Chapitre 2

Ah, la fameuse séance de cinéma porno… Seuls les mecs étaient concernés, au grand dam de Marianne, d'Anne-So et de moi-même. Mais vu de quoi il s'agissait, les filles ne perdaient rien au change. Un vrai truc de sadiques ! Ils appelaient ça la « désensibilisation contextuelle », le cœur même de la méthode New Life. Sans ça, tu valides pas le stage. Et moi, le stage, j'avais plutôt intérêt à me le faire homologuer, rapport à Nathalie !

Alors, quand ils ont demandé qui était volontaire, tu parles si j'ai levé la main. Sauf qu'avant la projection, on avait oublié de te dire que tu serais équipé comme le gars dans Orange Mécanique, l'adepte de l'ultra-violence subissant un lavage de cerveau. Tu te retrouvais bardé d'électrodes, les tétons crochetés avec des pinces métalliques, le sexe emprisonné dans un développeur pénien, obligé d'avaler une pilule censée te filer la gerbe. Et là, on t'envoyait les images.

D'abord ils te passaient des séquences « éducatives » pendant quinze minutes environ. Des prostituées témoignant de leur calvaire : souteneur sadique, privation de liberté, passes à la chaîne, violence de rue, racket et bagarres entre filles… Avec des gros plans sur les estafilades, les cicatrices, les traces de coups, les corps fatigués, malades. Et puis aussi des gamines asiat', habillées en bimbos, la clope au bec, le rouge à lèvres, fardées comme des cadavres. Huit, neuf ans – dix tout au plus –, l'air hagard, l'horreur au fond des yeux. En alternance, les photos des pédophiles qui les avaient violées, une petite planchette à matricule entre les mains. Ça te coupait net l'envie de rire.

Après ça, on te diffusait le film. Au début, très soft : un mec et une nana se baladant à travers champs, main dans la main, se bécotant à qui mieux mieux. Séquence suivante. Elle, étendue dans l'herbe, à moitié déshabillée. Lui, les yeux rieurs, lui caressant la poitrine. Ils s'aiment, ils sont heureux, c'est génial, tout va bien. Puis ils se désapent, s'enlacent, s'embrassent avec plus de passion pour finir par faire l'amour à la papa (genre années 70, quoi). Tu commences à te détendre (ou à te tendre, c'est selon) ; bref, tu bandes gentiment.

Et là, changement de décor : d'un seul coup, une partouze enragée, un gang-bang de folie ou bien une double péné bien hard. Tu te mets à bander comme un beau diable, la bave aux lèvres, tel le violeur multirécidiviste à la remise des prix… Et bing ! Sans prévenir, on te balance une décharge dans les pecs tellement strong que t'as l'impression qu'un tisonnier chauffé à blanc te tord les tétons ! Un peu plus bas, la pompe à vide se met en devoir de t'arracher la queue…

Au moment où tu penses que tu vas plus tenir, les choses se calment à l'écran et la torture s'arrête. On te montre des scènes de la vie quotidienne, une salle d'attente pleine de monde, un couple qui s'engueule dans la rue, une file de gens au supermarché. La nausée s'installe. Puis soudain, ça reprend : deux lesbiennes se gougnottent à fond, s'enfilant des godes incroyables dans tous les trous… Et paf ! Quelqu'un enfonce le buzzer à Julien Lepers et tu te chopes du 220 direct dans les mamelles. Cette fois, c'est plus la bave que t'as aux lèvres : c'est une bonne vieille gerbe ! Et ça recommence, encore et encore, « on/off » comme ça pendant une heure…

Vous voulez connaître la meilleure ? On était censés y passer toutes les semaines. Rien que d'y penser, ça nous filait mal aux seins.


À la pause de 13 heures le lendemain, Anne-So m'a pris à part pour que je lui raconte la séance de cinoche. On parlait à voix basse, comme deux conspirateurs. Quand j'ai eu fini, elle semblait à la fois excitée et en colère :

— Non mais, tu te rends compte ? Ils vous font subir un conditionnement aversif !

C'est la première fois que j'entendais cette expression, mais ça collait parfaitement à ce qu'on avait vécu : une tentative pour nous faire décrocher du porno en associant douleur et dégoût à des images X.

— Peut-être, mais si ça peut nous aider…
— Vous n'êtes pas des chiens qu'on dresse, merde ! Que fais-tu de ton libre arbitre !?
— Oh, tu sais, jusqu'à présent…
— C'est pas la question. Ce truc est risqué, sans même parler des problèmes d'éthique que ça pose.
— Comment ça ? l'ai-je interrogée, soudain mal à l'aise.
— De quel droit décident-ils de ce qui est bien ou mal ? Présenter le triolisme, les rapports lesbiens ou l'amour de groupe comme séditieux, ça revient à vous imposer leur morale sexuelle. C'est de la manipulation mentale !

Anne-So avait élevé la voix jusqu'à quasiment crier. J'ai jeté un coup d'œil inquiet aux alentours ; personne ne semblait faire attention à nous.

— Fais gaffe, Patrick ! m'a-t-elle soudain lancé en m'agrippant le bras. Je ne participerais plus à aucune expérience de ce genre, si j'étais toi.
— Pourquoi ? Ça marche pas ?
— Au contraire, ça marche même très bien… Sauf que là, on parle de techniques AVERSIVES de modification du comportement, d'altération de la personnalité. Ça peut avoir des effets secondaires totalement dévastateurs !

Avant que je ne puisse lui demander des détails, Anne-So avait tourné les talons. Lorsque j'ai fait mine de la suivre, je me suis aperçu qu'on nous observait. Gandalf, accoudé aux baies vitrées de la salle commune !

Depuis quand était-il là, et qu'avait-il entendu notre petite conversation ?


