Les associées de l'aube

La demeure a une autre gueule. Pièce par pièce, tout est modulé par les mains expertes de Pascaline qui n'a revu aucun des propriétaires. Elle se prépare à un week-end de repos bien mérité. Outils et matériaux sont rangés, et elle se lave les mains alors qu'une voiture coupe son moteur dans la cour. Elle ? Lui ? La blonde ne le sait pas encore. Un léger pincement au niveau de sa poitrine, réminiscence d'une vieille crainte de se voir reprocher par Hélène son corps-à-corps avec son homme ? Il y a sûrement beaucoup de cela dans la caboche de la décoratrice alors que des pas se font entendre dans l'entrée.

Un drôle de claquement sec venu d'elle ne sait où sonne comme un signal : c'est Léo qui, bouche bée devant les prodiges faits par la travailleuse, marque de la langue sa stupéfaction. Il est là, souriant, presque rassurant.

— C'est… super, Pascaline ! Incroyable, ce que tu fais de tes mains…

Les quinquets qui se posent sur elle sont remplis d'une admiration non feinte. Il a un geste pour venir la serrer contre lui, immédiatement écarté par celle qui se sent toujours coupable.

— Non. Non, Léo. S'il te plaît… Nous n'aurions jamais dû… Je me sens affreuse vis-à-vis d'Hélène.
— Mais… puisque je t'ai déjà dit qu'elle sait et qu'elle approuve.
— C'est toi qui le dis, mais moi je ne veux pas continuer à la tromper. Tu peux comprendre ça ?

Il reste à deux pas, des tremblements dans les bras et les jambes, sonné par ce revirement inattendu. Et la femme qui vaque à ses occupations range les derniers outils.

— Pourquoi tu te fais du souci pour moi ?
— Hein ?

Dans l'encadrement de la porte, dans une petite robe d'été, la femme brune qui se tient là sourit à celle qui baisse la tête. Hélène ! Elle est là aussi. Sans doute a-t-elle tout entendu de la conversation entre son mari et elle. Mais la large risette qui éclaire son visage n'a rien de menaçant. Elle s'avance vers le milieu de la pièce et tourne lentement sur elle-même.

— Odette a eu rudement raison de te recommander à nous ; c'est chouette ! Ça reflète exactement ce que j'attendais.

Elle ne bouge plus, le dos tourné vers la femme nerveuse qui se tait.

— Tu sais bien que je suis partageuse, Pascaline… ou devrais-je dire Aurore ? Léo ne m'a pas trompée avec toi au sens exact de ce terme. Hé, remets-toi ! Tromper, c'est lorsque l'un des deux n'est pas au courant. Moi, je l'ai encouragé à faire l'amour avec toi. Un simple retour des choses puisque lui me donne la permission de coucher avec de jolies femmes.
— Tu vois, Pascaline, je ne mentais pas : Hélène sait et approuve.
— … ! Je ne me sens pas plus propre pour autant ; je n'ai pas votre vécu en ce domaine. Vieux jeu, peut-être ? Mais d'un autre côté ça me rassure. Je vous envie.
— Pourquoi ? Tu peux toi aussi vivre des tas de trucs sympas. Tu sais, ma belle, je suis ici pour t'inviter. Passer un moment avec nous ce week-end, ça te dirait ? Léo et moi avons imaginé que…
— Avec vous ? Chez vous, vous voulez dire ?
— Ça te choque ? Plutôt que de faire l'amour à l'un ou à l'autre séparément, si c'était aux deux, et quand tu en aurais envie, n'est-ce pas mieux ? Enfin, c'est toi qui vois… Nous sommes à la maison pour un samedi et un dimanche tranquilles.
— Laisse-toi tenter, Pascaline. Nous serions ravis de te recevoir, et comme vient de le suggérer ma chérie, à trois ça peut être… sympathique. Qu'en dis-tu ?
— Vous… vous me prenez de court. Je ne sais pas trop si…
— Allons ! Pose-toi juste les bonnes questions. Léo et moi l'avons fait avant de venir te débaucher. Nous sommes tombés d'accord sur le fait que nous avons très envie de moments que tu vas sublimer. Un peu comme cette maison à laquelle tu redonnes une vie nouvelle. Un peu une autre âme que tes mains fines ont façonnée.

