas : c'est sans origan pour ma « Texane ».
— Pas de souci. Si seulement tous les clients étaient aussi cool que vous deux !

La patronne, Françoise, repart vers le four où son mari, Luc, enfourne la commande d'une autre table. Claude est plus détendue. Elle s'est apaisée depuis son passage à la salle de bain. Face à elle, Michel la regarde avec des yeux remplis d'envie. Il reste encore quand même un détail à régler, mais celui-là sera pour plus tard, sauf si elle est trop avide de connaitre SA solution. Dans le restaurant de spécialités italiennes, l'odeur de la pâte qui cuit embaume la salle. Les deux bières sont vite livrées, et Claude trinque en noyant son regard dans celui de son mari. Quand Françoise apporte ce qu'ils ont commandé, leurs mains se sont retrouvées sur la nappe rouge et les doigts serrés démontrent cet amour qu'ils se vouent depuis quelques années déjà.

Les bruits qui les environnent ne perturbent en rien la dînette amoureuse, mais ils n'échangent que des banalités ; l'endroit ne se prête guère aux confidences. Claude, au fond d'elle, voudrait pourtant savoir : elle est impatiente, elle bout de connaître son idée. Michel a peur maintenant, et plus il réfléchit, plus son stress grandit, plus il se demande s'il a raison de lui avoir fait miroiter une lumière dans son esprit. Comment va-t-elle prendre la chose ? Il ne sait pas non plus de quelle manière il va bien pouvoir la lui présenter. Mais bon, il faut savoir ce que l'on veut ! C'est le prix à payer pour son bonheur à elle ; c'est le prix… d'une vie.

Elle mange sans grand appétit, et elle regarde cet homme qui lui fait face. Il est toujours aussi séduisant, du moins elle le pense. Comment un beau gaillard si bien bâti, qui lui fait si bien l'amour peut-il ne pas lui faire un enfant ? Elle revoit les nombreuses fois où, connaissant parfaitement son corps, elle savait que c'était le bon moment, celui où l'ovulation était la plus propice, et elle se remémore comment, des jours et des nuits entières, ils se sont fait l'amour… avec amour. Elle se souvient aussi de ces réveils plutôt tristes ; de ces journées maussades où les règles arrivaient. Cette coulée de son sang était autant d'échecs subis par elle d'abord, et lui ensuite. Mais jusqu'à ce qu'ils consultent, se disant que trois ans pour essayer d'avoir un bébé, c'était un délai raisonnable ; jusque là ils y croyaient encore. Elle se perd dans ses pensées plus ou moins tristes, mais pourtant il est toujours resté tendre, aimant. Sa main dans la sienne, elle serre plus fortement les doigts de son Michel.

Michel mange parce qu'il le faut. Il n'a pas cette envie qui, d'ordinaire, le fait presque dévorer. Il sent les doigts de Claude qui pressent plus que la normale les siens. Elle est là, et il revoit ses yeux quand une maman les croise dans la rue en poussant un landau. Il a, devant ses regards à lui, ce voile qui tombe chaque fois qu'il longe le mur de la cour de récréation de l'école de leur village. Il sait qu'elle regrette cette absence, et soudain il s'en veut terriblement en pensant que la cause de cette absence, c'est lui. Mais comme elle est mignonne, là, face à lui ; comme il a envie d'elle encore…

Le repas est terminé ; ils rentrent lentement au chalet. Mais ce soir, le lac n'a pas son attrait des jours heureux. Dans le salon, Michel allume la cheminée ; ils ont un peu froid, autant à l'âme qu'au cœur. Ce soir, il fait froid dans leur vie. Assis sur le canapé, il la regarde qui fouille dans une pile de CD, en extrait un et le loge dans la platine. La musique vient, sanglots de ce désespoir qui les guette ; Mozart les entoure de ses notes douces. La main de Michel se pose sur le front de la femme qui vient de mettre sa tête sur ses genoux.


— Raconte-moi ; viens près de moi, mon amour. Je ne dirai rien : je veux juste que tu me montres, juste savoir comment on peut faire. L'adoption ne me semble pas une bonne solution. Oh, Michel, redonne-moi envie de vivre ! Je t'en supplie ! Je veux savoir !

Il caresse le front de Claude et cherche ses mots. Il veut peser chacun d'entre eux, les choisir dans un vocabulaire des plus simples. Cependant, il se demande aussi comment elle va réagir.

— Si nous résumons bien la situation, pour faire un bébé, il faut être deux. Un homme, une femme, et que l'alchimie des deux corps permette, à un certain moment, que la semence de l'homme féconde l'œuf de la femme. Dans notre cas, seule la semence ne remplit pas son rôle, et cette défaillance empêche donc la grossesse. Tu suis mon raisonnement jusque là ?
— Oui. Continue ; je ne vois pas où tu veux en venir, mais je comprends.
— Alors, imagine que le sperme du mari – le mien, donc – soit remplacé par celui d'un autre ; celui-ci parfaitement sain, capable de procréer.
— Tu veux dire qu'il suffit d'aller voir un médecin et de m'inséminer artificiellement avec la semence d'un donneur anonyme ? Mais tu sais bien que cette solution est très contraignante, et que rien ne prouve que cela fonctionne. La fécondation in vitro peut parfois aussi provoquer des grossesses multiples, et ce n'est pas toujours garanti.
— Bien sûr que je sais tout ceci ; mais réfléchis, mon amour : il existe une autre solution tout aussi efficace, et surtout plus réaliste, plus réalisable en fait et… tellement plus simple pour tout le monde.

Elle ne bouge pas ; elle laisse les paroles qu'il prononce avancer lentement dans son esprit. Elle ne voit pas trop où il veut en venir ; et soudain, dans son crâne, c'est comme un lever de rideau sur une scène de théâtre. Ça y est : elle vient de saisir ce qu'à demi-mot il n'ose pas formuler franchement. Mais comment peut-il penser à une chose aussi absurde ? Comment peut-il imaginer une seule seconde qu'elle va être d'accord ? Sans s'en rendre compte, elle serre sa main plus violemment dans la sienne. Elle est certaine qu'il lui suggère d'une manière déguisée « Trompe-moi. » mais elle ferme les yeux ; elle ne veut pas avoir compris. Elle ne se sent pas vraiment prête à franchir ce pas.

