Chapitre 1

Les derniers jours de juin étaient chargés d'humidité. Il avait plu depuis une bonne semaine et la chaleur moite de ce petit dimanche matin avait quelque chose de brumeux. Depuis plus d'une heure, Claude vaquait aux tâches domestiques. Puis les cloches de l'église se firent entendre distinctement, appelant les fidèles à la messe dominicale. Les fidèles ? Une poignée d'irréductibles qui tenait bon et allait de paroisse en paroisse. Les curés ou abbés devenant rares dans les campagnes, le même devait officier dans six ou sept églises par roulements, selon un plan bien établi par le diocèse.

Le son de cet appel à la prière semblait si proche que cela ne pouvait signifier qu'une chose : il allait faire beau. Michel dormait encore ; le jour du Seigneur restait pour lui un moment paisible, de relaxation. Mais Claude, elle, avait une idée bien arrêtée sous sa superbe chevelure brune. Elle revint dans la chambre sans bruit pour y récupérer un polo à longues manches de son mari. Elle ressortit sans que le corps allongé n'ait seulement tressailli. Le sommeil du juste, après un début de nuit plutôt agréable. Claude eut une pensée autant pour la soirée que pour les tendres effusions qu'ils avaient échangées, partagées avec bonheur.

Sur la table de la cuisine, près du bol vide qui attendait la levée du corps, elle posa un morceau de papier griffonné à la hâte ; sur celui-ci étaient notés ces mots : « Je suis partie faire un tour ; je rentre pour le déjeuner. » En jean et polo, elle se chaussa d'une paire de souliers bien solides. Là où elle se rendait, ils ne seraient pas de trop. En traversant le garage, elle s'empara d'un panier en osier et jeta son Opinel fermé au fond de celui-ci. Il serait utile si d'aventure… Voilà, c'était parti pour quelques heures de solitude.

Il y eut tout d'abord le lac à longer pour ensuite se faufiler sur un sentier qui partait vers les pentes forestières. Elle savait exactement où aller, et chaque nouveau carrefour ne l'inquiétait nullement. Ses pas alertes la menaient tout droit là où son esprit lui dictait de se rendre. Au-dessus de sa tête, les bras multiples des sapins zébraient le ciel de leurs nuances de verts sombres. Mais ce que Claude cherchait ne serait jamais en l'air et ses yeux se perdaient sur un sol à l'humus épais. Elle souriait, heureuse de cette promenade insolite.

Un court instant, elle revit les tendres gestes nocturnes de son Michel. Dormait-il encore ou bien s'était-il levé ? De toute façon, il saurait bien comprendre qu'elle avait besoin de se dégourdir les jambes. Au creux de ses reins, en mémoire et tellement présentes, leurs frasques amoureuses se rappelaient à son souvenir. Quand avait-il dérivé ? Et cette fessée qu'elle avait reçue, quand l'avait-il décidée ? C'était de toute évidence prémédité, et elle avait – comme d'habitude – aimé cela.

En fait d'habitude, ça n'arrivait qu'une fois ou deux par an, mais elle en adorait le principe. Et alors qu'elle s'y attendait le moins, ses mains lui avaient chauffé le derrière ; de simples prémices à ce qui avait suivi. Ah, leur chambre à coucher, si elle pouvait parler ! Elle en aurait, des bêtises à raconter.

Au milieu d'un raidillon plus prononcé, la femme s'arrêta un moment, écoutant le faux silence environnant. Finalement, elle et son Michel avaient tout pour être heureux ; oui… tout !

Lui, qui venait de finir son année de bâtonnier au tribunal, avait désormais un peu plus de temps libre : il lui était ou serait destiné tout entier. Elle, depuis son mariage, s'occupait des intérieurs des autres : améliorer, rendre plus agréable leur cadre de vie. Ils la payaient bien pour cela. C'était un amour de boulot qu'elle affectionnait par-dessus tout. Mais… parce qu'il y avait toujours un mais, une seule ombre au tableau : cette impossibilité clinique à donner à son mari les enfants dont tous les deux rêvaient. Ils avaient abandonné tout espoir au bout de dix années de consultations chez tous les plus grands pontes en la matière.

Tout avait été tenté, mais il n'en était rien ressorti de concret. Alors de temps en temps, comme ce matin, il lui arrivait un coup de cafard, un blues énorme. Totale contradiction entre le plaisir de la nuit passée et ces pensées sombres dès son lever. Mais impossible d'y échapper une fois de temps à autre, et seule une longue balade en forêt la dériderait peut-être. Cette fois, elle se trouvait à la croisée de deux sentiers nouveaux. De larges tranchées creusées par les roues d'un engin forestier, sans doute. Ceux-ci avaient remplacé – pas toujours avantageusement – les chevaux qui débardaient proprement.

La chaleur devenait plus étouffante et elle sentait la sueur qui lui coulait dans le dos, mais aussi dans la gorge formée par ses deux seins compressés par le soutien-gorge qu'elle regrettait déjà d'avoir mis. Bien entendu, pas question de remonter les manches du polo qui lui garantissaient qu'aucune tique ne viendrait se planter dans sa jolie peau. Ces bestioles pouvaient s'avérer dangereuses à la santé. Elle hésitait : partir sur la gauche ou la droite ? De quelle côté aller ? L'endroit vers lequel elle montait ne devait plus être très loin, mais en forêt, une erreur de dix mètres et elle pourrait passer à côté des trésors qu'elle convoitait. Elle opta cependant pour le sentier sur sa gauche.

Sa progression se faisait plus lente. Claude ne levait plus les yeux. Elle laissait ses regards traîner sur l'humus odorant qui s'étalait en un tapis épais sous les rares hêtres et chênes perdus parmi les sapins gigantesques. Ce qu'elle espérait se trouvait sans doute par-là, si elle le découvrait. Elle écouta un instant un bruit étrange qu'elle identifia rapidement : un pivert au bec dur comme de l'acier martelait un arbre. Son déjeuner devait se trouver tout proche sous l'écorce, et la cadence ne faiblissait pas. Lorsqu'elle leva les yeux, elle le vit. Il était accroché à un tronc, ne se préoccupant nullement de cette intruse qui empiétait sur une partie de son territoire. Son seul objectif : le ver qu'il ambitionnait. Celui-ci avait vraisemblablement plus d'importance que cette chose qui foulait sans précaution le sol de la forêt. Son butin en travers du bec, l'oiseau coloré fila sans demander son reste.

Alors la femme scruta de nouveau ce tapis roux et vert. Elle fouillait des yeux ces endroits que depuis plus de vingt ans elle arpentait plusieurs fois par an. Cette terre était généreuse pour qui savait l'apprivoiser, l'aimer, et Claude découvrait toujours aussi émerveillée ces splendeurs et ces fruits qui en faisaient un petit paradis.

Quand son œil avisé aperçut la première petite perle dorée, celle-ci n'était guère plus grosse qu'un bouton de guêtre. D'une poignée de feuilles, elle recouvrit le bébé, trop minuscule pour être ramassé. Puis, en cerclant tranquillement, les yeux brillants d'excitation, la femme, canif à la main, commença alors une cueillette de rêve. Les entonnoirs aux couleurs d'or s'entassèrent dans son panier. C'était comme un tapis formé par des dizaines puis de centaines de ces girolles qui, ce soir, illumineraient le repas de leur simple présence dans un plat, le rehaussant d'un parfum subtil et de saveurs incomparables. Claude remplit rapidement son panier et reprit le chemin du retour. Elle était heureuse et s'arrêta un instant tout en lisière d'une immense clairière.

