Avertissement :
Ce qui suit est le résultat d'une tentative d'écriture à plusieurs auteurs ; trois, en l'occurrence : Noone, Ripley et moi-même, Lioubov. Nous avons tenté d'intégrer des éléments réels – ou fictifs, mais ces derniers figurent dans les textes publiés sur un site par les trois auteurs précités – à un récit un peu déjanté qui donne à réfléchir sur la notion de réalité, puisqu'il s'agit d'une histoire à trois (et même quatre) niveaux de « réalité ».

Lioubov

« Jamais je n'aurais pu croire que cela allait nous entraîner jusque là… » Songeur, Lioubov essayait de remettre de l'ordre dans toutes ces pensées qui se bousculaient dans sa tête. Son regard n'arrivait pas à se fixer sur le paysage qui défilait derrière la vitre du TGV qui le ramenait chez lui. « C'est incroyable… Tout bonnement impensable ! »

Au cours de ce week-end qui tirait à sa fin, sa vision du monde avait basculé, lui dévoilant des perspectives inouïes…


Tout avait commencé quelques semaines auparavant. Sur le site de récits érotiques auquel il participait depuis le début de l'année en qualité d'auteur sous le pseudonyme de Lioubov – amour, en russe – après l'avoir longtemps fréquenté comme simple lecteur, une nouvelle rubrique avait été ajoutée au forum ; elle permettait aux auteurs de communiquer entre eux.

Le 15 mars, Noone (un autre « Super Auteur », tout comme lui) avait émis le projet d'écrire un récit en collaboration avec d'autres auteurs, chacun devant apporter une contribution de 10 lignes au texte commun. Ce projet prit corps trois jours plus tard avec la première participation de Noone, que voici :

Elle était maintenant seule dans cette grande pièce. Son amant venait de la combler et jamais elle n'aurait pensé prendre autant de plaisir dans cette situation. Avant qu'il ne revienne, la jeune femme décida de prendre son temps pour faire le bilan et reprendre un peu ses esprits après ce qui venait de lui arriver. Elle ne savait même plus comment la situation avait dérapé depuis sa petite vie tranquille jusqu'au moment présent. Elle qui était si belle, si gentille, venait de vivre une expérience hors-normes et sa solitude la ramenait à la réalité où elle prit enfin conscience de ce qui venait de lui arriver. La jeune femme avait un physique de rêve avec de longues jambes fuselées se terminant sur une magnifique paire de fesses. Sa poitrine arborait un respectable 85C et son visage angélique surmonté d'une chevelure châtain était orné de beaux yeux de couleur turquoise. Elle n'avait jamais eu de mal dans sa jeunesse pour trouver un partenaire sexuel, mais elle avait aujourd'hui près de quarante ans et ses désirs avaient évolué.

Les grands traits de l'héroïne étaient précisés ; quant à l'intrigue, elle n'était que vaguement esquissée… Aux autres auteurs de la développer ! Ce fut Ripley qui prit la suite dès le lendemain :

Un bruit de moteur qui s'éloigne. Jean-Claude est parti. Ce porc, cette immondice ! Ce presque beau-frère… Il l'a enfin laissée.
Ce besoin d'enfant qu'elle ressent et qui se fait plus pressant de jour en jour l'a poussée à commettre l'impensable.
« Tu n'es même pas capable de fonder une famille », lui avait craché sa mère.
Elle n'avait fait que mettre le doigt sur ce qui la rongeait, sans savoir qu'il ne manquait plus à sa fille qu'un déclic, un petit coup de pouce pour précipiter sa chute.
À cette seconde précise, son désir latent devint résolution !
Elle se ferait féconder par Jean-Claude, paillard, ivrogne, criminel mais surtout géniteur de son neveu, Johann. L'enfant était l'amour de sa vie, et le fait qu'il soit le fruit du viol de sa sœur n'avait aucune importance.

Ça se précisait : de nouveaux protagonistes, une trame qui se dessine…

L'imagination de Lioubov se mit à carburer : comment allait-il pouvoir échafauder une intrigue qui prenne en compte ces nouveaux éléments ? Cela ressemblait à un jeu, chacun se renvoyant la balle : mais une balle de plus en plus difficile à attraper, et surtout à renvoyer. Il aimait ce genre de défi, qu'il avait d'ailleurs souvent pratiqués lorsqu'il était DJ dans un night-club : lorsque son prédécesseur venait le voir officier derrière les platines, Lioubov l'accueillait volontiers dans la régie son pour le laisser faire des enchaînements en alternance avec lui. Chacun essayait alors de tendre des pièges à l'autre en choisissant des disques de plus en plus difficiles à enchaîner. Lioubov adorait le danger, cette sensation excitante provoquée par l'adrénaline ; il était certainement un peu pervers…

Afin de ne pas commettre d'erreurs, il commença par rédiger des fiches sur chaque personnage du récit qui prenait corps ; il en approfondit les spécificités, développa la trame de l'intrigue et écrivit une suite :

Sylviane n'avait eu aucun mal à séduire Jean-Claude ; ce queutard sautait sur tout ce qui passait à sa portée : belles (très rarement) ou moches (la plupart du temps). Il faut dire qu'avec sa gueule, c'était loin d'être un Apollon… C'est à se demander s'il était réellement le père de Johann, ce gamin si mignon ; il faut supposer que ce sont les gènes de Sylviane qui avaient pris le dessus, à l'intérieur de l'ovule. Tant mieux pour le gosse !
Avoir introduit sa verge insignifiante entre les cuisses de la sublime Sylviane – et sans qu'elle lui ait résisté, à l'inverse de sa sœur – représentait pour lui le summum de son parcours de piètre Casanova… Après ce coït qu'il aurait souhaité plus long (mais il était affecté du syndrome d'éjaculation précoce), Jean-Claude se prenait pour un véritable Don Juan.

