C'est parce que j'ai peur de voir s'endeuiller
Les minutes, les heures, les secondes passées,
C'est parce que je sais qu'il faut un presque rien
Pour défaire une nuit et se perdre au matin.
Je ne laisserai pas pencher sur notre lit
Ni l'ombre d'un regret, ni l'ombre d'un ennui.
Je ne laisserai pas mourir au fil des jours
Ce qui fut toi et moi, ce qui fut notre amour.
Pour qu'il ne soit jamais emporté par le temps,
Je l'emporte moi-même. Il restera vivant.

C'est parce que je t'aime (Barbara)

Combien de fois ai-je fait mentir ces mots si doux à mon cœur ? Combien de lits froissés au petit matin n'ont jamais gardé la douceur des nuits passées ? J'en ai joué de ces clins d'yeux qui vous affolaient, vous les beaux messieurs. Vous qui pour une pièce d'argent, pour un louis ou pour rien, avez eu la joie d'un seul instant vous dire que c'était arrivé. Vous, qui pour un croûton de pain et une tranche de jambon avez bénéficié de ces avantages que pour un seul j'aurais voulu garder, saurez-vous un jour combien je vous ai tous maudits ?

Et toi, toi que j'ai attendu en vain, toi celui qui devait naître pour moi, pourquoi t'es-tu si bien toujours caché ? Dans les nuits d'été comme celles des hivers, dans des heures chaudes ou celles plus froides des matins frileux, sais-tu le prix de mon attente ? J'ai fait l'amour avec des hommes, cherchant ton visage dans chacun de ces amants de hasard. Sur des couches fripées ou sur la mousse des bois, j'ai laissé des mains caresser mon corps en espérant qu'elles les retiendraient. Ces êtres sans nom et sans regard, les mines réjouies qui ont surplombé mon sourire, n'ont que le temps d'une nuit fait un voyage sans lendemain.

Mille et une fois j'ai cru découvrir dans les mots menteurs d'un beau diable, cru entendre des phrases écrites pour moi ! Menteurs qui n'avaient que de belles expressions, tricheurs qui n'avaient d'autres envies que celles de s'offrir ce corps que je traîne depuis tellement de temps. Pourquoi si souvent m'as-tu trahie, chair idiote trop à l'écoute du murmure des mensonges de ces bellâtres ? J'ai trop cru à des sornettes, trop donné sans jamais recevoir. J'ai pleuré souvent alors qu'ils ne faisaient que rire.

Alors je sais que tu ne viendras plus, que les heures qui passent forment tant de jours, lesquels s'additionnent pour ne me laisser que les larmes. Tu ne viendras plus, toi en qui j'avais foi, toi qui, quelque part dans ce monde, te roules sans doute dans un autre lit. Dire que sans doute celle à qui tu murmures des mots d'amour qui sonnent faux, cette Alice ou Sophie, cette Marguerite ou Danielle, pareille à moi, attend-elle aussi ce grand amour dont les romans sont remplis.

De l'aurore au crépuscule, le cycle est ininterrompu, et c'est dans des sourires étranges que je lis toujours les mêmes espoirs. Elles ressemblent tant aux miennes, ces espérances ! Cependant, pourquoi encore croire qu'un matin, pour des raisons que la mienne ignore toujours, devant mes yeux émerveillés tu seras là ? Tes cheveux seront-ils noir corbeau ? Bruns ou châtain ? Puis je me ravise et suppose que, vu le temps qui passe, tu pourrais vraisemblablement être chauve comme un œuf, ce qui doucement m'apporte un sourire.

Tu vois, t'imaginer me donne encore envie. Envie d'y croire, envie de chercher. Mais pour cela je devrai encore sans doute me vautrer contre des ventres sans âme, embrasser des bouches qui voudront me fouiller d'autres bouches. Un demi-toi me suffirait pour y rabattre mes ailes, pour me blottir dans mon rêve. La moitié de cet homme attendu, je saurais me contenter d'une part d'espoir. Mais pourquoi, pourquoi ne viens-tu jamais ? Dis-moi… combien de gueules ridées, de types qui m'effrayent au premier rayon du soleil, à la naissance d'un jour nouveau, devrais-je encore essayer pour te reconnaître ?


Robes sombres ou jupes éclatantes, je porterai pour toi, pour que tu me reconnaisses, des tenues sévères ou affriolantes. J'irai dans des lieux chics autant que dans des bouges pour être certaine que tu n'y étais pas. Je ferai des virées jusqu'à ne plus avoir soif, j'en oublierai jusqu'à mon nom, simplement pour qu'un inconnu me porte. Et qui sait ? Peut-être sera-ce toi, toi que mon cœur dingue appelle de toutes ses forces. Mais n'attends pas qu'il soit trop tard ! Ne me laisse pas me faner trop encore. Déjà les rides viennent ; elles sont légion à prendre d'assaut mes yeux. Elles griffent mes tempes et fripent mon menton.