Ce trou dans les sapins, œuvre des bûcherons, laissait entrevoir en contrebas, par-dessus le feuillage des jeunes arbres fraîchement replantés, la tache bleue du lac, de son lac. Puis son regard obliqua sur la gauche, cherchant le point sombre de sa maison. Michel était-il debout ? Sous elle, la marée frémissante, faite de verts innombrables, ondulait sous une brise légère. Décidément, ce début d'été avait du bon, cette année ! Alors, mue par l'envie de rentrer, elle suivit des sentes qui plongeaient toutes vers ce point d'eau au fond de la vallée.


Les volets de bois de la chambre étaient ouverts, signe que le maître de céans devait se trouver quelque part dans la demeure.

— Michel ! Michel ! Où es-tu ?

Pour seule réponse, un bruit de moteur dans la remise qui servait d'atelier à son mari. Elle sourit. Il devait bricoler dans ce coin-là. Alors elle décida d'aller s'en assurer. La porte était béante et l'homme, torse nu, travaillait un morceau de métal sur son étau. Bon Dieu, qu'il avait fière allure !

— Coucou ! Qu'est-ce que tu fabrique de beau ?
— Ah, Claude… mais où diable étais tu partie ? Pas à la messe, assurément !
— Non, mais c'est une surprise. Tu verras…
— Bien. Mais dis-moi : depuis quand te balades-tu avec mes habits sur le dos ? Je ne l'ai pas trouvé, celui-là, et ça m'a obligé à rester torse nu.
— Menteur… il vient de l'armoire, et tu n'y mets jamais les pieds. Je dois toujours tout te préparer comme pour un enfant.

Il éclata de rire et elle aussi. Les tempes grisonnantes, la taille un peu plus replète, il restait à quarante-six ans plutôt bien foutu. D'un œil avisé elle suivit le roulement des muscles sous la peau de cet homme avec qui elle partageait tant, pour ne pas dire tout, depuis… plus de vingt années déjà.

— Tu as pris ton petit déjeuner ?
— Oui, oui, j'ai même tout rangé sur l'évier, ne t'inquiète pas. Tu devrais peut-être prendre une douche : tu sens la transpiration, ma belle !
— Tu n'es pas toujours aussi néreux pour les odeurs… Certaines ne te dérangent pas plus que ça, hein !
— Oui. C'est justement pour cela que je t'envoie à la douche ; tu es désirable, même habillée en mec, et tu empeste un parfum qui me donne des idées…
— La nuit passée ne t'a donc pas suffi ? Il t'en faut toujours plus ?
— Plains-toi ! Je ne te donnerais plus rien, tu en déduirais quoi ? Que j'ai une maîtresse ou quelque chose de ce genre ? Ah, Claude… Vade retro, Satanas !

Elle était repartie sur la pointe des pieds. C'était sûrement vrai que sa sueur devait se sentir de loin. Alors la salle de bain l'accueillit, et alors qu'elle retirait le polo, le bruit de moteur dans l'atelier reprit, donc Satan pouvait se laver en paix. Claude en eut comme un regret. S'il avait fait un seul mouvement pour… oui, elle l'aurait laissé faire. C'était toujours ce foutu mélange d'envie et de nostalgie, cet éternel balancement entre joie et désespoir, mais comme toujours ça lui passerait. En tout cas, l'eau qui lui dégoulinait sur la tête, se répandant partout sur son corps, l'empêchait de penser.

La fleur de nylon courait sur une peau d'un mat uniforme. Elle allait de ci de là sans vraiment s'appesantir sur un endroit en particulier, les massant tous en général. La sensation était des plus douces et l'eau tiède ajoutait encore à ce petit bonheur. Puis le gel odorant entraînait sur le corps de la femme nue des milliers de bulles savonneuses qui se trouvaient inévitablement dirigées vers le sol, glissant le long des longues jambes de Claude. Elle entreprit donc de les frotter l'une après l'autre vigoureusement. Quand ses mains remontèrent vers la fourche que la jointure de ces deux jolies quilles instaurait, elle s'attarda peut-être plus que de raison sur ce lieu, haut symbole de la féminité, mais aucune image érotique ne dansait dans la tête brune. Seulement un sourire, un sourire de gamine, une gosse sans vrai visage. Le soupir qui fusa de la gorge de Claude était-il de satisfaction pour sa vie ou de regret pour cette absence qui lui devenait insupportable ? Son avocat de mari avait un jour parlé d'adoption… mais il lui avait aussi raconté ce chemin de croix que, dans cette France, représentait cette requête.


Le soir tombait lentement sur cette chaude journée d'été. Claude avait opté pour une simple omelette aux girolles. Et Michel, dans son assiette, découvrait quelques-uns de ces bouts de terre des Vosges. Un plaisir pour les yeux avant de finir en régal pour l'estomac. Il savait où était partie, sa belle, tôt ce matin, et ce qui lui croquait sous la dent valait bien une petite demi-journée sans elle. Mais elle avait aussi un de ces airs qu'il lui connaissait depuis longtemps. Ils ne vivaient pas ensemble pour rien : les moindres humeurs se reflétaient sur les bouilles de ces amoureux qui se côtoyaient depuis tellement d'années.

Il ne savait pas ce qui turlupinait sa Claude, mais même si elle ne montrait rien, d'instinct il se rendit compte que quelque chose clochait. Il engagea prudemment la conversation :

— Tu es montée au Phény ? Pour les girolles, il y en aura d'autres ?
— Ah oui, oui, au Phény. Ils ont coupé beaucoup d'arbres là-haut, et de nouveaux chemins ont fleuri partout ; j'ai failli ne plus m'y retrouver !
— Ils ne sont pas allés dans notre cachette ?
— Non. C'est sur l'autre pente qu'ils ont débardé, comme des cochons, je t'assure. Des ornières énormes, et des tas de branches dans tous les coins. Certaines sont sur le ruisseau, l'emblavant sur des dizaines de mètres.
— Ah… S'ils touchent aux poissons, la société de pêche sera là pour les interpeller. Mais dis-moi, tu es fâchée ? Pour cette nuit ? Pour notre petit jeu ?
— Quoi ? Mais non ! Pourquoi me dis-tu cela ?
— Eh bien, je ne sais pas trop. Je t'ai trouvée soucieuse, absorbée par je ne sais quel problème. Et toute la journée tu m'as donné cette impression que quelque chose ne passait pas, alors je pose la question.
— … ? Non, non, tu n'y es pas vraiment.
— Donc, il y a bien quelque chose qui ne va pas ? Et c'est un si grand secret ? Je ne peux donc pas savoir ?
— Bof… c'est juste un moment pénible pour moi. Tu sais… enfin, un état général, et je ne saurais trop dire quoi.
— Ouais, une jolie formule pour me laisser hors du coup, hein !
— Non ! Non ! Mange donc, l'omelette va refroidir. Tu sais, j'avais un bon panier de champignons ; j'ai blanchi les autres, et demain je les congèlerai.

Michel sentait bien qu'elle voulait l'éloigner du vrai fond de cette histoire. Il n'était pas dupe, mais il resta muet. Pas question de la harceler ; il la connaissait par cœur, et quand elle jugerait que ce serait le bon moment, elle s'en ouvrirait à lui. Ne pas la brusquer, savoir être patient : c'était cela qui avait permis à leur couple de durer, sans nul doute. Il suivait des yeux cette femme qui évoluait dans son intérieur avec souplesse et grâce. Et son envie, celle que lui procuraient encore les images revenues de la nuit, fit grimper en flèche sa température.

