Aude est debout ; ses petits poings sont serrés jusqu'à lui blanchir les articulations des doigts. De sa main droite entièrement fermée, un mouchoir blanc dépasse à peine. C'est juste si on le devine présent. Dans les yeux de la dame monte une larme qui roule lentement sur le bord de son œil vert et puis continue sa route en longeant l'aile du nez. Elle glisse maintenant sur le coin de sa bouche en laissant derrière elle un sillon luisant et humide. La perle coule jusqu'au menton de la femme brune puis vacille un instant alors qu'une autre arrive en suivant le même chemin.

Les deux premières, vite rejointes par une troisième qui achève de fragiliser l'instable équilibre de ces eaux du cœur, quittent le menton qui tremble pour venir s'écraser sur le plateau de chêne doré au-dessus duquel Aude se tient. Elle regarde cette pluie de nacre qui tache la strate vernie du bois, comme hypnotisée par celle-ci. La boule de ce cristal limpide née du fond de son âme semble soudain s'éclairer d'un éclat particulier, d'une lumière d'un autre âge.


La femme aux yeux rougis se retrouve soudain projetée des années en arrière. Elle court dans une robe blanche à grosses fleurs rouges. Elle court sur un chemin caillouteux qui serpente à travers les champs. Elle a tout juste dix-huit ans et des rêves plein la tête ; ses parents viennent de s'installer dans ce petit village des Vosges. Vu de l'extérieur, Gérardmer, c'est un peu les portes de l'espoir d'une nouvelle vie.

Vacances d'été. Elle ne connaît personne ici dans ce petit hameau bien loin du centre du bourg, à un kilomètre ou deux de la boutique dans laquelle sa mère et son père travaillent ensemble. Dans le pré qui jouxte le champ de pommes de terre, elle aperçoit une masse claire étendue dans l'herbe rase. La chose bouge un peu ; elle s'approche à pas de louve. Un garçon est là. Un short bleu, une chemise à carreaux, il est couché sur le sol. Posés près de lui, une verrine comme celle utilisée pour les confitures ainsi qu'un sachet d'une poudre blanche. Le garçon regarde fixement dans un trou entre deux mottes d'herbes.

Maintenant qu'elle est plus proche de lui, elle distingue entre les doigts crasseux du jeune homme une longue tige de paille sèche. Elle ne bouge plus, silencieuse, observant seulement ce qu'il fait. Le brin d'éteule plonge dans un petit orifice noir dans le sol puis elle voit la fine herbe jaunie, remuée par les doigts du garnement, faire des allers et retours dans cet antre inquiétant. Au bout de quelques secondes, le brin de verdure séché revient et elle suit des yeux l'étrange animal qui, sans aucun doute dérangé par cette intrusion dans sa demeure, essaie de rejeter le fétu que le gamin agite toujours. La petite bestiole sort maintenant presque entièrement de son abri alors l'adolescent la fait entrer dans la verrine.

Il ouvre le sachet de poudre blanche, en prend quelques pincées qu'il dépose près de l'insecte. À ce moment-là il lève le visage et s'aperçoit de la présence d'Aude ; son air étonné laisse alors la place à un immense sourire. Il se relève, passe ses doigts blanchis dans sa tignasse châtain et dit :

— Bonjour. Je suis Louis, et toi tu dois être la fille des horloges.
— La fille des horloges ? Ah oui ! Tu sais, on dit horlogers, pas horloges ; et puis mes parents sont bijoutiers : ils vendent des montres, des bijoux, et parfois des horloges aussi.
— C'est pareil. Pourquoi tu m'espionnes comme ça ?
— Je t'ai vu depuis le chemin et je croyais que tu étais malade ou blessé à être ainsi couché dans l'herbe.
— Tu vois bien que non. Alors, comment tu t'appelles ?
— Aude. Et toi, que fais-tu alors à capturer des bestioles pareilles, vautré par terre ?
— Ce que tu vois là s'appelle un grillon, un cricri si tu préfères. Mais tu viens de la ville, alors tu ne sais sans doute pas ce que c'est.

Aude est piquée au vif par le ton qu'emploie le garçon qui ne doit pas être plus âgé qu'elle. Alors qu'elle tourne les talons et commence à repartir, le jeune homme la rattrape par le bras.

— Attends ! Non, ne pars pas ; je ne voulais pas être grossier, ni malappris ou malpoli. C'est seulement que tu m'as un peu surpris et que je n'aime pas bien ça.
— Et ton grillon, tu vas en faire quoi ? Tu n'as pas honte de garder prisonniers de pauvres insectes qui ne t'ont rien fait ?
— Alors écoute, j'aimerais être ton ami ; je n'ai pas envie que tu m'engueules comme ça. D'accord ? Viens te mettre là près de moi, je vais te raconter toute l'histoire.