Que répondre à cela ? Une invitation à un moment de partage que ces deux-là assument avec un sourire à la clé… elle a besoin d'un instant de réflexion. Mais au fond d'elle-même, n'est-ce pas tout naturellement que son esprit et son corps savent déjà qu'ils sont au diapason des désirs de ce couple ? Ses tergiversations ne seraient donc qu'une façade de respectabilité, un rempart qui vole en éclats sous l'influence bénéfique d'une Hélène et d'un Léo indissociables ? Réfléchir ! Oui ? Le tourbillon vertigineux qui entraîne les méninges de la blonde dans une course folle la pousse vers une acceptation qui réchauffe tous ses sens.

La brune fait volte-face et ses bras ceinturent les épaules de la décoratrice. Léo, quant à lui, vient se mêler à la fête, et Pascaline est étreinte par quatre bras qui lui indiquent combien elle est précieuse pour elle comme pour lui. Le murmure de la voix féminine qui s'insinue dans son oreille lui chante presque une ballade. Ou une supplique pour qu'elle fasse ce pas vers eux, qu'ils lui quémandent ensemble par ce mouvement d'affection si visible. Comment résister à cet appel dément qui annonce bien des plaisirs ? Et lorsque la question ressurgit, flottant dans l'air chargé des effluves du neuf qui les entoure, elle cède.

— Alors, Pascaline… tu veux bien passer un peu de temps chez nous ?

Qui a parlé ? Elle ou lui ? Ça n'a guère d'importance de le savoir. Les deux voix n'en forment-elles pas qu'une seule dans un bel ensemble pour l'inciter à se dévergonder ? Les lèvres qui courent sur son cou, celles aussi qui trouvent sa joue, la font frémir et surtout s'enfoncer dans un bien-être passager qu'elle veut faire perdurer.

— Bon… d'accord. Mais laissez-moi le temps de passer chez moi pour y faire un brin de toilette : je pue les vapeurs de peinture et la colle à papier peint. À quelle heure voulez-vous que je vienne ?
— Pour le dîner. C'est bien ça ? Oui, pour le dîner. Et tu sais quoi ? Je ne pense plus qu'à toi depuis ce fameux soir, chez Jean.

Hélène lui jette ces quelques mots, avec dans la voix une tonalité très bizarre. Quant au mari de celle qui parle, il la serre toujours contre lui, et son souffle effleure sa nuque.

— Tu es merveilleusement belle. Il me tarde de toucher cette peau au grain de satin ! Et de vous regarder toutes deux vous offrir l'une à l'autre… Oui : ce soir, après le dîner, mon dessert, ce sera… vous !

Les deux finissent par lâcher leur amie. Celle-ci termine son rangement puis s'éclipse en promettant d'être présente pour vingt heures à ce dîner prometteur. Et dans la tête blonde qui roule vers son domicile, des images tournent en boucle : celles d'un bouquet changeant, un ballet fait de corps sans distinction de sexe qui se mêlent les uns aux autres dans un joyeux sabbat. Une fois chez elle, point de douche, mais un bain parfumé, préparation obligée pour un corps qui veut exulter. Chair et esprit font d'un coup bon ménage ; au diable les tabous et les interdits, puisque tous sont d'accord !