Onze jours s'écoulèrent avant que Ripley fournisse la suite :

L'évocation de son amant fit frissonner Sylviane.
Mais comment est-il possible de jouir avec un type pareil ?
Elle décida de se secouer ; peu importent les raisons : elle a un but, et Jean-Claude n'est qu'un outil ! D'abord quitter cette maison, ne pas l'attendre, ne pas… ne plus le voir !
Se rhabiller ; ses clefs, son portable ; elle agit comme un automate.
Dans la voiture, elle hésite, puis décide de rouler au hasard.
Les kilomètres se suivent ; son téléphone sonne : ne pas répondre, ne pas parler.
Le soir enfin, dans un motel quelconque, un programme insignifiant à la TV, et toujours ce téléphone qui sonne…
Avec agacement elle ouvre sa messagerie et compte les… douze appels de sa mère. Du premier « Sylviane, c'est maman ; appelle-moi. » au dernier « Viens au chalet tout de suite ! », il y a quelque chose dans la voix de sa mère…
De la panique, de la peur ?
Sylviane décide de la rappeler… mais personne ne répond.
Réellement inquiète maintenant et malgré l'heure tardive, elle se décide à reprendre la route.
Direction le chalet de vacances familial.
En chemin, elle reçoit des SMS : « Viens ! » puis « Dépêche-toi ! »
À chaque message, elle tente de joindre sa mère, mais sans succès.
C'est avec la certitude qu'une catastrophe est arrivée qu'elle emprunte l'allée sinueuse qui mène au chalet. Elle gare sa voiture à côté de celle de sa mère et, toute à sa panique, ne remarque pas le gros pick-up de Jean-Claude garé sous les arbres.

Noone (l'initiateur de cette expérience) restait muet… Que devenait-il ? En son absence, c'est Lioubov qui prit la suite :

Sous le coup de l'émotion, après avoir gravi l'escalier extérieur en trébuchant dans l'obscurité, Sylviane se précipite dans le living. Elle est immédiatement rassurée en voyant Brigitte – sa mère – installée devant la cheminée qui crépite, en compagnie de Jean-Claude ; sur la table basse toute proche trône une bouteille de cet exquis cognac Hennessy qu'est le Paradis. Tous deux tiennent en main un gros verre ballon en cristal ; dans le liquide mordoré se reflètent les lueurs des bûches de chêne qui flambent dans l'âtre. Encore essoufflée, Sylviane prend la parole :
— Pourquoi autant d'empressement à me faire venir ? J'ai cru qu'il s'était passé quelque chose d'extrêmement grave…
— Tu n'as pas tout à fait tort, ma fille ; voilà ce qui nous arrive. Mais, tout d'abord, assieds-toi, prends un verre, et écoute attentivement !

Plusieurs jours s'écoulèrent ; Noone et Ripley étaient soit à court d'idées, soit estimaient que l'exercice se révélait difficile et que, s'il arrivait à son terme, il déboucherait sur un récit certes intéressant, mais dépourvu de l'exblockquote érotique qui caractérise les textes publiés sur notre site de prédilection. Lioubov leur proposa alors de terminer seul le récit, mais en intégrant leurs apports personnels à une méta-histoire qui les engloberait. Sa proposition fut acceptée avec soulagement…

Lioubov prit place devant son ordinateur ; d'un mouvement de la tête, il rejeta en arrière ses longs cheveux et imagina une suite :

Brigitte continua :
— C'est tellement extraordinaire que tu ne me croiras pas ! Mais comme ça nous concerne tous, j'ai demandé à Jean-Claude de se joindre à nous. Voilà : c'est un truc complètement dingue… Nous ne sommes pas ce que nous croyons être ! Vous pensez que nous sommes des êtres humains ? Eh bien, non ! Nous ne sommes que les personnages d'une histoire qui nous dépasse tous. Nous n'avons pas d'existence réelle, pas de libre-arbitre non plus : tout est écrit. Devant ce discours surréaliste et quasi-mystique, l'incompréhension, puis la stupeur se peignirent sur nos traits ; Brigitte était-elle devenue folle ? Elle poursuivit :
— Vous connaissez Thierry, mon jeune amant qui me coûte si cher… Eh bien, il a passé la nuit ici avec moi. Je ne vous décris pas les perversions sexuelles auxquelles il m'a soumise, selon son excellente habitude… Non, là n'est pas l'intérêt de ce que j'ai à vous dire. Par contre, il m'a proposé une petite pilule d'apparence anodine qui, selon lui, avait le pouvoir de décupler notre plaisir : vous pensez que ça m'a intéressée ! Déjà qu'il me fait grimper aux rideaux, avec sa grosse queue dont il sait si bien se servir…
— Et qu'est-ce que c'était, cette pilule ? Un genre de popper ?
— Non, pas du tout. Il m'a dit que c'était du LSD. J'ai avalé ça sans la moindre hésitation ; mais rien ne se produisait : je ne ressentais pas les caresses de Thierry avec plus d'intensité, même quand il me bouffait la chatte avec tout le savoir-faire qui le caractérise.
— Alors, ça n'a pas marché, son truc ?
— Oh, si… Pas tout de suite ; mais au bout d'une demi-heure, j'ai commencé à me sentir toute drôle : autour de moi, tout vibrait ; les objets prenaient une apparence étrange, comme s'ils étaient distordus, avec des angles impossibles… Les couleurs étaient comme irréelles, très lumineuses. Et puis j'ai réalisé que je percevais la musique d'une manière visuelle : les sons se transformaient en paysages merveilleux qui se déployaient sous mes yeux, ou plutôt dans mon esprit… Je voyais la musique ! Quant aux caresses que Thierry me prodiguait, elles avaient acquis une intensité insoupçonnable, à la limite du supportable.
— C'est très intéressant, en effet. Mais quel rapport avec ton histoire délirante ?
— J'y arrive. À côté du lit, il y avait une petite lampe d'ambiance. J'étais irrésistiblement attirée par sa lumière qui, bien que faible, semblait étinceler de plus en plus… Je m'en approchai, collée à elle tel un papillon de nuit. Je fus alors prise dans un tourbillon de figures géométriques qui s'interpénétraient et qui défilaient de part et d'autre de ce que je considérais encore comme « moi », et qui devenaient de plus en plus lumineuses, allant vers un blanc toujours plus éclatant de pureté. J'avais l'impression que cela ne s'arrêterait jamais : je pénétrais toujours plus loin dans cette lumière surnaturelle quand…
— Quand quoi ?
— Quand j'ai eu l'impression qu'une sorte de voile se déchirait, que le décor disparaissait ; je compris que j'avais accédé à une dimension supplémentaire par rapport à celles qui conditionnent notre univers ; une dimension supérieure… Et là, j'ai vu l'Auteur !
— L'auteur de quoi ?
— L'Auteur : celui qui nous a inventés et qui écrit nos vies dans ses moindres détails ! Nous ne sommes que les personnages d'une histoire qu'il est en train d'imaginer ! Nous ne sommes que…

