Bonjour les Amis fans d'aviation et de sexe ! Je vous avais promis de revenir avec d'autres rédactions de mes souvenirs.
J'ai dû, pour des raisons familiales, faire une longue pause. À présent, je suis seul. Je vis seul. Ayant déménagé pour m'établir en Limousin, j'ai du temps pour me consacrer à la littérature préférée de notre secrétaire d'État au Ministère de l'Intérieur. Je me doute que, bien que je ne cite pas son nom, que vous savez de qui je parle…
Dans Atterrissage caliente à Fuerteventura, vous vous souvenez qu'à la fin du dernier chapitre je ne restais pas à Concarneau car Eva avait été rappelée pour effectuer un remplacement ; et comme ma situation amoureuse était assez ambiguë, j'ai pris la décision de ne pas rester à Concarneau à l'attendre, mais de remonter avec elle sur Brest afin de rentrer chez moi et retrouver ma chef de cabine préférée. Je pense que vous vous souvenez d'Erika.
J'avais espéré pouvoir trouver un vol direct sur Hambourg, là où j'habitais, mais ce jour-là on aurait dit que toutes les compagnies aériennes s'étaient mises d'accord pour ne pas desservir cette grande ville portuaire du Nord de l'Allemagne.
Bien entendu, selon le dicton « Quand on veut, on peut. » il m'était possible au pis-aller de remonter sur Hambourg ; mais pour cela il m'aurait fallu prendre un Vueling pour Roma Fiumicino, attendre durant trois heures et demie une correspondance pour Vienne sur Lauda Air, et seulement le lendemain matin à 07 h 00 zoulou prendre le vol Vienne-Hambourg sur Austria Airlines. Une véritable usine à gaz !

Lorsque j'arrivai à Brest après avoir souhaité bon vol à Eva, je me rendis auprès de BZH Air Express – une compagnie aérienne pour VIPs que je connaissais déjà – afin de leur demander si, par hasard, ils n'avaient pas un « aspirateur » (jet d'affaires) qui aurait un départ le jour même pour la capitale hanséatique ; mais rien ! Tous les jets taxis étaient dans le Sud de l'Europe.

La secrétaire avait même téléphoné aux divers aéroclubs du coin en espérant qu'avec un peu de chance il y aurait un membre du club qui remonterait sur le Nord de l'Allemagne avec un DR-400 ou un Cessna. Rien ! Nada ! Nothing ! Nitchevo ! C'était la poisse…

Il était 14 h 00. Je me trouvais dans le secrétariat de la compagnie lorsque d'un seul coup la secrétaire s'exclama :

— J'ai une idée, Commandant !
— Ah bon ? Elle est bonne au moins ?
— Je ne sais pas si elle est bonne, mais au moins elle est sûre. Et ça vaut le coup d'essayer si vous êtes d'accord.
— Alors dites-moi, je suis tout ouïe.
— Et si vous preniez un appareil en location ? Vous le laisseriez à l'Altona FlugSchule Verrein. Après, ils se débrouilleraient pour rapatrier l'avion.

Quelque peu perplexe, j'ai demandé :

— Et ça me coûterait combien, cette solution ?
— Il ne faut pas que ce soit vous, personne privée, qui preniez la location mais une personne morale : nous, par exemple. On les connaît et on a déjà fait des affaires ensemble. On vous connaît aussi. Ils nous feront un prix raisonnable, et c'est à nous que vous payerez la location. On vous facturera uniquement les heures de vol, le carburant, l'assurance et les taxes d'aéroport. Les heures de hangar et d'immobilisation, on les fera passer sur notre assurance mutuelle aéro. Vous voulez que je me renseigne ?
— Oui, volontiers ! Merci. Pourquoi pas ? Ça pourrait être la solution.

Une heure plus tard j'effectuais ma visite prévol sur un SOCATA TB-20 Trinidad, un avion de tourisme de fabrication française rapide moderne, et – facteur le plus important – c'était le seul qui restait disponible. Par contre, pour deux heures et demie de vol, j'en avais pour 1 550 Deutsche Marks, que je payai avec ma carte Platinium. Pas donné, le coup de zigounette ! Je me jurai, mais un peu tard, que l'on ne m'y reprendrait plus !

TB-20 Trinidad

Très concentré sur mes contrôles avant départ, je ne m'étais pas rendu compte que Colette, la secrétaire de la compagnie d'avions-taxis, était arrivée à mes côtés.