Un dîner où tous sont superbes, chacun attendant un pas de l'autre qui ne se fait que par petites touches. Puis, le vin aidant, c'est Léo qui met sur la table une proposition qui fait frémir leur jolie invitée :

— J'ai envie de sortir, les filles.
— Ah ? Tu es sûr, mon chéri, que nous ne serions pas mieux à la maison ?
— Ben, écoutez toutes les deux… et si nous retournions là où nous nous sommes rencontrés ? Ça permettrait de recréer une ambiance propice à… des tas de petits jeux. Alors, bonne ou mauvaise idée ? À vous de décider, Mesdames.
— Ça me va à moi, mais c'est bien à toi d'avoir le dernier mot, Pascaline. Après tout, nous ne désirons que prendre un peu de plaisir… ici ou ailleurs.
— …

La tête un peu dans le brouillard, quelques verres d'un vin de Bordeaux qui font leur effet, et la surprise de la demande de Léo font hésiter un court instant leur hôte. Elle reste muette alors que deux paires de mirettes demeurent accrochées en attente de sa réponse.

— Ben… pourquoi pas ?
— Merveilleux ! C'est chouette : il y a des tas de petits coins hyper cool que je voudrais que nous essayions toutes les deux, Pascaline.
— Oui ? Il y a quand même un truc qui me chiffonne ; je peux le dire sans que ça vous fasse rigoler ?
— Vas-y ! Nous sommes, Hélène et moi, prêts à tout écouter, et nous avons aussi envie de te faire plaisir.
— C'est possible que, là-bas… vous m'appeliez Aurore ? Et je voudrais aussi que monsieur Jean ne sache pas trop qui je suis.
— … ? Bien sûr ! De toute manière c'est bien cette fille, Aurore, que nous avons rencontrée là-bas. Quant à la soirée, elle est à thème ce soir.
— À thème ? C'est-à-dire ? Même moi je ne suis pas au courant… Alors, Léo, ça veut dire quoi « à thème » ? Pascaline et moi… enfin, Aurore et moi avons hâte de tout comprendre !
— J'ai vu la pub sur Internet : « Soirée vénitienne, ou masque obligatoire. », ce qui abonde dans le sens de ton anonymat volontaire, ma belle. — Je crois que j'ai des loups quelque part… ça devrait faire l'affaire, non ?
— Oui, parfait ! Tu es des nôtres alors, Aurore ? Autant te remettre dans la peau de cette belle rencontre tout de suite ; comme ça, nous ne ferons pas d'impairs. Mais pourquoi ce prénom ?
— C'est le seul qui me soit venu à l'esprit quand Gabriel m'a draguée.
— Gabriel ? Hum… peut-être sera-t-il là lui aussi. C'est un bon coup, et je t'engage vivement à l'essayer si ce n'est déjà fait.
— Non, non : je ne cours jamais deux lièvres à la fois !

La brune qui finit de desservir la table n'attend pas la réponse de celle qui se sent pousser des ailes. Retourner dans la boîte de cul avec ces deux-là… Sa seule crainte est de se faire repérer par le fils d'Odette. Mais avec un masque… Et puis il va sûrement être très occupé, avec son job. Et puis zut ! Au diable les peurs et les tergiversations qui lui empoisonnent la vie ! Elle est là pour s'amuser ; alors autant qu'elle en profite. Du reste, Hélène revient d'elle ne sait où avec deux magnifiques loups à la main.

— Tiens ! Lequel préfères-tu ? Le blanc pour l'ange blond ou le noir pour le démon de minuit ?

Pascaline rit aux éclats de sa bêtise et se voit tendre les deux masques de la part de celle qui est en passe de devenir son amie plus que sa cliente. Le noir, tel un papillon, de la main tendue file vers ses yeux. Une fois sur son nez, il lui mange la moitié du visage. Pascaline fait un demi-tour, à la recherche d'un miroir. Celui du hall d'entrée est là qui lui renvoie l'image d'une tête blonde, parfaitement anonyme et méconnaissable. Du coup, elle se découvre un petit air de Colombine. Près d'elle, pareillement affublée, Hélène lui murmure quelques mots :

— Tu es… divine, ma belle. Pour un peu, je n'aurais plus envie de sortir, et je commencerais bien là, ici, tout de suite à… déguster un dessert des plus appétissants.
— Vous m'avez donné l'envie de faire des folies, alors tu vas devoir assumer, et surtout… patienter.
— Tu as raison : l'attente et la patience, les deux moyens de faire monter les degrés… et l'excitation. Bon, où est notre Léo ?