En disant cela, Louis lui prend la main et il la fait asseoir sur une grosse pierre plate qui délimite les parcelles entre le champ et le pré. Le garçon commence son histoire.

— Ma mère est malade, et j'ai entendu dire qu'un grillon dans une maison c'est du bonheur pour le foyer. Chez le boulanger, ils chantent tout l'hiver ; alors je voudrais en avoir deux pour les mettre chez nous, pour que leurs chants donnent juste un peu de joie à maman. À la maison, je les sortirai et ils iront où ils voudront. Je les nourrirai avec un peu de farine ; ils adorent ça. Mais pour les transporter, je suis bien obligé de les garder dans un bocal. Tu comprends, je ne leur veux aucun mal, juste qu'ils égaient notre maison.

Aude écoute cette voix douce qui lui narre l'étrange histoire ; maintenant le garçon lui semble bien plus sympathique. Le jeune homme est bien un peu sale, mais à courir ainsi dans la nature toute la journée, elle comprend que c'est normal ; enfin, elle le pense. Sa main est restée dans celle de Louis ; elle n'ose pas la retirer. Non, elle n'y pense même pas tant elle est fascinée par ce qu'il lui raconte. Comment vient à Aude cette envie de plonger sa main libre dans cette tignasse infâme, ce qui donne un petit air de chien battu à Louis ? Elle ne sait pas ; elle comprend juste qu'elle en a besoin. Elle découvre que quelque chose vient de s'ouvrir en elle. Oui, mais quoi ?

Il lui semble que ce garçon-là est différent de tous ceux, bien pomponnés, gominés et arrogants qu'elle a côtoyés jusqu'à présent. Les jeunes hommes de la campagne sont radicalement à l'opposé de ce qu'elle a connu dans son école de la ville. Ce Louis est presque pitoyable, mais elle ressent pour lui une étrange attirance ; elle voudrait qu'il ne lui lâche plus la main. Pourquoi ? C'est inexplicable pour elle, un vrai mystère. Un élan de tendresse, une bouffée de chaleur, enfin quelque chose d'inconnu la submerge. Elle ne saisit pas vraiment ce qui se passe ; elle sait juste qu'il n'est pas comme les autres. Ces yeux bleus sont dans les siens ; elle ne cherche pas à baisser le regard, elle veut seulement se noyer dedans.


Les perles qui viennent de son âme tournent au coin des yeux d'Aude, suivent le chemin tracé par les précédentes et finissent, elles aussi, sur le couvercle de bois. La petite flaque qu'elles ont toutes commencé à créer s'élargit doucement. Les yeux de la femme, grands ouverts, embués, l'entraînent dans ses souvenirs.


Louis et elle rentrent à la maison alors qu'au clocher de la chapelle sonnent les douze coups de midi. Devant la porte de la barrière qui mène à sa maison, le jeune homme lui lâche enfin la main. Oh, il lui a parlé tout au long du sentier, mais elle est bien incapable de savoir ce qu'il lui a déclaré. Elle n'a entendu que la musique de cette voix qui lui berçait les oreilles. C'est presque douloureux, cette paluche sale qui quitte la sienne. Sans trop comprendre pourquoi, elle ne désire qu'une seule chose : c'est qu'ils se revoient très vite, elle et lui.

Sa grand-mère a préparé le repas, et quand ses parents rentrent, ils se mettent à table tous ensemble.

— Hé ! Ho, Aude, tu rêves ou quoi ? Mais enfin, fais attention, tu vas renverser ton verre !

Aude ne sait pas ce qui lui arrive ; autour de la table, tous pensent qu'elle est peut-être malade. Le repas est fini, et elle ne s'en souvient pas vraiment. Ses parents sont de nouveau retournés travailler et elle est seule avec sa grand-mère.

— Mamie, ce matin j'ai rencontré quelqu'un qui s'appelle Louis. Tu le connais ?

Dans les yeux de la vieille dame, Aude voit passer comme un voile, une lueur de tristesse.

— Ah, c'était donc cela ? Oui, c'est le fils de l'instituteur, et sa maman est très malade. Au village, on dit que c'est un gentil fils pour elle. Mais ça reste un garçon tout de même, hein ! Fais attention : tu es une belle jeune fille ; prends garde à toi ! À dix-huit ans, tu as la vie entière devant toi, ma belle.