— Je viens de recevoir un appel : une personne cherche à monter sur Brême. C'est votre route, non ? Et ça vous réduirait vos frais. Vous prenez ?
— Et elle se trouve où, cette personne ? ai-je demandé, surpris.
— Ici, sur Brest. Elle est comme vous. Elle doit être en urgence sur Brême et elle n'a pas de vol régulier aujourd'hui. Elle m'a dit qu'elle travaille comme cuisinière à bord d'un navire-usine qui doit prendre la mer cette nuit.
— Et elle serait ici dans combien de temps ?
— Si vous êtes d'accord, je lui dis de rappliquer dans l'heure. J'encaisse 50 % du prix de la location, et ensuite je vous le crédite sur votre carte.
— C'est OK, mais il n'y a pas le feu au lac ! On lui laisse le temps de venir, à cette dame.
— Vous en avez encore pour longtemps avec votre CPV ?
— Non, j'ai terminé. Le temps de mettre mon « baise en ville » dans le coffre et je rentre prendre un café… si vous voulez bien m'en offrir un, lui ai-je répondu avec un sourire.
— Avec plaisir ! Vous me ferez penser à vous rendre votre carnet de vol.
— Oh, punaise… Je l'avais complètement oublié, celui-là !

J'étais confortablement assis dans un profond fauteuil de cuir noir dans le salon VIP en train d'apprécier un délicieux café noir. La secrétaire me l'avait servi bien corsé : un expresso comme seuls les Italiens savent le faire. J'étais vêtu seulement de mon veston d'uniforme sur ma chemise ; je n'avais pas pris de vêtement chaud. Ça me servira de leçon pour la prochaine fois que je viendrai sous ces latitudes, car à Brest il bruinait.

Avant de venir me réfugier dans le salon, j'étais allé rejoindre la secrétaire dans son bureau. Elle m'avait proposé d'utiliser son ordinateur pour modifier mon plan de vol avec une escale à EDDW (nom de code aéronautique de l'aéroport international de la ville de Brême). Tout fut rapidement réglé, et je n'attendais plus que ma passagère pour pouvoir faire chauffer le moulin.

Une demi-heure plus tard je la vis arriver : une rouquine bien en chair traînant derrière elle une valise qui devait peser dans les 30 kg – poids supérieur à celui qu'autorisent normalement les compagnies commerciales – mais je n'allais pas chercher la petite bête. Je fis un rapide calcul mental. Considérant que mon « baise en ville » devait peser aux alentours de 7 kg, additionné à mon poids et à celui du carburant, il manquait deux inconnues dans l'équation : le poids de la passagère et celui de son bagage. Malgré mes calculs « à vue d'œil », cela restait dans les normes, qui étaient de 280 kg. Par mesure de sécurité, il me faudrait atteindre une vitesse supérieure à 70 nœuds pour amorcer mon décollage, et pour cela il allait me falloir plus de longueur de piste.
Mais revenons à nos moutons.

La jeune femme pouvait avoir 25 ans, pas plus : une gamine. Un tantinet grassouillette à mon goût. Son regard courait, passant tout le salon aux rayons X. Arrivé à la hauteur de votre serviteur, il s'arrêta.

— C'est vous le pilote ? me demanda-t-elle, les sourcils froncés, voulant se donner un air de « Mam'zelle je sais tout ».
— Je vous présente le commandant Paradis, commandant de bord au sein de la compagnie Lufthansa, me présenta la secrétaire qui venait d'entrer. Devant se rendre à Hambourg, il a accepté de vous conduire jusqu'à Brême. Si vous voulez bien me suivre au secrétariat pour terminer de régler les questions administratives… Pendant ce temps-là, le commandant ira ranger votre bagage dans la soute de l'avion.
— Il est loin, l'avion ?
— Non, juste à droite. Vous avez dû le voir avant d'entrer.
— Ah, c'est le petit coucou, là ?
— Le « petit », il peut tout de même emmener trois passagers en plus du pilote, et il vole à plus de 300 km/heure. C'est amplement suffisant pour une distance comme celle que vous allez faire… à moins que vous désiriez un biréacteur ; mais dans ce cas, le prix n'est pas le même et il faudra attendre demain.
— Non ! Non ! ça ira. Mon bateau part demain matin à trois heures ; et puis vous savez, moi, j'y connais rien aux avions. J'ai l'habitude de prendre les gros comme à Air France…

La valise rangée à côté de mon « baise en ville », la porte du coffre à bagages bien fermée, je vis « ma » passagère sortir du bureau en compagnie de la secrétaire.