Sous le regard de Lioubov, les caractères se brouillaient. « Certainement un peu de fatigue ; je vais me faire un café bien serré et fumer une cigarette. » se dit-il. Mais avant qu'il puisse quitter son fauteuil, il s'aperçut que les caractères s'étaient transformés en pixels tourbillonnants, et que ces pixels se recomposaient pour former un nouveau texte. Il pensa aussitôt à un virus qui se serait infiltré sur son ordinateur, bien que sa suite Internet Security 2012 eût été installée quelques semaines auparavant. Il lut le texte qui s'était affiché en majuscules :

NE TOUCHEZ PAS À VOTRE ORDINATEUR : CECI EST UN MESSAGE DE LA PLUS HAUTE IMPORTANCE !
EN RÉDIGEANT UN RÉCIT AVEC D'AUTRES AUTEURS, VOUS AVEZ TOUS TROIS ATTEINT UN NIVEAU SUPÉRIEUR. EN CONSÉQUENCE, VOUS AVEZ ÉTÉ JUGÉS DIGNES DE REJOINDRE UN CERCLE RESTREINT, CONNU DES SEUL INITIÉS.
BRANCHEZ VOTRE IMPRIMANTE : UN BILLET DE TGV VA S'IMPRIMER. IL VOUS PERMETTRA, À TOUS TROIS, DE REJOINDRE UN LIEU DISCRET OÙ IL SERA PROCÉDÉ À VOTRE INITIATION.
UNE VOITURE (LINCOLN NOIRE) AVEC CHAUFFEUR VOUS ATTENDRA DEVANT LA GARE POUR VOUS CONDUIRE AU TEMPLE OÙ SE DÉROULERA LA CÉRÉMONIE.
SIGNÉ : L'ADMINISTRATEUR

Noone

Dans sa bibliothèque, Noone laissait son regard errer sur les étagères de bois sombre surchargées de volumes rares ; des incunables, pour beaucoup d'entre eux. Çà et là, d'antiques instruments d'optique, de navigation et d'astronomie apportaient la chaleur de leurs éclats cuivrés ; dans un angle, un orgue dont les tuyaux des notes les plus graves atteignaient le plafond pourtant haut de cette pièce. Tout cela concourait à rappeler la cabine du légendaire capitaine Nemo (« Personne », en latin), le héros de Jules Verne qui sillonnait les mers dans son Nautilus.

Ce n'est pas par hasard que celui que nous connaissons sous le nom de Noone avait choisi ce pseudonyme lors de son inscription sur notre site favori : tout comme lui, il préférait se tenir à l'écart de la foule. Il aimait aussi s'identifier à Ulysse qui, lorsque le cyclope Polyphème lui avait demandé son nom, avait répondu « Personne » ; et comme « Personne » se traduit en anglais par « Nobody » mais aussi par « No one », il avait contracté ces deux mots pour devenir « Noone ».

À 31 ans, ce fils de bonne famille n'avait jamais travaillé ; il avait hérité de la fortune considérable de ses parents, ce qui lui permettait de se consacrer à sa passion : le cinéma. Mais pas n'importe quelle sorte de cinéma : il réalisait des films X, de préférence zoophiles, surtout avec des chiens. Adam B. de la J. (car telle était sa véritable identité) ne quittait que rarement son manoir dissimulé par les hauts murs qui ceinturaient une propriété de plusieurs hectares située dans un coin reculé de la Provence. Récemment, il avait fait la connaissance d'une superbe jeune femme, Stacy, actrice de films X, qui s'était découvert une véritable passion pour les rapports canins ; elle était devenue son actrice fétiche, et il ne tournait plus qu'avec elle.