Le baromètre était au grand beau fixe ! Il huma un long moment l'air de ce crépuscule qui remplissait leur espace. Devant lui, la masse dans laquelle les étoiles du ciel se reflétaient semblait aussi lisse qu'un miroir. Pas de brise, pas de vent. Rien. Un dimanche soir enchanteur qui pourtant laissait à l'homme un étrange arrière-goût d'amertume. Il savait sa Claude en proie à une perturbation sans parvenir à la définir, et ça… ça lui était insupportable. Alors quand elle vint se poser à ses côtés sur la balancelle, tout simplement il lui prit la main.

Comment diable son mari avait-il senti son mal-être ? Quand elle posa ses fesses sur la balançoire où il avait pris place depuis un petit moment déjà, elle fut heureuse qu'il lui prenne la patte. Ça ne pouvait que la rassurer. Puis, par instinct, elle colla sa tête contre cette épaule solide. Elle esquissa un sourire qui s'avéra n'être qu'une grimace, mais, par chance il ne pouvait pas la voir. Michel, son île, son abri, dans ces passages difficiles, il avait toujours été là. Mais elle n'allait pas encore le lui rabâcher ; lui aussi en souffrait silencieusement, de ce vide laissé par la non-venue d'un gamin.

Ce geste si familier avait des tas d'interprétations possibles, et le mari en déduisit hâtivement qu'elle venait rechercher un peu d'amour. En un sens, c'était sans doute vrai. Mais pas forcément celui auquel à ce moment précis son cerveau de mâle faisait référence. Alors cette main qui se mêlait à la sienne se libéra pour venir caresser la chevelure abondante de sa dame. Elle tressaillit, comprenant immédiatement la méprise. Mais pour refuser les câlins, il lui aurait fallu une plus grande dose de courage, et ce soir… sa vaillance était en berne.

Elle le laissa donc lisser, pour commencer, ses mèches qui s'éparpillaient, de par sa position, sur son visage. Les doigts fureteurs les remontèrent délicatement pour les remettre dans le rang. Puis de ce front vite découvert, la paume masculine effleura la peau avec une infinie lenteur. Elle fit maints passages délicats. Et pour finir, insensiblement les doigts furetèrent davantage, s'infiltrant plus bas, sur le menton après avoir délaissé les joues. Le périple balbutiant menait irrémédiablement la patte du monsieur vers un paradis minuscule où ne siégeaient que deux seins. Claude, les yeux fermés, ne broncha pas quand enfin, après s'être longuement promenée sur son cou, la paluche masculine lui ausculta la poitrine.

Mais elle avait les pensées ailleurs, plongées dans des paperasseries administratives inouïes. Elle se rendait compte que son mari était déjà prêt à lui faire l'amour, ne refusait pas cette éventualité, mais elle n'était pas vraiment dans l'ambiance. Et elle ne chercha pas plus que cela à garder cette main sur elle quand il la retira presque brutalement. Michel avait-il perçu, éprouvé, cet éloignement passager de son épouse ? Peut-être. Elle n'avait pas eu les réactions habituelles à ces stimuli amoureux. Ça devait se ressentir drôlement pour qu'il quitte si vite sa peau.

— Tu ne veux vraiment pas me dire ce qui te tracasse ?
— … rien, je t'assure.
— Tu ne me mentirais pas, Claude ?
— Non. Je suis un peu ailleurs, dans la lune, mais tout va bien. C'était bien… tes caresses.
— Pour toi, parce que je t'avoue que j'avais l'impression de cajoler un corps endormi, sans vraies attentes.
— La fatigue de nos jeux passés et de ma balade matinale.
— Mon œil ! Je suis certain que tu as un truc qui ne va pas, mais je ne peux pas t'obliger à te confier.
— Qu'est-ce que tu vas imaginer… Rien. Il n'y a rien. Mais nous n'allons pas nous disputer.
— Tu as raison ; moi, je vais me rafraîchir les idées. La baignoire est là, qui me tend les bras.

L'homme avait délicatement repoussé le corps de Claude sur le côté. Il s'était levé brusquement et se dirigeait vers le lac, en bordure de la pelouse. Elle le vit sur le ponton retirer son short et sa liquette ; un instant plus tard, le bruit d'eau qui jaillit lui apprit qu'il avait sauté depuis le ponton dans la flotte. Elle bredouilla quelques mots d'excuses à l'attention de son homme, mais il ne pouvait plus les entendre… depuis un moment.

— Attends… Tu n'as pas pris de serviette. L'eau est bonne, mais tu risques de prendre froid à la sortie.

Elle se rendit compte que son murmure ne s'adressait qu'au vide. Il ne pouvait pas écouter, et encore moins ouïr ces mots-là. Alors elle fonça prendre un drap de bain puis, se ravisant, elle en sortit de l'armoire un second. Après tout, la piscine était immense et ils tiendraient bien à deux dans ses eaux. Elle revint vers le plongeoir de fortune d'où il avait bondi dans le lac. Mue par elle ne savait quel mimétisme, Claude dégrafa la ceinture de son déshabillé. Le faire glisser au sol devenait un jeu d'enfant. Totalement nue sur le plancher, elle ferma les yeux et sauta également dans le liquide frais.

À une dizaine de mètres du rivage, Michel évoluait dans une brasse impeccable. L'eau était fraîche ; même au plus fort de l'été, elle ne dépassait jamais les dix-huit à vingt degrés. Il entendit soudain un autre plouf conséquent, donc Claude venait le rejoindre. Ça lui ferait du bien de se rafraîchir aussi les idées. Et quand elle le rejoignit, elle s'enroula à lui comme une liane. Elle ne portait, à l'instar de lui, aucun vêtement. Si son court moment d'isolement avait aidé Michel à débander, son envie reprit forme en sentant ce corps contre lui.

La diablesse n'avait jamais eu à parler pour lui insuffler ses envies, mais là il n'était pas sûr que ce soit bien cette raison qui la poussait à venir se souder à lui. Non, il y avait un nuage persistant qui obscurcissait leur ciel. Il en aurait le cœur net. Elle finirait bien par lui avouer ce qui clochait. Il tenta une première fois de se dégager, sans y parvenir. Elle savait si bien se cramponner à ses épaules… et il ne pouvait, assurément, pas dire qu'il n'aimait pas cela ! Une ensorceleuse, mais c'était la sienne.


L'eau, de jour si claire, s'avérait tout autre lorsque que le soleil était totalement couché. Michel cessa de nager et se laissa descendre sous cette nappe fluide. Claude n'aimait pas enfoncer sa tête sous la surface, alors elle lâcha de suite le corps de son homme. Avait-elle compris qu'il s'était sciemment laissé immerger par l'eau ? Elle sentit ce corps fort lui échapper en glissant dans les profondeurs de l'onde. Elle était venue chercher de l'aide mais il fuyait.

Il réapparut à quelques brasses d'elle, qui se mit en devoir de le rejoindre à nouveau. De nouveau elle se frotta à son mari qui lui murmura quelques mots qui lui semblèrent éclater presque violemment dans ses oreilles. La nuit, les voix portent plus loin, plus fortement aussi.