Ma bouche s'ouvrira encore sur des baisers inconnus, recherchant partout celui qui devrait faire la différence. Mes lèvres dévoreront des plages entières de peau masculine pour être bien sûres de ne pas t'avoir laissé filer. Nous nous trouverons ; oui, nous nous trouverons ! Quand ? Je ne sais, et nul ne sait plus que moi. Tu es dans cet univers immense et devrais-je caresser, embrasser, tâter tous les hommes du monde pour enfin te toucher ? Ton odeur, je saurai bien la retrouver entre toutes : elle est déjà en moi, si particulière et si capiteuse. Mais… d'autres que toi en ont-ils une toute pareille ?

Puis me reviennent mes doutes ! Et si, d'aventure en aventure, nous nous étions croisés ? Si nous avions déjà partagé la même nuit ? Si, par d'incroyables circonstances, je n'avais pas senti ce qui me fait vivre ? Mon Dieu ! Serait-il possible que j'aie pu passer à côté de toi sans te voir ? Pire encore, si ma peau éprise de toi ne t'avait pas reconnu ? La douleur de ne plus recroiser cet inconnu, celui qui doit me faire vibrer un maximum. Non ! Ce ne serait pas juste. Impossible… j'en serais malade… où es-tu ? Oh, dis-le-moi !

Chaque fois que j'ouvre ma porte, que je sors de chez moi, dès que je mets un pied dehors, je sens que tu es tout proche. Serais-tu celui-ci qui me regarde avec envie ? Serais-tu cet autre qui me suit un moment, naviguant entre les rayons du supermarché ou dans la rue alors que sur un trottoir j'avance prudemment ? Grand, petit, mince, maigrichon, bedonnant ? Chacun de ces types qui rôdent est potentiellement… toi ! Un m'adorera, et j'aurai raison de finir ce jour nouveau avec lui ? Ils sont tous toi, à cette différence près que je ne ressentirai plus le besoin de le croire dès lors que leurs bouches auront franchi le seuil de la mienne. Pour une minorité d'entre eux, la nuit qu'ils auront grâce aux jolis mots qu'ils manieront sera leur point d'orgue ; et qui sait… à mon réveil, serai-je peut-être surprise de n'avoir plus envie de te chasser.

C'est parce que ton épaule à mon épaule,
Ta bouche à mes cheveux
Et ta main sur mon cou,
C'est parce que, dans mes reins,
Quand ton souffle me frôle,
C'est parce que tes mains,
C'est parce que joue à joue,
C'est parce qu'au matin,

C'est parce qu'à la nuit,
Quand tu dis « viens », je viens.
Tu souris, je souris.
C'est parce qu'ici ou là,
Dans un autre pays,
Pourvu que tu y sois,
C'est toujours mon pays.
C'est parce que je t'aime
Que je préfère m'en aller.
C'est mieux, bien mieux, de se quitter
Avant que ne meure le temps d'aimer.

C'est parce que je t'aime (Barbara)

Quarante ans… le temps de fermer les paupières, et déjà le temps est passé. Celui perdu ne se rattrape plus, dit-on. Alors je suis presque morte et tu n'es toujours pas venu. Pourtant… j'en ai fait des rencontres, parfois bonnes, d'autres moins, et je n'ai pas encore retrouvé cet être sublime auquel tout mon corps aspire. Du plaisir, j'en ai pris ; du bonheur, j'en aurais voulu. Mais le seul qui me manque aurait ton visage, tes yeux. Où te caches-tu ? C'est dans des caresses subtiles, dans des baisers de feu que je te cherche encore. Pour m'apercevoir au simple lever d'un soleil de toutes les saisons que celle de ton amour n'est toujours pas de mise.

Comment peux-tu me faire cela ? Je me lève avec l'espoir, et chaque aube qui rejaillit me laisse plus moche que la précédente, déçue de n'avoir eu que l'illusion de te rencontrer. J'ai parcouru mille chemins, j'ai franchi tant de guets, escaladé des montagnes où l'ermite qui les habitait pouvait me faire envie… J'ai confondu tes rides imaginaires avec les leurs si réelles. J'ai passé mes doigts dans tellement de tignasses que ce n'est que miracle si jamais une lente ne m'a frôlée… mais sans doute pas assez rapide puisqu'elle n'avait que quelques heures pour changer de domicile. Je me suis rendue sans arrêt pour savoir que ce passant avenant n'avait rien de ce que je demandais. Tu n'étais jamais celui que je quittais.