Aude n'a retenu que certains mots de cette conversation, mais ils lui reviennent à l'esprit. Pourtant, cela fait si longtemps que grand-mère Suzette les a prononcés… Pourquoi ressurgissent-ils du passé si profond, là, maintenant ?


Une autre montée de larmes éclabousse le plateau de bois, rendant plus visible la petite mare qu'elles ont faite en rejoignant leurs congénères.


Elle a revu Louis, et puis sa maman est partie pour « un monde meilleur », comme ils disent dans le village. Pourquoi Aude a-t-elle si mal au cœur de voir ce garçon, blanc, pâle comme un linge ? Et puis il est différent, comme ça, bien vêtu, dans un costume noir qu'il porte beau. Pas une larme dans ses yeux fixes, mais elle est certaine que quand elle est entrée dans l'église il a eu un petit cillement des paupières. Elle garde cette envie de lui donner la main, de lui adoucir cette peine qu'il cache trop bien au fond de sa caboche. Du banc qu'elle occupe avec ses parents, ses regards restent aussi rivés sur ce cercueil de bois blanc et sur le portrait qui est posé dessus.

Le sourire de cette femme sur la photographie l'attire ; il lui semble que c'est à elle qu'il est destiné. Pourquoi la regarde-t-elle avec cette insistance alors qu'elle ne l'a vue qu'une seule fois, et encore, juste par un coin de la fenêtre de sa chambre ? Louis, elle le voit, garde ses poings crispés. Elle imagine qu'il a mal. Mais comment soulager cette douleur ? Elle est impuissante face à l'énormité de la chose affreuse qui lui tombe sur les épaules.

Les jours ont passé, mais elle l'a revu. Il est un peu moins gai, un peu plus fermé, mais quand il est près d'elle ses yeux reflètent autre chose, comme un peu de vie, d'une vie revenue.


Aude a un sanglot profond. Ses doigts se crispent sur le mouchoir, d'autres larmes coulent. La boule de cristal devient plus conséquente. L'étendue de la mare aussi s'agrandit sur le vernis du bois. La voilà qui replonge dans ses souvenirs…


Louis lui tient la main. Il garde son petit nez retroussé en l'air, comme s'il cherchait ses mots. Elle, elle espère, attend cette musique qui tarde à franchir ses lèvres.

— Aude, cela fait quatre ans déjà que nous courons ensemble ; quatre ans aussi que tu me soutiens tellement… Je n'ai jamais eu d'autre amie que toi, alors il faut que je te dise quelque chose aujourd'hui. Je vais partir faire mon service militaire ; douze mois, je sais que c'est long, mais je garderai ton image avec moi. Et puis nous n'avons pas de guerre ; je vais passer ça tranquille non ? Avant de partir dans quelques jours, je veux te dire…

Elle se souvient que c'est elle la première qui a posé ses lèvres sur la bouche du garçon, juste de peur qu'il ne le fasse pas. Le premier baiser. Un goût, une saveur incroyablement enivrante ; et puis à la fin de celui-ci, la voix qui dans son oreille vient glisser ces quelques mots : « Je t'aime. »

D'autres baisers cette soirée-là, d'autres et encore d'autres. Une avalanche de baisers qu'elle veut garder en elle pour les douze mois difficiles qui vont suivre. Ils se sont aussi caressés un peu. Les mains de Louis se sont aventurées sur le tissu du corsage, mais il est resté correct, n'a pas abusé de la situation. Demain… bientôt, un nouveau soldat sera à la caserne.

Aude, dans sa chambre, termine ses devoirs ; elle fait sa première année de droit. La sonnerie de la porte lui fait battre le cœur. Elle sait que c'est Louis qui vient pour lui dire au revoir. Son père l'accompagnera demain vers huit heures à la gare de Remiremont pour son voyage à Dieuze. Il est affecté au treizième régiment de dragons parachutistes de cette ville. Ce n'est pas le bout de la Terre, mais il semble à la jeune femme que c'est un autre monde, au fin fond de la planète. Comme il va lui manquer, son amoureux qui la charme tellement, juste avec sa voix…

À la veille de partir, dans sa petite chambre, alors que Mamie prépare le dîner, Louis est couché sur le lit. Aude, étendue près de lui, a laissé sa main sur la cuisse du jeune homme. Les deux regards se croisent, se noient pour n'en former plus qu'un. Les doigts du jeune homme sont rapidement venus à bout de ce corsage qui lui cache encore, pour un instant, le soutien-gorge blanc de la demoiselle. Sur la couche où leurs lèvres restent soudées, les langues dansent un ballet des plus doux. Les picotements qu'elle ressent au fond d'elle sont comme des étoiles dans un ciel d'été.