— Alors ? Ma belle, tu veux continuer à avoir mal toute seule ? Dis-moi… on en parle ou non de ce qui te chagrine depuis ce matin ?
— … Viens… Rentrons. J'ai amené deux serviettes. J'ai un peu froid.

La rive n'était pas très éloignée ; ils nagèrent de concert vers la terre ferme. Sur le ponton, enroulés chacun dans un long drap d'éponge, Claude se frictionnait énergiquement. Alors, mu par un réflexe normal, Michel lui frotta le dos. Elle aimait d'ordinaire ses petites attentions. Cette fois encore, elle le stoppa dans son action, mais pas pour le repousser.

— J'ai envie que tu me serres fort contre toi. J'ai parfois des images qui montent toutes seules dans ma tête, et elles sont difficiles à faire fuir.
— Ah… Et ces images, c'est moi qui les ai provoquées ? Avec mon jeu idiot, peut-être ?
— Mais non ! Tu sais, je ferme les yeux, je fais semblant depuis longtemps, mais je suis rattrapée par cette impossibilité d'avoir un bébé.
— C'est donc encore et toujours cela ? J'aurais aimé t'aider de toutes mes forces, mais je suis bien impuissant face à un problème aussi insoluble…
— Écoute ; ne pourrait-on pas tenter…
— Tenter une fois encore ? Mais ça va te faire encore plus mal ; nous en avons vu combien, des spécialistes et pas des moindres ? Ils sont tous unanimes.
— Oui… oui, mais en adopter un, même si c'est long et difficile, peut-être que ça me donnerait un courage qui me fait de plus en plus défaut. Je me sens… si inutile, de plus en plus souvent.
— Bien, mon ange ; tes désirs sont comme des ordres, mais je ne te cache pas que le parcours risque d'être compliqué et que tu vas grincer des dents devant… les lenteurs de nos administrations. Notre nation est un pays de paperasserie sans nom : un formulaire pour ceci, un autre pour cela, et puis les services sociaux vont disséquer notre vie, en long, en large et en travers.
— Oui, mais avec ton soutien… et puis nous n'avons rien à dissimuler ; alors… le jeu en vaut la chandelle.
— Si c'est pour ton bonheur, je veux bien que nous tentions le coup. Mais je commencerai le dossier demain ; le dimanche, c'est jour de repos pour tout le monde.

Entortillée dans sa serviette, il lui sembla qu'un vrai sourire venait de s'esquisser sur ses lèvres. Il la prit par le bras, et c'est ainsi qu'ils regagnèrent la terrasse. L'escarpolette les vit prendre place sur elle une fois encore, et d'un pied, Michel se mit à faire aller d'avant en arrière l'assise flottante. C'était lui qui désormais devenait songeur face à l'immensité de la tâche qui allait lui incomber. Mais pour elle, il était prêt à escalader l'Everest, à essayer de décrocher la Lune. Et elle se serra contre lui, comme rassurée par cette discussion nocturne.

Elle passa sa main entre la serviette et la peau de cet homme qui était comme un rempart. Il avait su par ses mots simples calmer ses angoisses, lui rendre un peu de ce courage qui lui faisait si cruellement défaut. Et quand ses doigts rencontrèrent la tige à la jonction de ses deux jambes, elle s'en empara fermement. Elle s'aperçut par la dureté de l'engin qu'il était excité par cette arrivée impromptue. Comment pouvait-il avoir toujours envie d'elle, après toutes ces années ? Combien de fois avait-il dû lui remonter son moral en berne ?

— Ne te force pas si tu n'en as pas envie, Claude…
— Pas envie ? Mais bien sûr que si ! Je t'aime, et tu devrais le savoir depuis… J'ai des passages à vide, mais ce soir mon ciel est moins gris que celui de ce matin. Et même si l'on n'arrive à rien, au moins aurons-nous un but. Et essayer, c'est encore avancer, tu ne crois pas ?

Tout en répondant, elle avait imprimé à son poignet un mouvement lent qui faisait monter et descendre cette main qui se crispait sur un endroit sensible. Il en oublia un instant l'immensité de ce qui l'attendait pour seulement se consacrer à cet amour physique qu'elle réclamait d'une manière si subtile. Et à force de manipuler cet engin, elle serait pratiquement parvenue à le faire pleurer s'il n'y avait mis un terme.

— Hé, attends ! Ne va pas si vite. Tu voudrais que ce soit terminé avant de commencer ? Moi aussi je veux ma part du gâteau.

Et, joignant le geste à la parole, il la repoussa gentiment en se relevant à demi. Cette fois, c'était elle qui, couchée sur la banquette mouvante, se trouva avec son visage entre les cuisses. Il cherchait bien autre chose que du pétrole, et lentement, d'une langue avisée, il explora de nouveau le sanctuaire si souvent visité. Elle recevait cet hommage lingual avec un pur bonheur, et chaque fois était différente de la précédente. Là encore, c'était… génial et riche en sensations uniques.

Ils firent l'amour comme si c'était la première fois. C'était aussi un peu cela, le secret de la longévité de ce couple hors normes. Se dire que rien n'était acquis, que tout restait un éternel recommencement, et le sexe n'échappait pas à cette règle. Ces deux-là avaient vu tant de couples amis se disloquer, se dissocier, pour ne pas dire se déchirer à force de routine… Mais elle ou lui tenait toujours à surprendre l'autre, et cette alchimie fonctionnait à merveille ; du moins pour eux. Il était difficile dans ce corps-à-corps de savoir qui donnait quoi, mais sans doute que chacun transmettait et recevait une part de ce plaisir qu'ils tenaient à partager.


Les jours qui suivirent ce fameux dimanche – celui des girolles pour elle, et pour lui celui d'un vrai casse-tête – ces semaines, même, Michel les occupa à répondre à des tas de questionnaires plus ou moins débiles. Les formalités ainsi remplies, le dossier devait encore attendre un agrément obligatoire. Claude était tendre, douce, et ils faisaient l'amour souvent. Bien entendu, dans ce domaine les figures libres revenaient souvent à l'affiche. Les imposées, Michel ne les avait pas encore reconduites une seule fois depuis cet étrange samedi de juin. Pas par manque d'idées, non ! Simplement parce qu'il ne jugeait pas le moment propice à ce genre d'amusement.

Ensuite, il y eut les convocations : psychologue, psychiatre, services sociaux en tout genre, un parcours où les pièges étaient nombreux. Chaque soir leur apportait leur lot de stress, et leur manière bien particulière de se détendre avait toujours un final éblouissant. Claude aurait déplacé des montagnes pour parvenir à son but, et parfois son mari avait bien de la peine à reconnaître dans cette femme féroce contre la société la douce épouse de ces années passées. Elle lui montrait un autre visage, plus guerrier, plus conquérant.

Alors un après-midi, un jeune loup de l'Aide Sociale à l'Enfance vint sonner à la porte sans prévenir. Elle le fit entrer et le type lui posa quelques questions, puis fit une visite guidée du chalet. Il nota sur son papier que le lac bordait le terrain des candidats à l'adoption. Le soir, lors du retour de Michel, ce fut une tragédie : l'autre avait laissé entendre que ce n'était pas sécurisé, et que… Pour la première fois depuis leur mariage, la querelle fut dévastatrice, et le mari finit par claquer la porte.

Bien sûr, au bout d'une heure de solitude, elle l'avait appelé au téléphone, lui jurant les grands dieux que tout serait calme comme avant. Elle lui avait présenté des excuses, mais quelque chose avait déraillé, et cette fois le rabibochage sur l'oreiller qu'entreprit Claude avait un air de rouerie. S'il se laissa faire, Michel n'en fut pas dupe pour autant. Et chaque étape plus difficile à franchir que la précédente menait ces amoureux-là vers la catastrophe.