Malheureusement pour lui, cette belle rouquine ne voulait plus pratiquer le coït qu'avec des chiens, exclusivement des chiens. Noone devait donc se rabattre sur sa compagne pour évacuer les tensions insupportables qui habitaient trop souvent son bas-ventre… C'est d'ailleurs ce qu'il faisait, tout en rédigeant un nouvel épisode de sa saga-fleuve « Karine » (il en était au 357e, quand même…). Il ne s'arrêta même pas d'écrire lorsqu'il lâcha de longues giclées de sperme dans la bouche d'Ève (sa compagne) qui le suçait, agenouillée sous le bureau. Il poussa juste un long soupir d'aise en déchargeant. Tout en déglutissant, Ève s'émerveilla :

— Oh, Adam, qu'est-ce que tu m'as mis, cette fois-ci… Quelle quantité ! C'est ton histoire qui t'excite comme ça ?

Adam / Noone ne pouvait décemment pas lui avouer que c'était le souvenir du beau petit cul bien cambré de Stacy dans lequel la longue bite rouge de Sultan s'enfonçait qui était à l'origine du flot de sperme dont il venait de tapisser si généreusement le fond de la gorge de son experte fellatrice…

— Non, Ève chérie : c'est toi, et toi seule qui m'excite autant… Et tu suces divinement bien !

Repue, Ève sortit du bureau en léchant les quelques traces de sperme qui maculaient encore la commissure de ses lèvres pulpeuses. Noone tenta de se remettre au travail, mais l'inspiration l'avait quitté. Que faire ? Il saisit la bouteille de Lagavulin qui ne quittait jamais le plateau de son bureau, s'en versa une copieuse rasade et, tout en sirotant le single malt aux saveurs de tourbe très prononcées, il laissa libre cours à son imagination.

Par la fenêtre entrouverte, des jappements en provenance du chenil de sa compagne se faisaient entendre ; les chiens étaient nerveux ; peut-être savaient-ils déjà que l'un d'eux allait être choisi pour tourner dans le prochain film de Noone ? Habituellement, c'est Ève qui s'occupait des chiens ; elle recueillait ceux qui étaient abandonnés, mais uniquement des mâles de race. Cette particularité n'avait jusqu'à présent pas été relevée par Adam.

« Puisque je suis en panne d'inspiration, pourquoi ne pas faire écrire d'autres auteurs à ma place ? En voilà, une bonne idée ! » Il écrivit rapidement une dizaine de lignes où il donnait quelques indications qui jetaient les bases d'un nouveau récit ; puis il posta un message sur la partie du forum réservée aux auteurs de ce fameux site : « J'ai vu que sur un site, des auteurs écrivaient tous ensemble une histoire. J'aimerais que nous fassions ici de même, afin que nos styles se complètent et s'accordent dans l'écriture. La première des choses sur laquelle nous allons travailler est le thème. Comme vous l'aurez tous deviné, je suis plus à l'aise dans la catégorie zoo, mais il me paraît très intéressant de mélanger les styles pour utiliser nos esprits inventifs et narratifs dans un récit hors-normes. Ci-joint ma première contribution à ce récit. »

Dès le lendemain, il reçut une suite imaginée par Ripley ; et le surlendemain, ce fut Lioubov qui poursuivit. Sa proposition avait été suivie d'effets. Il allait pouvoir laisser en suspens pour quelques jours la narration des aventures de Karine… ce qui l'arrangeait, car il devait partir pendant une semaine en compagnie de Stacy pour faire des repérages et mettre en boîte des quantités de rushes qu'il monterait par la suite dans son studio vidéo personnel hyper-équipé pour en faire un film qui, pensait-il, devrait connaître un succès encore plus important que les précédents.

Il passa une grande partie de la journée à choisir les équipements dont il allait avoir besoin, et les chargea dans son fourgon équipé d'une mini-régie. En fin d'après-midi, après avoir choisi l'heureux labrador qui aurait la chance de saillir Stacy, il quitta sa magnifique demeure et prit la route pour rejoindre la superbe rouquine qui le faisait bander à mort.

Au cours de la semaine qui s'ensuivit, Ripley et Lioubov, surpris par le silence de Noone dont ils attendaient la contribution à leur récit commun, échangèrent de nombreux mails. Lioubov pensait qu'il était victime d'une panne d'ordinateur, et alla même jusqu'à imaginer qu'il était entré en hibernation…
Enfin, Noone se manifesta. Il ne voulut certainement pas avouer – de peur de se dévoiler – que l'Adam de ses récits et lui-même ne faisaient qu'un. Il nous fournit une explication foireuse selon laquelle il était en panne d'inspiration… Lioubov contacta ses deux comparses pour leur proposer de terminer seul le récit déjà commencé ; ceux-ci, déchargés de cette lourde responsabilité, acceptèrent avec soulagement sa proposition. Ils allèrent même jusqu'à fournir quelques renseignements sur eux-mêmes afin que Lioubov soit en mesure de donner un aspect quelque peu réaliste au récit.

C'est alors que Noone réceptionna le même message inquiétant que celui que Lioubov avait reçu de l'Administrateur…


Ripley

Au volant de son attelage routier de 38 tonnes, Éric revenait d'un parcours qui l'avait mené jusqu'à Faro, au Sud du Portugal. Nous étions en fin de semaine, et il revenait en France, fatigué par les heures de conduite sur les autoroutes autant que par les efforts qu'il avait dû fournir lors du déchargement et du rechargement de sa semi-remorque. Ah, ces Portugais qui n'ont même pas le matériel nécessaire pour charger le fret sur des palettes, comme le font tous les peuples civilisés… à moins que ce soit pour ne perdre aucune place sous la bâche ! En tout cas, il avait dû se farcir des centaines et des centaines de petits colis à charger à la main. Il les maudissait ! Heureusement qu'il avait la carrure nécessaire pour pratiquer ce genre de sport, sous la bâche où s'accumulait l'air brûlant : à 46 ans, il affichait 82 kg de muscles pour une taille de 1,70 m. Quelle carrure… sauf pour sa bite, qui n'était pas en adéquation avec le reste de son corps : 12 centimètres. Par bonheur, Françoise s'en accommodait ; il est vrai qu'elle préférait se la faire enfiler dans le cul plutôt que dans la chatte.