La pression de la main de Claude sur ses doigts lui fait savoir que l'idée vient de s'ouvrir dans la tête de sa femme. Elle ne semble pas bouger, mais il est sûr que ses paroles doivent bouillonner dans l'esprit de celle-ci. Elle ne dit rien, ne laisse rien transparaître. Juste cette sensation que les doigts de son épouse se sont crispés sur sa main. Plus aucun mot. Il retient un peu son souffle ; il attend qu'elle parle, maintenant. Mais elle n'a aucune réaction, et il reste à attendre alors que la musique de Jupiter laisse couler ses sanglots étrangement calmes dans le salon.


— Si nous allions nous coucher ? Michel, tu viens ?

Elle est déjà sur ses pieds, coupe la platine, et seul le feu qui n'a réchauffé personne crépite encore dans l'âtre. La chambre à coucher est trois pas plus loin. Ils s'y retrouvent, mais l'atmosphère est presque irréelle. Il n'ose pas poser de questions ; elle ne veut que réfléchir aux paroles qu'il lui a assénées comme un grand coup de poing dans l'estomac. Couchés, l'un près de l'autre, lui garde les yeux ouverts, rivés sur le plafond. Il n'est pas totalement dans l'obscurité. Quelques chiffres rouges se reflètent sur le blanc de celui-ci. Le réveil et ses heures vont le garder en alerte tout le reste de la nuit.
Claude ferme ses yeux, mais derrière ses paupières closes, tout un monde entre en mouvement. Qu'a-t-il dit, déjà ?

« Réfléchis, mon amour : il existe une autre solution, tout aussi efficace, et surtout plus réaliste, plus réalisable en fait et… tellement plus simple pour tout le monde. »

Il pensait à quoi en disant cela ? Ce n'est pas possible qu'il veuille qu'elle le trompe. Non, pas cela ! Ce n'est pas cela. Elle doit avoir mal saisi le sens de ses propos. Mais plus elle tourne les phrases dans son crâne, plus elle se trouve confrontée à cet incroyable mur de la réalité : il suggère donc qu'elle prenne un amant ? Juste pour faire un enfant. Mais comment trouve-t-on un amant ? Il ne peut pas lui avoir laissé entendre une pareille chose.

Elle ne bouge absolument pas, mais elle ne dort pas non plus ; de cela, il est certain. Sa respiration s'est accélérée, elle est oppressée. Elle doit revoir ce qu'il lui a dit, elle doit se poser mille questions. Mais saura-t-elle faire la part des choses ? Leur amour sera-t-il le plus fort ? Deux heures et vingt-trois minutes qu'ils sont dans le lit, et elle ne dort toujours pas. Lui non plus, du reste. Ni l'un ni l'autre ne bougent ; pas un seul mouvement, mais il sait qu'elle est éveillée. Il se sent bizarre ; peut-être qu'il n'aurait pas dû lui suggérer cela ? Mais bon, comment la garder alors qu'elle n'aspire qu'à une maternité qu'il ne pourra jamais lui offrir ? Une adoption ? En France, c'est au minimum cinq ans ; une enquête avec leur vie passée au crible, des gens qui vont défiler chez eux ; enfin, c'est toujours très délicat, et c'est aussi un énorme risque de voir au bout du compte un refus, ce qui entraîne des années de perdues.

Elle ne l'entend pas respirer comme quand il dort. Que peut-il y avoir dans sa caboche en ce moment ? En y réfléchissant mieux, il a raison, sans doute. Mais comment trouver ce géniteur sans pour autant briser leur couple ? Le faire en toute discrétion ; le faire sans le lui dire ? C'est impossible : il connaît sa situation, sa stérilité, et une grossesse serait un affront pour lui s'il n'est pas averti. Elle ne veut pas le tromper. Plus de deux heures et demie qu'ils sont allongés côte à côte, et aucun ne fait un geste vers l'autre. Cette maudite feuille de papier a-t-elle signé l'arrêt de mort de leur union ? Non ! Elle l'aime trop pour le voir souffrir. Et en y réfléchissant bien, elle se dit qu'il doit l'aimer à la folie pour avoir osé envisager de la donner à un autre, juste pour mieux la garder.

— Michel ? Michel, tu dors ?
— Non, tu le sais bien.
— Je t'aime, tu sais…
— Oui, je le sais ; mais tu penses que moi, je ne t'aime pas ?
— Oh si ! Pour avoir osé me pousser à te tromper, je suis certaine que si. Que tu m'aimes, plus que tout.

Elle se tourne vers lui ; il n'est plus l'heure de parler. Elle vient se coller contre son corps, juste pour le sentir plus encore, et elle a vite compris qu'il n'attend que cela depuis des heures.

— Tu sais, nous pourrions choisir ensemble le père de notre enfant : il existe des sites où ce n'est pas trop difficile de trouver un homme qui cherche juste à coucher avec une femme.
— Chut ! Je veux juste ne penser à rien, maintenant ; juste à nous deux. Tu veux bien ? Je veux que nous fassions l'amour. Ta solution est peut-être la bonne, mais je te veux, toi, maintenant.

Michel se serre contre ce corps qu'il chérit ; elle se love contre lui. Ils font l'amour, comme au premier jour, comme si c'était aussi la dernière fois. Leurs mains vont et viennent sur leurs corps, elles fouillent ces endroits qui leurs sont familiers. Elles touchent avec plaisir des chemins mille fois empruntés, mais pourtant le plaisir de cette nuit est totalement différent. Quelque chose les pousse à se donner, à se livrer, comme si demain devait être un tournant dans cette vie qu'ils affectionnent.