Combien d'autres soirs après ce premier esclandre Michel passa-t-il dans son bureau ? Le calcul ne serait pas très conséquent si, par ailleurs, la secrétaire de l'avocat ne l'avait un matin pressé de questions.

— Bonjour, Patron. Vous avez une petite tête ce matin. Je vous fais un café ?
— Oui, Maryse. Bien serré si possible.
— Oh, oui. Vous avez passé la nuit sur un dossier ? Vous avez une mine de papier mâché.

Elle scrutait son patron avec une insistance qui frôlait l'insolence. Finalement, il se dit qu'il ne savait rien de cette femme sinon qu'elle faisait au bureau un travail remarquable. Elle n'était sans doute pas aveugle et sentait bien que depuis quelques temps son boss était de plus en plus étrange. De toute façon, vu sa place à l'étude, elle était dans beaucoup de secrets et il était possible qu'elle soit plus ou moins au courant pour cette adoption qui devenait pour Michel une croix lourde à porter.

— Vous avez des ennuis familiaux ? Pourtant madame Claude est la plus parfaite des épouses.
— …

Il a seulement haussé les épaules, ne voulant pas mentir ni répondre ouvertement. Cette femme vers laquelle il leva les yeux, c'était comme si soudain elle venait de prendre vie : il la voyait enfin. Hier encore, elle était la secrétaire modèle ; celle, impersonnelle, à qui l'on confie les dossiers, celle qui tape les courriers. Elle devait s'inquiéter pour son job, pour ce salaire qui lui permettait de vivre, d'autant que Michel était généreux et pas regardant pour payer les heures supplémentaires. Mais, au grand jamais, il ne l'avait vue comme ce que pourtant elle était : une belle femme. Plus jeune que Claude et lui, sans doute d'une bonne dizaine d'années. Des cheveux coupés à la garçonne, d'une couleur tirant entre le brun et le roux, des yeux pétillants de malice, un peu rondelette sans pour cela paraître « grosse ». Non, elle avait des atouts pour tenter un homme, ce que Michel découvrait d'un coup.

— Bon. Pour ce que j'en dis… Vous savez, si un soir vous vous sentez trop seul, ma porte vous est ouverte. Un petit café entre employée et patron n'engage à rien. Je vous vois l'air si… abattu. Je suis toujours chez moi, après le travail ; alors si vous vous sentiez un soir trop perdu…

Là, encore pas de réplique de la part de son patron, mais elle n'en attendait pas. Elle reprit sa place dans son bureau, et quelques minutes plus tard le téléphone ramenait Michel lui aussi à ses occupations quotidiennes. Claude était au bout du fil, malheureuse et toute confondue en excuses qu'il fit semblant de croire, une fois de plus. Ce soir… ce soir ils auraient cette explication qui devrait remettre les pendules à l'heure. Il ne supporterait plus très longtemps ces scènes devenues incessantes.

L'homme avait dans sa caboche tourné et retourné ses arguments. Claude devrait l'écouter jusqu'au bout, et cette fois il n'était plus possible de continuer de la sorte. Ce couple si heureux, ces amours si parfaites volaient en éclat, se délitant dans les méandres d'un processus administratif implacable. Il en était conscient : son épouse ne supportait plus l'attente et les rencontres avec tous ces services qui les fliquaient. Un enfant dans ces conditions allait tuer ce qui restait de leur belle entente.

La mise au point à la maison fut houleuse, Michel se voyant taxé d'insensibilité et de tout un tas de noms d'oiseaux intraduisibles. Il finit par monter le ton, et pour la énième fois il choisit le parti de fuir. Mais ce qui différenciait cette sortie des précédentes, c'était que dans sa tête une autre petite voix l'invitait sournoisement. « Je suis toujours chez moi, après le travail ; alors si vous vous sentiez un soir trop perdu… » : c'était bien cela que Maryse avait dit ? Alors en roulant avec la rage au ventre, il prit la direction non pas du bureau comme auparavant.

Il hésita un long moment alors que, garé le long du trottoir face à la maison de sa secrétaire, la hargne qui l'habitait retombait peu à peu. La colère ne pouvait que redescendre ; il pensa qu'il allait devoir donner des explications à une femme avec qui il travaillait. Pas vraiment judicieux, comme histoire ; mais le sort pouvait aussi de temps en temps surprendre les meilleurs d'entre nous, et ce soir-là, par exemple, était justement la veille du ramassage des poubelles du quartier de Maryse.

Devant la berline tous feux éteints, une femme poussait sur le trottoir son container à ordures. Dès qu'il fut installé dans la bonne position, elle leva les yeux, et un mouvement quasi imperceptible attira son regard. Dans le véhicule rangé à deux mètres de son bateau, quelqu'un avait bougé, et, en y regardant plus attentivement, cette voiture ressemblait à celle de… Non ! Tout d'abord elle ne voulut pas y croire, puis elle dut se rendre à l'évidence : c'était… oui, c'était bien son patron. Maryse s'approcha de la vitre et frappa deux ou trois petits coups. Il était là, tétanisé, sans réaction. Cette fois il ne pouvait plus reculer, et la vitre électrique qu'il abaissa lui laissa apparaître le visage de sa secrétaire.

— Eh bien ? Vous n'allez pas passer votre nuit dans votre bagnole… Vous voulez entrer ? Si vous êtes là, c'est que vos affaires, à la maison, ne vont pas fort ; alors venez, nous parlerons. Ça fait toujours du bien de causer ; je suis bien placée pour le savoir, et je n'ai jamais mangé qui que ce soit, et encore moins mon patron !
— … Je ne voudrais pas vous déranger ; vous devez…
— Quoi ? Me déranger ? C'est moi qui vous ai invité à venir si vous aviez des soucis ; je ne renie pas ma parole. Venez, ne restons pas là : mes voisins pourraient pour le coup jaser demain.
— Vos voisins… ah oui. Pardon, je n'avais pas pensé à ce genre de…
— Bien allez ! C'est la première fois que vous venez chez moi.
— Oui.
— Vous savez depuis combien de temps que je suis à votre service au bureau ?
— Dix ans peut-être… Non, je ne me souviens pas vraiment.
— Douze ans. En septembre de cette année, ça fera douze ans. Toute une vie, quoi !
— Mon Dieu, vous avez raison… une vie.

Il suivit cette femme qui le côtoyait silencieusement depuis tout ce temps. Il ne l'avait jamais vue comme ce soir ; c'était juste une secrétaire, pas tout à fait une femme. Mais là, dans cette entrée, dans cette maison, il réalisait d'un coup que Maryse avait aussi une vie, dont il ne savait strictement rien. Des cadres accrochés sur les murs représentaient des gens qui tenaient une gamine par le cou. Ses parents, peut-être ? Elle l'invita à entrer dans un petit salon. Là, un téléviseur allumé distillait un film dont personne ne se souciait.

— Vous m'avez l'air encore… bien triste ce soir. Je vous sers un café ou autre chose ?
— Ben… j'aurais plutôt besoin d'un bon remontant.
— Oui ? Un cognac ou un armagnac ? Je n'ai que cela… Ah, ou alors une petite blanche ; de la mirabelle.
— Allons-y pour la blanche ! C'est bien, chez vous. Calme aussi.
— Oui, mais c'est vous qui, semble-t-il, allez mal. Alors, vous n'avez pas envie d'en parler ?