Il tardait à Éric de revenir chez lui, où l'attendait la belle Françoise ; oui, encore belle malgré les cinq années qu'elle avait d'avance sur lui. Dans la spacieuse et confortable cabine du tracteur Volvo, il songeait avec délices au moment où il pourrait la surprendre en s'approchant d'elle par-derrière en laissant sa main investigatrice s'enquérir de l'état de ses accueillants orifices…

Il n'était plus qu'à 120 km du dépôt où il allait pouvoir échanger son « gros cul » contre son automobile ; mais, même si la C5 est relativement volumineuse pour une voiture, il allait s'y sentir à l'étroit, comme dans une boîte de sardines, après cinq jours passés au volant de l'énorme camion… Sur autoroute, cela ne représentait environ une heure et quart de conduite ; malheureusement, il était au volant depuis trop longtemps, et il allait devoir faire une coupure d'au moins quarante-cinq minutes avant de pouvoir reprendre la route. Il râla, mais s'engagea néanmoins sur la première aire de stationnement qu'il trouva, un peu avant d'arriver à Fréjus. Sans le savoir, il résidait dans la même région que Noone…

Il gara son engin à proximité d'autres camions et, rongeant son frein, alluma une cigarette pour tuer le temps. Il lui tardait de se retrouver chez lui, d'autant plus qu'il avait été privé de connexion à Internet pendant toute la semaine ; il était friand de récits érotiques dont il se gavait durant les week-ends. D'ailleurs, il avait même franchi le pas en écrivant deux histoires traitant d'hétérosexualité sous le pseudonyme de Ripley. Oui, Ripley, tout comme le héros à la sexualité ambiguë d'un film…

Son attention fut attirée par une silhouette féminine qui se tenait dans la pénombre, non loin de son véhicule. En y regardant mieux, Éric s'aperçut qu'il s'agissait d'une adolescente en haillons. Lorsqu'elle vit qu'Éric la regardait, elle s'approcha et frappa timidement à la portière de l'énorme Volvo. Intrigué, Éric / Ripley l'invita à le rejoindre dans l'habitacle. Dans un français approximatif, la gamine lui expliqua qu'elle était Roumaine, et qu'elle voulait qu'on la ramène à Fréjus.

– Mais comment es-tu venue jusqu'ici ?
– C'est vieux monsieur qui me dit venir restaurant avec lui. Il venir ici dans l'auto avec moi, et me dit sors dehors. Après, me dit moi belle et veut toucher moi. Moi veux pas, mais lui met sa main sous robe à moi et touche trou à pipi. Lui baisse pantalon et montre à moi grosse chose toute sale et dit moi la sucer. Moi veux pas, mais lui dit touche et mettre ma main sur sa grosse chose et bouger ma main. Je fais, mais des hommes vient voir moi toucher le monsieur, et les hommes baissent pantalon à eux pour montrer leurs choses et veulent moi toucher aussi eux. Moi sauver dans la nuit et attends quelqu'un gentil pour moi conduire à Fréjus.

Ripley, en manque de sexe depuis une semaine, laissait son regard s'appesantir sur le sein à peine formé de l'adolescente.

– Je suis quelqu'un de gentil ; mais, dis-moi, quel âge as-tu, petite ?
– Moi quinze ans.
– Écoute, monte dans le camion ; je vais te ramener à Fréjus. Je suis gentil ; mais toi aussi, tu vas être gentille avec moi. Grimpe !

La jeune fille se hissa avec peine dans la cabine ; en s'asseyant, elle dévoila une cuisse fine et ferme, toute bronzée. Elle ne prit pas la peine de rabattre le pan de sa robe. Le sexe de Ripley prit de l'ampleur…

— Alors, puisque tu veux être gentille avec moi, dis-moi ce qu'il t'a fait, le monsieur. Il t'a montré une chose comme ça ?

Ripley avait ouvert sa braguette et exhibait une bite – certes courte – mais d'un diamètre plus que respectable. Son gland était extrêmement volumineux : il ressemblait à un gros champignon violacé. Le regard de la petite ne pouvait se détacher de ce phallus monstrueux ; elle le dévorait des yeux…

— Non. Le monsieur, chose plus petite.
— Si tu veux, je te donne 100 € pour te la mettre dans le cul.
— Non, Monsieur : trop gros, et moi jamais fait ça.
— Alors, je vais te la mettre dans la chatte ; viens sur moi.

L'adolescente vint se mettre à califourchon sur Ripley, lui faisant face. Elle tira sur sa culotte pour l'écarter. Ripley avança son bassin pour mettre son gland en contact avec la petite fente à peine poilue, prit la main de la jeune fille, la posa sur son membre vibrant de désir, et lui imprima quelques mouvements de va-et-vient pour lui montrer comment elle devait procéder. La petite devait être excitée par ce qu'elle faisait, car bientôt l'énorme gland coulissa avec facilité dans le liquide gluant qui s'écoulait de la petite chatte. La gamine y prenait plaisir…

— Oh, gentil monsieur, c'est bon, très bon. Moi aime ça…

Ripley tenta de forcer l'étroite entrée du jeune con, mais sans succès : son gland disproportionné aurait fendu la gamine en deux…

— On va faire autrement : tu mets ta main là autour, et tu me branles. Tu sais branler, petite ?
— Oui, Monsieur : sais branler.

