Comme je l'ai déjà raconté ailleurs, l'année de mes vingt-trois ans avait été merveilleuse. J'avais connu l‘amour. Du moins je l'avais vécu. Ça avait été d'autant plus beau et émerveillant dans ma vie que j'étais tombé amoureux de cette fille, que je l'avais espérée, puis qu'elle m'avait donné un accord à demi-mot, une promesse évoquée pour après ses examens, et qu'elle avait tenu promesse : et j'avais connu les plus belles semaines de ma vie jusqu'alors.

Malheureusement elle s'était rendu compte rapidement qu'elle ne partageait pas les mêmes sentiments que moi à son égard – elle avait, semble-t-il, réalisé que si mon amour pour elle lui avait permis d'oublier sa déception sentimentale de l'année précédente et celui qui l'avait laissé tomber alors qu'elle pensait que c'était l'homme de sa vie, mon amour lui avait fait du bien, lui avait redonné joie de vivre, espérance et confiance en elle – et en raison d'une sincère affection envers moi et par honnêteté, elle avait préféré rompre, me laissant malheureux comme les pierres.

Je m'étais étonné de ne pas vivre si mal que ça cette déception, finalement. J'avais fait le choix de retenir tout le bien de cette liaison qui m'avait tant apporté, qui m'avait rempli d'amour et prouvé qu'un amour magnifique était possible. Même si j'avais compris que ça n'était pas pour tout de suite.

Bien entendu, en cette fin d'été à laquelle succéda un été indien, j'étais très occupé.
J'écrivis également beaucoup sur ce passé proche et ce présent douloureux, exorcisant ma morosité, et me passant et repassant dans tous les sens cette trop brève histoire d'amour, cherchant à en extraire quelque chose et à comprendre pourquoi c'était arrivé. Car il me fallut plusieurs années pour en arriver à la conclusion simple et évidente que j'ai résumée plus haut.

Puis vint l'hiver, et avec le redoublement plus ou moins choisi de cette année de fac, ce ne fut plus la même ambiance.

C'est une véritable traversée du désert que j'entamai, un désert blanc où je me sentais froid, le cœur paralysé, et incapable d'éprouver à nouveau des sentiments pour une jeune fille, une jeune femme ou quiconque, même si elle eût été magnifique et dotée d'un charme fantastique.
J'en fis d'ailleurs l'expérience un an après quand une jeune femme, un peu plus âgée que moi, sembla s'intéresser à moi. Elle était pétillante, pleine de vie, avec des yeux splendides, et bien que j'aie tenté de faire quelques efforts et de commencer à me rapprocher d'elle, j'ai compris que les sentiments ne se commandent pas et je fis machine arrière. La pauvre, à l'époque, ne dut rien comprendre. J'en restai un peu amer, avec un sentiment de gâchis.

Après la tristesse, la mélancolie et mes réflexions romanesques, vint une sensation d'amertume, une résignation désabusée : l'amour n'était pas pour moi, et s'il était possible, ce serait dans tant d'années (mon cœur ressortirait-il un jour de sa tombe, surgissant comme un zombie ?) que je m'étais fait une raison. Et je me dis que, quitte à ne plus vivre de réelle histoire d'amour avant longtemps, pourquoi ne pas essayer d'avoir des aventures avec des jeunes filles qui passaient à proximité, dans ma vie, ou avec des femmes que j'essaierai de rencontrer, pourquoi pas ?

Seulement voilà, je savais très bien que je n'étais ni un séducteur ni un dragueur (pour tout dire, il me fallut des années pour bien réaliser que je n'étais pas fait pour ça ; mais bon, c'est la vie, et il faut souvent longtemps pour bien se connaître soi-même).

Je ne m'imaginais pas aller traîner le soir dans des boîtes de rencontre, des boîtes de célibataires. En fait, j'avais tenté ça un soir et l'expérience avait été désastreuse : j'étais tombé sur une fille qui m'avait dragué et qui s'était avérée être une vraie névrosée. Par ailleurs elle ne m'attirait pas du tout, même pas sexuellement. On avait échangé nos numéros de téléphone et c'est elle qui m'avait rappelé, plusieurs fois. À chaque fois j'avais décliné l'invite (j'étais trop occupé par mes études, beaucoup de taf, prétextes vaseux) ; évidemment, comme attendu, elle s'était lassée.