— Veuillez-vous approcher de l'aile droite, Madame. Vous montez sur le marchepied, posez un pied sur la partie noire de l'emplanture de l'aile et entrez dans l'appareil par la portière du copilote. Une fois à l'intérieur, vous vous installerez derrière…
— Je préférerais m'asseoir à côté de vous.
— Je suis désolé, mais pour des raisons de sécurité il est interdit de laisser un passager s'asseoir sur le siège du copilote.
— Ah, parce qu'il y a un copilote aussi ?
— Uniquement pour les longs parcours. Mais là, nous allons faire seulement un saut de puce. Alors ne vous inquiétez pas, je m'en sortirai très bien tout seul.
— Oh, mais je n'ai pas peur, vous savez… Ce n'est pas pour rien que vous avez quatre galons dorés sur les manches de votre veste !

Après ces dernières paroles flatteuses qui ne me rassuraient pas du tout, je lui montrai en passant le premier comment il fallait qu'elle fasse, et surtout où il ne fallait pas mettre les pieds, car sur une aile d'avion il y a de nombreux endroits très fragiles.

Une fois installé à ma place dans le cockpit – c'est-à-dire à gauche – je lui tendis la main pour la guider. La sienne était gelée. Elle entra dans l'appareil et prit place sur le siège situé derrière celui du copilote. Je remontai le dossier qu'il avait fallu rabattre pour qu'elle puisse passer, vérifiai qu'elle avait convenablement bouclé sa ceinture de sécurité et qu'elle était confortablement assise.

— Sur le siège à votre gauche, vous avez un casque radio. Il vous permettra de converser avec moi si vous avez des questions à me poser. Dans le soufflet du dossier du siège devant vous, vous trouverez un sachet en papier au cas où vous ressentiriez des nausées dues au mal de l'air. Vous avez des questions avant que je mette le moteur en route ?
— Non, ça ira. Merci… Mais il faut que je vous dise : c'est la première fois que je monte dans un avion aussi petit, alors j'appréhende un peu.
— C'est normal : il y a toujours une première fois. On appréhende toujours un peu, mais une fois que l'on est dedans, tout va très bien.
— Je vous fais confiance, Commandant.

Planche de bord et « bête à cornes » (demi-volant) du TB-20 Trinidad

Sur ma gauche, dehors en bout d'aile bâbord, se tenait la secrétaire qui se protégeait sous un parapluie. Son visage était illuminé de rouge par le feu de position situé en bout d'aile. Elle me montra son poing fermé avec le pouce en l'air. Je lui répondis par le même signal, puis je me mis à programmer notre prochain départ en égrenant ma check-list :

— Batterie : on
— Magnéto : on.
Etc.

Ayant allumé toutes les lumières extérieures, je réglai l'hélice tripale sur plein petit pas, appuyai sur le bouton de la pompe à carburant, poussai la commande des gaz un peu en avant puis plaçai la manette du mélange sur « Rich ».
Dans mon casque, la tour venait de me confirmer mon autorisation de roulage jusqu'au seuil de la piste 3.

— Tout va bien, Madame ?
— Oui. Sans problème.
— Alors on y va !

Je tournai la clé sur la position « Start ». Le moteur toussa deux fois puis il démarra en crachant une fumée blanche par les tuyères d'échappement qui sortaient de part et d'autre du capot moteur. Je donnai un peu plus de gaz jusqu'à que mon compte-tour indique 2 000 tours/minute. La fumée cessa. Je donnai un peu plus de gaz jusqu'à que 2 200 tours, tournai d'un cran vers la gauche la clé de contact jusqu'à la position « Run ». Le voyant de l'aiguille du compte-tours ne bougeant presque pas, je réduisis les gaz au ralenti (1 200 tours). Au bout d'une minute à ce régime, la température de l'huile ayant atteint sa température adéquate, je desserrai le frein de parking et donnai un peu de gaz ; l'appareil commença à avancer. Je le dirigeai sur la voie de circulation que la tour m'avait indiquée jusqu'à arriver devant la ligne jaune indiquant que j'allais entrer sur la piste d'envol. Arrêt obligatoire.