Mais la petite main n'arrivait pas à encercler le gros mandrin. Et, même en s'y prenant avec les deux mains, la gamine n'arrivait pas à faire le tour de cette bite hors norme. Malgré tout, elle s'activa tant et si bien qu'il ne lui fallut que quelques allers et retours pour faire cracher l'énorme gland. Ripley remit son outil à l'abri, encore tout englué de sa semence épaisse, et actionna le démarreur. Le camion s'infiltra dans le flux des véhicules qui circulaient sur l'autoroute.

Dans les faubourgs de Fréjus, Ripley fit descendre l'adolescente après lui avoir remis un billet de 50 €. Lorsqu'il arriva chez lui, une demi-heure plus tard, encore tout excité par ce qui venait de lui arriver, il ne prit même pas le temps de caresser Françoise : il se précipita sur elle et, la faisant se courber sur l'évier, il lui troussa sa robe jusqu'à la taille. Sans le moindre égard, il lui enfila d'une vigoureuse poussée son braquemart dans le cul ; heureusement pour elle, le mandrin pénétra facilement en glissant, tout lubrifié par le sperme qui n'avait pas encore séché.

Le lendemain, Ripley put enfin consulter les courriers postés sur le forum érotique ; remarquant la proposition de Noone, il écrivit rapidement une dizaine de lignes pour donner une suite au récit. Mais ce n'est que la semaine suivante, lorsqu'il cliqua sur le pavé Envoyer pour transmettre sa deuxième contribution au texte écrit en commun, qu'il reçut le même message que l'Administrateur avait expédié aux deux autres auteurs.


Le Temple

En sortant du hall sombre de la gare de N…, aveuglé par la clarté du soleil, Lioubov eut du mal à repérer la grosse limousine noire. Un chauffeur en livrée attendait à côté de la Lincoln aux vitres obscures.

— Sergueï Lioubov. Je suis attendu, me semble-t-il…
— Veuillez vous donner la peine de prendre place, Monsieur. Cependant, j'ai des instructions très précises à respecter ; tout d'abord, je dois vous empêcher de voir l'itinéraire que nous allons emprunter. Par conséquent, je vous prie de bien vouloir placer ce bandeau sur vos yeux.

S'étant assuré que le masque était bien ajusté, il prit le volant et démarra en souplesse. Le gros V8 de la limousine était presque inaudible. Une vingtaine de minutes plus tard, Lioubov sentit la voiture ralentir ; les pneus firent un bruit particulier en roulant sur du gravier, puis ce fut le silence.

— Nous sommes arrivés, Monsieur. Laissez votre bandeau en place, et veuillez me suivre.

À défaut de voir, tous les autres sens de Lioubov étaient exacerbés, à l'affût du moindre indice. Il entendit frapper sourdement par trois fois selon un rythme bien précis. Un grincement : certainement une porte qui s'ouvrait. Il sentit qu'on le poussait légèrement dans le dos pour qu'il avance ; des mains le saisirent à l'avant-bras et à l'épaule.

— Suivez-moi. Attention : c'est étroit, et les marches sont glissantes.

Lioubov comprit qu'ils descendaient un escalier en colimaçon, dont les marches de pierre inégales l'amenaient de plus en plus profondément dans les entrailles de la Terre.

— Arrêtez-vous.

Le bruit métallique d'une clé qui tourne dans une serrure ; le claquement d'un pêne qui se libère. Et à nouveau le grincement d'une porte qui pivote sur ses gonds.

— Entrez. À présent, vous pouvez retirer votre bandeau.

Désorienté, Lioubov regardait autour de lui ; ce qu'il distingua ne le rassura pas : cette minuscule pièce très sombre n'était éclairée que par une bougie. Le mobilier était réduit à sa plus simple expression : une table et une chaise en bois qui, toutes deux, avaient dû connaître des jours meilleurs. Sur la table, à part la bougie, un sablier, un crâne humain et – oh surprise – un ordinateur flambant neuf, tout à fait incongru dans cet environnement plutôt spartiate… Lioubov n'avait même pas eu le temps de voir le visage de celui qui l'avait amené dans ce réduit ; il avait déjà refermé la porte à clé derrière lui en sortant. À travers une petite ouverture grillagée de la porte, il précisa :

— Deux autres personnes attendent déjà dans les cabinets adjacents. Il s'agit de l'Épreuve de la Correction. Trois textes vous sont soumis ; vous allez devoir les corriger. Vous avez deux heures.

Lioubov se retrouva seul dans la pénombre. S'asseyant face à l'ordinateur, il cliqua sur l'icône "Texte 1". Quelle horreur ! Mais comment était-il possible d'écrire ainsi ? Voici un extrait des trois pages qui apparurent sur le moniteur :

[…] A 15h00 elle était dans l oued en train d attendre devant une maison abandoner et moi j était cacher derrière elle me voyait pas bien sur.un mec apparu et ma mere dessandit de sa voiture et lui fit la bisent avant d entrer dans la maison,je m approcha de la maison pour voir se qui aller se passer.j avoue que je commencer déjà a bander,ariver dans la maison je me cacha a fin de voir sans etre vue.il y avait 2 mec debout et ma mere était toute nue a genoux en train de leur faire une pipe au deux mec puis très vite ma mere se fait baiser par les deux en même temps.se que je voyait me fessait bander et j était choquer de voir ma mere se faire démonter les orifices par ses deux gamin qui devait sûrement etre plus petit que moi.quand les mec éjaculèrent de partout sur la mere ils partirent directement laissant ma mere de rahbiller,elle partie et moi aussi.je ne la voyait plus comme avant maintenan je désirer ma mere j avait envie de lui faire subir le même sort que les deux mec.
Je rentra a la maison et je trouva ma en peignoir en train de fumer une cigarette dans la cuisine,je m assid a coter d elle et lui dit: […]

Si les deux autres textes étaient semblables à celui-ci, le délai serait difficile à respecter… Par curiosité, Lioubov y jeta un bref coup d'œil : heureusement, le premier était le pire. C'était faisable. Il s'attela à la tâche avec ardeur.

