Concours d'écriture

Variations autour du « Déjeuner sur l'herbe »

Se soumettre à des contraintes – ou plutôt soumettre sa plume à diverses contraintes – voici un défi propre à mettre en appétit bien des auteurs amateurs (et un peu masochistes, il faut le reconnaître).

Un concours a été proposé sur un site de littérature érotique, avec pour thème Variations autour du Déjeuner sur l'herbe, une œuvre d'Édouard Manet. Comme l'avait précisé son initiateur, le but n'était pas de faire une analyse du tableau ni d'essayer de trouver ce qu'avait voulu exprimer le peintre : il s'agissait simplement d'une image sur laquelle il fallait s'appuyer pour construire une histoire.

Alors, ces fameuses contraintes, quelles étaient-elles ? Les voici :
– Le texte doit faire 1200 mots exactement.
– Phrase d'entame : « En ce bel après-midi d'été… »
– Mots à intégrer : neige, jalousie, myrtille, chatouilles, trésor. Dans cet ordre-là.
– Phrase finale : « … en ce bel après-midi d'été. »

Les résultats ont été proclamés, et – surprise ! – les trois premières marches du podium étaient squattées par des auteurs du Jardin d'Aphrodite ; toutefois, la troisième étant partagée (ex æquo) avec une nouvelle auteure encore inconnue de nous, Sensuelle Émilie, nous ne pouvions pas ignorer son talent ; c'est pourquoi nous l'avons invitée à venir cheminer en notre compagnie dans les allées de cet agréable jardin qui est le nôtre (hé, vous avez remarqué le jeu de mots « jardin / Le Nôtre » ?).

C'est donc quatre textes au lieu de trois que nous vous proposons, bien différents les uns des autres. Alors suivez-nous dans cette clairière ombragée pour y découvrir les visions champêtres de Charline88, Nathan Kari, Sensuelle Émilie, et Lioubov.

En ce bel après-midi d'été 1863, le soleil resplendit dans un ciel bleu. À l'ombre des arbres, deux couples profitent de la journée autour d'un déjeuner sur l'herbe déjà bien avancé, loin du chaos et de l'agitation des villes.

Deux hommes se font face, assis à leur aise dans l'herbe. Barbes brunes plus ou moins fournies, vêtements chics, les deux ont un air de famille. À la droite du premier, une jeune femme nue est peu attentive aux conversations des hommes. Plus loin, une autre jeune femme se rafraîchit dans une petite source d'eau.

— Alors, Louis, vous vous êtes rencontrés où ?
— Cela remonte aux neiges de cet hiver. La belle Alice m'est apparue comme un ange envoyé des cieux…

Louis détaille cette rencontre miraculeuse tandis qu'Héloïse, la seconde femme, revient vers le trio et s'installe à côté de Louis. Elle commence à jouer avec la cravate de ce dernier.

— En tout cas, nous sommes ravis de vous rencontrer, Alice. N'est-ce pas, chérie ?
— Évidemment, Paul, répond Héloïse.

Alice est peu convaincue, vu le regard hautain que lui porte cette dernière. Mais elle n'en a cure. Ses objectifs sont autres.

À côté, Héloïse, prise par un fougueux désir, s'attaque aux affaires de Louis. L'homme se laisse faire, ravi, sous l'œil attentif de Paul. Peu de temps après, voilà une Héloïse haletante, perchée sur le membre de Louis.

— Une vision qui donne faim ! s'exclame Paul.
— Chère Alice, n'hésitez pas à vous occuper de mon mari avant qu'il ne nous fasse une crise de jalousie.
— Oui, avec plaisir, mais plus tard…

Paul n'insiste pas. C'est un homme de bonne famille. Un Craine comme lui saura se montrer patient. Il se contente pour le moment d'admirer le coït entre son frère et sa femme.

— Alors, cher frère, comment se portent vos affaires ? lâche Louis entre deux soupirs de plaisir.
— Les temps sont durs. Se fournir en coton devient vraiment compliqué. Si seulement Lincoln pouvait lever son blocus : on pourrait au moins en faire importer d'Amérique. Je vais tout de même réduire mes frais en me débarrassant de main-d'œuvre.
— Êtes-vous vraiment obligé de licencier du personnel ? interroge Alice.
— Si je ne veux plus être en déficit dans le textile, oui ; mais sinon, ce n'est pas vital. Avec mes autres industries, je suis encore loin de la faillite.
— Alors pourquoi licencier ces pauvres gens ? Ils vont se retrouver sans salaire en ces temps difficiles.
— C'est une plaisanterie ? réagit Héloïse. Parce que je ne la trouve pas vraiment drôle.
— Chère Alice, s'étonne Paul, le but d'une entreprise est de gagner de l'argent.
— Mais que vont devenir vos employés ?
— Cela suffit, femme ! s'emporte Louis. La gestion des affaires familiales ne vous regarde pas.