Finalement, j'avais choisi de me rabattre sur le minitel, ancêtre du net. On pouvait y chatter, fantasmer, se taper des délires avec les femmes qui voulaient faire de même, en tout anonymat. C'était en 1988, j'avais vingt-cinq ans.

Je m'aperçus que j'avais deux types de fantasmes, somme toute assez classiques : le BDSM et les femmes mûres. Je les trouvais terriblement désirables (et pour cause : maintenant je me rends bien compte à mon âge qu'à quarante ou cinquante ans les femmes sont encore très belles et très fraîches, du moins pour la plupart). Et puis c'était un sacré tabou, et un fantasme vieux comme le monde. J'avais bien entendu lu Le blé en herbe, Chéri et vu le film Le Lauréat, pour ne citer que ça.

Sur minitel je branchais des femmes mûres (je ne devais pas être le seul), mais il faut dire que grâce à l'anonymat je trouvais un certain écho chez celles qui étaient attirés par les jeunes.
Pour ma part je n'avais jamais éprouvé de pulsions incestueuses (peut-être parce que ma mère ou mes tantes n'étaient ni belles ni très féminines, de mon point de vue personnel), mais j'avais été attiré à l'adolescence – quand naissaient en moi des désirs nouveaux et brûlants – par des amies ou des connaissances de ma mère, des voisines. Et à quarante-cinq, cinquante ans, la plupart des femmes ont encore une libido notable ; et certaines, divorcées ou séparées, jouissent d'une indépendance et d'une liberté qui les rendent disponibles pour entamer une nouvelle vie sexuelle, plus débridée, plus joyeuse et moins contraignante que lors de leur vie conjugale passée.

C'est ainsi que sur un chat (on appelait ça un salon) je fis la connaissance de Josette. Un prénom plutôt vieillot, il est vrai, mais c'était une femme drôle, cool, et qui savait écrire, nom de Dieu ! Nous correspondions par messagerie type boîte aux lettres du serveur minitel (les mails n'existaient pas encore), et bien entendu, très rapidement, au téléphone.

Elle avait quarante-huit ans, vivait et travaillait au Mans, moi à Rouen. La distance n'était pas extraordinaire (à peine plus de deux cents kilomètres), même si à ce moment-là je n'imaginais pas la rencontrer.

Elle me racontait qu'elle vivait avec son fils qui devait avoir à peu près mon âge et qui semblait plutôt mature, qui aimait sa mère, et ne voyait aucun problème à ses relations avec des jeunes hommes. Ils semblaient tous les deux cools, complices, et très ouverts. Elle m'avait juste raconté qu'elle avait eu récemment une liaison avec un jeune, mais ce con était devenu jaloux, possessif – amoureux sans doute – mais n'acceptant pas de ne pas être le seul. Elle l'avait viré, avec l'aide de son fils.

Moi, je ne me voyais pas tomber amoureux. Ça me semblait impossible. J'étais un peu présomptueux et ne savais rien de la vie à l'époque ; mais heureusement, ça n'arriva pas.
Je dis « heureusement » car, même si je conçois que deux êtres séparés par une différence d'âge d'une génération peuvent s'aimer réellement et dans la durée, je me disais que vingt-cinq ans d'écart avec mon âge, ça ne devait poser aucun problème, mais qu'arrivé à l'âge de cinquante ou cinquante-cinq ans pour le ou la plus jeune, ça risquait de devenir frustrant : un homme ou une femme de cinquante-cinq ans peut avoir encore une libido intense et des besoins sexuels conséquents, alors que chez son ou sa partenaire ça doit être bien différent, ne serait-ce que du point de vue physiologique. À l'époque, les petites pilules bleues n'existaient pas.

Nos échanges étaient agréables. Sur la messagerie elle m'écrivait des petits poèmes auxquels je répondais de même : nous joutions, rivalisions d'imagination poétique et érotique. Au téléphone elle me faisait parfois le plaisir de m'appeler le matin, au réveil. En effet, allant rarement en cours, je pouvais me permettre de me réveiller vers 08 h 30 - 09 h 00 alors qu'elle était déjà au boulot. Seule dans son bureau elle était tranquille, et nous pouvions donner libre cours à nos désirs. Moi j'étais encore au lit, un peu embrumé de sommeil, et être réveillé par sa voix douce et sensuelle me sortait tout de suite de ma torpeur et m'excitait rapidement. Quant à elle, m'imaginer à poil dans mon lit, à sa disposition, l'excitait aussi. C'étaient des petits rendez-vous coquins, des petits moments volés à la monotonie de la vie et à ma solitude d'étudiant sans copine, et nous laissions libre cours à notre imagination débridée et nos désirs exacerbés par la situation.