Elle s'est donnée à lui, il s'est surpassé. Aucun des deux ne s'est plus posé aucune question ; c'est la vie qui décide. Au lever du jour, plus rien ne sera pareil. Alors, pour la dernière fois, ils font la fête : celle de leurs corps, celle de leurs âmes. Elle râle sous ses assauts, il se donne de toutes ses forces. Repus de cet amour physique qui vient de les unir, ils sont tous les deux emportés par un sommeil réparateur, et tout à l'heure la vie sera différente… Ils peuvent dormir ; les rêves sont toujours là.


Le soleil inonde la chambre : Claude a totalement oublié de fermer les volets. Les premiers rayons chauds qui caressent son visage la ramènent à la vie, et ses pensées sont pour ce Michel qui continue, paisiblement, de dormir. Elle étend la main, vient juste effleurer le bras de ce dormeur tant aimé. Il grogne un peu, se tourne, se retourne, et finit par émerger des profondeurs de sa nuit. Il ouvre les paupières, et l'ange brun est là. Il la voit, puis revient à sa mémoire la discussion de la veille au soir. Elle est belle dans sa nudité intégrale ; les draps sont au pied du lit, et c'est bien. L'image qui lui arrive est celle de ce nu merveilleux, de cette femme que pour rien au monde il ne voudrait perdre. Elle, dans ce petit matin clarteux, a posé sa main sur cette tige qui au fond de son ventre se trouve raidie par cette vision plus qu'attirante. Elle n'a rien dit ; elle s'est juste penchée, et sa bouche a englouti le mât qui se dresse, impérial, d'une taille imposante.

Claude commence une fellation qui le rend tout dur. Michel la laisse le sucer : il adore cette forme de prise en… bouche matinale. Puis, emportés par leurs envies, ils se trouvent, se désirent, se délectent de leurs corps, lui s'enfonçant dans ce coquillage qui lui est offert de si bonne grâce. Elle se laisse aller à cette tendre étreinte et au pieu qui l'emplit. Elle aime cette queue bien raide qui entre dans son garage, qui vient faire son petit commerce, et qui pourtant peut bien pleurer jusqu'à la Saint-Glinglin, ne lui fera jamais d'enfant. Elle sait, elle va le lui dire, elle veut. Finalement, SA solution, elle va l'adopter ; reste seulement à le lui dire. La nuit porte conseil.

Il aime cette manière si tendre de lui offrir son corps. Il adore faire l'amour avec son épouse. Mais c'est vrai aussi qu'il n'a que très peu de possibilités de comparer : il ne l'a jamais trompée, n'a eu également que deux expériences avant elle. Alors il se laisse aller à ce plaisir partagé. C'est quand il éjacule, tout au fond de ce ventre accueillant, qu'il revient sur le dialogue du soir et que la pensée fugitive de sa stérilité lui remonte en mémoire. Il va bien falloir lui demander ce qu'elle pense de la position qu'il adopte pour qu'elle soit heureuse. Mais c'est aussi une déchirure : celle de son cœur, prix incroyablement élevé pour qu'elle soit la maman qu'elle désire devenir.

Leur petit déjeuner se passe dans un calme relatif, chacun gardant ses analyses secrètes sur la situation. Chacun attend que l'autre parle, mais aucun n'ose débuter ce dialogue, de peur de savoir déjà ce que l'autre pense. Et c'est au final de ce café qu'enfin Claude ouvre la bouche, encore :

— Tu sais, j'ai bien réfléchi. Je ne veux pas te tromper ; même pas en rêve.
— Tromper, c'est aussi faire dans le dos de l'autre des choses indélicates. Moi, je pense que pour cette histoire-là, nous sommes d'accord ; et que si c'est moi qui te le demande, il ne peut plus s'agir de cocufiage.
— Ah oui ? Et comment je fais, moi, pour le trouver, ce père ? Ce… ce… Je ne sais même pas comment dire.
— Appelle le « géniteur », et puis voilà tout ! Les choses sont claires entre nous. Tu ne vas pas faire l'amour avec lui pour me cocufier : le but est de choisir les moments favorables pour faire l'amour, et que cet homme-là te mette enceinte. La seule partie dégueulasse, peut-être, c'est que je ne voudrais pas qu'il le sache ! Ça nous éviterait quelques complications par la suite. Maintenant, pour le trouver, rien de plus simple, sans doute. Je ne te demande pas d'aller draguer ; mais tu ouvres – ou mieux, nous ouvrons ensemble – un site de rencontres un peu « hot », et ça ne me semble pas plus compliqué que cela de le trouver.
— Je n'arrive pas à croire que tu puisses être d'accord pour qu'un autre type pose ses pattes sur moi ! Qu'il me touche, que tu le saches… Ça ne te fait vraiment rien ? C'est cela, ton amour ?
— Si, j'en éprouve de la jalousie. Mais en pesant le pour et le contre, je préfère te garder avec l'enfant d'un autre que te perdre parce que je ne peux pas te le faire, ce bébé. Je crève de toi, de cet amour pour toi. Tu vois, c'est malgré tout cela que je veux te voir heureuse ! Puisque cette putain de vie ne me donne pas la possibilité de te faire vivre le bonheur d'une grossesse, je souhaite que nous trouvions un donneur anonyme qui te fera une ou deux fois l'amour et qui nous offrira en fin de compte ce que nous demandons plus que tout.

Michel crie, jette ces mots qui sont autant de maux sortis de sa bouche. Ils viennent du fond de ses tripes, mais ils sont venus apporter un éclairage nouveau sur sa manière d'envisager l'avenir avec cette épouse qu'il ne veut pas perdre.

— Finalement, tu comprends, le mari cocu consentant, ce n'est que pour une bonne cause ; que pour quelques fois seulement.
— Oui, mais je ne sais pas si je serai capable de faire cela, d'aller jusqu'au bout. Et puis comment on le choisit, cet homme-là ? Blond, brun, grand, petit ? Les yeux, de quelle couleur ? Enfin, tu t'es posé toutes ces questions-là ?
— Écoute, Claude, je sais que cela mérite réflexion, que tout n'est pas encore bien défini, pas vraiment clair. Mais je ne te demande que d'y réfléchir. Rien n'est obligatoire : juste que le temps passe, mon cœur, et que comme tu l'as souligné, nous ne devons pas attendre d'avoir cinquante piges pour nous décider.