Deux jours plus tard, alors qu'on finissait notre petit-déj sur la terrasse, je me suis rendu compte qu'Anne-So manquait à l'appel. Avait-elle fait le mur après avoir trompé la vigilance des G.O. ? Marianne semblait au courant de quelque chose, et visiblement elle mourait d'envie de partager son secret. Dès que nous nous sommes retrouvés entre nous, je l'ai interrogée sur l'absence de sa camarade.

— Elle s'est fait virer du stage.
— Hein ? Mais quand ça ?
— Hier soir.

Cinq paires d'yeux ont immédiatement convergé vers notre mascotte blonde.

— On était sur le point d'aller se coucher. Elle avait à peine effleuré la poignée de sa porte que Gandalf bondissait hors de la chambre, un carnet de notes à la main et un minuscule appareil photo en prime. Tout ça appartenait à Anne-So… s'il s'agit réellement de son prénom.
— Quoi ?
— C'est une journaliste, Patrick ! Elle s'est inscrite sous une fausse identité pour écrire un article sur New Life et sa cure miracle.
— Je le sentais depuis le début ! s'est exclamé Ludo. Y avait un truc qui sonnait faux chez cette nana ; ses histoires de cul n'étaient pas crédibles !

Je restais dubitatif de mon côté. Les relations équivoques avec son père, sa haine contre cette mère qui faisait semblant de ne rien voir mais couvrait tout… Il y avait de tels accents de vérité dans sa voix ! OK, il s'agissait d'une intello, et elle en savait plus long que quiconque sur la prise en charge et le traitement des addictions sexuelles. Mais rien ne prouvait qu'elle s'était infiltrée parmi nous pour pondre un papier à sensation.

— Ils lui ont piqué ses photos, mais c'est pas ça qui l'empêchera de sortir un reportage, a dit Christian, un gars qu'on n'entendait pas très souvent vu qu'il passait son temps à loucher sur Marianne. J'espère juste qu'elle changera les prénoms…

« Changer les prénoms… » Cette simple phrase a suffi à répandre la terreur dans mon esprit. Et si Anne-So était réellement journaliste ? Et si elle déballait nos thérapies de groupe pour faire mousser son papier ? J'imaginais déjà le titre de l'article : « Mon stage chez New Life », avec un luxe de détails graveleux sur nos vies et ce qui nous avait conduits jusqu'ici… Merde ! Et moi qui n'avais avoué que le dixième de mes turpitudes à Nathalie ! J'imaginais ma femme en train d'apprendre le reste, en lisant un magazine chez son coiffeur ou son esthéticienne…

— Oh, putain ! La salope !


J'ai fini par trouver mon rythme au milieu de mes compagnons. Le déballage matinal n'était plus aussi humiliant, et il y avait cette impression réconfortante de ne pas être seul face au cycle infernal de la concupiscence (un joli mot-tiroir à lui tout seul), du passage à l'acte et du sentiment de déchéance post-coïtal.

Bien qu'elle continuât à me faire magistralement la gueule, je téléphonais à Nathalie deux fois par semaine. Toujours insensible à mes demandes de pardon, mes excuses tardives, elle continuait néanmoins à prendre mes appels. C'était un lien ténu, mais un lien quand même.

Puis, vers le milieu du stage, tout a basculé. C'était en pleine nuit ; je faisais un rêve érotique où ma femme, pour une fois, me taillait une pipe d'enfer (c'est dire l'envie que j'avais de la retrouver !) quand on m'a brutalement secoué par l'épaule.

— Réveille-toi, Patrick !
— Brrrpmf… Quoi ? C'est déjà l'heure ?
— Ouais, l'heure de tirer son coup ! a ricané quelqu'un dans mon oreille.

Je me suis hissé sur un coude pour voir qui parlait. Le quelqu'un en question me foutait sa lampe en pleine poire.

— Vous pouvez baisser ça ? Merci.

La torche a basculé pour éclairer les trognes hilares de Ludo et Christian.

— Qu'est-ce que vous foutez là, les mecs ?
— On cherche un partenaire pour un strip-poker à quatre avec Marianne.
— C'est quoi, ce délire ?

Pour toute réponse, Christian a brandi une paire de pinces coupantes.

— La voie est libre, amigo !

Et là je me suis rappelé que Christian bossait dans une fabrique de systèmes d'alarme. Ces cons-là avaient neutralisé les capteurs protégeant la piaule des filles !

L'afflux brutal d'adrénaline et de testostérone m'a complètement réveillé. Une sensation de chaleur familière m'est remontée des couilles à l'estomac, s'emparant soudain de ma volonté. Gambergeant à toute vitesse, j'ai pensé à Nathalie, aux efforts pour la récupérer, à mon envie de retrouver le droit chemin…

— Allez, dépêche ! La caverne d'Ali-Baba n'attendra pas toute la nuit !

Je me suis levé, habillé machinalement. Après tout, un strip-poker c'est pas la mort, non ?

Marianne nous attendait, en effet. Allongée sur le pieu, on aurait dit Shéhérazade envisageant de se laisser séduire par le sultan, le grand vizir, et même le maraudeur de passage. Ses grands yeux nous étudiaient d'un regard chargé de désir, deux billes d'écume et de saphir brillant d'un feu insatiable, qui témoignait de l'état de sa cheminée. Elle était maquillée et fardée comme une poupée version gonflable.

Trois mecs, une fille : des tas de possibilités.

— Euh… quelqu'un a des cartes ? ai-je demandé, mal assuré.
— Inutile, je viens de perdre par abandon, a déclaré notre incube d'une voix rauque.

Puis elle s'est levée, a commencé à onduler en dénouant ses cheveux. Elle oscillait sur place sans cesser de nous fixer, tenant sa crinière relevée bras au-dessus de la tête, bouche entrouverte. Par moments, un petit bout de langue impertinent humectait sa lèvre supérieure. Je me sentais dans la peau d'un charmeur de serpents envoûté par son propre crotale…

L'excitation jouait de la harpe le long de ma colonne vertébrale ; je dégoulinais littéralement. Marianne a lâché sa toison pour défaire les premiers boutons de son chemisier. Ses boucles dorées sont retombées en pluie sur ses épaules, dans un ralenti surnaturel. Wouah ! La texture de sa chevelure, épaisse et soyeuse ! Je crois que j'aurais pu jouir rien qu'en entortillant une de ses mèches autour de ma bite.