Je l'imaginais enfermée dans son bureau, la main dans la culotte, tandis que moi je pouvais me laisser aller sous mes draps, fermant les yeux. Nous faisions l'amour par téléphone. C'était bon, faute de mieux. Je ne ressentais aucune frustration, même si bien entendu j'espérais qu'un jour je pourrais me livrer à des ébats réels avec une partenaire.

Et puis un jour c'est elle qui prit l'initiative : elle m'annonça au téléphone qu'elle allait se libérer la semaine suivante et venir me voir le mardi. J'en fus bien entendu enchanté, d'autant que je ne m'attendais pas à ça. C'était une heureuse surprise, un peu de piquant dans ma vie qui m'était offert.
Je lui donnai mon adresse.

Dans l'attente de ce rendez-vous, j'achetai une bouteille de champagne et de quoi concocter un bon petit repas pour nous deux, dans mon petit studio. J'avais prévu de faire du canard à la citronnelle (c'était l'époque où je m'initiais à la cuisine chinoise qui commençait à arriver en France, et je m'étais acheté peu de temps auparavant un livre de recettes).

Le matin du jour dit, elle m'appela pour me dire qu'elle allait démarrer. Le temps de faire la route, elle devait arriver un peu avant l'heure du déjeuner.

C'était palpitant, excitant, d'autant que nous ne nous étions jamais vus. Je ne savais même pas à quoi elle ressemblait, et elle pareil pour moi. En effet, le minitel, c'était limité : s'il permettait de discuter en direct ou en différé en s'envoyant des messages dans la boîte aux lettres, il n'était pas possible de s'envoyer de pièces jointes, donc pas de photos. D'ailleurs l'informatique grand public n'en était qu'à ses prémices ; quant à la photographie numérique, elle n'avait pas encore été inventée.

J'avais bien entendu le cœur battant quand elle sonna enfin. J'avais commencé à préparer le déjeuner (je ne suis jamais en retard) et dressé ma petite table pour nous deux, un déjeuner en tête-à-tête.

Je lui ouvris ; nous nous sommes découverts : elle n'était pas franchement belle – pas moche non plus – plutôt bien foutue, les formes qu'il faut. Elle portait une jupe droite. Ses jambes étaient gainées de nylon noir (je découvrirai un peu plus tard que c'était des bas autofixants, et pas un collant). Des bottes et un pull, aussi. Un look classique. Elle ne s'était pas habillée comme une pute ; elle était en accord avec elle-même, et ça me plaisait.

Moi, je n'en menais pas large ; j'étais assez intimidé (échanger par écrit, se parler au téléphone, c'est une chose ; mais se voir en face-à-face en est une autre). Nous avons discuté un peu, et comme j'avais mon canard sur le feu, ça me donnait une contenance, une bonne raison d'être occupé (il ne fallait pas le laisser cramer, aussi je m'y affairais). Ma kitchenette était minuscule : un évier à droite, un frigo en face, la cuisinière deux plaques juste à côté, mais une fois passé la porte vitrée (toujours ouverte) qui l'isole du reste du studio, la surface au sol ne doit pas faire plus d'un mètre carré, de sorte que l'on peut juste se retourner.

Je surveillais la cuisson, remuais, m'occupais de ma sauce. Elle est allée fumer à la fenêtre, puis elle est venue derrière moi.

— Tu es déçu ? Je ne suis pas comme tu m'imaginais ?
— Les gens sont jamais comme on les imagine, rétorquai-je.

Et comme elle était là, toute proche, attendant, j'ai collé ma bouche à la sienne, découvrant sa langue et un goût de cigarette, un premier contact physique et sensuel. Après ça, j'ai senti que la tension qui planait dans l'air avait disparu. J'avais dissipé tout malentendu. Non, je n'étais pas déçu.

Nous sommes passés à table, discutant joyeusement. Elle me complimenta pour mon canard à la citronnelle et aux champignons parfumés (c'était une première pour moi – j'aime prendre des risques – mais je ne le lui ai pas dit).

— Plus tard, le champagne, me dit-elle. Viens…

Elle se leva, me prit la main, et m'entraîna dans la chambre, (le coin chambre devrais-je dire, car il n'était séparé du reste du studio que par une poutre qui formait comme un rideau entrebâillé dans cet espace mansardé).