Elle et lui se regardent, s'embrassent du regard, et dans leur tête tout ce qui vient de se dire tourne en boucle. Finalement, c'est Claude la première qui se lève, fait le tour de la table, et vient prendre son cou entre ses bras.

— Merci, merci, mille mercis.


Dans la journée, ils vont, vaquent à leurs occupations, s'étourdissant dans ces tâches parfois ingrates qu'ils accomplissent mécaniquement. Mais le ver est dans le fruit, le blé germe dans chaque esprit. Claude se demande maintenant si elle serait capable de se laisser faire l'amour par un autre que lui. Elle essaie d'imaginer un autre corps contre le sien ; elle tente de voir ce que cela pourrait lui faire de sentir une autre bite en elle. Et arrive ce qui doit arriver : elle se donne envie toute seule. C'est étrange ; enfin, elle le croit : pourquoi son ventre réagit-il de cette façon, juste à l'évocation d'un sexe étranger la pénétrant ? Elle se met presque en colère, mais elle sait bien qu'au fond de sa culotte elle mouille. Pourquoi ?

Michel, lui, coupe les branches mortes des arbustes de la propriété. Son esprit vagabonde, et il imagine Claude qui suce un autre que lui. Elle aime cela, les pipes, et elle est plutôt douée pour les tailler. Merde ! Comment peut-il l'imaginer faisant une fellation à un type inconnu ? Et puis ces doigts qui lui caressent le dos, le ventre, les seins… Pourquoi ces images improbables le font-elles bander ? Déjà il en oublie que c'est seulement pour faire un bébé qu'ils veulent, peut-être, faire intervenir un autre dans leur couple. Mais il sait qu'il se leurre en pensant ainsi ; il sent bien que puisqu'il a ouvert une porte : il lui faut désormais en assumer les conséquences. Une impression désagréable, celle que ce papier vient de lui voler sa vie, est là, bien présente à son esprit. Comme Claude hier soir, voilà la première larme qui coule. « Allons ! Ressaisis-toi, bonhomme ; un homme, ça ne pleure pas ! »

Depuis la terrasse où elle dresse la table, elle le voit, son Michel. Comme c'est drôle : elle a l'incroyable sensation qu'il vient, d'un revers de manche, de s'essuyer les yeux. Pourquoi pleurerait-il ? Elle le voit fort, et c'est toujours ce géant qui décide pour tout, ici. Sans méchanceté, après un vrai dialogue, bien sûr ; mais les décisions finales, il les prend en son âme et conscience. De mémoire, elle ne se souvient pas d'avoir vu de larmes couler de ses yeux. Et pourtant, ce malaise de croire qu'il n'est pas infaillible l'atteint elle aussi, juste en ce moment. Si ce roc, cette montagne qu'il représente se met à fondre, que va-t-il rester de cet amour qui, pourtant, semblait inébranlable ?

Comment juste une lettre peut-elle foutre en l'air tout ce qu'une vie construit ? Comment un homme raisonnable peut-il bander à l'idée que sa femme se fasse monter par un autre ? Comment une femme amoureuse peut-elle avoir envie d'être baisée par un inconnu, même juste pour faire un bébé que le premier ne peut pas physiologiquement concevoir ? Dans la tête de Claude, dans celle de Michel, les mots font leur œuvre et commencent le long travail de destruction. Le cheminement de tous ne laisse plus de place pour les pensées rationnelles et constructives. Les déchirements sont proches ; et pourtant, hier encore, ces deux-là s'aimaient comme personne. Claude se dit qu'elle ne veut pas voir les yeux bleus qu'elle aime tellement se liquéfier de cette manière. Elle vient tranquillement au-devant de son jardinier de mari.

Michel regarde son épouse approcher. Elle est trop belle ; c'est presque effrayant de voir cette femme qui vient, sans doute, signer son arrêt de mort. C'est le dernier rosier qu'il taille, et c'est son amour qui va mourir avec les épines de celui-ci. Elle arrive, de sa démarche souple, chaloupée ; elle contourne les jonquilles encore en fleur, évite les iris qui ne veulent pas mourir. Pas un mot, juste deux regards, seulement une attente : celle de cet amour qui vient de s'avancer dans le printemps nouveau. Le sécateur est au sol, Claude aussi. Elle est trempée de ces images qui défilent dans son crâne. Lui est tendu de la désirer. Sur la pelouse fraîchement tondue, ils ne cherchent pas à se déshabiller. C'est presque bestial ; juste le bonheur de se sentir.

Le pantalon de Michel est simplement baissé par deux mains expertes. La culotte mouillée de Claude, poussée sur le côté, n'empêche plus rien. Les doigts qui viennent d'ouvrir la braguette cueillent le pistil turgescent, et la rencontre de la fontaine avec la tige incandescente provoque juste de grands soupirs. Les deux amants s'unissent, se font l'amour comme deux bêtes, sans se préoccuper le moins du monde de ce qui peut se passer autour. Ils s'aiment ; accouplement sauvage de deux êtres en mal de retrouvailles. Chacun ayant besoin de se rassurer avant que de se sentir lui-même rassuré par l'autre. Rien ne saurait arrêter ce florilège de débauche, d'envies et de peurs refoulées. Les mouvements de l'un et de l'autre donnent un rythme particulier à cet enchevêtrement de deux corps qui s'aimantent, s'attirent et se redécouvrent.

Sur l'herbe qui sent si bon, Claude se hasarde à une question. Sans aucune fioriture, sans subtilité, elle ose :

— Comment pouvons-nous trouver cette perle rare ? Tu veux bien que nous cherchions ensemble ce papa qui n'en sera finalement pas un ?
— Écoute, laisse-moi ranger mes outils, nettoyer un peu toutes ces branches que j'ai coupées, et ensuite nous voyons cela ensemble.