J'appelai la tour pour annoncer ma position et demander l'autorisation de décollage ;
elle me donna le feu vert pour le take off. J'avançai sur la piste jusqu'à la zone zébrée où j'arrêtai l'appareil. Je réglai mon altimètre ainsi que les données de pression atmosphérique que venait de me communiquer le contrôleur de l'air, ainsi que les commandes de navigation du pilote automatique puisque j'avais opté pour une navigation en IFR.

— Prête ? demandai-je en actionnant l'intercom.
— Prête ! me répondit la voix de ma passagère dans les écouteurs de mon casque.

J'abaissai les volets à 25 %, poussai les gaz à fond et lâchai les freins. Tel un cheval de course bondissant des starting blocks, le TB-20 s'élança sur la piste. Il tenait son cap. Le badin indiquait 60 nœuds. Vu le poids que nous accusions, je le laissai grimper jusqu'à 80 nœuds avant de tirer lentement la « bête à cornes » en direction de ma poitrine. Le nez de l'avion se leva en prenant une pente ascendante de 30°. J'avais le dos plaqué contre le dossier de mon fauteuil, et on pouvait apercevoir le sol de la piste s'enfoncer sous nous jusqu'à disparaître pour se fondre dans la nature.

Je rentrai le train d'atterrissage et positionnai les volets sur zéro. L'altimètre accusait 1 500 pieds. J'enclenchai le « maintien d'altitude » du pilote automatique que j'avais réglé sur 9 000 pieds, soit 2 543 mètres. J'actionnai également le bouton poussoir du HDG (conservateur de cap) sur 30°, puis réglai la vitesse sur 150 nœuds (280 km/h) et enfin enfonçai la touche marquée AP (auto pilot).

Pour ainsi dire, mon travail était quasiment terminé jusqu'à l'approche de Brême : à partir de ce moment, il ne consisterait qu'à vérifier que tout se déroulait selon la procédure, et à communiquer avec les zones aériennes qui me contacteraient pour identification. Il ne fallait pas que j'oublie de répondre si je ne voulais pas voir un avion de chasse venir me rappeler à l'ordre !

L'avion se stabilisa à 9 000 pieds. Comme j'allais voler en dessous de 10 000 pieds, le règlement international aéronautique m'obligeait à laisser mes phares de décollage allumés. L'appareil avait viré de lui-même pour prendre le cap de 30°. Je réduisis le pas de l'hélice à 50 % et la mixture sur « Poor ». Le compte-tours indiquait 2 500 tr/mn ; il était dans la zone verte. J'avais suffisamment de carburant pour aller jusqu'à Varsovie s'il le fallait.

Je me retournai sur mon siège pour voir comment ça allait avec ma passagère : tout allait pour le mieux car elle avait posé un oreiller contre la vitre de l'appareil et piquait un somme. Comme quoi, le proverbe qui dit « Ce que tu ne vois pas ne t'effraie pas. » est bien véridique !


Le vol se passa comme tout pilote l'aurait souhaité. Le ciel s'était découvert au-dessus des Flandres belges. Par contre, un vent de Nord-Ouest obligeait l'ordinateur du pilote automatique à réaliser de nombreuses corrections afin d'éviter une trop grande déviation par rapport au cap programmé.

Je venais de laisser derrière moi Groningen (au Nord des Pays-Bas) et m'apprêtais à entrer dans l'espace aérien allemand. L'appareil s'inclina sur l'aile droite pour changer de cap. Lorsque le compas annonça 95°, il reprit son assiette. Mes instruments de navigation m'indiquèrent que nous venions d'intercepter la balise ILS de Brême. J'appuyai sur le bouton « APR », et quelques instants plus tard je ressentis que non seulement l'avion changeait de route mais aussi commençait à perdre de l'altitude.

Le contrôleur aérien de Brême m'appela sur la radio pour m'annoncer qu'il « m'avait » sur son écran et que je pourrais emprunter la piste 36 pour atterrir. Je lui confirmai que je ne serais qu'en escale pour déposer une pax (passagère, dans le jargon du métier) qui arrivait de France. Il m'ordonna de rejoindre, aussitôt posé, le parking de l'aviation d'affaires et de ne laisser personne descendre de l'appareil avant l'arrivée de la Grenzschutzpolizei (Police de l'air et des frontières).

