Il est 20 h 30. Quand elle me montre comment elle s'est habillée pour la soirée, je me dis qu'elle est très belle mais le premier mot qui me vient instantanément, c'est celui que je lui exprime tout de go : « Exquise, tu es Exquise ! ». Elle a tellement bien choisi ses vêtements, elle est classe sans être guindée, sexy sans être vulgaire, juste comme il faut. Elle porte une jolie robe d'hiver beige à manches longues, une paire de collants à motifs ainsi qu'une paire de bottines à talons.

Elle est donc vêtue plutôt simplement mais elle a cette façon de sublimer tout ce qu'elle porte, tout ce qu'elle touche. Ces quelques habits recouvrent un corps sublime dont on peut deviner les formes idéales. Elle est très peu maquillée ; elle n'a pas besoin de passer deux heures devant le miroir pour se faire jolie : elle l'est naturellement, mais j'en reparlerai plus tard.

Je suis perdu dans une drôle d'ambivalence : j'ai envie de lui dire mille choses et en même temps de rester muet de peur de ne pas trouver les mots idoines pour exprimer ce que je pense d'elle. Je la trouve tellement brillante, intelligente et profonde (sans mauvais jeu de mots) que parfois j'en oublie à quel point elle est belle. Oh je sais ce n'est qu'un mot, mais chez elle c'est bien plus que cela : une sorte de définition, de deuxième prénom. Cela fait partie de son identité, c'est indissociable de sa personne.

Je n'ai pas besoin de lui dire toutes ces choses tant je les lui ai récitées (et les lui réciterai encore) dans plusieurs nuances, avec toutes les couleurs de mon admiration. Je lui ai écrit des lettres pour le lui prouver, des poèmes pour la célébrer, et même un peu de prose pour compléter. Elle est une Muse. Grâce à elle, mon imagination est une corne d'abondance ; elle est une source d'inspiration inépuisable. Et ce soir, ce soir, elle est belle, donc elle est sensationnelle et elle bouleverse mes sens.

Elle me remercie mais me précise que je ne suis pas objectif. J'ai horreur de l'entendre dire ça ; je ne la trouve pas brillante et magnifique parce que je l'aime, mais c'est parce qu'elle est brillante et magnifique que je l'aime. Mais cela aussi elle le sait déjà, je ne vais pas le lui redire. Je me contente donc de répondre qu'elle devrait savoir depuis le temps que je le suis toujours, que mes compliments sont tout à fait sincères.

Je la regarde encore et mon esprit commence à s'envoler…

Je m'approche d'elle, presque au ralenti. Je prends ses mains dans les miennes et nos regards se croisent. Nos doigts se croisent et ses yeux se prennent dans les miens. Quelle profondeur ! Je suis pris d'un délicieux vertige ; attiré, je franchis le parapet sentimental et mon visage se penche sur le sien. Nos lèvres s'effleurent, s'aimantent, nos yeux se ferment et je finis de basculer.

Le baiser est tendre et sensuel, à fendre nos défenses. La douceur de ses lèvres me marque autant que leur goût. Nos corps se rapprochent, nos cœurs se serrent, nos chaleurs se mélangent. Toujours en chute libre dans le précipice amoureux, je laisse descendre un peu plus ma bouche qui vient se poser sur la peau gracile de son cou. Je me laisse perdre dans la tendresse de son épiderme. Elle lâche mes mains pour mieux m'enlacer ; je tâche pour le moins de mieux l'embrasser. Je lui murmure des mots d'amour puis, sûr, la pousse contre le mur et lui sers une douce morsure.

— J'ai envie de toi…
— Tais-toi.

Ma parole est ardente, mais son silence, j'adore. On se regarde, corps contre corps. Et ma chute, toujours et encore… D'un signe de tête et d'un coup d'œil, elle acquiesce.

Cette fois, je tombe, mais juste le temps de saisir le bas de sa robe. Comme attaché par un élastique de désir, je remonte, empoignant fermement le tissu. J'ai l'impression de flotter tandis que sa robe se frotte contre elle ; flotter en l'R, frotter contre L. Elle se dévoile à mes yeux qui la dévorent : son collant et son string, puis son ventre plat, sa peau rosée ; un peu plus haut encore, son soutien-gorge, et enfin ses épaules… Le vêtement passe par-dessus son visage. Quand elle réapparaît, sourire aux lèvres, elle me donne un baiser, amusée par mon regard égaré.

Je reprends mes attentions buccales et manuelles sur sa peau soyeuse, sensible, délicate. Je frôle ce corps merveilleux, cet esprit malicieux. À son tour elle m'aide à retirer mon tee-shirt et mon pull. L'attraction est puissante ; nous sommes deux astres nous rapprochant peu à peu, mais il n'y a pas de désastre. Pas de collision mais une collusion : c'est elle et moi contre le reste de l'univers, seuls au monde. Pas d'explosion, juste un amour céleste qui nous inonde.

Son ventre contre le mien, mes mains derrière son dos défont son soutien-gorge. Je le laisse tomber et sens sa poitrine se coller contre mon torse. Un peu de recul… et mes mains font le tour de son corps pour se retrouver sur ses seins. Sa peau est décidément tendre de partout. Dans ma chute infinie je découvre ces deux jolis nuages charnels, jumeaux et ronds, blancs et rosés au centre. Je ne résiste pas à l'envie d'y goûter, du bout de la langue pour commencer puis de ma bouche, entre mes lèvres. Je peux l'affirmer, ces nuages ont un goût céleste, une saveur de paradis.