Il n'y a aucune réponse de Claude aux paroles de Michel. Juste un baiser sur les lèvres et elle se relève.

— J'ai juste le temps de prendre une bonne douche, alors !
— Oui, va. Va, mon amour…


L'eau, celle qui coule maintenant sur la tête de Claude, celle qui purifie, elle l'aime tellement… Personne ne peut savoir à quel point elle apprécie les douches. La peur de ce qui va se passer ne se calme pas, mais elle est déterminée. Michel lui a proposé ; donc, il ne lui reste qu'à assumer. Il le fera, elle en est persuadée. Depuis qu'ils se connaissent, il n'a jamais failli à une parole donnée. Si c'est lui qui a avancé cette solution, c'est qu'il en a appréhendé toutes les données. Elle est certaine que dans son cœur et son esprit à lui, tout est déjà calé. Un enfant ! Une fille ? Un garçon ? Peu importe le sexe : elle ne désire rien de plus au monde qu'un petit être qui vagirait sur son ventre, à la maternité. Elle se voit déjà avec un ventre bien rond, tout gonflé, avec des envies de fraises, avec des passages obligés chez son gynécologue. Elle se demande si elle sera aussi chiante que quelques-unes de ses amies quand elles étaient enceintes.

Claude est sous la douche, et les instruments de torture des haies et plantes sont remisés à l'atelier. Voilà. Maître, il va vous falloir assumer vos dires ! Bien entendu que vous en avez les capacités ; mais entre le penser et le faire, un long chemin peut se créer. Michel sait que le bonheur de Claude est intact, qu'elle y croit depuis leur discussion de la veille. Elle sait maintenant qu'avec ou sans lui, elle aura ce gamin auquel elle aspire depuis si longtemps. Il va donc bien être obligé de la trouver, cette solution qu'il préconise, ne serait-ce que pour la garder. Et puis il est aussi intrigué ; cet état dans lequel il s'est mis alors qu'il imaginait son épouse dans d'autres bras… C'est bizarre, les réactions d'un corps d'homme ; penser, imaginer que sa femme baise avec un autre et se voir bander comme un cerf à cette seule évocation ! Enfin bon. Il faut allumer… internet !


Le site est ouvert, mais ils doivent en premier lieu s'inscrire. Ils ne sont pas d'accord sur le pseudo qu'ils doivent trouver, et impérativement renseigner. Ils tombent enfin d'accord sur celui-ci, contraction du prénom de la mère de Michel et de celui du père de Claude. Voilà : Charline est née, mais ce n'est pas encore le bébé tant espéré.

La page d'accueil, et enfin des tas de fiches ; des couples, des femmes, des transsexuels, des hétéros, des bisexuels : tout y est. Mais Claude fouille et s'attarde sur les fiches d'hommes seuls. Il lui faut chercher des célibataires, pas trop vieux, ou enfin d'une tranche d'âge approchant de la leur. Ils se regardent, rient ensemble de leur jeu, et décident que la limite ne devra pas excéder trente-cinq ans en amont et en aval vingt-cinq. Bien ; et c'est donc d'accord qu'ils vont pouvoir chercher le « géniteur » de cet enfant qui leur manque tant.

Claude et Michel ont regardé des quantités de fiches. Ils en ont sélectionné environ une dizaine sur un site où l'on peut même écrire en direct. Celles sur lesquelles figure une photo, celles-là ont particulièrement retenu leur attention. Pour finir, Claude a discuté avec deux candidats, les plus sérieux à ses yeux. Ils n'ont tous qu'une idée évidente : ils pensent qu'ils vont la baiser sans problème. Mais quand elle leur dit que son mari sera là et qu'il veut assister aux ébats, les deux ne lui parlent plus. Donc c'est Michel qui, de temps en temps, vient en sa compagnie, le soir après le travail, pour dialoguer avec un ou deux hommes qu'ils déterminent ensemble. C'est ainsi que quelques jours plus tard un jeune homme de vingt-huit ans se trouve être sélectionné après une « audition » plus que sévère. Il se prénomme Daniel.

Le jeune homme a des cheveux d'un noir foncé, des yeux verts, et il a l'air soigné. C'est ce qui ressort d'une première vidéoconférence qui a lieu entre Claude et lui. Timide, poli, il s'exprime dans un français qui plaît à la jeune femme. Les échanges sont des plus cordiaux ; et, mon Dieu, pour Michel, lui ou un autre, c'est du pareil au même. Daniel et elle conviennent d'une première rencontre, à laquelle Michel sera présent. Elle doit avoir lieu dans un restaurant, samedi. Malheureusement, comme beaucoup sur ce genre de site, le vendredi soir il se dégonfle et Claude reçoit un message lui indiquant qu'il ne souhaite plus la rencontrer, ou alors seule.

La douche froide que prend son épouse est curieusement ressentie comme un soulagement par son mari. Maintenant, Michel prend les choses en main et il redémarre d'autres recherches. Il sélectionne, dialogue, discute plusieurs soirs de suite. Et puis un soir, alors que Claude regarde la télévision au salon, il l'appelle. Sur l'écran de l'ordinateur, une photo d'un homme.

— Voilà un candidat sérieux, mon ange. Trente-quatre ans ; directeur commercial dans une société de produits pharmaceutiques. Il vit – à ses dires – seul. Ce qui le rend disponible rapidement, comme nous le souhaitons.
— Bien. Et qu'en penses-tu, toi ? Ton avis m'intéresse aussi : crois-tu que cela peut marcher ? Tu sais, j'ai la trouille quand même ; ce n'est pas rien de coucher avec un autre que toi. Et que tu sois d'accord ne change rien au problème que cela crée dans ma tête.
— Il faut savoir, mon cœur, si nous y tenons suffisamment à ce bébé pour passer outre tous les interdits. C'est notre éducation qui nous gêne, sans doute. Mais en y réfléchissant bien, imagine les libertins qui font cela tout le temps ; l'échangisme est aussi chez certains un mode de vie. Il paraît que ces gens-là sont plus épanouis que les autres, que les divorces des couples qui pratiquent ce genre de… sport sont bien moins nombreux que chez les personnes qui sont – entre guillemets – sages.
— Tu sais combien j'y tiens, à cette maternité ; mais je veux aussi te garder, et je ne suis toujours pas convaincue que tu sois très heureux de me voir coucher avec un autre…
— Ne te préoccupe donc pas de ce que je peux penser, et fonce ! Ce n'est qu'une solution transitoire, passagère ; et puis elle va changer notre vie radicalement, non ?