L'intéressé qui déboule de la salle de bain est à même de répondre de suite au questionnement de son épouse :

— Je suis là, et prêt pour conduire ces dames ! On y va ? J'ai moi aussi un bandeau… voyez donc !

Sur ses yeux, un masque de Zorro qui couvre le haut du visage, mais laisse bien en vue les yeux. Il est noué sur la nuque, et c'est vrai que ça ajoute un charme supplémentaire à cet homme qui en possède pourtant déjà beaucoup.

— Waouh ! Mon chéri, j'espère que ton épée va fonctionner ce soir ; nous en sommes déjà un peu folles. Puisque nous sommes tous prêts… chauffeur, au volant ! Direction, le club de Jean.

Trois fêtards qui voyagent gentiment vers la boîte où ils ont tous la ferme intention de s'amuser. Chacun garde en tête le film de leur rencontre dans ce lieu destiné au libertinage. Si les images sont là, elles ne sont pas forcément identiques pour tous. Il est bien difficile de dire à quoi songent les deux nanas, pas plus que ce à quoi rêve le conducteur. Le trajet n'est pas d'une longueur telle qu'il en devienne pesant, et déjà le portail qui clôt le parking est dans les phares de la voiture. La berline sombre vient se ranger auprès d'autres dont les propriétaires sont déjà à l'intérieur.

Le type devant l'entrée, la jeune femme gardienne du corridor à la porte de draperie… c'est un remake de la visite précédente pour une Pascaline redevenue Aurore pour la circonstance. L'armoire du vestiaire est partagée entre les trois arrivants, et la clé est au poignet du mâle justicier qui accompagne le loup blanc et le noir. Le bar est chargé de fantômes aux visages aux traits impossibles à deviner. Combien de paires d'yeux viennent déjà caresser les courbes, les pleins et les déliés des deux nénettes qui, au bras d'un type chanceux, sirotent la boisson gratuite de bienvenue ? Évidemment, cet alcool fort sur les verres de vin du repas fait que l'ambiance se grise légèrement.

Aurore surprend donc le visage d'Hélène, qui dans le brouhaha de la salle où la musique, entraîne des couples déjà bien… caressants qui dansent, murmure quelque chose à l'oreille de son mari. Il jette juste un coup d'œil sur la blonde et hoche du menton dans un signe d'approbation. Que se sont-ils raconté ? Mystère ! Mais la patte fine de l'épouse vient chercher celle de l'invitée. Pas un mot, juste une pression qui ressemble à une promesse, et elles se mettent toutes deux en mouvement. Et la piste, où bougent en cadence des couples sans distinction de sexe, en découvre un supplémentaire : deux femmes qui se balancent sur des accords langoureux.

Hélène cramponne sa cavalière par le cou, et deux loups s'entrechoquent. Pas facile de se rouler une pelle avec un masque sur le visage… Ça les fait rire, mais, perdues dans la masse grouillante des binômes qui se trémoussent, personne ne devine rien. Leur ronde dure un long moment puis, cette fois, c'est bien dans l'oreille d'Aurore que les mots soufflés par la brune atterrissent :

— J'ai… j'ai envie d'aller faire un tour là-haut… Tu m'accompagnes ?
— Là-haut ? Tu veux dire sur la mezzanine ?
— Oui. Je suppose que tu sais ce qu'il s'y trouve ? Ça ne te dit pas de… le faire sans savoir qui est de l'autre côté de la cloison ?
— Ben…
— Allez, viens avec moi ! Tu regarderas, si tu veux… Juste regarder.

Sans se préoccuper d'un accord ou pas de sa compagne de danse, Hélène l'entraîne directement vers les escaliers qui mènent aux glory holes. Elles se faufilent par une entrée minuscule dans l'antre des suceuses. Une dame est là, à genoux sur un coussin, et s'active sur un manche que sa bouche aspire, lèche avec une sorte de délectation. Aurore suit un instant des yeux cette fellation hors norme et irréelle, puis c'est Hélène qui s'installe exactement de la même manière que l'inconnue. À peine est-elle en position que déjà une queue dépasse du cercle qui perce le mur. Les quinquets de la brune se dirigent vers celle avec qui elle vient d'entrer.

