Scène 1

  • Jean-Paul : Jean-Paul Belmondo
  • Bernard : Bernard Blier
  • Lino : Lino Ventura
  • Brodsky : H.P. Brodsky
  • Charline : Charline88
  • Doc : Doc77
  • Hidden Side : Hidden Side
  • Pat le Vilain : Hpassage
  • e-nana : Inanna
  • Lioubov : Lioubov
  • Mériade : Mériade

Avec l'aimable participation d'Alfred Hitchcock et quelques autres surprises.


Bernard

Et alors ?

Court silence médusé de la part des deux auditeurs, puis…

Lino

Et alors c'est du suicide, ton truc.

Bernard

Mais…

Jean-Paul

Lino a raison. On dirait que depuis que t'es sorti de prison, t'as plus qu'une seule idée : y retourner.

Lino

C'est pas pour te fâcher Bernard, mais enfin… il serait temps que tu apprennes que pendant tes quinze ans de cabane à la Santé, il y a quelques petites choses qui ont changé.

Jean-Paul

Ouais, et on a beau être prétendument en démocratie, figure-toi que personne ne nous a demandé notre avis.

Lino

Ça, faut reconnaître qu'on frôle l'abus de pouvoir dans bien des cas. Et pourtant, mon Bernard, tu le croiras si tu veux, il n'y a pas eu de révolte.

Jean-Paul

C'est fini le monde des hommes, des vrais… Aujourd'hui, y a plus que des tafioles en couverture des magazines.

Bernard

Dites donc, les mecs, vous avez envie de me faire devenir dépressif ou quoi ?

Lino

Écoute, le prends pas mal, mais ton plan, il est foireux de A à Z. À supposer qu'on neutralise les vigiles de l'entrée assez rapidement pour entrer dans la banque avant que le personnel alerté par le bruit ne verrouille les portes, à supposer qu'on neutralise les caméras en moins de quinze secondes – ce qui est impossible –, de toute façon quelqu'un aura appuyé sur le bouton qui permet d'alerter les flics. Et en moins de trois minutes, la banque sera cernée.

Bernard

Et c'est ça qui vous arrête ? Ah, ben oui alors, je m'aperçois que les choses ont changé en quinze ans. À l'époque, ça ne vous aurait pas arrêtés, ce genre d'obstacle ; vous auriez pris ça comme un défi, fait marcher votre intellect, trouvé un plan, et on aurait monté un coup magistral. On était des princes à cette époque, en première page des journaux du soir ; les journalistes nous donnaient des surnoms, et quand ça ne nous convenait pas, il suffisait de leur téléphoner pour qu'ils les modifient selon nos volontés. Il y a quinze ans, ça ne vous aurait pas fait peur de monter un coup pareil…

Jean-Paul

Il y a quinze ans, il y avait encore du fric dans les banques… Là, mon Nanard, ce que Lino essaie de t'expliquer gentiment, c'est que tu vas monter tout ça pour rien. Allez, mille biftons maximum, et encore… Le personnel n'a plus accès aux coffres. Tout le fric est versé dans les distributeurs de billets, et si tu tentes de les percer il y a un système automatique à l'intérieur qui crame le pognon.

Bernard (les yeux exorbités)

Ils crament le pognon… Non mais, t'es sérieux ?

Jean-Paul

Tu connais les riches ; tu sais comment ils sont jalminces dès qu'un pauvre bougre touche un loto. Un riche, c'est comme un pervers narcissique : il préfère cramer la liasse de billets qu'il a pour ne pas te rendre les cinq euros qu'il t'a volés.

Bernard

NON ? Mais ça n'a aucune logique, tout ça…

Lino

Oh si, ça en a une… La preuve, plus personne ne braque les banques aujourd'hui.

Bernard

Ben on fait quoi alors, si on peut plus braquer honnêtement ?

Jean-Paul

On fait comme tout le monde : on se trouve un stage de reconversion.

Bernard

Et tu t'es reconverti dans quoi ?

Jean-Paul

Y des tas de stages disponibles : dealer, fourgue, homme de main pour une mairie…

Bernard

Pour une mairie ?

Jean-Paul

Ouais, c'est un contrat aidé, donc en partie payé par l'État, et ça consiste à péter la gueule aux colleurs d'affiches des partis ennemis. Mais c'est payé des clopinettes…

Bernard

Mais… c'est du déclassement social !

Lino

Ah ça, je suis bien d'accord… De mon côté, pas question que je m'abaisse à ça. Braqueur je suis, braqueur je reste.

Bernard

Ben alors, tu braques quoi ?

Lino

Des supermarchés, des bureaux de tabac… Je ne dis pas que je ne suis pas touché par la crise, mais au moins je continue de faire vivre mon corps de métier et je reste seul maître à bord. Cela dit, il faut bien reconnaître que c'est de plus en plus difficile pour les petits patrons.

Jean-Paul

Y a plus d'ennemi public numéro 1 aujourd'hui… Ou alors, il faut verser dans le terrorisme. Mais ça, ça ne rapporte rien… C'est pour les idéologues.

Bernard

Tu veux dire Action directe, les Brigades rouges, tout ça ?