Claude s'est tue. Elle plonge son regard dans celui de son époux, qui comprend qu'il a le feu vert de sa femme. Elle reste à ses côtés alors que débute un étrange dialogue par écrans interposés. Elle apprend que l'autre, au bout du fil – elle ne voit pas d'autre mot – est d'accord pour un déjeuner. Michel lui propose même de venir à la maison le lendemain soir, et ce Cédric (c'est ainsi qu'il dit se prénommer) est immédiatement partant. Ensuite suivent des banalités du genre « Qu'aime-t-elle ? » L'étranger demande un tas de petits secrets intimes qui la gênent presque, mais c'est Michel qui répond, et il le fait avec une certaine forme de sérieux. Quand l'homme quitte le site, il connaît déjà beaucoup de choses ; mais c'est surtout sur des vices de Claude qu'il s'est renseigné le plus.

— Bien, mon ange ; on ne recule plus. C'est comment, demain, pour ton cycle ?
— Je ne crois pas que c'est le top ; mais bon, il n'y a pas d'urgence à ce que je couche avec lui, et je referai mes calculs, de toute manière, pour m'assurer des moments les plus favorables. De toute façon, je demande à voir, et il est entendu que c'est toujours moi qui déciderai de ce que je fais ou non.

Ils se regardent encore, et c'est dans les bras l'un de l'autre que se termine cette soirée dont, si elle est honnête, Claude apprécie le bouquet final. Ils font encore l'amour, tout tendrement, position du missionnaire. Elle pense également que le fait de savoir qu'un autre, demain, va venir pour elle, pour son corps, l'excite, l'émoustille aussi ; d'un autre côté, cela lui colle une peur légitime. Elle a mouillé pourtant à la seule évocation des mains d'un autre sur sa peau. Les corps et les esprits ne sont pas obligatoirement au diapason de leurs envies. Elle a vu aussi que Michel avait une trique d'enfer : lui aussi serait-il un peu émoustillé par cette situation ? Pourquoi ces soudaines envies de le voir, cet étranger qui va sûrement entrer dans le couple, leur font-elles un effet pareil ? « Même si ce n'est que très éphémère, quelles en seront les conséquences ? » se demande Michel. « Comment vais-je réagir à des attouchements inconnus ? » : c'est dans la tête de Claude que tourne cette question.


Voilà la sonnette qui vient de retentir, et sur la table, trois couverts. Une dînette en tête-à-tête avec celui sur qui reposent tous les espoirs d'une hypothétique maternité. Michel va ouvrir, et il est là.

— Bonjour, je suis Cédric.
— Enchanté ; moi, c'est Michel, et Claude arrive dans un instant. Mais entrez. Entrez, voyons… Ne soyez pas timide !

Le garçon tient d'une main une bouteille qu'il tend à Michel et de l'autre un bouquet de fleurs, destiné sans nul doute à la maîtresse des lieux ; et comme elle n'est pas là pour l'accueillir, il ne sait plus sur quel pied danser.

— Bonjour ! J'arrive dans un instant. Installez-vous au salon.

C'est la femme qui, depuis sa cuisine, vient de crier ces quelques mots. Les deux hommes se dirigent donc vers la pièce où des verres à apéritif les attendent. Le nouveau venu jette un regard circulaire sur cette belle maison tout en bois, qui lui semble bien tenue. Mais il aimerait bien la voir, cette dame dont – pour le moment – il ne connaît que la voix. Et, arrivant d'il ne sait où, une belle femme brune, avec une poitrine provocante et un sourire doux avance vers eux ; elle respire le bonheur. Elle prend les fleurs et repart d'où elle vient. Puis, à son retour, elle pose sur la table basse un vase dans lequel baignent les tiges du bouquet.

— Merci : elles sont magnifiques ! C'est gentil ; quelle délicate attention…
— Le plaisir de vous rencontrer est un bonheur pour moi, et vous avez une bien jolie maison. Il doit faire bon vivre chez vous.

Les voilà les trois qui engagent une conversation alors que Cédric est encore peu à l'aise. Mais il voit aussi que tout va pour le mieux, et que ce couple-là est courtois, gentil. Donc rien à craindre de ces deux-là.

— Vous faites ça souvent ? Recevoir des hommes seuls, je veux dire…
— Pour être tout à fait honnête, nous n'en avons jamais reçus : vous êtes le premier, dans ces conditions.
— Et vous attendez quoi, tous les deux, de notre rencontre ?

Claude ne va sûrement pas lui dire « un bébé », bien sûr. Mais c'est Michel, qui semble imperturbable, comme si tout était normal, dans l'ordre des choses, qui répond du tac-au-tac à l'homme qui reste encore sur la défensive :

— Nous voulons juste pimenter notre vie de couple, et j'aimerais voir Claude faire l'amour avec un autre. J'aimerais l'entendre crier, la voir jouir dans d'autres bras que les miens. Finalement, vous savez, quand on se fait l'amour tous les deux, nous sommes bien trop pris par notre propre plaisir pour savourer celui de notre partenaire. Et là, vous allez nous offrir la chance de le vivre en spectateur, donc de l'extérieur. Enfin, pour ce qui me concerne ; parce que pour elle, ce sera sans doute différent.
— J'aime bien votre manière d'envisager les choses, et je dois dire que Madame est une vraie bombe ; si j'osais, je vous dirais qu'elle me fait déjà bander.
— Alors, osez ! Ne vous privez pas de dire ce que vous ressentez. Mais c'est quand même elle qui décidera en dernier ressort si elle va faire l'amour avec vous ou non.
— C'est tout à fait normal : je ne suis pas là pour forcer qui que ce soit. Mais je vous envie presque d'avoir une aussi jolie épouse.