Du côté des garçons, ça commençait à s'agiter sévère. Ludo avait retiré son chandail, Christian son pantalon, dévoilant une érection qui tendait son boxer comme un diable à ressort. Quant à moi, j'étais incapable de bouger ou d'ôter les yeux de cette paire de seins magnifiques, empaquetés dans un soutif aussi noir que l'âme de sa propriétaire. Bon Dieu, qu'est-ce qu'elle allait prendre, la pauvre ! Quinze jours d'abstinence, un trio de mâles en rut… Ça allait être monstrueux !

Toujours entraînée par cette petite musique qu'elle était la seule à entendre, Marianne balançait des hanches. Et, dans le même mouvement, faisait glisser sa jupe sur ses cuisses dorées. Centimètre par centimètre, elle a dévoilé un string en dentelle ajourée, déjà marqué d'une belle tache d'humidité. On a eu un nouvel aperçu de son mont de Vénus à travers le tissu transparent, une belle colline glabre surplombant le capuchon de son clito, lui-même traversé par un anneau d'argent. Je m'imaginais déjà en train de passer ma langue dans ce bijou, tiraillant ses chairs ruisselantes pour l'obliger à m'ouvrir la source de son plaisir…

Pendant ce temps, elle continuait sa danse du ventre sans s'occuper de nous. Ludo, complètement à poil, à présent, s'est glissé derrière elle et a posé la bouche à la jointure de sa clavicule et de son cou, lui embrassant la gorge avec l'empressement d'un vampire. Soudain tremblante, la jeune demoiselle – qui avait sciemment choisi de se laisser baiser à mort ! – a fermé les yeux avant d'égarer ses doigts dans la tignasse de son bourreau. Un long râle a franchi ses lèvres ourlées, comme si l'autre salaud lui suçait directement la chatte au lieu de lui mâchouiller la carotide. S'il ne l'avait pas retenue par la taille, elle se serait effondrée à ses pieds…

Il lui a glissé un mot à l'oreille. Obéissante, Marianne a lâché la queue qu'elle branlait d'une main leste pour dégrafer son soutien-gorge, nous faisant profiter d'une vision enchanteresse. Ses obus ont quitté leurs logements, exposant des bouts turgescents, rouge vif, raides comme des petites phalanges. D'une longueur obscène, cette chair dressée était martyrisée par des boucles de métal qui la transperçaient de part en part.

J'avais eu l'intention de n'être que spectateur. Sincèrement. Mais en voyant les tétines bandées de cette salope, j'ai senti mes résolutions m'abandonner comme de l'eau filant entre mes doigts. Je ne voyais plus en Marianne l'orpheline ballottée de famille en famille, internée chez les bonnes sœurs, avide du regard des hommes et de leur reconnaissance, prête à tous les sévices pour ne pas risquer à nouveau l'abandon… À cet instant-là, il n'y avait plus qu'une pute magnifique en manque d'amour !

Ludo, lui, ne perdait pas le nord. Un sourire sadique aux lèvres, il s'est mis à tirer sans ménagement sur les nichons de notre victime consentante, allongeant ses mamelons aux limites de la rupture. La bouche entrouverte sur un cri muet – on ne savait s'il s'agissait de douleur ou de plaisir – notre blonde de choc se pâmait. Pendant que les anneaux la suppliciaient, écartelant ses seins tels des crocs de boucher, Marianne avait enfoui la main dans sa culotte pour se masturber comme une folle.

— Vas-y doucement ! a dit Christian, tout en se massant le sexe avec volupté. Ce serait dommage d'abréger le show…

Nouvelles paroles murmurées à l'oreille de Marianne qui s'est exécutée, faisant glisser le string à ses pieds. Puis qui s'est mise à quatre pattes sur le pieu, sans chichis.

— Voilà de belles grottes à explorer les amis ! s'est extasié Ludo en joignant le geste à la parole.

Sous nos yeux écarquillés, il a enfoui d'un coup trois doigts dans l'intimité de Marianne, sans aucune préparation. C'est entré aussi facilement qu'une fiche électrique dans une multiprise. Je me suis soudain rappelé l'énorme gode que j'avais vu dans la valisette de la petite blonde. À force de pratique, notre amante partagée devait être capable de performances hors du commun…

— Oh, putain ! C'est pas une caverne qu'elle a, c'est carrément le tunnel sous la Manche !

Tel un automate, Christian s'était avancé, la queue à la main.

— Y m'la faut, cette pute ! Laissez-moi me la faire le premier !
— Doucement, mon joli ! Tu vas la baiser, pas de problème, comme nous tous. Mais amusons-nous d'abord un peu avec elle, d'accord ?

Ludo s'est penché vers Marianne pour lui demander son avis.

— Ça te va, ma poulette ?

Voyant qu'elle ne réagissait pas, il lui a assené une grosse claque sur les fesses. Marianne a gémi faiblement avant de répondre :

— Faites… ce que vous voulez… mais baisez-moi !
— T'inquiète, ma chérie, on va bien s'occuper de toi.

Ils ont commencé à faire coulisser leurs doigts dans ses orifices, le regard halluciné, les lèvres crispées, l'air aussi absorbé que s'ils entrelardaient une volaille. Je devais avoir les mêmes yeux qu'eux, la même expression débile du mec obnubilé par ses fantasmes tordus, préoccupé uniquement de jouir, le sabre au clair, le gourdin bien arrimé, la lance en avant…

Une nausée pernicieuse était en train de m'envahir : c'était mal ! Nous ne devions pas…

— Hé, l'ahuri, qu'est-ce tu branles ? m'a soudain apostrophé Ludo. T'entends pas comme elle gueule ? Fous-lui ta queue dans la bouche avant qu'elle réveille tout le quartier !