Ils ont été si nombreux à relever mes cheveux, si abondants à toucher mon front ! Ma peau s'est échauffée au contact de toutes celles que je croyais tienne. Bien peu m'ont fait jouir, mais tous attendaient un certain plaisir en retour de cette offrande. L'espoir fait vivre, dit-on ! Il fait faire des folies également, et au nom d'un amour à venir, je crois que j'en ai fait trop. Le don de soi a des limites, et celles-ci sont atteintes. Que vienne donc le temps du repos, de l'attente sage, la promesse des jours à deux s'éloignant de matin en matin.

Bien entendu, mon ventre – tout mon être même – se privera un peu de ces corps-à-corps charnels dont je suis si souvent ressortie blessée. D'autres calmes suivront, sans pour autant que ne cesse la quête. Mais la voir différemment sera difficile, compliqué parfois. Je ne veux plus de couches agitées, plus de draps puant l'amour d'un autre, qui au début te ressemblait pourtant. Tes contours obscurs se délayaient au fil des assauts, au fil des heures. Plus l'obscurité se levait, moins il donnait le change.

Mais étaient-ce eux qui changeaient ou mon regard qui les apercevait d'autre manière ? Je ne connais ni ta voix ni la voie que tu emprunteras pour me rejoindre, mais les chemins dont j'ai usé pour venir à toi sont désormais coupés. Je ne serai plus attentive qu'à l'ombre de mon ombre, surveillant son oscillation pour ne pas la perdre. Viens si tu veux, arrive si tu peux… je serai chez moi à épier chaque bruit, chaque soupir insolite et inusité. Je cultiverai le jardin, celui des roses aux senteurs si délicates tout autant que celui plus secret de mon cœur.

Je n'ai pas encore sombré dans l'angoisse de ne pas te sentir un soir, un matin, ou quel que soit le moment que tu choisiras pour surgir de nulle part. Ces fantômes qui ont tous traversé sans marquer ma vie seront autant de souvenirs, images légères et aériennes d'êtres n'ayant d'autre existence que celle de les avoir pris pour toi. Ils sont passés, ne reviendront plus. Mais sans regret, assurément, sans crainte non plus puisqu'ils ne pouvaient pas m'atteindre alors même que je te cherchais en eux. Ils ne sont rien d'autre que des sourires du passé. Un temps révolu qui je ne remonterai plus. Pas plus qu'ils ne seront en mesure de me reprendre, ne serait-ce qu'une fraction de seconde…

Viens, et ce sera mon dernier cri ! Viens ! Mes bras seront ouverts à ton arrivée, mais c'est pour toi seul et uniquement pour toi. Quand je t'aurai reconnu, je les refermerai sur une idée, sur un sourire, sur cet amour qui me manque tellement. Nous chanterons ensemble cette mélodie aux accords si doux. Ta voix est dans mes oreilles et ne me quitte plus. La voie qui t'amène est insondable, mais si tu suis bien les baisers que j'ai semés partout pour ta venue, tu ne peux plus te perdre, mon petit poucet… viens ! Écoute le tempo, nage, vole vers ces notes qui se déversent en torrent pour que tu me retrouves…

J'en ai vu, comme nous, qui allaient à pas lents
Et portaient leur amour comme on porte un enfant.
J'en ai vu, comme nous, qui allaient à pas lents
Et tombaient à genoux, dans le soir finissant.
Je les ai retrouvés, furieux et combattant
Comme deux loups blessés. Que sont-ils maintenant ?

C'est parce que je t'aime (Barbara)

Je voudrais reconnaître dans chaque visage, chaque sourire, un air de cet amour que je recherche. Sous mes rides naissantes se cache encore un peu de temps. Un soupçon d'opportunisme pour que tu sois celui-ci ou celui-là. Mais les petits matins blêmes, au réveil dans des lits de hasard – l'autre qui dort, assouvi et apaisé par des corps-à-corps nocturnes durant lequel j'ai voulu y croire –, ces aubes nouvelles je les abhorre. Tout autant que j'exècre les premiers mots du dormeur éveillé, puisqu'ils vont sans doute briser une fois de plus mon rêve.

Les yeux baissés, je remets mes vêtements pour, penaude, quitter ces lieux sans vie, ceux de mes désillusions profondes. Entourée de ce marasme matinal qui, chevillé à mon corps, va encore durant un trop long moment ne plus me quitter. C'est le signe d'une défaite, et pourtant celui d'une victoire à venir…

Je t'aime, et je t'attends aujourd'hui autant que demain…