Puis, d'entre le pouce et l'index, personne ne saurait dire lequel a été le plus preste à ouvrir l'agrafe. Les bonnets laissent échapper les deux seins qui montent vers le garçon, fermes et attirants. Les lèvres masculines quittent sa bouche alors que, fiévreuses, elles s'apprêtent à découvrir un autre festin. Il prend entre elles la pointe dure du premier sein qu'il connaît depuis qu'il n'a plus tété sa mère. Il est encore maladroit, mais les soupirs de la jeune fille lui donnent à penser qu'il peut encore s'aventurer davantage. Il joint ses mains à la découverte que fait sa langue, et des sensations nouvelles, la douceur de l'envie le projettent dans un univers inconnu. Maintenant que ses doigts ont trouvé le velours si doux à caresser, Louis ne s'en lasse plus et fait aller sa langue et ses pattes partout où la peau est offerte.


Encore un énorme sanglot, encore des perles de rosée qui quittent leur nid douillet pour serpenter sur le visage ravagé d'une Aude qui semble se liquéfier par les yeux. Elle pleure maintenant sans retenue et ne se préoccupe plus de ces gouttes qui tombent en chapelets translucides sur ses souvenirs.


Louis est allé encore plus loin. Il ne se contente plus de la poitrine dont les pointes sombres sont érigées vers le plafond, durcies par les caresses et l'envie qu'il leur procure. Aude, au fil de ses souvenirs, entend le bruit de la fermeture Éclair, le crissement du zip qui descend sur les mailles métalliques qui écartent la ceinture de sa jupe. La main qui court sur ses cuisses est chaude, électrisante aussi ; elle lui donne la chair de poule. Son dernier secours – mais elle ne se sent pas vraiment en danger – le dernier rempart est déjà, lui aussi, l'objet des assauts soutenus de Louis. Sous le voile léger de la culotte qui ne dissimule plus rien, le garçon a plongé ses tentacules alors que sa langue quitte lentement, comme à regret, sa poitrine et son paradis.

Il remue doucement la main, malhabile, ne sachant pas trop où chercher. Ce faisant, il arrive à entrouvrir le sexe dont les lèvres s'écartent ; puis les passages, les caresses de cette clandestine procurent à Aude une bouffée de chaleur qui l'envahit tout entière. De son autre main il soulève doucement la jeune fille et fait rouler la culotte sur les hanches, sur les cuisses, et elle finit en compagnie du corsage et de la jupe, enchevêtrée dans les bonnets du soutien-gorge. Mais au lieu de revenir chercher le butin qu'il convoite, Louis laisse dériver son poignet sur celui d'Aude et sa main se crispe sur celle de la jeune fille. Alors qu'elles sont l'une dans l'autre, Louis les ramène ensemble vers le centre de son corps ; il ne la quitte que lorsque les doigts d'Aude ont saisi le premier bouton de la braguette.

Elle a baissé le pantalon. Lui s'est juste un peu soulevé, et le vêtement a rejoint le tas de fripes de la demoiselle. La chemise est, bien entendu, elle aussi vouée au même sort. Puis le caleçon qui file pareillement laisse entrevoir à la demoiselle une excroissance chaude et tendue. Attirée, et surtout entraînée par Louis qui lui a de nouveau entrouvert les lèvres vaginales, elle ose poser ses doigts sur la hampe qui frémit à ce contact attendu. La menotte féminine n'arrive pas à contenir tout le volume de l'engin ; ses doigts ne font pas totalement le tour de l'objet non plus.

Louis est dans une telle position que son visage frôle maintenant les deux cuisses largement ouvertes de sa partenaire. C'est quand il plonge la langue au plus profond de son intimité qu'Aude tente de redresser sa tête, et ce mouvement involontaire amène sa bouche contre la queue dure qu'elle tient. D'abord elle essaie d'esquiver ce phallus qui la surprend par des dimensions qu'elle n'a pas imaginées. Il pousse un peu plus fermement la pine qui tressaute dans la main de la jeune fille ; elle finit par ouvrir la bouche et happe le bout qui lui semble bouillant.

Elle lèche pour la première fois cette chose pendant que lui lape sa chatte à petits coups de langue. Le bonheur qu'ils en retirent est d'une intensité exceptionnelle. C'est une première fois, mais comme c'est étrangement bon… Elle souhaite que cela ne s'arrête plus. Le plaisir qui monte de quelque part en elle est comme une vague qui vient mourir au bas de son ventre, puis les vagues se succèdent. La cadence est soutenue. Et quand arrive le raz-de-marée, elle est emportée par ce tourbillon qui la surprend ; elle a l'impression qu'elle quitte la Terre, que son esprit ne fait plus partie intégrante de son corps. Elle est secouée de partout. Ses mouvements ne se contrôlent plus. Elle se laisse bercer par la musique que lui procurent les caresses de Louis.