Dans sa main le verre tournait, et l'espace d'une seconde Michel se demanda ce qu'il fichait là, puis cette scène avec Claude lui remonta dans la tête. Une engueulade encore plus violente que toutes les précédentes. Mais sa femme ne voulait plus rien entendre, ne comprenait plus du tout, marchait à côté de ses pompes et rendait tout difficile autour de lui. Claude envenimait, empoisonnait lentement les rapports entre eux deux. Doucement, en buvant à petites gorgées la mirabelle servie, il se mit à faire des confidences à la seule personne qui lui témoignait encore un zeste d'écoute, un peu d'affection.

Sur son fauteuil, face à Michel, Maryse le laissait s'épancher. Le trop-plein se vidait subtilement et elle ne parlait pas, se contentant de hocher de la tête comme si le monologue la touchait vraiment. Elle était bien, calée dans son siège, et cet homme qui racontait son histoire – une petite musique qui la berçait – il lui avait toujours plu. Mais le couple qu'il formait avec sa Claude lui avait toujours paru tellement indestructible… Qu'il soit sur son divan à se confesser restait un mystère. Il n'avait pas même remarqué qu'elle était sortie dans la rue en robe de chambre.

Sous celle-ci, un simple déshabillé, et c'était ainsi qu'elle était dans le salon, à moitié nue ; mais Michel, perdu dans la narration de ses déboires conjugaux, ne daignait pas seulement s'en apercevoir. À moins qu'il n'ait pas voulu la mettre mal à l'aise ? Tout en écoutant ce patron qui parlait de ses problèmes particuliers, elle sentit qu'elle avait chaud. Depuis bien longtemps aucun homme n'avait franchi le pas de sa porte, et celui qui se trouvait là avait tout du trop parfait gentleman.

Insensiblement, sans vraiment chercher à l'appâter, elle ouvrit ses cuisses puis les referma brutalement, pourtant sans gestes de grande ampleur. C'étaient de petits mouvements pour s'aérer, pour lutter contre quelque chose qui la titillait depuis… l'arrivée de Michel. Il lui sembla que son ventre émettait d'horribles gargouillis, et que malgré son verbiage il devait les entendre. Elle ne savait plus comment retenir ces foutus soupirs que son corps exalté produisait. Sa gorge serrée les contenait encore, mais pour combien de temps ?

— Cette demande d'adoption va finir par détruire notre couple, et j'enrage de cette perspective.
— …
— J'ai consacré ma vie à cette femme… Claude, ma Claude, et pour quel résultat ? Nous en avons parlé, débattu, et pour finir ce sont des scènes pitoyables qui nous mènent tout droit au divorce. Si encore il y avait une autre femme ou un autre homme, j'en prendrais mon parti et me dirais que c'est l'usure de la vie qui nous rattrape, mais rien de tout cela n'est ainsi.
— Vous n'avez jamais eu d'aventures ?
— … ?

Stupéfait, il venait de stopper son discours. D'un coup il reprenait pied dans la réalité. Il n'était pas face à un mur ou à un jury. Non, il était chez une femme, et celle-ci venait de lui poser une question incongrue. Tromper Claude ? Mais non ! Pourquoi diable l'aurait-il fait ? Mais cette Maryse face à lui, c'était une jolie femme. Des formes certes généreuses, mais elle était désirable et il se sentit de nouveau minable de ne l'avoir pas vu plus tôt. Du reste, ses yeux trop dans le vague jusque-là n'entrevoyaient pas ce qui était évident.

Face à la place où il était assis, sur un fauteuil de cuir roux confortable, Maryse gardait le corridor de ces cuisses largement ouvert. Alors faire mine de ne pas voir serait de la pure hypocrisie. La touffe sombre d'un pubis à demi caché dans l'ombre d'une nuisette transparente lui sauta aux yeux. Son regard monta lentement vers le visage de sa secrétaire ; ce faisant, ils croisèrent immanquablement la poitrine, qui sous le fin tulle apparaissait dans toute sa splendeur. De belles et larges aréoles plus foncées dénotaient du reste des seins.

Elle aussi changeait de couleur, sa bouille joviale passant par plusieurs nuances d'un arc-en-ciel imaginaire, rouge restant le dernier stade, seuil infranchissable à son visage expressif. Comprenant qu'il voyait, qu'il suivait ses courbes, ses pleins et ses déliés, elle prit peur. Son cœur battait à tout rompre dans une poitrine qui, en se soulevant, tendait plus encore le tissu sur ses deux jolis globes. Une autre invitation se fit jour dans le cerveau de Michel : oser ou non cette approche plus intime qu'elle semblait attendre ? Mais c'était aussi s'engager sur un terrain d'une nature bien plus dangereuse.

Un homme reste un homme, et les scrupules étaient à contrecoup toujours vains. Les regrets aussi, mais la décision qu'ils prendraient pourraient impacter le cours de leurs vies. Étaient-ils prêts à assumer ce genre de mésaventure ? Douze ans de bons et loyaux services finissant dans les oubliettes d'une aventure créée par un malaise au sein du couple valaient-ils cette minute d'égarement ? Mais cette autre question n'avait pas effleuré l'esprit de Maryse. Elle se contenterait de ce qu'il donnerait, et si c'était juste pour un soir, eh bien… ce serait toujours cela de pris !


Maryse avait bougé, et lui ne s'en était pas même rendu compte. Devant ses yeux, les jambes entrouvertes laissaient entrevoir plus haut que la décence ne l'aurait permis. Et ce qui soudain lui sauta aux yeux, c'était une toison sombre, tellement fournie qu'il n'arrivait plus à penser sainement. Elle replia de nouveau ses gambettes, refermant le ciseau, mais il ne lâchait plus ce bas-ventre, hypnotisé par ce qu'il savait là au fond. Comment aussi ne pas avoir une érection suite à ce spectacle inédit ? Enfin il prenait conscience de l'incongruité de la situation.

Parler de ses déboires conjugaux avec cette femme qui dans la journée tapait tous ses dossiers, ses courriers, et qui assise ce soir dans son fauteuil écartait les cuisses pour l'aguicher… Le pire était qu'elle réussissait son coup : son sexe avait durci sans lui demander d'autorisation. Il tenta de croiser lui aussi les pattes, mais c'était sans doute trop tard : elle savait. Et elle venait de se pencher en avant. La main féminine avait pris la sienne, celle qui tenait le verre vide qu'il n'avait toujours pas reposé. Avec un large sourire, elle se saisit de l'objet.

— Eh bien… Vous n'allez pas, aussi, me casser la vaisselle !

Une manière détournée de le ramener à la situation présente. Et en se baissant davantage vers la table de salon qui ne les séparait pas vraiment, son déshabillé aérien bâillait largement. Les deux tétons sombres étaient… énormes. Leur couleur aussi le surprit, et ses chailles rivées sur les deux globes, il se sentit tout petit.

— Je… je crois que je ferais mieux de partir… Oui, ce serait plus sage.
— Parce que vous avez envie de l'être ? Moi, j'ai dépassé le stade cette sagesse. Vous et moi avons atteint un point de non-retour.
— N… non, je dois… enfin, je ne dois pas… Je crois que c'est mieux.
— Ah, vous oseriez m'abandonner dans cet état ? Allons… ne faites pas semblant de ne pas comprendre ; personne n'en saura jamais rien.
— Si… moi ; vous aussi. Vous et moi, et je ne pourrais plus vous regarder comme avant.
— Michel… ne partez pas, s'il vous plaît… ne partez pas.