Prise de frénésie, Marianne remuait les hanches à toute vitesse et dans le même temps hululait une bouillie de mots où s'entremêlaient les expressions les plus crues.

J'ai ravalé mon envie de vomir, fait le tour du lit en me défroquant, puis j'ai avancé ma timide érection vers cette harpie. Je me sentais dans la peau du type qui s'apprête à jeter sa viande aux lions. Marianne s'est hissée sur les coudes, le menton tendu, ouvrant grand la bouche pour que j'y enfourne ce qui me passait par la tête. Je me suis contenté d'y glisser ma queue, encore un peu mollassonne – forcément, avec toutes les pastilles dont on nous gavait… Elle a refermé les lèvres sur mon membre, m'immergeant dans la fournaise moelleuse de sa bouche. Heureusement, il lui restait assez de lucidité pour ne pas y mettre les dents.

Tandis que je la pistonnais avec mon glaive émoussé, elle me fixait par en dessous, ses beaux yeux bleus, presque révulsés, accrochés à moi. Me voyait-elle vraiment, ou n'étais-je qu'un fugace prétexte à ses propres fantasmes, Dieu sait quelle combinaison d'amants à grosses bites, qui peut-être avaient failli avoir sa peau à force de la prendre ?

Je ne sais pas ce que les autres trafiquaient derrière l'horizon bombé de son postérieur – je voyais juste le poignet de Christian coulisser entre ses fesses – mais ça semblait lui faire de l'effet. Elle a soudain cessé de balancer son corps d'avant en arrière, a bloqué ma queue bien au fond de sa gorge et s'est mise à souffler par le nez tout en poussant des grognements sourds. Agités de trémolos, sa langue et son palais me faisaient un massage localisé, compensant l'effet de ses molaires verrouillées sur mon gland.

Son premier orgasme depuis deux semaines, avec en guise de bâillon ma pine en caramel mou… Autant dire que je n'osais plus bouger d'un poil !

Marianne a recraché ma bite et s'est mise à haleter, luttant pour recouvrer son souffle, la tête juste au niveau de mon pubis. J'en ai profité pour enfouir mes mains dans la masse de sa chevelure, électrisé par les boucles compactes. Il y avait autre chose en elle qui me faisait envie… Je me suis penché en avant pour saisir l'un de ses seins, rond et lourd, cherchant à tâtons le bijou qui le crucifiait. J'avais à peine eu le temps de tirer deux ou trois fois sur l'anneau qu'une nouvelle « réaction en chienne » se déclenchait chez ma partenaire.

Sa bouche s'est mise à chercher ma queue, ses doigts faisant rouler mes bourses enveloppées par la chaude pellicule d'air de sa respiration oppressée. Pendant quelques instants, je lui ai giflé les joues avec mon membre, l'empêchant de le gober à son aise. Marianne a fini par s'emparer de ma bite, entamant aussitôt une série de succions à défaillir de bonheur. Mais ça ne me suffisait pas. Je l'ai agrippée fermement par la crinière, guidant ses mouvements pour qu'ils soient bien amples. Dans le même temps, des mains nerveuses la tenaient par les hanches : pendant que je m'efforçais de la prendre par la bouche, Christian la remplissait sèchement, un rictus sauvage figeant ses traits.

Toujours docile, notre esclave s'est remise à osciller d'avant en arrière. L'anatomie féminine étant bien faite, nous profitions de ce mouvement de balancier pour nous faire cajoler à contretemps. Pour mieux sentir chaque centimètre de nos chairs happé par ses orifices, nous lui faisions faire la navette le plus lentement possible, ce qui la rendait quasi folle. Elle tremblait, elle luttait pour accélérer le mouvement ; peine perdue : nous la tenions, qui par la nuque, qui par les hanches…

— Une vraie machine à sucer, cette nana !

Ludo était venu se placer à mes côtés, attendant sans doute que je gicle pour prendre ma place. Il n'en a pas eu le temps. Marianne a lancé sa main à l'aveuglette, se saisissant du chibre disponible. Elle tenait enfin quelque chose qu'elle pouvait actionner à son rythme !

Frustrée par notre indolence, elle s'est mise à le branler à toute vitesse, son poing pistonnant la bite de Ludo avec une rare férocité. Sans nous concerter, Christian et moi avons aussitôt accéléré le mouvement, à la grande joie de la poulette empalée sur nos manches. Le résultat ne s'est pas fait attendre : alors qu'elle essorait Ludo avec le talent d'une professionnelle, celui-ci a laissé échapper un râle et s'est mis à gicler dans ses cheveux, en longues saccades béates.

À la vue des jets poisseux s'écrasant sur les boucles blondes de notre délicieuse camarade, une décharge de lubricité m'a tendu en avant… et j'ai explosé sur sa langue, inondant sa gorge de ma semence. Quelques secondes plus tard, c'était Christian qui poussait un hennissement de zèbre (une vraie ménagerie, je vous dis !) avant de se caler en elle bien à fond et de l'asperger de fluide assainissant.

Et c'est là que le rêve a brutalement viré au cauchemar !

La porte de la chambre s'est ouverte à la volée et Gandalf est apparu, la barbe en bataille, sanglé dans une robe de chambre lie-de-vin qui n'était pas sans rappeler le teint de son visage. Il nous a dévisagés d'un œil noir, dans un silence éloquent. On a bien tenté de balbutier quelques explications, mais franchement, la situation parlait d'elle-même…


Le lendemain matin, Gandalf a reporté la psychothérapie de groupe pour nous recevoir dans son bureau l'un après l'autre. Depuis l'irruption du gourou dans la chambre de Marianne, on n'avait pas eu l'occasion de communiquer. On nous avait tenus au secret, comme une bande de criminels empêchés de s'entendre sur une même version des faits.