Alors que dans sa main elle tient le vit qui semble se tendre encore plus violemment, elle s'entend, du fond de son brouillard, lui dire « Je t'aime. » Elle revient sur Terre… enfin, sur son lit, et devant elle l'obélisque du garçon est toujours aussi monstrueusement dressé. Elle reprend dans sa menotte la verge qui se trémousse d'envie, et sans se poser de questions elle la remet dans sa bouche. Elle cherche, et surtout, les sens en éveil, elle écoute les gémissements d'un Louis expressif au possible, et ce n'est seulement là qu'elle commence à rythmer ses coups de langue sur les soupirs qu'elle perçoit.

Le sexe n'est pas long à se crisper fortement, et le jeune homme donne des coups de reins qui le font entrer encore bien plus dans cette caverne du bonheur. Il a mis ses mains sur la tête qu'il ne voit plus, et soudain Aude sent que ce membre dans sa bouche frémit, qu'il se crispe encore et encore. Elle a la sensation qu'il va lui exploser en bouche. C'est du reste bien ce qu'il fait en aspergeant le fond de la gorge qui l'accueille ; le jet est fort, brusque, puis les saccades qui continuent à engluer le palais d'Aude sont longues à s'arrêter. Il éjacule longuement dans cette bouche qui le reçoit comme une offrande.


Aude n'a plus de larmes, mais les haut-le-cœur de ses sanglots sont toujours présents. Elle a le regard fixe, noyé dans la flaque qui couvre une partie du chêne brillant. Ses poings se serrent, et elle tape doucement sur le bois.


Elle revoit cette scène magique. Ce moment-là lui est souvent revenu en flash-back dans sa vie. Elle le revoit qui se couche sur elle. Louis laisse pointer cette bite qui va lui faire mal, elle en est presque certaine. Elle voudrait déjà avoir une heure de plus, juste par crainte de la douleur. Le gland toujours aussi doux, aussi dur, est à l'entrée de sa grotte intime, mais le garçon, délicat, le laisse doucement se frotter entre les grandes lèvres très largement ouvertes. La tête de la bête est presque déjà entrée. Aude se noue un peu ; pour le moment, pas de vraies douleurs, juste une sensation de dilatation exagérée de sa chatte. Puis sous un dernier coup de reins, une déchirure, une brûlure, et elle projette son bassin en avant en espérant ainsi échapper à cette fulgurante souffrance.

Elle plante ses ongles dans le dos de Louis en hurlant. Lui stoppe tout mouvement. Il attend sans bouger, un temps infini, juste que pour elle la douleur se calme. Elle revient pourtant, la sournoise, dès qu'il bronche un peu, mais elle est moins forte, et en quelques allers et retours elle disparaît pour laisser place à une sorte de bien-être qui la ramène sur un nuage. La ouate, le coton dans lequel elle se retrouve l'entraînent dans un vertigineux bonheur. Elle recommence à jouir alors que son futur soldat la prend tendrement en s'enfonçant délicatement au plus profond de son être.

Ils ont fait l'amour plusieurs fois cette nuit-là. Combien ? Elle n'a pas compté : seul le bonheur d'être contre Louis, d'être avec lui était important. Puis dans la nuit bien avancée il l'a encore embrassée, mais ce n'était déjà plus pareil ; il s'était rhabillé, et son esprit n'était plus complètement avec elle. Dans le noir, elle a vu filer ce solide gaillard pour ne revenir que bien plus tard.


Aude, dans l'eau de cet étang qu'elle a créé avec sa peine, reste les yeux perdus dans cette marée de souvenirs. Que c'est douloureux… Comme elle les voit danser, ces lignes noires ! Comme ses yeux gonflés lui font mal d'avoir tant pleuré…


Les premiers jours sont difficiles, sans doute pour les deux. Mais l'homme de la poste est passé. Avec lui, dans un écrin de papier blanc, un courrier ; lui aussi, c'est le premier d'une longue, très longue série. D'abord elle passe son doigt sur les lettres qu'il a tracées pour écrire son nom et son adresse, recherchant dans ce contact comme un peu de lui. Elle reste de longues minutes, le papier encore clos entre ses mains, le posant parfois sur la table. Elle sait qu'il contient un peu de celui qui lui manque tellement. Un peu d'elle aussi ; enfin, de cette partie qu'il a emportée dans son cœur. Puis elle se décide et fend en deux le rabat de l'enveloppe et en extrait la missive pliée en quatre. Les lignes dansent devant ses yeux. Elle les parcourt, le regard embué, les mirettes brûlantes de cette fièvre de l'attente.