Jean-Paul

Non, non… Les anars et les cocos ne font plus la une. L'idéologie nouvelle aujourd'hui, c'est Dieu. La bande à Tartuffe a remplacé la bande à Baader. Leur cri de ralliement, c'est Allah Akbar, alors que nous c'était plutôt…

Lino

À la buvette !

Bernard

Non mais, j'hallucine ! Vous êtes en train de me dire que nous, les Français, les inventeurs de Fantômas, de Rocambole, d'Arsène Lupin et des Pieds nickelés, on ne serait plus capables de monter un casse à la Spaggiari ?

Lino

Eh oui, mon Nanard… « Sans haine, sans arme, sans violence… » C'est fini tout ça.

Bernard

Alors il n'y a plus qu'à se pendre ou faire la manche, si j'ai bien compris.

Jean-Paul

Faire la manche, faut pas y compter non plus : c'est le domaine réservé des sans-papiers. Quant au suicide, c'est pas ça qui te rendra riche…

Bernard

Je vois… Mais alors dis-moi, Monsieur qui critique tout, on fait quoi ?

Lino

Ben… Y a bien un truc, mais attention, hein, c'est juste une hypothèse de travail.

Bernard

Ben, vas-y toujours…

Lino

Faudrait qu'on se lance dans le hacking.

Bernard

Non, les mecs, désolé : la drogue, c'est un truc de tapettes !

Lino

T'emporte pas, Nanard, et écoute bien. Je te parle pas de came, je te parle de piratage informatique.

Bernard

Tu veux voler des ordinateurs ?

Lino

Non, je te parle d'entrer dans les systèmes informatiques afin de voler leurs données, tout ce qui s'y trouve, quoi…

Bernard

Les photos de famille et les images de cul… Mais qu'est-ce que tu veux faire avec ça ?

Jean-Paul

Bon, je te résume, en gros… Aujourd'hui, si tu veux braquer quelqu'un, plus besoin de s'introduire chez lui et de forcer son coffre. Tu entres dans son ordinateur et…

Bernard (les yeux écarquillés)

Dans son ordinateur ?

Jean-Paul

Bon, je laisse tomber, Lino ; il est vraiment trop con !

Bernard

Non mais, tu cherches des noises, toi ! Tu parle d'entrer dans un ordinateur et tu me traites de baltringue par-dessus le marché alors que c'est toi qui devrais prendre pension à Sainte-Anne.

Lino (exaspéré)

Écoute, Bernard, je comprends que tu sois dérouté. Tu ressembles à un type qui a fait un long voyage autour d'Uranus et qui reviendrait sur Terre en ne comprenant plus rien au monde dans lequel il débarque. Alors juste pour me faire plaisir… ferme ta gueule, et écoute. Je suis comme toi, et Jean-Paul a beau ricaner, il est aussi pas mal largué dans le domaine, mais aujourd'hui la technique permet de piquer du pognon (et là je te parle de sommes énormissimes, attention) sans bouger le cul de chez soi. Sauf que pour ça, il faut être affranchi en informatique. Alors je te dis, oui, il y a un moyen de faire un coup mythique. Mais on ne pourra pas se la jouer à trois comme au bon vieux temps. Il nous faut du renfort.

Bernard

Tu veux contacter Le Vieux ?

Lino

Non, J.G. s'est retiré des affaires au Panama. Et puis de toute façon, aujourd'hui il serait aussi largué que nous. Non, j'ai pris contact avec une e-nana.

Bernard

Une quoi ?

Jean-Paul

En informatique, on utilise un langage spécial. On ne dit plus une « lettre » ni un « courrier », on dit un « e-mail », on ne dit plus un « livre », mais un « e-book », on ne dit plus une « nana », mais une « e-nana ». Ben quoi ? Qu'est-ce que t'as à me regarder comme ça ?

Bernard

Une inana… Mais vous vous rendez compte de ce que vous dites ?

Lino

Ben quoi ?

Bernard

De mon temps, quand les hommes parlaient boulot, les gonzesses sortaient de la pièce. Et là, vous m'expliquez benoîtement qu'il faudrait faire confiance à une donzelle, virtuelle qui plus est.

Jean-Paul

Elle n'a rien de virtuelle, crois-moi. Je la connais ; j'ai pris un verre avec elle l'autre jour, et comme disent les jeunes, « elle assure sa race ». En plus, elle est pas mal…

Lino

Pas mal, pas mal… Elle ne vaut pas Lulu la Nantaise.

Bernard (rêveur)

Ah… Lulu la Nantaise… Elle bosse toujours à La Violette Noire ?

Lino

Non, elle s'est retirée il y a trois ans. Ça a été racheté par une certaine Mériade, qui a changé le nom de la boîte. Comment ça s'appelle déjà…

Jean-Paul

La Divine Omphale. C'est sympa si tu aimes le latex, mais le zig qui sert de portier est une sorte de Russkof patibulaire qui se fait appeler Lioubov. Un oxymore à lui tout seul, le mec…

Lino

Bon, la e-nana sera là d'ici un quart d'heure ; ça nous laisse le temps de boire une bière. On l'écoute poliment, on ne fait pas de remarques sexistes, on la laisse partir, et puis après on en discute. Tout le monde est d'accord ?

Jean-Paul

Et comment que c'est d'accord !

Bernard

Ouais…

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