Alice n'insiste pas. Héloïse lui lance un regard mauvais et un petit sourire moqueur avant d'embrasser à pleine bouche son beau-frère. Elle ondule maintenant rapidement sur le sexe masculin. Leur coït arrive à son terme.

— Voulez-vous de ma tarte aux myrtilles ? propose Alice. Je l'ai préparée moi-même d'après une recette de ma tendre mère.

Héloïse laisse échapper un petit rire moqueur.

— Voilà qu'elle fait elle-même ses tartes comme une vulgaire miséreuse… Tss ! N'aviez-vous pas de domestiques là d'où vous venez ?
— Allons, Héloïse, ne soyez pas impolie avec l'amie de mon frère ! Bien entendu, ma douce Alice, nous prendrons une part. N'est-ce pas, mon amour ?
— Oui, volontiers, concède Héloïse.

Alice sourit. Elle découpe avec lenteur trois parts qu'elle dispose dans des assiettes et les distribue aux autres. Héloïse, d'une humeur suspicieuse, observe la part. Elle y plante une petite cuillère d'argent, et d'une geste raffiné gobe une bouchée du dessert. Son expression hésite entre afficher son plaisir gustatif et critiquer par mauvaise foi les talents culinaires d'Alice.

— Vous ne prenez pas de part ? s'étonne Paul.
— Non ; j'ai assez mangé. Et puis j'étais plutôt tentée par une autre sucrerie.

Alice accompagne sa réponse d'un regard de braise et, adoptant une allure féline, s'approche de lui à quatre pattes. Une main se pose sur la cuisse de Paul et glisse vers son entrejambe. L'homme frémit d'excitation. Son frère lui envoie un clin d'œil complice tandis qu'Héloïse observe la scène sans cacher son mépris.

— Laisse-la faire, Paul, lui conseille Louis. Sa bouche fait des merveilles !
— Tss ! peste Héloïse. Avec la bouche ? À la façon des femmes de petite vertu ?
— Je n'ai jamais trouvé d'homme à s'en plaindre… sourit Alice.

Paul non plus n'irait se plaindre, bien au contraire. Il se défroque et laisse son sexe s'étendre de tout son long. Son fruit violacé est gobé par la bouche gourmande de la jeune Alice. L'homme frémit d'extase.

— Quel régal ! s'exclame-t-il.
— La tarte aussi, ajoute Louis. C'est comme des chatouilles sur ma langue.

Curieux, Paul en introduit un morceau dans sa bouche, qu'il m'astique avec véhémence.

— En effet, c'est un ravissement pour les papilles ! Je n'ai jamais rien mangé d'aussi bon, ma douce Alice. Qu'avez-vous mis pour qu'elle soit si délicieuse ?
— Un ingrédient secret, mon cher…
— Mais quel est-il ? Dites-moi tout, je veux le savoir !
— Si je vous le disais, ce ne serait plus un secret.
— Dites ! Je vous jure que nous emporterons votre secret dans la tombe.

Alice s'étrangle de rire et retourne pourlécher le gland soyeux de Paul. Héloïse commence à se sentir nauséeuse. Sa tête lui tourne et son ventre se tord de douleur. Une remontée gastrique la prend. Elle se précipite vers le lac et vomit.

— Qu'y a-t-il, mon trésor ? s'inquiète Paul.

À regret, il abandonne la bouche soyeuse d'Alice et se précipite vers sa femme qui gémit de douleur. Louis le suit. Alice, sourire aux lèvres, se contente de piocher quelques fruits dans le panier.

— Mais c'est du sang ! remarque Paul, stupéfait.

Héloïse se tord dans tous les sens et finit par perdre connaissance. Les deux hommes tentent en vain de la ranimer jusqu'à ce que, derrière eux, le rire satisfait d'Alice leur glace le sang.

— Vous vouliez connaître mon ingrédient secret ? Une bonne dose d'un cruel poison !
— Quoi ? s'effraie Paul. Mais pourquoi ?
— Vous vous souvenez d'Émile Louviers ? Vous lui avez proposé de monter une affaire avec vous mais vous lui avez, à la place, tout pris, jusqu'au dernier sou. Anéanti, il n'a plus eu la force de vivre. Moi, je suis sa fille.

Les deux frères tombent à genoux. De monstrueuses crampes d'estomac les font souffrir. Leur regard est affolé. Louis est le premier à cracher du sang.

— Vous n'êtes qu'une bande de parasites ! Avides de richesses, vous exploitez les autres sans vous soucier des dégâts que vous occasionnez ! Vous détruisez tout sur votre passage. Espériez-vous vraiment que jamais justice ne serait rendue ?

Les frères Craine ne répondront jamais. Leurs corps gisent maintenant sans vie près du lac. Alice lève le visage vers le ciel et sourit, fière d'elle. La vengeance est un plat qui se mange froid, et le meilleur qu'elle ait dégusté en ce bel après-midi d'été.

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