J'étais dans mes petits souliers. Pire que ça, je faisais carrément dans mon froc ! Cette connerie risquait tout simplement de me coûter ma place dans le stage. Pour moi, c'était la pire catastrophe qui soit, l'anéantissement définitif de mon mariage ! Par la faute de Ludo et Christian, je me retrouvais pris la main dans le sac, piégé comme un rat !

Comment j'allais les soigner, ces deux-là ! Ils allaient ramasser, les enfoirés ! Sauf que je n'ai pas eu le loisir de baver sur leur compte : le Grand Maître m'a convoqué en dernier.

J'avais eu près d'une heure pour mettre au point ma stratégie : dire toute la vérité, énoncer les faits bruts, tels qu'ils s'étaient produits. Au courant de rien, innocent comme l'agneau, on m'avait tiré du lit pour une simple partie de cartes (OK, de strip-poker ; c'est vrai, entre quatre obsédés du cul, y avait toutes les chances que ça dégénère). Une fois la partouze lancée, je n'avais rien pu faire, étant moi-même tétanisé par ce qui se passait autour de moi. J'étais prêt à tout pour prouver mon envie d'être soigné, jusqu'à me mettre à genoux devant le vieux barbu pour qu'il m'épargne. Tout, pourvu qu'on ne dise rien à Nathalie et qu'on ne me renvoie pas chez moi illico !

Finalement, Luc et Deborah sont venus me chercher. La jeune femme avait l'air désolé pour moi. C'est elle qui m'a annoncé l'exclusion de Marianne et Ludo. Pour Christian, c'était encore en débat. Évidemment, les décisions du Maître étaient applicables dans l'instant, sans possibilité d'appel. J'ai trouvé ça dégueulasse : c'est quand même Christian qui était à l'origine de tout ce gâchis : sans ses compétences techniques et sa fixation sur la petite blonde, rien ne serait arrivé.

C'est donc en état de choc que je suis entré dans le bureau de Gandalf, un voile gris devant les yeux. Au moment de m'asseoir, je me suis soudain rendu compte qu'il n'était pas seul. Installé à la droite de Dieu, cette fouine de psychologue me fixait avec autant de sympathie qu'un étron grouillant d'asticots.


— Puisque je vous dis que je veux guérir !

Mon compte était bon. Le psy doutait franchement de ma motivation à changer et, pire, il avait réussi à persuader Gandalf que j'étais irrécupérable. Pour lui, je n'étais qu'un queutard terrifié à l'idée de perdre sa femme, prêt à toutes les compromissions pour passer entre les mailles du filet.
À ma grande honte, je dois bien admettre que cette ordure n'avait pas tout faux…

— OK, je comprends quand vous dites qu'on ne peut pas soigner les gens malgré eux, mais je suis certain qu'il existe une solution pour CHAQUE cas. Si vous le vouliez vraiment, vous pourriez m'aider.
— Mouais, exact, a tranché le psy. On pourrait vous lobotomiser…

Je n'ai pas essayé de savoir s'il plaisantait. Le mot « humour » ne semblait pas faire partie de son dictionnaire.

— Ce n'est pas si simple, Patrick, a tempéré Gandalf. Rappelez-vous mon discours aux nouveaux : seuls ceux qui s'impliquent personnellement peuvent s'en sortir.
— Pourquoi !?
— Pourquoi quoi ?
— Pourquoi ne pourriez-vous pas aider les gens qui ont… quelques faiblesses de caractère, on va dire. Pour les fumeurs, y'a bien les patchs à la nicotine, les anneaux gastriques pour les obèses, les éthylotests et les flics pour les ivrognes.
— Ridicule, a fait le psy. Vous voudriez quoi ? Une castration chimique ? Vous n'êtes pas un violeur, Hibanez, juste un pervers moyen.

Dans sa bouche, le terme « moyen » devenait presque insultant. Lui, par contre, était un salopard de tout premier ordre !

— Intéressante, cette comparaison avec l'alcoolisme, a intercédé Gandalf. En un sens, les addictions sexuelles sont nettement plus difficiles à circonscrire, voyez-vous.
— Ah oui ?
— Tout à fait. Un alcoolique peut cesser toute consommation sans que cela n'ait d'impact sur son quotidien ou celui de ses proches. Mais le sexe ? Votre but n'est pas de vous priver de toute vie sexuelle, n'est-ce pas ?
— Non, évidemment… Je veux simplement arrêter de tromper ma femme. Vous ne pouvez rien faire pour ça ?

Gandalf pleurait de rire devant l'énormité de mes propos. Le psy, lui, demeurait silencieux. Il a fini par prendre la parole, d'une voix prudente et mesurée, tout en flattant pensivement sa petite barbichette.

— Il y aurait peut-être une nouvelle approche thérapeutique à tenter… Nos collègues russes ont quelques expériences à leur actif dans ce domaine.

Ce type me flanquait la trouille. Mais soudain, il paraissait moins affirmatif quant à l'incurabilité de mon cas. Ce qui pouvait se révéler décisif pour la suite.

— Que veux-tu dire, Yann ? lui a demandé Gandalf en arquant les sourcils.
— Au lieu de détourner Hibanez du porno, on pourrait tenter de le dégoûter de l'infidélité.
— Tu plaisantes, j'espère ; l'infidélité est un comportement complexe, mettant en jeu une forte charge émotionnelle. Il n'y a pas de déclencheur simple, comme pour la pornographie.
— C'est surtout vrai pour les femmes, Rémy. Pense au « syndrome du chasseur »…
— Euh… c'est quoi, le « syndrome du chasseur » ? les ai-je interrompus.

