Scène 15

Le lendemain, tôt dans la matinée, e-nana arrive chez les vieux. Elle sonne à l'entrée du pavillon ; Jean-Paul ouvre la porte en pyjama. Il a l'air surpris d'une arrivée si matinale.

Jean-Paul

Ben…

e-nana (entrant précipitamment sans dire bonjour)

Tes potes sont là, j'espère ; on n'a pas beaucoup de temps.

Jean-Paul

Qu'est-ce qui se passe ?

e-nana

L'émir prend son avion plus tôt que prévu. Dans deux heures il sera hors de portée de ma connexion.

Jean-Paul

Ben, je croyais qu'on pouvait avoir une connexion même à l'autre bout du monde, moi.

e-nana

Pas pour ce qu'on veut faire.

Rappliquent Lino en robe de chambre et Bernard en pyjama.

Lino

T'aurais pu téléphoner avant, quand même, on aurait été présentables.

e-nana

En ce qui me concerne, vous pourriez bien être tous les trois en calbut que ça ne changerait rien, du moment que je peux opérer comme je veux. Vous avez l'ordi ?

Lino

Oui, tout est prêt. Tu veux un jus ? Bernard va faire du café.

e-nana

Très serré, sans sucre, merci.

Bernard (encore ahuri)

Ah… ouais… bon…

Jean-Paul

Y'a plus qu'à verser, Bernard ; je l'ai mis à couler avant de faire mes pompes. (Il roule des mécaniques devant une e-nana indifférente.) Dans ma partie, faut savoir rester en forme.

e-nana

Dans la mienne, il faut avoir un cerveau. Bon, vous avez les codes d'accès de vos comptes pour transférer le pognon ?

Lino

Tout est à côté de l'ordinateur.

e-nana

Putain, il en met un temps à s'allumer…

Lino

Ben, il est plus tout jeune non plus…

Jean-Paul

Il est comme nous, il a beaucoup servi.

e-nana

Il est bon à jeter, oui… Vous avez quoi comme connexion ? La fibre ?

Lino

Je sais pas… C'est des fils qui sont reliés au machin là-bas.

e-nana

Putain… Bon, ça marche, c'est toujours ça.

Bernard se pointe avec les cafés. Le générique de Goldorak retentit alors ; tous se regardent, interloqués, sauf Lino qui va chercher son portable. Pendant qu'il décroche, Jean-Paul et Bernard font des mimiques et se foutent de sa gueule.

Lino

Oui. Oui ? Ah ben ça, alors, si je m'attendais… Comment tu vas ma p… Oui ? Oui, pourquoi ? Ah… Ah… Ben, tu peux pas mieux tomber… OK. Merci.

e-nana (devant Jean-Paul et Bernard hypnotisés par l'écran)

Et voilà. Maintenant, il n'y a plus qu'à appuyer sur Enter et hop, le pognon rappliquera immédiatement sur votre compte. Attention : trois… deux…

Lino (un flingue à la main)

On se calme. Personne n'appuie sur rien du tout.

Jean-Paul

Ben quoi, Lino, y'a un problème ?

Lino

Ouais… Tout le monde va s'asseoir gentiment autour de la table. Je crois que mademoiselle a oublié comme deux ou trois petits détails…

Tout le monde s'assoit gravement ; Bernard et Jean-Paul on tout de même enfilé avant leur holster avec leur arme à l'intérieur.

Jean-Paul

Ben alors, on écoute…

Bernard

Ouais, va falloir nous affranchir… Y'en a marre qu'on nous dise jamais rien.

Lino

Il semblerait qu'une fois l'argent sur notre compte, les informaticiens de l'émir pourraient facilement remonter jusqu'à nous, m'a-t-on dit…

e-nana

Oui, en effet.

Lino

Tu nous avais pourtant affirmé le contraire.

e-nana

Je voulais pas vous faire flipper, c'est tout. En réalité, au lieu d'effacer vos coordonnées, j'aurai tout transféré automatiquement sur le mien qui est crypté et totalement indéchiffrable.

Jean-Paul

Et tu aurais disparu en emportant tout le pognon ! C'est pas gentil, ça…

Bernard

C'est surtout pas loyal ! Bute-la, Lino. J'avais dit de pas faire confiance aux bonnes femmes.

e-nana

Et vous auriez eu votre part : je vous l'aurais envoyée.

Lino

Par la poste, c'est ça… Et le papier alu, il plie la marmotte à l'intérieur du chocolat ?

Jean-Paul

Ouais, notre part, ça aurait été les emmerdes avec les loufiats de l'enturbanné. Mademoiselle e-nana, vous avez un sens du partage qui frôle l'injustice…

Bernard

Bon, on lui règle son compte à la morue ?

e-nana

Attention, les ancêtres : si vous me flinguez, vous dites adieu au grisbi pour toujours.

Bernard

On dit surtout adieu aux emmerdes !

Jean-Paul

Là, Bernard, j'ai beau avoir plus le souci des convenances que toi avec le beau sexe, je dois bien reconnaître que ce que tu dis est plein de bon sens.

