Marie Kubény

Marie Chuicón avait de lointaines origines espagnoles ; elle vivait depuis sa naissance dans le sud de la France, y menant une vie insouciante. Bien sûr, son patronyme lui avait valu de nombreuses moqueries dès le début de sa scolarité : il suffisait que l'instituteur annonce « Chuicón, au tableau ! » pour déclencher un chahut dans la classe.

Elle était parvenue à s'adapter à cette situation et avait même trouvé le moyen d'éviter les moqueries en mettant en exergue les défauts des autres, ce qui lui permettait de détourner l'attention de sa personne. Ainsi, à partir de sa majorité, elle avait pu papillonner à sa guise multipliant les amants tout en donnant l'impression d'être vertueuse en focalisant les regards sur de potentielles rivales.

C'est ainsi qu'elle fit la connaissance de Joseph Kubény, un benêt venu en mission dans la région. Rapidement séduite, elle épousa Joseph et laissa ses ex en Provence pour s'en aller vivre en Bretagne à Pénarbled.

Le couple menait une existence paisible, faisant l'admiration de ses voisins, et leurs deux garçons – Jean-Luc et Jérémy – grandissaient comme les autres enfants du village. Pendant qu'ils étaient à l'école, Marie Kubény s'ennuyait ; alors elle commença à s'investir dans diverses activités au sein de la paroisse. Naturellement, dans le bourg on eut quelques doutes en voyant sa proximité avec le recteur de la paroisse, l'abbé Rézina. Petit à petit, quelques rumeurs commencèrent à circuler, bien que certaines dames patronnesses ne pussent admettre qu'une femme aussi pieuse puisse être vicieuse au point de faire des cochonneries dans la sacristie et le confessionnal.

Marie retrouva bien vite les réflexes de sa jeunesse en essayant de désigner et de dénoncer afin de détourner l'attention qu'on lui prêtait. Elle signalait tout et pas grand-chose : telle personne qui, à son avis, percevait indûment des allocations, ou telle autre, alcoolique invétérée, qui travaillait au noir tout en cumulant les arrêts de maladie. Les organismes sociaux recevaient régulièrement des lettres anonymes ou des appels téléphoniques pour signaler ces méfaits, mais ils avaient beau faire des contrôles : ils ne trouvaient jamais rien de suspect. Finalement, étant parvenus à identifier le corbeau, ils déposèrent plusieurs plaintes à son encontre, appuyées par certains villageois mis en cause.

Marie Kubény eut beau réciter des dizaines et des dizaines de chapelets, prier dévotement, faire des promesses aux saints qu'elle énumérait dans une longue litanie, elle offrait sans vergogne ses orifices à l'abbé Rézina afin qu'il prie pour elle et la bénisse. Cette débauche d'énergie ne servit à rien car elle se retrouva devant les juges du tribunal correctionnel où elle se fit toute petite, redoutant d'aller en prison.

En pleurnichant elle se présenta à la barre où elle reconnut – mais en les minimisant – les faits qui lui étaient reprochés. Elle écouta attentivement le long réquisitoire du procureur de la République qui réclamait une lourde peine à son encontre. Tout en la pointant d'un index vengeur, il termina sa diatribe par cette phrase : « Avec vos dénonciations sans fondement, Marie Kubény-Chuicón, vous l'avez maintenant dans le fondement ! », ce qui déclencha quelques rires dans la salle d'audience.

Son avocat, Maître Octava, déploya des trésors d'éloquence mais ne put prouver l'innocence de sa cliente ; il invoqua alors la clémence de la Cour, qui rendit un verdict somme toute équitable : un an de prison avec sursis associé à une forte amende, ainsi que le dédommagement des parties civiles.

Après ses déboires judiciaires, la vie à Pénarbled était devenue difficile pour Marie Kubény qui encaissait sans broncher les railleries des villageois et les sarcasmes de l'abbé Rézina qui ne voyait plus en elle qu'une misérable pécheresse et n'avait surtout pas envie de se compromettre en sa compagnie.

Le départ des Kubény vers Troudukuville fut accueilli avec soulagement par les habitants du village ainsi que par Marie, qui vit là l'occasion de se refaire une virginité. Très vite, le couple s'inséra dans le tissu local ; et comme ils étaient de bons paroissiens, elle devint très vite – près quelques magouilles – la rédactrice en chef du bulletin paroissial où elle ne manquait pas, à chaque parution, d'insérer une prédiction de Saint Malachie dans un petit coin de la revue.