Mon amour,

J'ai attendu des années un moment pareil, et il me semble que t'écrire c'est un peu comme te caresser. Je sais par cet éloignement obligatoire que tu me manques, que ce vide que je ressens, eh bien ce vide, cette absence, ça doit s'appeler Amour. Je ne pourrai plus jamais demander à maman si j'ai raison, bien qu'au fond de moi je sache qu'elle me crie que c'est toi mon unique et merveilleux destin.

Ici, je fais du sport, bouge, et mon unique souci c'est que la ronde des jours boucle cette année de ton absence. Le plus vite possible pour que ces jours qui doivent défier les lois des horaires en faisant au moins vingt-six heures chacun, défilent et me rapprochent de toi. À mon retour et tes études terminées, je m'armerai de ce courage que tu connais pour venir voir tes parents. Je leur dirai que tu es cette évidence que j'attendais, que tu es celle qui devait un jour croiser ma route. Je leur dirai que je ne leur demanderai jamais ta main parce que je te veux tout entière pour moi et qu'il y a tant de belles choses en toi que se contenter de cette unique partie qu'est ta menotte ne me semble pas suffisant.

Je t'aime, Aude, et dans mon cœur il n'y a de la place que pour toi, même si pour le moment tu n'es que dans un tiroir que j'ouvre chaque soir pour y retrouver ma lumière. Il me tarde aussi d'avoir quelques journées de permission pour venir, revenir en courant vers cette merveilleuse personne qui un jour a écouté sans dire un mot l'histoire de mon grillon. J'ai aussi compris, Aude, que le grillon de mon foyer ne pourra jamais être quelqu'un d'autre que toi. Je me ferai meunier pour que la farine de notre amour te laisse chanter tout au long des années de cette vie que j'imagine à tes côtés…

Je t'aime, Aude, et ce mot n'est peut-être pas encore suffisamment fort pour te décrire ce que mon cœur peut ressentir pour toi.

À très vite, mon Amour.

Louis

Cette lettre, Aude l'a lue des milliers de fois, la dépliant puis la repliant sans arrêt ; elle a été la première de cette si longue année. Empilée dans une boîte à cigares avec toutes les autres, nombreuses, qui sont arrivées durant cette séparation, la jeune fille l'a toujours remise au-dessus du paquet. Puis Louis est revenu et il a tenu parole.


Les yeux sont rouges ; les sanglots ne viennent plus à force d'en avoir eus. Elle reste debout, statue de cire, ne sachant que faire alors que, de la tache humide, remontent vers la surface comme des bulles de ces petites choses enfouies en elle.


Louis a sonné à la porte ce samedi soir. Mon Dieu, comme il ressemble à ce jeune homme sur un banc de l'église alors que la messe est dite pour sa maman ! Un costume sombre, mais ils ne vont pas sortir, elle et lui. Il a apporté trois bouquets et une bouteille de bon vin. Papa est dans l'entrée ; il jauge l'homme face à lui. Celui-ci bredouille quelques mots, tend un bouquet à mamie, un autre à maman, et le troisième, tout de roses rouges, lui est destiné. Papa a reçu le vin. Louis s'éclaircit la voix, mais Aude entend ce trémolo qui le rend pathétique.

— Madame, Monsieur, m'accorderez-vous votre fille ? Je voudrais l'épouser et que nous vivions ensemble. Je suis amoureux d'elle depuis votre arrivée ici.

Ils ont dit oui, et c'est bientôt à leur tour de faire la même chose, de prononcer ces mots magiques qui engagent leur vie tout entière. Sa famille a rencontré souvent le père de Louis, qui est devenu un ami de son papa. Toute de blanc vêtue, elle signe le pacte des anneaux avec la bénédiction de tous ceux qui l'aiment. Mais lors de cette cérémonie, Aude a les yeux fixés sur l'endroit où, des années, auparavant un petit cercueil était posé ; elle a l'impression très nette qu'une âme plane sur la fête de leur mariage. L'anneau qui glisse sur son doigt ; le baiser qui la fait frissonner… un instant magique, mais suivi de tant d'autres qu'elle ne peut tous les raconter.


Comme elle est lasse de tout cela… Elle voudrait que la Terre tourne à l'envers. Dans ses habits noirs, elle n'a plus de larmes à donner. Elle croit qu'elles sont toutes épuisées, qu'il ne reste que cette terrible solitude et ce trop profond silence. Mais Aude serre encore davantage les poings, et ses doigts lui font mal. Cette douleur la projette ce matin-là.