Le psy m'a jeté un regard impatient, comme à un microbe s'inquiétant du traitement qui va l'éradiquer. Puis, martelant chaque mot, il a daigné développer en termes choisis :

— Pour s'engager dans une aventure extraconjugale, les femmes ont généralement besoin d'une raison ; d'un homme qui les rassure, qui les fasse se sentir sexy, désirées, jeunes. Les hommes, eux, ont simplement besoin d'une occasion. Pour certains, le simple fait qu'une femme ait l'air d'avoir envie de coucher suffit à déclencher un passage à l'acte. Voilà ce que nous appelons le « syndrome du chasseur », Monsieur Hibanez.

C'était assez proche de mes propres théories. Je me suis toutefois abstenu d'approuver, ça aurait pu être contre-productif…
Gandalf a repris la parole :

— Et en pratique, Yann, tu t'y prendrais comment ?
— Il y a très peu d'émotions impliquées dans l'infidélité masculine. Dans le cas de Patrick Hibanez, nous avons un homme qui trompe sans vraiment réfléchir. Ça arrive probablement trop vite pour lui, et ça lui semble trop naturel pour qu'il s'abstienne, tout comme un chien qui aboierait quand on sonne à la porte… Et c'est là où un conditionnement approprié peut faire la différence !

Les deux compères ont ergoté dix minutes avant de tomber d'accord sur le principe d'une thérapie et le choix d'un protocole. De mon côté, j'acceptais d'être leur cobaye à condition qu'on ne dise rien à ma femme et qu'on ne rallonge pas la durée de la cure. C'est ce dernier point qui semblait surtout poser problème.

— Il faudra le faire revenir, a protesté Gandalf. On n'a pas les bandes vidéo adéquates…
— En fait, si. Il se trouve que j'ai entamé certains travaux de recherche avec Léonid Papatchenko de l'université de Kiev, sur… eh bien, sur un conditionnement à la fidélité. Il y a déjà quelques séquences inductives prêtes à servir.

Gandalf paraissait surpris. Comment !? Le gourou n'était pas au courant de ce qui se tramait dans sa propre secte ? C'est le psy qui risquait de passer un sale quart d'heure !

— Je ne l'ai pas encore annoncé au directoire ; je voulais t'en parler avant, Rémy. Et puis, il nous manquait des volontaires ; mais nous avons monsieur Hibanez, maintenant : il fera très bien l'affaire. Simplement, il faudra enchaîner les séances à un rythme plus soutenu.
— Euh… soutenu comment ? me suis-je inquiété.
— Eh bien, considérant le temps qu'il nous reste, le manque de recul pour calculer la dose exacte et sachant que vous êtes un sujet particulièrement rétif, je dirais deux expositions…
— Ah !
— … par jour.

J'ai eu soudain très mal aux seins !


Évidemment, j'ai dit oui. Pas le choix ! Ils m'ont fait signer un tas de décharges, m'ont confiné en isolement jusqu'à la fin de la cure, à l'écart des autres. Le psy me tournait sans cesse autour, comme une mouche à merde. Bizarrement, depuis qu'on lui avait donné l'autorisation de bidouiller mon cerveau, il était beaucoup plus sympa avec moi. Comme un gosse excité par un nouveau jouet, j'imagine.

On m'a gavé de séquences vidéo sur l'adultère, en me branchant des pinces électriques un peu partout (et pas seulement sur les tétons !). J'ai dû avaler des tonnes de pilules, à en être malade comme un chien. Les derniers jours, l'idée même de me rendre aux séances biquotidiennes de training mental me filait de l'urticaire, des sueurs froides, une tachycardie de chevreuil acculé par une meute de chasseurs.

Le plus spectaculaire, à la fin du traitement, c'était les griffures et les ecchymoses sur tout le corps. Impressionnant mais pas grave du tout. J'ai même fini par m'en réjouir, imaginant que ça pourrait jouer en ma faveur auprès de Nathalie, un élément supplémentaire pour la convaincre de me reprendre. Je m'y voyais déjà : le retour triomphal du mari volage devenu women-proof, définitivement guéri par sa traversée de l'enfer, un périple accompli pour la seule femme qui compte : la sienne !

Je ne serais plus jamais en mesure de la tromper, la simple évocation du mot « infidélité » jouant pour moi le rôle d'un crucifix brandi à la face des lycanthropes. Même les créatures les plus bandantes de l'univers ne parviendraient plus à me faire dévier de ma route (peu importe que ce soit par les vertus d'un conditionnement médical, et non par ma force de caractère). J'essayais de m'en réjouir, me disant que j'avais fait le bon choix. Débarrassés de mes problèmes d'inconstance, nous allions retrouver notre vie de couple, mener enfin à bien notre projet d'enfant…

Lorsque les pinces crocodile cessaient de grésiller sur ma peau et qu'on me diffusait du bonheur conjugal prêt à consommer, je fermais les yeux pour y substituer mon propre film : Nathalie et moi nous promenant le long de la Garonne, embarquant pour des destinations ensoleillées à mille lieues de nos soucis, faisant l'amour au pied d'un chêne, sur la nappe à carreaux d'un repas champêtre…

Qu'il est bon d'aimer sur ordonnance !


Enfin le jour « J » ! Voilà près d'une heure que je file sur l'autoroute. J'ai dépassé Foix ; j'arrive bientôt sur Toulouse. Le mas est loin derrière moi. Tout ce qui compte, c'est que ce soit terminé ! J'ai mon certificat de cure dans la boîte à gants, avec l'attestation de Gandalf et du psy. C'est écrit en toutes lettres : je suis guéri. GUÉRI !
Je me sens comme un étudiant sur la route des vacances, après une brillante réussite aux examens…

Ils m'ont fait la surprise de me libérer ce matin même. Évidemment, il n'était pas question que je participe à la remise officielle des diplômes. Deborah m'a raccompagné jusqu'à la voiture pour me souhaiter bonne chance. Au moment de lui faire la bise, une impulsion m'a traversé l'esprit : « Vas-y, touche-lui les seins une dernière fois. De toute façon, elle s'en fout. » J'avais à peine esquissé un geste qu'une douleur atroce me traversait les doigts. La voilà, ma confirmation : mes envies n'ont pas disparu. Simplement, entre elles et le monde extérieur, il y a à présent un filet électrique à 10 000 volts…

Je n'ai pas encore appelé Nathalie. J'envisage de lui faire la surprise en arrivant bien en avance sur l'horaire, armé d'un gros bouquet et de ses chocolats préférés. Avec le maigre espoir que cela suffise à rattraper le dernier coup de fil, aussi glacial que les précédents.