Cela faisait des mois qu'une fille ne s'était pas couchée sur mon lit ; j'en étais ému. Et de plus, c'était en plein jour: Josette n'était pas le genre de femme pudique qui demande que l'on fasse l'obscurité en tirant les rideaux. Je l'ai déshabillée tandis qu'elle faisait de même avec moi. Je découvris son caraco, ses Dim-up qu'elle gardait pour le moment, et ses sous-vêtements coordonnés très jolis et sexy.

Elle s'est couchée dans mon lit ; en l'embrassant, je l'ai débarrassée de son soutien-gorge et de son slip, et fait glisser ses bas. Nous étions tous les deux nus, l'un contre l'autre. Je me sentais gauche et très impressionné : c'était la première fois que je me trouvais au lit avec une femme qui a l'âge de ma mère et qui a soif de faire l'amour.

À cette époque, je n'avais eu que très peu d'expériences – plutôt médiocres – et je n'avais pas encore le mode d'emploi. Évidemment, c'était l'épreuve du réel : je n'étais pas dans un de ces romans érotiques que je lisais alors (Anaïs Nin, Alberto Moravia, les témoignages des écrivains en herbe d'Union, sans compter les récits de Bukowski comme Women ou Les contes de la folie ordinaire). Il y avait une vraie femme dans mon lit, pas comme dans mes fantasmes ou mes bouquins, et cette interaction ne s'improvisait pas… ou plutôt si, qui s'improvisait, mais j'étais trop stressé ; mon corps bloqué par mon mental ne réagissait pas. Elle devait avoir l'habitude ; elle avait de l'expérience, elle.

Elle devina mon stress et dut certainement s'en attendrir, même si elle n'en dit rien ; elle évita de prononcer tout mot blessant ou qui aurait pu me fragiliser. Elle devait connaître la sexualité masculine (compliquée, quoi qu'on puisse croire) ; elle me prit dans ses bras, me caressa, m'apaisa, fit montre de patience, d'une infinie douceur. Et ça a payé : j'étais en confiance, bien. Mon stress tomba et mon membre monta. Elle m'ouvrit ses bras et ses cuisses ; je vins en elle, c'était si bon… Elle m'enveloppa. Je la travaillais au corps, lentement, sûrement, doucement ; elle prenait du plaisir, un plaisir lent et sensuel.

Je ressortis, descendis plus bas, me plaçai entre ses cuisses. Ma langue et ma bouche lui rendirent hommage, de haut en bas. J'osai cette caresse que certaines jeunes femmes de mon âge trouveraient sale : ma langue courait sur sa vulve, s'insinuait dans l'orifice rose, descendait et fléchait son petit œillet. Elle semblait apprécier, mais n'était pas très expansive, question plaisir (avec l'expérience, j'apprendrai que les femmes sont très différentes, des plus discrètes qu'on entend à peine soupirer, haleter ou gémir à celles qui osent crier au point de vous rendre sourd). Ne la connaissant pas, j'ignorais l'intensité de son plaisir. Mais je faisais durer, car j'aime ça. J'aime donner ainsi du plaisir aux femmes : ça me fait de l'effet, même si je ne ressens pas directement le plaisir, je l'éprouve par empathie, je dirais. Elle ne se plaignait pas de la durée, me laissant faire, ne cherchant pas à m'interrompre (en amour il faut aussi savoir écouter le corps de l'autre et son langage, pas seulement les mots et les cris).

Tout en la léchant, je glissai un doigt en elle, le ressortis, lui caressai l'anus, l'humidifiai ; il entra comme dans du beurre. Elle ne fit aucun mouvement de réprobation. Puis je glissai mon pouce dans l'autre orifice, et tandis que ma langue continuait son ballet sur ses lèvres et son bourgeon, je lui fis des ciseaux. C'était la première fois ; j'expérimentais, si on peut dire, et je ne le faisais pas seulement pour faire plaisir, car j'aime ça, ça m'excite.
Vu la façon dont elle se cabrait, dont son corps se révulsait, elle aimait. Elle jouit.

Nous nous retrouvâmes tous deux assis côte à côté sur le bord de mon lit. En me caressant, elle me dit d'une voix douce que j'aimai :

— Tu m'as fais venir très fort, tu sais…

Je souris ; je la caressai. Elle avait de jolis bras, de belles épaules, un galbe harmonieux.
Elle partit chercher la bouteille de champ que l'on déboucha, et on but notre coupette ainsi, dans l'intimité de ma chambre. J'avais bien compris que ce n'était qu'une pause. Elle récupérait. Et elle savait que je n'avais pas joui.