— Bonjour, Aude. Louis n'est pas venu ?
— Désolée, Docteur, mais il devait emmener sa classe en voyage de fin d'études ; il ne pouvait pas les priver de ce moment qu'ils espéraient tous depuis si longtemps.
— Oui, oui, bien sûr ; mais ce que j'ai à vous dire est si… comment dire… délicat que son appui vous serait d'un grand secours.

Sur son siège, Aude se tasse un peu plus encore que nécessaire. Elle regarde le médecin avec des yeux qui crèvent de peur. Mais elle prend sur elle et se force à écouter le verdict sans appel que le docteur lui édicte. Elle ne retient pas les termes exacts de ce qu'il dit, mais les paroles qui résonnent dans sa tête sonnent le glas de cet ultime espoir : elle ne sera jamais une maman. Louis et elle ne seront jamais des parents ; une maladie extrêmement rare. Mais comment comprendre cela ? Depuis trois ans ils ont tout tenté, tout essayé ! Condamnés à n'être que deux, c'est un drame qu'elle vit là. Mais Louis, quand elle le lui apprend le soir, la console encore alors que ses larmes ne s'arrêtent plus. Puis le temps estompe toutes les peines ; enfin, il les enfouit au fond de chacun de nous.


Aude n'en peut plus de ce silence. Ses doigts glissent sur cette surface trop lisse qui cache ses souvenirs. Elle cherche un salut dans la vision de l'eau salée de ses yeux qui couvre une grande surface de la pièce de bois verni. Alors ses regards se troublent et elle repart pour des moments d'antan.


Aude revoit Louis qui pose la première pierre de leur « chez-eux ». Une belle bâtisse où les heures douces ont parfois eu un goût amer pour elle : pas de cri d'enfant, juste le bruit du vent et la douceur des câlins de Louis. Mais il y a aussi les moments tristes, ceux du départ de son père – un cancer qui le dévore – et les instants que Louis et elle passe à côté de son petit lit d'hôpital. Et c'est sa maman qui, ivre de chagrin, s'en va un petit matin de novembre, la laissant définitivement sans famille sauf son Louis. Quand le papa de Louis aussi va rejoindre la femme qu'il a tant aimée, c'est aussi par un jour de grand froid.

Et les années passent ; la vie reprend toujours ses droits. Louis et elle ne veulent pas se tromper, et il voudrait aussi qu'elle connaisse autre chose que son amour à lui. Ils en ont longuement parlé durant des nuits entières juste entrecoupées de leurs étreintes magnifiques, et elle a bien voulu tenter l'expérience une fois, juste pour voir. Et un jour elle a eu la surprise de voir que l'amour physique pouvait aussi se conjuguer à trois, ou même encore à plusieurs. Elle a aimé cette façon de s'offrir par amour pour son Louis à d'autres hommes et femmes ; elle s'en souvient de cette manière plus chaude aussi de donner son corps aux assauts d'un fouet, d'un martinet, et encore de tant d'instruments dont elle a oublié jusqu'aux noms.

Elle a appris qu'elle pouvait tirer le meilleur parti de tous ses sens alors que son corps était entravé, retenu prisonnier, mais l'esprit libre, lui. Ils en ont vécu des aventures, elle et son Louis ; des moments tendres aussi, de ces instants qui font que la vie vaut d'être vécue. Elle revoit aussi ces chemins détournés sur lesquels ils se sont parfois engagés, ces jours, ces nuits où Louis cogitait des fantasmes juste pour le plaisir de lui lire les scenarii dont elle était l'unique héroïne.


Aude sent à nouveau les larmes qui reviennent plus violemment, accompagnées de ces sanglots qui lui font un mal de chien. Elle se croyait vide de pleurs, vide de tout, mais elle n'est que seule, immensément solitaire. La tristesse qui l'envahit la laisse sans forces, et pourtant elle reste là, toute proche de ce miroir de chêne qui lui cache la vérité, droite comme un I dans la posture digne de la femme qui ne sait que faire, qui sent que l'inéluctable est présent sous ses doigts.


Elle est de nouveau sur ces chemins qui entourent la maison, sur les pentes peuplées de grands sapins. Elle revoit les milliers de mains aux doigts crochus qui agrippent son corps. Elle sent au fond de son âme les lanières d'un fouet qui caressent sa peau. Elle se sent remise dans un carcan qui lui serre le cou. Aude se souvient de ces lèvres anonymes qu'elle a embrassées, mordues, aimées tellement aussi. Les doigts de Louis lui parcourent le dos, le ventre, laissant des traces rouges d'ongles qu'elle lui a appris à garder propres. Elle les perçoit qui s'enfoncent dans sa chair, qui lui labourent le dos pour revenir ensuite caresser afin d'apaiser les moindres petites rougeurs qu'ils ont provoquées.