Arrêt sur une aire d'autoroute pour refaire le plein. Au moment de payer, je passe devant un présentoir qui déborde de revues pornos. Sans réfléchir, je tends la main vers le dernier Penthouse. Ma vision se trouble aussitôt, des crampes me tordent le bras, je suis à deux doigts de tomber dans les pommes. Les gens dans la boutique me zieutent avec inquiétude, craignant sans doute que je me mette à gerber. Dès que je repose le magazine, ça va un peu mieux.
C'est pas un filet de protection dans ma tête : c'est carrément la brigade antigang !

Je me dépêche de payer, saute dans la voiture et démarre en trombe. Tout ça commence à me faire flipper ! Comment je vais faire, moi, si je peux même plus fantasmer ?

Je ralentis un peu sur la quatre-voies avant d'imaginer Nathalie à poil, m'offrant une vision quasi gynécologique de sa chatte, exposée en grand entre ses cuisses écartées : rien ne se passe, pas la moindre douleur, le plus petit symptôme… Je repense alors à Laetitia, offerte dans la même position, ses gros seins aux aréoles sombres n'attendant que mon bon plaisir, les lèvres de son con dégoulinant de jus. Une grosse embardée manque de m'envoyer dans le décor. Putain ! Cette saloperie de conditionnement fonctionne à plein tube ! Ce truc est en train de censurer mes pensées les plus intimes ! On m'avait rien dit de tout ça, chez New Life. Jamais je n'aurais imaginé que le contrôle soit aussi strict ! « Calme-toi, me raisonné-je. T'as toujours Nathalie. Suffit juste que de se concentrer sur elle, et tout ira bien… »

C'est ce que je fais durant les deux heures qui suivent, me jouant mille scénarios avec ma femme dans le rôle principal. Rouler m'a toujours filé la gaule, et après un mois d'abstinence (ou presque), je peux vous dire que j'ai la tête farcie d'idées explicites ! Naviguant entre passé et futur, je me remémore nos baises des débuts, quand aucun de nous deux ne semblait pouvoir se rassasier de l'autre. Je revois nos soirées passées sous la couette, sa bouche vissée à ma queue, nos polissonneries en plein-air, les hôtels clandestins à la pause-déjeuner…

Me voilà enfin arrivé à Clermont. Une halte rapide chez le fleuriste, un saut au rayon chocolats chez Auchan, et en un rien de temps je me retrouve devant notre pavillon. Petit serrement de cœur en appuyant sur la sonnette ; ça va bientôt faire trois mois qu'elle m'a foutu à la porte. Quelques secondes s'écoulent dans le calme d'un début d'après-midi sans voitures. Pas un bruit dans la maison. J'insiste, plus lourdement cette fois. Toujours rien. Peut-être qu'elle est sortie faire les courses ? Pas grave, j'ai toujours mon double.

Impossible d'enfoncer la clef en laiton dans la serrure malgré mes efforts laborieux. J'examine, incrédule, le barillet récalcitrant, vérifie qu'il s'agit de la bonne clef, m'énerve sur la poignée qui persiste à me refuser l'entrée… et finalement, j'admets l'inadmissible : cette salope a fait changer la serrure ! Je tambourine à grands coups de poing sur le battant de la porte avant d'y balancer un coup de pied rageur, m'écrasant le gros orteil.

— Ils sont partis hier, vous savez. Votre dame et le monsieur à la belle voiture.

Le père Étienne, comme on le surnomme dans le quartier, est accoudé à sa bêche, au coin de la clôture qui sépare notre villa de son jardin. Il me fixe avec un air que je n'aime pas du tout.

— Qu'est-ce que vous racontez ?
— C'est comme je vous l'dis. L'a fait ses valises pour filer avec ce type. Paraît qu'y vont en Espagne…

Je suis trop estomaqué pour réagir. L'autre tire une enveloppe cornée de sa salopette.

— Tenez, on m'a chargé de vous donner ça…

D'un hochement de tête, je le remercie pour la lettre (il l'a ouverte, évidemment). Je n'ose pas dégoupiller l'enveloppe qui va réduire ma vie en miettes. Je ne me rappelle pas avoir jamais eu la bouche aussi sèche…

Patrick,
J'ai failli écrire « Cher Patrick », par habitude je suppose… Mais ça n'aurait pas été franc de ma part. Honnêtement, il n'y a plus rien de cher à mon cœur quand je pense à toi.

Ces dernières semaines m'ont fait réfléchir. Je pensais qu'il suffirait que tu changes pour que l'on puisse recoller les morceaux. Mais à présent, je sais que ce qui s'est brisé entre nous ne pourra pas être réparé. Je ne pourrai plus retrouver la confiance, la tendresse, l'amour que j'avais pour toi, ou plutôt pour ce Patrick que j'ai connu un jour. C'est ainsi, il faut l'accepter (avoue que tu y as mis du tien).

Tout à fait entre nous, je n'ignorais rien de ce que tu faisais, va ! Tu étais tellement peu discret… Simplement, je ne voulais rien connaître de tes sordides histoires. Je ne sais pas si ce stage t'a permis d'évoluer ; ce que je sais, en tout cas, c'est que moi je ne suis plus la même. Mon regard sur moi-même a changé. Jean-Bernard m'a aidé à ouvrir les yeux sur la femme que j'ai cessé d'être, occultée par ce rôle d'épouse docile et « affectivement dépendante », comme tu te plaisais à le dire.