Les verres sont servis d'une boisson d'un brun sombre. « Vin de laurier, de fabrication maison. » dit-elle aux deux mâles qui maintenant discutent tranquillement de la maison, du lac, enfin chacun se gardant d'aller plus avant se le terrain de la fête des corps qui se prépare doucement. Puis la dînette devient un autre moment partagé par les trois qui deviennent plus complices au fil des minutes et des verres de vin de Moselle servis à table. Ils rient aux éclats de petits riens ; les nerfs qui réagissent peut-être à la tension palpable qui monte d'un cran vers la fin du repas.

— Allez donc sur le canapé ; moi, je vais juste desservir la table. Vas-y, Claude, emmène notre hôte avec toi au salon. J'arrive dans quelques instants.

Il a plus craché ces paroles qu'il ne les a dites. C'est difficile pour Michel de laisser maintenant son épouse seule quelques minutes avec cet autre. Il les regarde qui suivent ses conseils, et il les entend rire depuis la cuisine alors qu'il range les assiettes et les couverts dans le lave-vaisselle. Puis les rires se transforment en chuchotements, et il s'approche de la porte qui sépare la salle à manger de l'endroit discret où les deux se trouvent. Cédric tient les mains de sa femme dans les siennes. Il lui caresse lentement les avant-bras, et il le voit approcher son visage du sien.

Ce baiser-là, il le maudit ! Il connaît si bien le goût des lèvres de Claude, et il imagine comment sa langue fouille la bouche de l'intrus. Il s'étonne aussi de sentir au fond de son ventre sa queue qui monte à vitesse « grand V ». Merde : il bande de voir sa compagne se faire rouler une pelle ! Il sait aussi que la machine est lancée, qu'il ne peut plus reculer, qu'il se doit d'être fort et d'assumer SA solution. Il se dit que ce n'est pas la meilleure ; et pourtant, au fond de lui, malgré la jalousie qui le gagne, il se veut Homme.

Les mains de Cédric sont parties en expédition sur les épaules de Claude qui enlace le torse du jeune homme. Elle touche, elle aussi, la nuque de celui-ci. Michel regarde tout cela, mais il n'en peut plus. Il retourne dans la cuisine. Mieux vaut ne pas tout savoir, sinon il va devenir fou.


Claude sent les mains de leur invité qui parcourent son visage, puis elles descendent vers son dos. Au passage, elles frôlent ses épaules, et ça la fait frémir. Rien à voir avec les attentions de son mari, mais cet homme sait aussi y faire. Finalement, elle trouve que c'est plus facile que ce qu'elle pouvait croire. Lui continue son périple lent qui pousse ses doigts plus bas vers le bas de ses reins. Elle laisse faire et s'accroche à l'homme en passant ses deux bras dans son dos. Ainsi sa poitrine ferme entre en contact avec celle de Cédric. Lui, sentant ces deux obus durcis par cette soudaine envie, tente de se lover encore plus contre elle. Leurs deux bouches se cherchent, se trouvent, et un long, un très long nouveau baiser les unit.

Les caresses et les embrassades de cet homme trouvent un écho favorable dans le corps de la jeune femme. Elle est envahie par des sentiments divers, contradictoires. Puis elle entend dans son crâne un bébé qui pleure, elle imagine un sourire d'enfant : cela suffit pour lui donner du courage, la faire passer à l'étape suivante. Elle se met en devoir d'ouvrir le pantalon de Cédric. Bien vite, dans sa petite menotte, elle tient un cierge qui a fière allure. Elle voudrait juste que Michel ne souffre pas trop. Le remue-ménage que les idées tantôt heureuses et celles moins joyeuses qui lui hantent l'esprit la porte à aller plus vite en besogne. Elle désire en finir rapidement, mais l'invité, lui, ne conçoit pas la chose de la même manière, avec la même vision.

Il ne se presse pas vraiment, ce garçon qui sait maintenant que le corps de cette belle dame va lui appartenir. Il veut faire durer son plaisir, mais il aimerait aussi qu'elle en prenne. Lentement, ses mains se portent sur une paire de seins magnifiques. Il les extrait délicatement de leur gangue de tissu, et sa bouche, qui vient de quitter celle de la femme, vient doucement, juste avec le bout de la langue, tourner sur la fraise brune qui orne chacun d'entre eux. Il sait de suite qu'elle est réceptive : les pointes se tendent, se hérissent alors qu'il envoie ses mains en expédition, plus bas, juste sous la ceinture d'une jupe qui les laisse folâtrer. Il ne se pose plus aucune question. Le mari complaisant n'est plus revenu de là où il est parti juste après le dîner ; il lui a laissé le champ libre. Et comme elle le branle bien, il a maintenant la queue toute gonflée, prête à découvrir le calice que ses doigts devinent sous le rempart du voile léger d'une culotte de nylon.

Michel revient vers la porte, poussé par une envie folle d'arrêter tout cela. Cette tension qu'il ressent en lui, celle-là qui le fait vraiment bander comme un cerf en entendant les petits gémissements de plaisir de son épouse, sont autant de coups de couteau dans son cœur. Comme il voudrait prendre cet autre, qui la touche, par le col de sa chemise… mais il réalise qu'il n'en a plus, de chemise, et qu'ils sont pratiquement nus tous les deux. Dans sa tête, c'est comme un marteau qui battrait le fer sur une enclume. Et il se sent pratiquement obligé de regarder, malgré lui, cet amour-là qui se tord sous les mains de l'autre. Dire que c'est lui qui est à l'origine de cela lui est insupportable. Une plaie vient de s'ouvrir quelque part en lui. Un prix bien trop cher à payer pour qu'elle soit heureuse ?

