Déjeuner sur l'herbe
Lioubov14/09/2020Concours d'écriture
Variations autour du « Déjeuner sur l'herbe »
Se soumettre à des contraintes – ou plutôt soumettre sa plume à diverses contraintes – voici un défi propre à mettre en appétit bien des auteurs amateurs (et un peu masochistes, il faut le reconnaître).
Un concours a été proposé sur un site de littérature érotique, avec pour thème Variations autour du Déjeuner sur l'herbe, une œuvre d'Édouard Manet. Comme l'avait précisé son initiateur, le but n'était pas de faire une analyse du tableau ni d'essayer de trouver ce qu'avait voulu exprimer le peintre : il s'agissait simplement d'une image sur laquelle il fallait s'appuyer pour construire une histoire.
Alors, ces fameuses contraintes, quelles étaient-elles ? Les voici :
– Le texte doit faire 1200 mots exactement.
– Phrase d'entame : « En ce bel après-midi d'été… »
– Mots à intégrer : neige, jalousie, myrtille, chatouilles, trésor. Dans cet ordre-là.
– Phrase finale : « … en ce bel après-midi d'été. »
Les résultats ont été proclamés, et – surprise ! – les trois premières marches du podium étaient squattées par des auteurs du Jardin d'Aphrodite ; toutefois, la troisième étant partagée (ex æquo) avec une nouvelle auteure encore inconnue de nous, Sensuelle Émilie, nous ne pouvions pas ignorer son talent ; c'est pourquoi nous l'avons invitée à venir cheminer en notre compagnie dans les allées de cet agréable jardin qui est le nôtre (hé, vous avez remarqué le jeu de mots « jardin / Le Nôtre » ?).
C'est donc quatre textes au lieu de trois que nous vous proposons, bien différents les uns des autres. Alors suivez-nous dans cette clairière ombragée pour y découvrir les visions champêtres de Charline88, Nathan Kari, Sensuelle Émilie, et Lioubov.
En ce bel après-midi d'été, je cadre dans le viseur de mon Nikon D300s quatre personnes : deux hommes et deux femmes. L'une d'elles est nue. Moi, c'est Yanos, homme de 39 ans d'origine grecque. Mais que fais-je là ? Vous pensez que je vais photographier une partouze, n'est-ce pas ? Eh bien vous vous trompez ! J'aimerais vous raconter comment je suis arrivé là, mais vous n'allez pas me croire : c'est tellement incroyable que je ne vous demande pas de prendre pour argent comptant ce que je vais vous narrer. Alors prenez cela comme une belle histoire, rien de plus.
En plus de m'adonner à la photographie, je suis féru de spiritisme. Chaque vendredi, avec quelques amis, nous passons la soirée à interroger les esprits. Notre séance du 17 janvier a dépassé tous nos espoirs : nous avons communiqué avec celui d'un peintre.
En revenant chez moi sur les trottoirs rendus glissants par la neige, je me remémorais les phrases formées par le verre se déplaçant de lettre en lettre : « Édouard Manet », « me représenter sur une toile », « daguerréotype : temps de pose trop long, pas de couleurs », « à votre époque, daguerréotypes perfectionnés ». Lorsque je lui avais demandé comment le rejoindre, il avait évoqué un autre esprit désincarné – celui de Wells –, qui avait vraiment inventé une machine à explorer le temps ; il viendrait me chercher.
Chez moi, incrédule, je me versai un verre de Brockmans, un gin parfumé à la myrtille. J'étais en train de le déguster lorsqu'on sonna à ma porte. Qui osait me déranger ? Je tirai le rideau de ma fenêtre équipée d'une jalousie ; devant ma maison, une sorte de traîneau équipé d'un gigantesque cercle de cuivre sur son arrière. « Merde… ce n'est pas le Père Noël : il est passé depuis trois semaines ! » Je me précipitai à la porte ; un gentleman moustachu s'exprima avec un fort accent britannique :
— Monsieur Yanos, je présume…
— Oui, c'est moi. Que me voulez-vous ?
— Laissez-moi me présenter : Wells. Herbert George Wells.
Je compris que ce n'était pas une blague : H. G. Wells était vraiment là. Enfin, son ectoplasme. Il reprit la parole :
— Monsieur Manet vous attend ; veuillez me suivre, please.
— Un instant ; je vais chercher mon matériel.
Je le rejoignis deux minutes plus tard après être allé chercher mon Nikon, une imprimante thermique, et avoir revêtu mon manteau. Je suivis le gentleman qui m'invita à prendre place sur un siège de son « traîneau ». Il actionna un levier surmonté d'une boule de cristal ; à ce moment-là, tout se brouilla autour de nous puis nous fûmes enveloppés d'un épais brouillard.