Nous refîmes l'amour. Je n'avais plus d'appréhension. Elle m'accueillit entre ses cuisses. Je la travaillai au corps, la besognai de plus en plus fort, de plus en plus vite tandis que nos bouches et nos langues se mêlaient. Je passai une main sous ses fesses, trouvai sa petite rondelle, et fis pénétrer mon médius. Elle réagit : elle aimait ça, et moi ça décupla mon excitation.
Je finis par jouir comme un beau diable ; je rugis, me répandis en elle.
C'était une belle journée d'amour.

J'étais attendri. Non, pas amoureux. Je lui demandai si elle ne voulait pas rester dormir là ce soir, mais elle refusa : elle ne pouvait pas, elle avait ses chiens à la maison. Je compris. Je savais qu'elle avait de la route et bossait le lendemain. C'était juste parce que j'avais envie de la garder avec moi dans mon lit étroit d'étudiant toute la nuit, dormir contre elle, et très probablement refaire l'amour dans la nuit. Échapper pour une nuit à ma solitude. Me faire croire le temps d'une nuit que j'étais en couple. Peut-être retrouver les sensations magiques connues deux auparavant avec celle dont j'étais amoureux et qui m'avait quitté au bout de quelques semaines.

Tant pis. Je la raccompagnai au parking de la gare où elle avait laissé sa voiture. Nous nous quittions, mais nous nous reverrions : c'était une belle amitié. À cette époque on ne parlait pas encore de sex friends. Je pensais à l'avenir : renouveler cette expérience érotique, et plus ou moins romantique, de temps en temps avec elle. Je m'imaginais débuter une liaison avec des moments, même peu fréquents, mais volés et magiques.

Nous sommes restés en contact. Nous nous téléphonions de temps en temps, parfois le matin en me réveillant (comme je l'ai raconté plus haut). Nous faisions l'amour au téléphone, et j'allais encore plus loin : elle aimait ça. Je savais qu'elle avait d'autres amants, mais je n'étais pas jaloux, je m'en foutais. Elle était une femme libre que je respectais. Je lui écrivais des petits poèmes (érotiques) et elle faisait de même ; j'appréciais. C'était une vraie complicité entre nous, légère, fragile, et douce.

Elle s'épanchait parfois. Me raconta ses ennuis financiers. Elle avait acheté un commerce à sa fille mais qui ne marchait pas ; elle allait devoir mettre la clé sous la porte. J'en fus profondément attristé car elle semblait très affectée. J'avais mal pour elle. L'entendre pleurer me déchirait le cœur. Nous avions prévu néanmoins de recommencer, de programmer un nouveau rendez-vous coquin, mais les mois ont passé, vite, trop vite.

Lors de mon premier semestre d'internat, dès le premier mois j'ai rencontré ma future femme, future mère de mes trois fils. J'étais plus ou moins amoureux ; du moins, je me le faisais croire. Je l'ai expliqué à Josette. Elle a compris. Et, pour être fidèle à ma nouvelle petite amie, j'ai jeté le numéro de téléphone de Josette. Stupidité, ai-je pensé longtemps après, mais ma future femme était très jalouse, elle. Des mois plus tard je l'ai regretté. Je ne savais pas ce que j'avais en tête alors : commettre une infidélité par téléphone ? Prendre seulement de ses nouvelles, savoir si ses problèmes s'étaient arrangés ? J'avais vraiment de l'affection pour elle, et je m'inquiétais un peu. Que devenait-elle ?

J'ai essayé de la retrouver, par son boulot. Mais je ne connaissais que son prénom et je n'étais pas certain du nom de sa boîte. J'ai essayé, mais personne ne connaissait une Josette là-bas. Raté.


Trente deux ans ont passé. Qu'est-elle devenue ? Je ne le saurai jamais. Si elle est encore en vie, elle doit avoir quatre-vingts ans.

Elle fait partie des passantes de ma vie, avec qui j'ai partagé quelque chose, et ça a compté pour moi. C'était quelqu'un de bien ; ça, j'en suis sûr. Ce n'était pas un grand amour ; mais l'amour que l'on donne, d'une façon ou d'une autre, compte dans la vie d'un homme ou d'une femme. Surtout quand on ne le regrette pas.

Il ne faut jamais rien regretter.