Elle, elle sait que désormais elle ira jusqu'au bout. Son presque amant l'a déshabillée entièrement ; enfin, elle n'a plus que cette culotte dans laquelle il a plongé une main. Il lui fend l'abricot doré en deux. Elle ne se demande plus si elle va parvenir à aller jusqu'au bout de l'acte qu'ils ont débuté, si ce projet de se faire faire un enfant justifie la tromperie qu'elle commet. D'une main maladroite, elle branle lentement le mât de l'homme, et elle se dit qu'il ne faut pas aller trop loin. Pas d'éjaculation ailleurs qu'en elle si elle veut qu'une possible fécondation ait un minimum de chances de réussir. Elle pousse son ventre en avant pour faire sentir à l'homme qu'elle veut être prise. Mais c'est aussi vrai qu'elle est toute trempée, toute mouillée, que de sa chatte coule son miel comme s'il s'agissait des caresses de Michel.

Cédric sent cette lave qui lui coule sur les doigts, ceux qui liment le minou splendide de cette belle salope qui avance son bassin, signe d'une envie violente. En plus, elle le masturbe d'une manière extrêmement douce ; elle sait y faire… C'est trop bon ! Il a aussi vu son mari qui regarde depuis la porte. Maintenant, il sait que ce dernier est assis dans le fauteuil qui fait face au canapé où il s'ébat joyeusement avec Claude. Va-t-il venir pour participer ou pas ? Ce n'est pas que cela le dérange, bien au contraire, mais il ne veut pas commettre d'impair. Elle bouge, femelle jusqu'au fond du ventre ; elle attend son sexe avec excitation : de cela, il est certain.

« Comment peut-elle être aussi chaude avec ce mec ? C'est comme cela qu'elle est avec moi ? Quand nous faisons l'amour, elle est cette femme-là ? Celle qui avance sa chatte vers la main qui continue de la fouiller ? Elle est belle, merde ! Pourquoi l'ai-je laissée faire une chose pareille ? Pourquoi ne la baise-t-il pas, que ce soit enfin fini ? » Mentalement, il se traite de tous les noms d'oiseaux du monde. Il se dit qu'elle prend du plaisir avec un autre et que, curieusement, lui aussi a envie d'elle. Il se dit qu'il veut voir jusqu'au bout cet autre la baiser, lui planter sa queue au plus profond d'elle. Il veut l'entendre crier, hurler ce plaisir qui ne vient pas de lui. Et en même temps, il regrette et maudit sa propre bite de ne pouvoir lui inoculer cette semence fertile qui fait si cruellement défaut à son épouse.

« Attention : ne pas le faire gicler là, dans ma main. » C'est la seule préoccupation de Claude. Voilà ; son partenaire occasionnel vient enfin de se glisser sur elle. Leurs deux bouches se soudent pour une nouvelle embrassade, puis le pieu de ce Cédric est tout contre son sexe ; il glisse vers l'entrée doucement, s'imprégnant de cette mouille qu'elle n'a pas su retenir. La fente est juste entrouverte, et la bête de chair est enfin au fond. Avec de grands coups de reins, elle veut accélérer les mouvements, faire qu'il ne puisse plus se retenir. Il n'a posé aucune question, n'a pas seulement cherché à mettre un préservatif.

Maintenant, elle est folle d'envie et elle veut que les mouvements que le garçon débute l'amènent à une rapide jouissance en elle. Il faut également qu'elle trouve le moyen de le garder au plus profond de son ventre. Alors pour cela, elle passe ses deux jambes autour de sa taille et l'encercle complètement ; il est son prisonnier. Vite, elle veut son sperme ! « Michel doit avoir mal au cœur… » C'est ce qu'elle songe juste à l'instant où, avec de grands soupirs, Cédric laisse fuser dans son vagin la laitance tellement attendue.

Sur son fauteuil, mari ivre de jalousie, Michel la regarde et vit en direct l'insémination naturelle de son épouse. Il se dit que ça va être terminé. Mais sa verge est si raide qu'elle en est devenue douloureuse. Alors il se déshabille lui aussi, et pris d'il ne sait quelle folie, il vient rejoindre les deux amants qui ne bougent pratiquement plus. Claude lui passe la main sur le visage, et c'est Cédric qui prend gentiment sa queue entre ses doigts.

— Tu as aimé nous regarder ? Tu as envie que je te suce un peu ? J'aime aussi une petite pipe de temps en temps. Tu sais, ça ne me dérange pas du tout.
— …

Aucune réponse de celui à qui la question est adressée. Michel est sur le dos, contre sa compagne qui ne bouge plus, restant même les jambes un peu surélevées. Cédric prend le long silence du mari de sa maîtresse d'un soir pour un assentiment. Il se penche, dirige sa bouche vers la queue toute tendue. Quand les lèvres touchent la verge, il souffle un peu alors que Claude lui caresse le visage et qu'ils se regardent. Elle pose sa bouche contre son oreille et lui chuchote doucement :

— Mon amour, il ne reste plus qu'à prier Dieu pour que ça marche. Pourvu que nos efforts ne soient pas inutiles… Je t'aime, Michel.

La langue qui court sur son gland est toute différente de celle de sa femme. Pourtant, Michel apprécie cette caresse masculine et se met à remuer son bassin, d'abord doucement, puis au rythme des va-et-vient de la bouche sur sa queue. Claude embrasse son Michel en pensant que c'est bon de le voir être ainsi sucé, et elle pense que quand il parlait de libertinage, il avait sûrement raison : c'est facile d'y prendre goût ! Elle se demande, tout en continuant son baiser passionné à son mari, si une autre fois sera nécessaire pour faire ce petit bout d'homme qu'elle espère.

C'est quand Michel éjacule sur le visage de Cédric que Claude sait qu'elle renouvellera volontiers la soirée, si son mari est d'accord et si elle n'est pas enceinte.
Mais c'est une autre histoire, sans doute !