Fumier de Montbrison ! Je vois enfin clair dans son jeu. Il nous a manœuvrés comme des gosses, m'envoyant au diable pour pouvoir tranquillement séduire Nathalie, lui faire oublier son manque de charisme en montant en épingle mes travers. Le baisemain obséquieux, les confidences sur canapé, voilà comment il les emballe, ce mou du genou !

La suite est du même tonneau. Nathalie m'explique avoir succombé à l'amour comme d'autres sont touchées par la grâce, à quel point Jibé est un être rare et sensible, la beauté magnifique de leur rencontre, les sentiments mutuels qui les lient. M'avoir cocufié pendant la cure ne la gêne évidemment en rien. Ça doit même être une douce revanche pour l'épouse « affectivement dépendante », tellement brisée par mes incartades et mes mensonges.

Quant à la fin de la lettre, c'est un véritable festival : ils quittent Clermont-Ferrand pour Punta Negra, sur la Costa del Sol, afin de s'aimer en toute tranquillité dans la garçonnière de l'autre con. Ça doit être là qu'il rapatrie ses conquêtes, les clientes en mal d'amour qui lui tombent toutes cuites entre les bras.

Mais c'est dans ses dernières lignes que Nathalie m'assène le coup de grâce :

Je sais que les élans de Jean-Bernard sont sincères. Nous n'avons rien projeté d'officiel, mais je veux être libre si tel devait être le cas. Je lui appartiens désormais, tu comprends ? Ce qui m'amène à la suite logique de tout ceci : j'exige le divorce. Tu trouveras ci-dessous les coordonnées de mon avocate ; elle prendra contact avec toi pour lancer la procédure. Tu ferais mieux de te trouver un conseiller juridique avant mon retour à Clermont, et un bon : on m'a dit qu'elle était redoutable.

PS : J'ai failli oublier ! Ne perds pas ton temps avec le serrurier : j'ai donné toutes tes affaires au Secours Catholique.

Salope jusqu'au bout ! J'hésite entre lacérer sa putain de lettre et l'agonir d'injures sur son portable. Mais je suppose qu'elle doit filtrer ses appels…

— Allez, faites pas cette tête-là ! Une de perdue, dix de retrouvées… surtout dans vot' cas !

C'est une tête au carré que je vais lui faire à cet imbécile, s'il continue ! Et puis soudain, ce qu'il vient de dire me frappe de plein fouet. Si Nathalie me quitte, alors il n'est plus question de fidélité entre nous… Comment est-ce que mon conditionnement va réagir à ça ?


Mal, très mal je suis. Ça fait six mois maintenant que j'ai pas tiré mon coup. Impossible d'approcher une nana sans que ça finisse en syncope. Peux même plus me branler. C'est simple : dès que je touche ma bite, mon corps entre en éruption. Depuis mon passage chez New Life, ma vie sexuelle repose dans un coffre-fort inviolable dont seule Nathalie détient la clef !

Me voilà marqué à jamais par une fidélité épidermique à mon ex. Ce serait presque drôle si ce n'était pas aussi horrifique… Le conditionnement qui devait me détourner de l'adultère s'est transformé en véritable fixation ! Comme si mon esprit avait subi une altération indélébile, une sorte de « tatouage mental » me rendant allergique à toute présence intime autre que la sienne.

J'ai menacé Gandalf et son psy de les traîner en justice s'ils ne me rendaient pas ma liberté d'action. Ils m'ont ri au nez, me rappelant que je m'étais engagé par écrit à ne pas les poursuivre en cas d'échec du traitement. Je les ai alors implorés de me tirer de là. Et voilà ce que m'a répondu le psy :

— Nous pourrions tenter une imprégnation opposée, Patrick, vous « conditionner à l'infidélité » en quelque sorte… Sauf que votre cerveau ne le supporterait pas. Deux injonctions contradictoires s'affronteraient en permanence dans votre esprit, qui ne saurait laquelle suivre et finirait par disjoncter.
— On ne peut pas tout simplement supprimer cette « programmation », un peu comme on reformate un disque dur ?

Cet enfoiré a ri à l'autre bout de la ligne. Il a ri ! Comme si ce calvaire vécu par sa faute se résumait à une aimable plaisanterie !

— D'une part, votre cerveau n'est pas un disque dur. D'autre part, je ne pense pas que le reformater, comme vous dites, soit le meilleur moyen de restaurer son contenu antérieur…

Cet échec ne me laissait plus le choix : il fallait que je récupère ma femme !

J'ai donc tenté de convaincre Nathalie par tous les moyens : supplications, promesses, chantage au suicide, colère, menaces contre elle et son Jules. Sans succès. Il ne me restait plus qu'à parier sur l'essoufflement de cette idylle de pacotille.

Le temps n'a rien arrangé à l'affaire ; l'hiver s'est enfui sans que Nathalie ne se lasse de son thérapeute adoré. Il y a deux jours, ils sont repartis pour l'Espagne. Je n'ai eu aucun mal à suivre la 600 SL noire de Jibé ; même sur l'autoroute, il se traînait comme un papy. S'il est aussi performant au pieu, c'est bien la peine que monsieur de Montbrison baise ma femme !

Deux jours que je me bourre de cachetons pour ne pas dormir ; deux jours que je les piste, surveillant à la jumelle les alentours de la villa. Pas de gardes du corps, pas de système d'alarme. Pas très prudent tout ça, mon petit Jibé !

Je pose mon Beretta 92 le temps de me resservir un café, allongé d'un peu de rhum. Je ne sais pas encore ce que je vais faire. Ces temps-ci, tout se brouille dans ma tête. Mais s'il y a bien une chose dont je suis certain, c'est que je vais remettre la main sur Nathalie.

Je vais la récupérer, d'une façon ou d'une autre.