Mais là, debout devant elle, il fixait la porte et marchait vers celle-ci. Maryse le rattrapa par la manche de sa chemise. Il s'arrêta net et elle vint se coller à lui, telle une ventouse. Sa bouche cherchait la sienne. Pourtant, il tentait désespérément de détourner la tête pour échapper à ce baiser que, visiblement, elle voulait lui voler. Il n'avait pas le courage de la repousser franchement, et quand les lèvres de Maryse atterrirent sur ses lippes, bêtement il les entrouvrit. Cette fois elle avait l'avantage, et ce baiser non désiré, s'il n'avait pas l'attrait de ceux de sa Claude, n'en était pas moins… agréable.

Parallèlement à cet assaut qu'elle menait, une de ses mains se mit aussitôt à frotter sa braguette, et ce qui se trouvait à l'étroit sous le tissu le fut encore bien davantage. Une fois de plus il tenta d'esquiver cette étrange caresse, mais la tigresse avait de la poigne, et elle renouvela son baiser tout en le tripotant sans vergogne dans l'entrée. Un court instant, il se sentit perdu ; elle en profita pour le ramener vers le divan sans qu'il regimbe à nouveau. Il la laissa faire quand elle ouvrit son pantalon, et les attouchements reprirent, mais désormais sur sa peau nue.

Il put alors constater que dans les jeux habiles des mains féminines, il était difficile de différencier les menottes de sa secrétaire de celles, pourtant archi-connues, de son épouse. Les effets étaient les mêmes et il finit par s'avouer totalement vaincu. Elle était tombée à genoux et depuis quelques minutes priait un dieu sans Église. Il ressentit les premiers frissons. Les affres de cette trahison lui apportaient en plus une sorte de piment, celui de l'interdit. Et dans sa tête, une petite voix lui susurrait qu'après tout, puisque cette Maryse voulait, ce ne pouvait pas être mal.

Jamais perdant ne savoura de cette si jolie façon une défaite aussi douce. La langue qui était passée de son palais à sa queue se démenait sur la hampe et emportait avec elle de voluptueuses sensations. Maryse avait des dons cachés ; elle électrisait son avocat de patron qui ne se battait plus pour fuir : non, il espérait que ce genre de caresse dure le plus de temps possible, elle savait si bien s'y prendre… Mais son esprit revint sur des images similaires, sur une autre bouche pratiquant des câlins analogues. Et bien malin qui aurait pu dire, en fermant les paupières, qui faisait quoi.

Elle jouait de sa bouche sans oublier de se servir également de ses doigts, et il sentit qu'elle leurs faisait emprunter un chemin que personne n'avait jamais osé fouler. Il en ressentit d'inimaginables tressaillements et ne rua pas une seconde quand, d'un index sournois, elle entra dans… Il sut d'un coup ce que Claude parfois ressentait lorsque c'était lui qui jouait de la sorte. Puis il ne fit qu'ouvrir plus encore les jambes quand le visage partit entre ses jambes, lui facilitant le passage.

La langue, lasse de titiller le gland et de longer l'épi, vint lentement humecter le sillon qui séparait les deux fesses ; mais son but inavoué n'était pas de s'enfouir dans cette faille commune aux deux sexes : non, elle voulait simplement incruster la pointe rose de cette baveuse dans le canal dont elle avait découvert le port convoité. Quant au bout d'un long moment de frémissements en tout genre il sentit que ce n'était plus un seul doigt qui naviguait dans le canal, il devint comme fou… mais fou de désir et d'envie.

Cette caresse inédite ne pouvait que le rapprocher de Maryse. Et alors, pour ne pas se montrer mufle ou goujat, il se laissa glisser sur le tapis du salon. Allongé contre elle, il vint également enrouler sa langue dans la pelouse sombre et drue. C'était aussi la première fois de son existence qu'il voyait à cet endroit une forêt aussi dense. Alors, pareil à un gamin qui redécouvrait le goût des confitures, il se mit à lécher avidement la chatte velue. Et tout au fond coulait une rivière, un torrent charriant du plaisir…

L'appétit de Maryse ne montrait aucune limite, semblant ne pas avoir de fin. Serrés l'un contre l'autre, tête-bêche, Michel et elle s'enivraient dans des senteurs revenues du fond des âges, cette fragrance si particulière que le sexe peut entraîner dans son sillage pour peu qu'il soit fait d'envies librement consenties. Et les bruits aussi ajoutaient une touche excitante à ce bouquet fait de deux corps en chaleur. D'amour, il n'était point question ; seulement de rut, de sexualité débridée et débordante. L'eau à la bouche qui venait devant la vue et l'odeur du bon pain, c'était l'image que les deux-là donnaient.

Les râles aussi, sortis de gorges libératrices, invités d'une passion qui les envahissait sans que rien ne puisse en arrêter le flot de plaisir ! Celui qu'ils se distillaient sans relâche. Ce n'était pas vraiment les caresses qui importaient dans cette affaire ; cela relevait du domaine de l'interdit, de la transgression pour Michel des règles de bonne conduite. Et pourtant, il insistait sans faillir sur cette entaille originelle du monde, commune à toutes les femmes du globe. Celle sous sa langue avait un visage connu pour maîtresse ; et ce visage, il devrait le voir, le revoir jour après jour, lui rappelant sa trahison. Il ne s'offusqua nullement qu'elle se relève soudain pour venir le chevaucher.

Sur le dos, il ferma les yeux, espérant qu'en les rouvrant la cavalière posséderait une crinière plus brune, des tifs plus longs. C'était se mentir, bien entendu ; mais pour se donner bonne conscience, il faut parfois user de subterfuges. Bien installée sur lui, chevillée à ce corps patronal qu'elle désirait, Maryse le clouait au sol. Ses bras vigoureux plaquaient ses épaules sur la moquette aux longues fibres. Et comme il était aisé de ne se sentir coupable de rien ! Alors elle remua des hanches, souleva son bassin pour mieux le faire retomber sur ce bas-ventre d'où une épine de chair se plantait en elle.

La manœuvre s'avérait extraordinairement grisante pour Michel, qui ne bougea pas un cil. Maryse haletait, soufflait et gémissait, insufflant à cette queue en elle un rythme qui lui donnait ce plaisir tant espéré. Mais la tête dans de la ouate, son amant ne l'aidait en rien, au motif qu'il était son prisonnier. Il ne parlait pas, se contentant de la laisser se servir de sa pine comme d'un jouet. Mais un vrai, avec de la chaleur, des sensations oubliées. Et il se prit au piège de ce ventre féminin qui réclamait voracement un orgasme si semblable à ceux que Claude quémandait si souvent.

Chez lui, la tête n'allait pas comme le corps, et la mauvaise grâce latente refaisait surface. Il eût été si facile de lui dire « stop »… Mais non, il n'osa aucun mot de refus, la laissant prendre son pied. Comment pouvait-il analyser ces choses-là alors qu'elle ondulait de la croupe sur son sexe tendu ? Un autre mystère de la sexualité ? Non ! Tout simplement, il dissociait l'amour du sexe, et cette femme n'était pas celle dont il était fou amoureux.