Ma main, lutine, se hasarde un peu plus bas. La sienne, mutine, vient bloquer la mienne juste avant qu'elle ne s'aventure sous les derniers vêtements qu'elle porte. Je me redresse et la regarde, prêt à m'excuser mais elle me devance et pose son doigt sur ma bouche pour m'intimer le silence. Elle m'accorde un nouveau sourire pour me faire comprendre que tout va bien. Puis elle me prend par la main ; elle veut m'emmener ailleurs. Ainsi, nous nous envolons vers son lit. Il est bien impossible d'avoir le mal de l'air en effectuant ce vol. J'éprouve cependant une réelle et folle ivresse : c'est un vol planant.

Débarrassés de nos derniers encombrants vêtements, nous sommes désormais allongés sur son lit. Nous sommes là l'un pour l'autre, et pourtant nous n'avons jamais été autant l'un contre l'autre. Quel corps ! Quelle beauté ! Son image se dessine dans ma tête et dans mon cœur ; elle est l'exquise esquisse qui me met en extase. Mais finie la poésie, je veux goûter sa peau ici, ici et là aussi.

Je quitte les cieux et ma bouche se pose sur son mont de Vénus, puis ma langue dévale la douce pente pour s'aventurer dans son canyon de chair. Ma langue est une exploratrice ; elle part à la recherche du diamant rose. Alors que, peu à peu, le canyon est envahi par une eau fabuleuse, par l'essence de son plaisir, ma langue-aventurière s'empare du diamant tant convoité. Les effluves de sa source sont enivrants, et la saveur de sa liqueur et de ses chairs intimes sont délicieuses.

Pendant ce temps, mes mains ne restent pas inactives : pour accompagner ses gémisse-chants, mes doigts jouent comme sur un piano. J'enfonce une touche et puis une autre, parfois plusieurs en même temps, et chaque touche ou association de touches produit une note différente. Différente, oui, mais toujours en accord avec le rythme de son corps ; je parcours l'érotique gamme de madame. Mais en cheffe d'orchestre elle fait cesser toutes mes attentions. Je suis surpris et me demande si je n'ai pas fait quelque chose de mal. Mais non… elle veut juste me rendre la pareille.

Je m'installe ; la belle commence son ouvrage. De ses doigts de fée elle fait parler sa magie. De sa bouche elle offre les sorts les plus lascifs et sensuels. C'est que l'exquise extra est aussi experte. Je n'en dirais pas plus sur ce passage afin de mieux le savourer…

Ainsi, après que chacun de nous ait gratifié l'autre de ses attentions buccales et digitales les plus appliquées, nous décidons de faire communier à nouveau nos corps et nos âmes. Je suis allongé sur elle, entre ses jambes sublimes, nos lèvres se joignent, nos yeux s'accompagnent, nos pupilles sont folles, nos langues se cajolent, nos papilles s'affolent. Enfin nous finissons de nous assembler ; nous faisons l'amour. L'expression prend tout son sens ici : nous fabriquons de l'amour en travaillant de concert.

C'est une vraie machinerie : il y a des huiles diverses, des leviers à actionner, des boutons à manipuler, des articulations, des réactions en chaîne, de la chaleur… Cette mécanique érotique, cette fabrique à sentiments est faite de sueur et de charmes. Nous nous affairons, en prolétaires sensuels, en ouvriers de l'amour. Jamais labeur n'aura été aussi fort et empli de passion ; pour un tel job, on a plaisir à travailler plus et l'assurance de gagner plus. Comme pour tout bon travail, il est bon de varier les activités. Ainsi, je me redresse pour la laisser changer de position. Elle s'agenouille alors que…

Bzzz Bzzz… une vibration accompagne la musique qui me notifie que j'ai reçu un message. Je suis de retour chez moi, habillé et seul. Je lis son message : « Tu penses que je vais plaire à Quentin comme ça ? »

Je mets quelques secondes à reprendre mes esprits après cette délicieuse escapade mentale mais je lui réponds : « Je te l'ai dit : tu es exquise. S'il n'est pas capable de le voir, de te voir vraiment, tant physiquement et mentalement, c'est qu'il n'en vaut pas la peine. Mais tu es superbe. »

Elle me remercie et me dit qu'elle doit me laisser pour partir à sa soirée. Ainsi, elle s'en va tandis que je m'installe sur mon canapé, histoire de regarder un film. Je ne suis pas amer, je ne suis pas jaloux : je suis apaisé. Notre amitié est précieuse, et elle nous enrichit l'un et l'autre. Rien n'est possible entre nous, rien ne sera jamais possible. Ce petit rêve n'a rien de prémonitoire, mais ça n'a aucune importance. Mon amour pour elle n'est pas un plan ; je ne cherche pas à la mettre dans mon lit ni à contrôler sa vie. Je n'ai aucun autre objectif que celui de la savoir comblée. Et puis comme le disait Savinien * : « … c'est encore plus beau lorsque c'est inutile. »

* Cyrano de Bergerac