Au loin j'aperçus des lumières bleues ; l'avion se dirigeait droit dessus. Nous étions descendus à 3 000 pieds. Je réduisis le pas de l'hélice et abaissai d'un cran les volets. L'aiguille du badin descendit pour se figer sur 95 nœuds.

Les éclairages se transformèrent en une double rangée de lumières vertes qui s'approchaient de nous.

À 1 500 pieds je descendis le train d'atterrissage qui, durant le vol, était rétracté dans des logements situés sous les ailes. Un chuintement hydraulique se fit entendre, et rapidement un claquement me fit comprendre que le train était sorti totalement et verrouillé. La piste avançait de plus en plus rapidement dans mon pare-brise. L'ordinateur de bord se mit à énumérer phonétiquement dans mon casque : « Four hundred…Two hundred… One hundred… Minimum. » Cela signifiait que je devais déconnecter le pilote automatique et terminer la manœuvre manuellement.

Je voyais le sol s'approcher. Je tirai délicatement à moi la « bête à cornes » pour faire mon arrondi tout en réduisant les gaz jusqu'à la position de ralenti. Un léger choc m'annonça que les roues du train principal avaient touché le sol et que je devais pousser en avant le demi-volant afin que la roulette de nez directionnelle touche elle aussi la piste ; je fis cette manœuvre. Tout allait bien. Je tournai le bouton du sélecteur de freinage sur la position « Automatic Brake ». L'avion ayant ralenti à 30 nœuds, je relevai les volets et suivis la direction que m'indiquait une rampe lumineuse filante sur la piste, jusqu'au business parking où je m'arrêtai et coupai le moteur. Un silence bienfaisant !

Ma passagère était réveillée car j'entendis dans mon casque sa voix :

— Nous sommes déjà arrivés ?
— Affirmatif. J'espère que vous avez fait un bon vol, Madame.
— Je ne me suis aperçue de rien ! Aussitôt que vous avez décollé, je me suis endormie jusqu'à maintenant. Ce sont les roues touchant le sol qui m'ont réveillée.

Déjà j'apercevais sur la voie de circulation les lumières bleues du gyrophare de la police allemande qui venait nous souhaiter la bienvenue. Ils garèrent leur véhicule non loin de mon aile gauche. Un agent vêtu de sa veste en cuir noir descendit pour s'approcher de ma portière que je venais d'ouvrir. Il devait avoir la cinquantaine. Il porta la main droite à sa casquette blanche et me demanda :

— Guten Tag, Herr Bord Kapitän! Sprechen Sie Deutsch?
— Ja.
— Ach so! Natürlich, Sie sind Offizier unser Lufthansa! (Bien sûr ! Naturellement, si vous êtes un officier de notre Lufthansa). Vous arrivez de France et vous déposez un passager ?
— Oui : c'est la jeune dame qui est en train de descendre. Elle est « personnel navigant » sur une unité de votre marine marchande, et elle reste ici.

Tout en m'entretenant avec le policier, j'étais descendu de l'avion afin de décharger le bagage de ma passagère. Cette dernière vint nous rejoindre en compagnie d'une Polizei-Beamtin (agent féminin de police) qui était allée l'accueillir du côté droit de l'appareil.
Je posai la valise au sol et refermai le coffre.

— Je suppose que c'est votre mallette, Herr Kapitän, que j'ai aperçue dans le coffre ? me demanda le policier.
— Affirmatif. Le temps de boire un café au terminal et je repars pour Hambourg.
— Vous pouvez venir le boire chez nous, à la Bundesgrenzschutz ; nous vous ramènerons à votre appareil.
— Merci ; ce n'est pas de refus !

Je me coiffai de ma casquette de pilote, fermai les portières de l'avion et rejoignis les policiers, qui déjà avaient embarqué dans leur Mercedes 4×4 la passagère ainsi que sa valise.

L'agent conduisait tandis que sa partenaire était assise à ses côtés à l'avant. Peu de paroles furent échangées durant le voyage jusqu'à notre arrivée dans un bâtiment de deux étages attenant au terminal 3. C'est là que je m'aperçus que la policière parlait un français dont beaucoup de nos compatriotes pourraient s'inspirer :

— Vous parlez très bien l'allemand pour un Français ! me dit-elle en français en souriant.
— Et vous, je ne puis que vous féliciter, Frau Beamtin : vous parlez un excellent français.
— Comment se fait-il que, pilote français, vous travailliez pour la Lufthansa, Commandant ?
— Les vicissitudes de la vie ont fait en sorte que…
— Vous repartez sur la France ce soir ?
— Non : je vais continuer sur Altona, et ensuite rentrer tranquillement à la maison.
— Vous habitez Altona ?
— Non, à côté. À Hambourg, non loin d'Altona.