Deux heures plus tard, des pas se firent entendre dans l'escalier.

— Remettez votre bandeau en place.

Plongé à nouveau dans l'obscurité et guidé par le même mystérieux personnage, Lioubov refit en sens inverse le chemin qu'il avait parcouru. Des bruits lui indiquèrent qu'ils n'étaient pas seuls. On le fit s'arrêter ; trois coups furent frappés sur le même rythme qu'il avait déjà entendu lorsqu'il était arrivé, deux heures auparavant. Un grincement : certainement une porte qui s'ouvre… On le poussa pour le faire pénétrer dans ce qui lui semblait être une salle de grandes dimensions, puis une main le retint par l'épaule pour l'arrêter. D'après les sons qui lui parvenaient, Lioubov comprit qu'il devait être entouré d'une assistance nombreuse. Il perçut aussi une présence – ou peut-être plus – à ses côtés.

Un puissant coup de maillet retentit ; aussitôt, tous les murmures se turent. Une voix, venant d'en face, se fit entendre :

— Messieurs, vous devez être étonnés de vous retrouver ici ; rassurez-vous : nous ne vous voulons aucun mal, bien au contraire. Vous avez été remarqués pour votre travail sur un site internet qu'il est inutile de nommer ici. Avoir mis en commun vos facultés créatrices vous a fait franchir un niveau décisif : vous êtes passés du travail individuel au travail collectif.

Une autre voix, venant de la gauche, déclara :

— Messieurs, vous venez de passer avec succès l'Épreuve de la Correction. Vous êtes dignes de rejoindre notre Ordre.

Une troisième voix, venant de la droite, s'éleva :

— Messieurs, écoutez ceci attentivement. Nous sommes les maillons actuels d'une longue chaîne dont l'origine se perd dans la nuit des temps. Notre but est de transmettre à travers les millénaires une connaissance qui remonte à la plus haute Antiquité : la véritable nature de l'être humain. Cette nature relève de ce que les religions dénomment « le Divin ». Dans le monde profane, cet état ne se révèle qu'en de rares occasions, et plus particulièrement lors de l'orgasme, qui nous fait atteindre un niveau de conscience cosmique.

Une autre voix retentit, venant de l'arrière-droit de la salle :

— Pour permettre à la conscience humaine de s'élever à ce niveau, certains rites étaient pratiqués depuis des temps immémoriaux. Certains nous sont connus sous la dénomination de Mystères d'Isis, d'Éleusis, Orphisme, culte de Priape, Mystères dionysiaques, Bacchanales… Mais ces pratiques polythéistes ont été étouffées par le moralisme rigoureux des Pères de l'Église catholique. Les cérémonies païennes ont été interdites, leurs adeptes pourchassés et impitoyablement anéantis.

Une dernière voix, venant de l'arrière-gauche de la salle, déclara :

— Pourtant, la mémoire de ces cultes qui visaient à révéler la véritable nature de l'Homme est toujours vivante : c'est ce devoir de transmission que notre respectable Ordre accomplit à travers les siècles. Cet enseignement doit être préservé ! Notre Ordre, même s'il reste discret, n'est cependant pas secret : certains de ses membres illustres ont contribué à son rayonnement, tels Jacques de Molay, Gassendi, Giordano Bruno, Cervantès, Léonard de Vinci, le Marquis de Sade, Lewis Carroll, Salvador Dali, Pierre Dac, Brodsky, et bien d'autres encore…

La première voix qui s'était fait entendre reprit, avec solennité :

— Messieurs, à présent que vous connaissez mieux notre Ordre et les buts qu'il poursuit, acceptez-vous de le rejoindre ? Sachez, cependant, que vous aurez beaucoup à accomplir pour développer sa noble cause et répandre ses idées dans le monde profane. Votre engagement doit être total, et de chaque instant. Vous y engagez-vous, Monsieur Noone ?
— Oui !
— Et vous, Monsieur Ripley ?
— Oui ; je m'y engage.
— Et vous, Monsieur Lioubov, vous-y engagez-vous ?
— Je m'y engage.
— Je prends acte de vos engagements. Que leurs bandeaux leur soient retirés !

Un sec claquement de maillet retentit.

– Gloire à l'Orgasme !
– Gloire à l'Orgasme ! reprirent simultanément de nombreuses voix tout autour des néophytes.

Une main défit les liens des bandeaux qui maintenaient jusqu'alors les trois auteurs dans l'obscurité. Lorsqu'ils furent capables de distinguer quelque chose, ce qu'ils virent en premier, ce fut une vingtaine d'individus, hommes et femmes de tous âges, vêtus de longues capes qui brandissaient des épieux dans leur direction. En y regardant mieux, ils s'aperçurent avec étonnement que ces épieux étaient sculptés de manière à représenter des phallus en érection. Après quelques secondes au cours desquelles ils semblèrent les menacer, ils s'abaissèrent en direction du sol.