Elle se trémoussa un long moment puis ses mains se crispèrent sur sa poitrine. Lui aussi se sentit malgré tout remué de la sentir jouir de la sorte, et finalement, en bon amant, il se laissa exploser en elle avec un soupir pouvant passer pour de l'extase. Sa semence envahit ce sexe dans lequel elle se complaisait. Mais derrière les paupières de l'homme, une brune dansait, une brune pas commode parfois ; mais c'était la femme de sa vie, et Maryse lui en apportait une preuve éclatante.


L'aube pointait le bout de son nez lorsque la voiture s'arrêta devant le chalet. Tout était endormi. L'homme fatigué qui descendit de la voiture avait sa gueule des mauvais jours. Dans la maison, il prit un café et fila vers la remise où il bricolait souvent. Il choisit sur un présentoir une canne à pêche, attrapa une musette contenant quelques leurres et fourra l'ensemble dans le bateau à moteur qui se trouvait là, sur sa remorque. Un besoin de réfléchir, une nécessité de faire le point lui nouait les tripes.

La barque poussée tranquillement sur la rampe longeant le ponton, Michel s'installa sur l'esquif, et une seconde après le moteur ronronnait calmement. Le bateau fit un bond en avant et fendit l'onde alors que le soleil restait derrière la montagne. Claude avait la forêt pour se ressourcer ; pour Michel, c'était le lac et la pêche. Il savait se calmer les nerfs. Réfléchir à la situation, et peut-être aussi trouver un bon gros mensonge pour son départ précipité. Alors il se mit à faire ce qu'il adorait par-dessus tout : il lança sa ligne. Les brochets feraient peut-être les frais de son ignominie.

La main qui tâta dans le peu de lumière de la chambre la place vide dans le lit se crispa sur le drap non froissé. Un bruit dans l'esprit de Claude venait de la rendre à la vie. Elle connaissait ce boucan, mais son esprit se refusait de l'analyser, à émerger vraiment d'une nuit de sommeil agité. Au bout d'un très long temps elle ouvrit enfin les yeux. L'algarade de la veille avait fait s'enfuir son mari. Il n'avait pas tort, et elle se rendit compte qu'elle lui menait la vie dure depuis… bien trop longtemps.

Les volets ouverts, le point noir sur le lac la rassura ; il était parti à la pêche. C'était son dada à lui, comme pour elle les longues balades solitaires. Ils avaient des passions qu'ils ne partageaient pas toujours ; ces deux-là en faisaient partie. Il n'avait pas couché près d'elle, et les cernes sous ses yeux soulignaient la peine qu'elle avait éprouvée. S'il était sur le lac, c'était bon signe ! Il devait se poser bien des questions, et Claude se jura de se modérer dans ses propos et devenir plus… raisonnable.

Vers midi, le moteur la renseigna : l'oiseau regagnait le nid. Elle vint à sa rencontre comme elle le faisait si souvent. Le visage pas rasé, les traits tirés, il n'était guère plus frais qu'elle, en fait. Il esquiva habilement la main qu'elle avança vers sa joue. Donc il n'avait toujours pas digéré ce qu'elle lui avait fait subir depuis quelque temps. Elle ne dit pas un mot mais revint à la charge, et Michel ne put détourner son visage.

— Michel… pardon ! Je t'aime, et je ne sais pas ce qui m'arrive.
— Ce qui t'arrive ? Mais c'est simple : nous sommes au bord de la rupture. Tu n'imagines pas ce que c'est d'être toujours sous pression, de rentrer à la maison et d'être la cible de ta mauvaise humeur ; et si je ne dis pas de ta mauvaise foi, c'est juste parce que moi, je veux rester poli.
— Je comprends ta colère, mais la mienne n'est pas dirigée contre toi, mais bien vers ces fonctionnaires si bornés.
— Tu penses que je suis le bon dieu ? Je fais tout mon possible pour que tout s'arrange, mais si c'est pour me rendre la vie infernale, je ne continuerai pas dans ce sens.
— Oh, je t'en prie, juste un peu de patience… Ils devront bien nous donner une réponse favorable, ou alors plus personne en France ne pourra adopter un enfant.
— Bon, je veux bien passer l'éponge une dernière fois encore, mais n'y reviens pas pour le même prix : je n'en supporterai pas davantage. Je vais prendre une douche.

Les bras ballants, Claude vit partir, à demi rassurée, son mari vers la maison. Sa sortie en bateau lui avait fait le plus grand bien. Elle était pourtant au bord des larmes. Quel gâchis ! Michel avait disparu par la porte-fenêtre. Alors pourquoi, après tout, ne pas le rejoindre ? Ils prenaient si souvent la douche en commun… L'eau émettait son bruit si particulier derrière la porte de la salle de bain. Sans tambours ni trompettes, la brune se glissa dans l'espace restreint réservé à leur toilette.

Il était de dos, sous le jet tiède. Ses mains frictionnaient sa poitrine, et il ne prêta aucune attention à l'entrée de sa femme, ou peut-être tout simplement ne s'était-il pas aperçu de son arrivée. Elle hésita un court instant, puis mue par un élan spontané, elle pénétra dans la cabine pour se coller à lui, mais elle n'avait pas retiré sa nuisette vaporeuse. L'eau dégoulina sur elle alors qu'il avançait pour lui laisser un peu de place, et la peau transparente que formait le tissu éthéré la montrait plus érotique que jamais.

Malgré la mousse qui recouvrait son poitrail lorsqu'il se remit face à Claude, elle eut un léger mouvement de recul. De longs sillons rouges, des zébrures bizarres lui traversaient le torse. Le frémissement pratiquement imperceptible de son épouse intrigua Michel. Il baissa les yeux sur ce qu'elle regardait avec insistance, et les lignes roses qui striaient son épiderme des épaules à l'ombilic, il sut de suite ce qu'elles représentaient : les ongles de Maryse avaient tracé de jolies arabesques sur sa peau. Pas vraiment des griffures ; tout au plus de longues empreintes que l'eau tiède amplifiait et qui apparaissaient comme un nez au milieu d'une figure.

Lui aussi vit le menton de son épouse trembler ; elle se retenait de pleurer, et comme un idiot, comme un con, il n'avait pas d'explications plausibles à lui fournir. Non, les mots qui d'ordinaire lui étaient si utiles pour défendre certaines causes désespérées ne venaient pas à ses lèvres. Pire, son esprit n'en cherchait aucun. Alors sa seule réaction fut de serrer contre elle, la seule femme qui ait jamais compté pour lui.

Comment définir le malaise qui en résultait ? Pas question de lui dire avec qui, ni de lui avouer sa tromperie ; il se contenta de la serrer contre la preuve évidente de sa duplicité. Elle se pressa contre lui, et si elle pleurait, le pommeau de la douche en effaça immédiatement le témoignage. Ses grandes mains la cramponnaient, la collaient à son corps, et elle frissonnait.

Quand il l'écarta de quelques centimètres, ses seins en filigrane sous l'aérien voile avaient quelque chose d'attirant. Mais il ne bandait pas vraiment, peu fier de ce qu'elle avait découvert. Comme pour se dédouaner, il tira sur le bas de cette double peau trempée qu'elle portait encore et la fit passer par-dessus ses épaules. Elle ne l'aida pas dans cette tâche rendue ardue par l'eau qui collait à elle comme une enveloppe.

Maintenant, elle aussi se trouvait nue. Il essaya de la caresser, mais elle s'y refusa. Finalement, ce serait donc à lui de donner des éclaircissements.
Il n'avait pas la moindre idée de ce qu'il allait bien pourvoir argumenter…

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