La conversation dura le temps que je boive le café Tchibo que la police venait de m'offrir. Pendant ce temps-là, je vis comment deux personnels féminins de la douane allemande – qui avait ses bureaux dans le même bâtiment – contrôlaient la valise grande ouverte de mon ex-passagère.

Une demi-heure plus tard, le policier me déposait à côté du TB-20.

Ma passagère profita d'une relève administrative de la police qui lui proposa de l'emmener jusqu'au port de commerce où était amarré le navire sur lequel elle travaillait. Quant à moi, je me trouvai rapidement en bout de piste pour la dernière étape d'une demi-heure de vol jusqu'à Altona.

À l'arrivée, je dirigeai l'appareil vers le hangar de l'Altona FlugSchule Verrein. Je fus accueilli par le responsable de l'aéroclub auquel je remis les papiers et les clés de l'avion après qu'il eut visé mon carnet de vol. Je n'eus pas droit, cette fois-ci, à l'accueil de la police : elle n'avait pas été avisée par la tour de contrôle, étant donné que j'avais fait auparavant une escale sur le territoire allemand.

Ce fut ce même responsable qui, serviable, me conduisit dans son Opel jusqu'à ma voiture qui m'attendait dans le parking du PN (personnel navigant) de l'aéroport Helmut Schmidt à Hambourg ; je fus heureux de retrouver ma Citroën XM V6 Pallas qui m'attendait sagement dans l'un des box affectés à la Lufthansa.

Je retrouvai mon smartphone dans le vide-poche de la voiture et composai le numéro d'Ingrid (ou d'Erika, puisqu'il s'agit d'une seule et même personne : dans le privé c'était Erika, et dans le travail c'était Ingrid). Je laissai sonner plusieurs fois puis, pensant que sans doute elle ne pouvait pas répondre, je raccrochai.

Je sortais du parking quand mon téléphone sonna. Comme j'avais un kit mains-libres dans la voiture, je n'eus qu'à presser un bouton sur la commande du plafond pour prendre la communication. Une voix que j'avais hâte d'entendre tout près de mon oreille en live me susurra :

— Halo, Liebling… Wo bist Du den ?
— Guten tag, Shatz. Je suis ici, à Hambourg.
— Déjà ? Je te croyais dans ta famille…
— Je t'expliquerai. Ma sœur a dû entrer à l'hôpital, et mes parents sont descendus la voir à Lyon. Donc, ne trouvant personne à part la porte fermée, me voilà de retour.
— Ils n'étaient pas au courant de ton arrivée ?
— Non : je voulais leur faire une surprise.
— Tu passes à la maison ?
— Je ne dérangerai pas ? Ton homme est absent ?
— Mon homme ? C'est toi. L'autre, c'est pour la galerie. Je suis seule à la maison. Tu t'arrêtes ?
— Jawohl! Je serai chez toi d'ici une demi-heure.
— Je t'attends. Je prépare à dîner pour ce soir… Et tu sais quoi ?
— Non, mais tu vas me le dire…
— Tu m'as manqué !
— Toi aussi, Chérie.

Je sortis prudemment du complexe aéroportuaire en essayant de me noyer dans la circulation. La nuit tombait tout doucement sans faire d'autre bruit que celui des automobiles sur le boulevard de ceinture. Je pénétrai dans le tunnel qui passe sous le port et m'insérai dans la file de droite car j'allais devoir prendre la bretelle de sortie de cette quatre-voies tout de suite après la sortie du boyau puant les gaz d'échappement.

Au bout de vingt minutes de Stadt Autobahn (autoroute de ville) j'arrivai devant la maison d'Ingrid. La voiture fermée, je sonnai à sa porte. Elle apparut dans l'encadrement, telle une apparition irréelle. Elle portait juste une robe d'intérieur en tissu fleuri, et ses longs cheveux étaient noués de façon à tomber par le côté de sa nuque sur sa poitrine. Sur son visage, un regard chargé d'amour me fit savoir que notre relation ne serait pas une passade. Elle se haussa sur la pointe des pieds et passa ses bras autour de mon cou afin de m'offrir sa bouche légèrement teintée d'un gloss rose.