— Néophytes ! Sachez que ces épieux, qui peuvent vous paraître menaçants, seront là pour vous défendre à chaque instant de votre noble mission ; mais sachez aussi que – s'il vous arrivait de trahir notre respectable Ordre – ils se retourneraient contre vous pour vous châtier impitoyablement !

Passés ces premiers instants empreints de stupéfaction plutôt que de curiosité, les regards des trois novices se portèrent sur la salle où ils se trouvaient. Ses murs de pierres taillées étaient par endroits recouverts de tentures noires à liseré d'argent ; elle n'était éclairée que par des flambeaux fixés aux parois à intervalles réguliers. Mais, ce qui attirait le plus le regard, c'était le mur situé en face d'eux : il portait un grand emblème brillamment illuminé, représentant un phallus érigé verticalement, dont le gland pointait en direction de deux jambes écartées à la manière d'un compas. Cet emblème surplombait un bureau qui était lui-même surélevé par rapport au reste de la salle, et qui reposait sur une large estrade à laquelle on pouvait accéder au moyen de trois marches. Sur le bureau, un chandelier à sept branches (représentant elles aussi des phallus et dont le socle figurait un énorme scrotum) supportait des cierges noirs.

Le plus impressionnant, ce n'était pas le décorum, mais la silhouette sombre qui se découpait sur l'emblème illuminé, assise derrière le bureau. Sa longue cape équipée d'une capuche dissimulait intégralement l'être qu'elle recouvrait.

— Approchez-vous, Néophytes, et mettez un genou à terre sur la première marche.

Lorsque la sombre silhouette se déploya pour se lever, Lioubov crut entrevoir, à la lueur des cierges, un regard d'un vert flamboyant vite masqué par la capuche. Il lui avait semblé que les pupilles n'étaient pas rondes, mais allongées dans le sens vertical, telles deux étincelantes fentes d'émeraude. Il n'aurait pas été surpris de découvrir des sabots de bouc à la place des pieds de l'inquiétant personnage, mais la longue cape qui tombait jusqu'au sol ne lui en laissa pas la possibilité. L'être s'approcha d'eux. Il leva à la verticale son long épieu de cérémonie qui, à la différence des autres, n'était pas rectiligne mais torsadé, et déclara sur un ton solennel :

— Au nom et sous les auspices du Grand Ordre de l'Orgasme Cosmique, moi, Grand Administrateur de l'Ordre, par les pouvoirs qui me sont conférés, je vous crée, reconnais et reçois Maître-Correcteur !

Le Grand Administrateur répéta cette même phrase à chaque novice en lui touchant l'épaule gauche de son épieu torsadé, à la manière de la cérémonie d'adoubement des anciens Chevaliers.

— Relevez-vous, à présent, pour recevoir les décors de votre grade : le Phallus et la Cape.

Dès qu'ils eurent été revêtus de cette parure, les autres membres vinrent les féliciter chaleureusement ; les nouveaux initiés purent enfin s'adresser la parole :

— Alors, lequel de vous deux est Ripley ? Ah, c'est toi ? Alors toi, tu ne peux être que Noone.
— C'est dingue, ce qui nous arrive !
— Et dire qu'on ne se connaissait que par les messages que nous échangions sur le forum…

Toute l'assistance se dirigea vers une autre salle où un repas fin les attendait. Après ces agapes pleines de bonne humeur, l'Administrateur (qui ne s'était toujours pas dévoilé) prit la parole pour féliciter les nouveaux initiés et leur souhaiter bonne chance pour l'accomplissement de leur mission.

Puis vint le moment du retour. Selon le même cérémonial qu'à l'aller, chaque Néophyte – les yeux à nouveau recouverts d'un bandeau – fut reconduit séparément à la gare dans la grosse Lincoln.


Dans le TGV, Lioubov se demanda s'il n'avait pas rêvé les événements qui venaient de se dérouler… Non, ce n'était pas un rêve : le long étui noir qui contenait son Phallus était là pour le lui confirmer. Tout imprégné de la mission dont il avait été investi, il n'arrivait pas à contrôler le flux de ses pensées : « Alors, le site internet ne serait que la partie émergée d'une structure beaucoup plus complexe qui vise au progrès et au bonheur de l'humanité… »

Mais la pensée qui l'inquiétait le plus concernait la relativité – non pas des choses – mais une relativité élargie à l'infini : « Nous, Auteurs, nous concevons des récits ; mais les personnages que nous inventons ont-ils une forme d'existence qui leur est propre ? Personnellement, je le crois, puisque j'en ai eu la preuve avec le personnage de Brigitte qui, sous l'influence du LSD, a brièvement pu apercevoir l'Auteur que je suis et comprendre qu'elle n'était qu'un personnage de récit. Et moi ? Et nous tous qui croyons être réels… Existe-t-il d'autres niveaux de l'Univers, imbriqués les uns dans les autres à la manière des matriochkas, ces poupées-gigognes russes ? Se pourrait-il que nous ne soyons que les acteurs d'une histoire écrite par un Super-Auteur à un niveau supérieur ? »

Rempli d'inquiétude, Lioubov tourna son regard vers le ciel, tentant d'en repousser les limites, essayant par la force de son esprit d'y créer une déchirure qui lui permettrait de voir au-delà du visible.

Par delà les dimensions connues de l'espace-temps, il venait de discerner un doigt démesuré, inhumain par sa taille, qui se dirigeait vers une touche non moins immense… Affinant sa perception, il arriva à distinguer l'inscription gravée sur cette touche : Suppr.

Il poussa un hurlement de terreur lors que le doigt se posa sur la touc