Aude sait que ses souvenirs lui remontent au cœur en ordre dispersé, qu'ils sont juste à fleur de peau, de cœur ; un cœur qui saigne maintenant à l'intérieur d'elle. Louis est là devant elle, un de ses sourires aux lèvres, un grand moment. Il la regarde, et sa main se tend vers sa poitrine. Il soulève son corsage ; il fouille dans son soutien-gorge. Louis plaque Aude contre un sapin dont l'écorce lui râpe la peau du ventre. Son nez est aussi sur le tronc et elle sent, elle respire cette odeur si particulière de la résine. Aude sent le dard chaud qui, d'une seule poussée, est en elle. Elle se sent couler de partout alors qu'il la fouille de son membre tendu, et seuls les oiseaux l'accompagnent dans sa complainte de femme baisée.

L'instant d'après elle se trouve dans un boudoir sombre avec des chaînes aux pieds, des liens aux poignets. L'homme qui arrive avec son Louis n'a rien de gentil. Il lui donne des ordres auxquels elle doit obéir aveuglément. Ces deux-là s'entendent bien, et sa peau est tannée comme un cuir, mais quelle joie de voir le plaisir de Louis ! Comme il bande bien, juste à regarder les lanières marquer de stries rouges le ventre, les seins et les fesses de son Aude… Quand l'image se floute au travers des larmes, une autre apparaît : ils sont sur le lit où elle est caressée par ses mains qui n'en finissent plus de monter et descendre sur cette poitrine qu'elles ne se lassent pas de cajoler.

Elle a son sexe en bouche, et la fellation dure des heures, juste avec ses doigts à lui dans ses cheveux, qui exercent une légère pression selon qu'il désire qu'elle calme ses ardeurs ou qu'elle en accélère le rythme. Puis elle ressent en elle cet incroyable moment où il entre, d'abord lentement, laissant le gland vibrer à l'entrée de la grotte. La chose dure est juste dans le corridor ; elle tente d'évaluer le moment où, d'une seule poussée, il va la pourfendre en deux, s'enfoncer si loin qu'un râle va éclater dans la chambre. Elle est maintenant debout, ses bras sont tendus vers la poutre du plafond. Les liens qui les tirent vers le haut sont solides, et elle n'a plus d'autre choix que de se tenir sur la pointe des pieds.

Elle voit cette douleur sourde qui rampe en elle à force d'être étirée. Elle revit ces mains qui la fouillent, elle sent cette envie qui la tenaille comme si elle était là. Elle jouit aussi de ces situations où Louis l'entraîne ; elle reconstruit ces moments dont son corps souvent est ressorti meurtri. Mais comme elle l'aime, cet homme qui lui a tout donné ! Les fessées, c'est une étape importante de leur sexualité qu'elle ne veut plus jamais occulter, un de ces instants où le plaisir est si intense, où des milliers de fois elle n'a pas pu se retenir de jouir alors que ses mains rudoyaient l'épiderme tendre de ses fesses.


Aude essuie pour la première fois ses yeux. Il faut rester digne car les hommes qui viennent d'entrer dans la salle où elle se trouve ne sont pas là pour écouter ses plaintes. En costume noir strict, ils ont des gestes simples, des gestes définitifs.


Chacun prend en main la poignée de laiton brillant du chêne doré. Ensemble, d'un seul mouvement ils lèvent l'intégralité de cette étrange caisse. Aude regarde Louis, son Louis, qui couché ne se lèvera plus, pour être emporté vers un autre toit. Aude relève une mèche de sa chevelure brune aux tempes argentées, serre encore plus fort ses petits poings blanchis et s'écarte pour que passe Louis. Aude pleure une fois encore et son esprit s'en va, comme pour accompagner sans bruit pour un dernier voyage cet homme d'exception qu'elle a tant aimé. Au moment où ils franchissent tous les cinq la porte de son chalet tant chéri, elle se laisse tomber à genoux, l'âme déchirée.

Mais dans un coin de son cœur, le plus secret des tiroirs s'ouvre pour y reloger toutes les images des si précieux dons qu'il lui a faits.
Ses souvenirs y seront bien à l'abri… pour son éternité d'enfer, à elle.

À toi, Michel, pour le précieux réconfort de ce dernier jour.