Lino

Mademoiselle, le tribunal a rendu son verdict à l'unanimité : la cour vous déclare coupable et vous condamne à la peine…

Fracas ! La porte vole en éclats et Brodsky apparaît, un flingue dans chaque main, accompagné de Mériade, armée elle aussi. En une fraction de seconde, toutes les armes sont sorties et tout le monde braque tout le monde, sauf e-nana, toujours calme et assise sur sa chaise.

Brodsky

Pas si vite, Messieurs… Vous avez oublié d'écouter la plaidoirie de la défense.

Lino (à e-nana)

Je vois que vous aviez prévu la cavalerie.

Mériade

Non, la greluche ne nous avait pas invités. Mais je crois que nous arrivons au moment où une grave erreur allait être commise.

Lino

On vous écoute.

Mériade

Je suis contre la violence. On ferait peut-être mieux de ranger nos jouets à leur place et d'essayer de sortir de tout ça par le haut.

Jean-Paul

Je suis pas contre ; si on pouvait palper du blé sans tuer personne, ça serait l'idéal.

Lino

Je suis pas contre non plus.

Les armes rentrent dans leur fourreau.

Bernard (rangeant son arme à regret)

Je suis… bon.

Mériade

Allons-y sans détours. Au départ, nous avions l'intention de vous surprendre tous les quatre et de vous forcer à envoyer l'argent sur le compte crypté que voilà.

Brodsky

Seulement, il semblerait qu'il y a embrouille… Mademoiselle veut se la jouer perso, et vous aviez sorti votre artillerie. Donc, notre coup foire. Mais nous sommes là quand même ; nous avons des armes, et un compte qui a faim…

Mériade

Votre compte, Messieurs, est inutilisable sans risques énormes. Donc, on l'oublie. Si nous laissons e-nana virer le flouze sur le sien, adieu veaux, vaches, cochons, poulets… Donc la seule solution, c'est d'opérer ce virement sur notre compte à nous.

Lino

Génial, en effet : vous empochez tout, et on se fait enfler !

Brodsky

C'est là que vous vous gourez, les mecs… En échange, on vous file ça.

Il sort une liasse de papiers.

Lino

C'est quoi ?

Mériade

Les titres de propriétés de La Divine Omphale

Jean-Paul

Ça vaut pas les millions de l'émir…

Brodsky

Mais ça vous évite de foutre le camp à l'autre bout du globe. L'affaire marche du tonnerre : vous vous refaites une santé dans un milieu que vous connaissez, vous collez une plaque en souvenir de l'ancienne proprio, et toi, Bernard, tu redeviens le Tsar de La Courneuve.

Bernard

J'avoue que tu dis pas que des conneries, Brod'.

Mériade

Je vois qu'on est d'accord…

e-nana

Moi, je ne suis pas d'accord. Je gagne quoi dans tout ça ?

Lino (sentencieux)

La vie sauve. Je suis d'accord, Mériade.

Mériade

Bien. L'opération peut se faire depuis n'importe quel ordinateur. Et comme je doute que cette garce ne se mette à table sans y être fortement motivée, nous allons l'emmener avec nous. Brodsky, donne-leur les titres en échange.

Lino

Non, Mériade ; e-nana reste vivante, et intacte. L'opération se fera d'ici.

e-nana

Je veux 30% de l'opération.

Mériade (lui assénant une gifle retentissante)

Tu n'auras rien du tout, espèce de salope !

Lino sort son flingue, Brodsky sort le sien en même temps et tout part en sucette. On voit e-nana tomber en arrière, Lino touché à l'épaule, Mériade en pleine poitrine. Bernard, qui n'a pas eu le temps de sortir son arme, prend une balle en plein front ; Brodsky prend deux balles dans l'estomac.

Jean-Paul (touché à son tour)

Aaaah… c'est trop con !

Lino se relève difficilement ; il saigne beaucoup de l'épaule. Il cherche son portable qui se trouve sur le bureau. Soudain, e-nana apparaît devant lui, armée et indemne.

e-nana

Pourquoi crois-tu que j'étais si calme, papy ? Combinaison de moto pare-balles, indestructible. Allez, fais tes prières !

Lino ferme les yeux et se parle à lui-même (gros plan sur son visage).

Lino

Allez, qu'on en termine ; de toute façon, ça fait déjà longtemps que je suis mort. On était plus dans le coup, ni Bernard, ni Jean-Paul, ni aucun des anciens dinosaures. Ouais, c'est ça, j'étais le dernier dinosaure, et je voulais pas quitter la scène… Toujours à vouloir aller au bal… Le bal des baltringues, oui.

Un coup de feu claque.

Lino

Alors c'est ça, la mort ? Je vois pas pourquoi on en fait toute une histoire… On ne sent rien du tout, c'est comme avant… sauf que si j'ouvre les yeux, je ne sais pas ce que je vais voir… si c'était vrai tout ce qu'on raconte sur l'enfer et le paradis. De toute façon, maintenant, il est trop tard pour reculer. Allez, ouvre les yeux, Lino, courage…

Lino ouvre les yeux et découvre le Doc qui constate la mort de e-nana, le crâne explosé. Derrière lui arrive Charline/Lulu qui vient prendre Lino dans ses bras et sort en le soutenant tendrement. Le Doc s'apprête à sortir lorsqu'il voit les titres de propriété par terre. Il se baisse pour les ramasser et sourit, puis il rejoint Lino et Lulu.