Le brouillard s'est dissipé ; nous sommes à présent (ou dans le passé…) au centre d'une clairière inondée de soleil où coule un ruisseau. Je me débarrasse de ma chaude pelisse, tant il fait chaud. La température est tellement élevée qu'une jeune femme est dépourvue de vêtements. « À cause de la chaleur, ou dans un autre but ? »
— Ah, vous voilà ! Vous avez fait un bon voyage ?
C'est un grand type barbu, vêtu de noir, qui m'accueille.
— Euh, c'est déstabilisant, quand même… À qui ai-je l'honneur ?
— Édouard Manet. Vous pouvez m'appeler « Paul », comme mon ami Gauguin ; je préfère. Merci d'avoir donné suite à ma sollicitation.
Il me tend une large patte que je serre avec respect, ému de rencontrer un artiste aussi renommé. Il poursuit en me désignant la jeune femme dénudée :
— Je vous présente mes amis : ma muse, Victorine. Mais elle déteste ce prénom, préférant celui d'Alice.
— Enchanté, Mademoiselle Alice… une véritable merveille !
— Et voici mon ami Louis Leenhoff, que j'appelle « Double L ». Vous comprendrez pourquoi…
— Mes respects, Monsieur.
Paul se retourne pour héler la jeune femme qui trempe ses pieds dans l'onde du ruisseau :
— Hé, Loïse… Héloïse, viens que je te présente à monsieur Yanos.
— Attends, Paul ; je me lave les pieds que ce fétichiste de « Double L » a copieusement arrosés de sa semence. Il m'en a mis une sacrée dose !
Je comprends que leur amitié est « particulière », m'attendant au pire… ou au meilleur !
Paul se rallonge en face de sa muse qui, m'adressant un clin d'œil, écarte largement ses jambes, ne me laissant aucun doute sur la nature de cette amitié : à mon regard s'offre une vulve épanouie d'où s'écoule du sperme qui dégouline le long de ses cuisses. Elle y passe un doigt pour recueillir quelques gouttes qu'elle porte à sa bouche mutine afin de s'en régaler avec un regard égrillard. Je sens une raideur soudaine dans mon pantalon ; si je ne me retiens pas, le petit oiseau risque sortir : un comble pour un photographe !
Paul ne reste pas insensible à ce débordement de sensualité ; s'approchant de sa muse, il s'amuse à lui faire des chatouilles sur le trésor exposé entre ses cuisses qu'elle exhibe sans pudeur aux trois mâles concupiscents. Prêt à s'adonner à une luxure des plus débridées, Paul se remémore ma présence et la raison pour laquelle il m'a fait venir :
— Alors, Monsieur Yanos, qu'attendez-vous pour remplir votre office ?
Me ressaisissant, j'effectue les réglages adéquats sur mon D300s et cadre le groupe ; même si Héloïse ne nous a pas rejoints (« Double L » a dû lui en mettre une sacrée dose pour qu'elle doive se laver aussi longtemps…), le cadrage est optimal ; j'effleure le déclencheur. Par acquit de conscience, je laisse mon doigt appuyé pour prendre en rafale ce tableau champêtre. Quelle différence avec le daguerréotype qui nécessitait jusqu'à une heure de pose pour obtenir un cliché en noir et blanc : mon appareil prend sept photos par seconde, et en couleurs !
J'appelle Paul pour lui montrer le résultat. Il sélectionne une photo que je m'empresse de tirer avec mon imprimante ; époustouflé du résultat, il me félicite :
— C'est vraiment extraordinaire, Monsieur Yanos ; je ne sais comment vous remercier…
Il hésite un moment, puis s'adresse à Alice :
— Alice, viens ici…
Toujours nue, c'est à quatre pattes qu'elle s'approche. Arrivée devant moi, elle s'arrête, attendant les instructions de Paul.
— Aurais-tu une idée, ma chère, pour remercier notre photographe ?
Remarquant mon pantalon toujours distendu par mon érection, elle défait ma braguette, en extrait mon membre turgescent et l'embouche. Quelle douceur… Louis s'approche subrepticement et baisse son pantalon. Je comprends la raison de son surnom : « Double L »… double longueur ! Il insère une verge monstrueuse dans le fondement de ma suceuse qui, sous la poussée, gobe la mienne jusqu'à sa base. Je ne mets pas longtemps pour lui inonder la gorge.
Reprenant mes esprits, je vois Paul tirer des victuailles d'un panier en déclamant :
— Et maintenant, déjeunons… sur l'herbe ! Tiens, cela me donne une idée pour le titre de mon futur tableau.
Maintenant, chaque fois que je me rends au musée d'Orsay, je m'arrête longuement devant cette œuvre et je songe à la délicieuse fellation que m'a prodiguée sa muse Alice pleine de malice en ce bel après-midi d'été.
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