Il n'y a aucun mot qui sort de la bouche de l'épouse de Léo, mais Aurore croit pourtant percevoir ce que l'autre lui raconte muettement : « Eh bien, tu veux essayer ? Vas-y, on peut la prendre à deux… cherche-toi aussi un coussin. », puis le visage se détourne de celui de la blonde pour s'approcher du chibre qui attend patiemment. Et une pipe se met en branle, qui réunit un type inconnu et une femme invisible du mec qui se fait pomper. C'est dément, comme situation ! Lentement, Aurore fléchit sur ses jambes et se laisse d'un coup également tomber assise sur le coussin le plus proche. Immédiatement, un sexe long passe son gland décalotté par le trou. Comment est-ce possible ?

La blonde ne comprend pas vraiment pourquoi ni comment l'autre a su qu'elle était là. Elle regarde le truc qui frémit dans son logement et réalise que cette queue qui attend l'offrande de ses lèvres est particulière ; oui… très particulière. D'abord elle est d'une circonférence défiant les normes, mais de plus elle est très longue, et elle reste là sans plus savoir quoi faire. À ses côtés, la brune qui a vu le manège, sans cesser de suçoter son bâton avance son bras en direction de celle qui hésite. Et de la main à plat, elle pousse lentement, inexorablement, la bouille masquée vers la bite… aussi noire qu'un bois d'ébène.

Bouillante, oui : c'est bien la sensation que lui laisse cette chose qui se coule entre ses lèvres distendues. Du coup, Aurore se prend au jeu. Son ventre lui réclame plus alors que sa bouche joue du pipeau. L'appétit ne vient-il pas en mangeant ? Et là, c'est exactement ce qu'elle ressent. La voici qui astique une queue sans savoir seulement à qui elle appartient. Encore qu'avec un peu de chance… sans doute ne sont-ils pas si nombreux, les gens de couleur dans cette boîte. Mais loin d'elle l'idée de faire plus que cette pipe à un inconnu. Il a du reste tant attendu, trop (?) puisqu'au bout de quelques minutes – trois ou quatre tout au plus – elle sent la verge frémir. Elle déplace seulement son visage mais continue à branler de sa menotte la verge.

Un long éclair blanc laiteux traverse d'un coup le champ de vision de la femme. L'autre, avec des « ha-ha-haaa » de soulagement, se répand en longues giclées de sperme, et la queue se retire tout aussi rapidement qu'elle était arrivée ; sans fioritures, sans merci inutile. À ses côtés, l'épouse de Léo n'a toujours pas mené à son terme l'opération sucette engagée sur le membre qu'elle léchouille, mais elle lui fait signe de se relever rapidement. Pourquoi, dans ce geste de la main, Aurore comprend-elle qu'il doit y avoir une signification quelconque ?

Comme elle vient de le faire pour la bite d'ébène, Hélène détourne la tête pour ne pas recevoir la fusée de semence que délivre l'inconnu derrière la cloison. Elle se redresse aussi rapidement, comme pour fuir un danger. De nouveau, elles sont quelques instants à regarder la dame qui, deux coussins plus loin, s'active toujours des lèvres et de la patte. C'est là qu'Hélène murmure quelques phrases à sa désormais copine :

— Tant que tu restes agenouillée ou assise sur le coussin, de l'autre côté une petite lampe rouge rappelle aux mecs que ta bouche est disponible. Tu vois, il y a sous chacun de ces petits oreillers une sorte d'interrupteur qui avertit de la disponibilité. À mon avis, cette dame est là pour ne faire que cela ; elle va sans doute en éponger toute une ribambelle ce soir.
— … ?
— Chacun son trip ! Moi, une fois de temps en temps. Et puis c'était surtout pour te faire voir. Mais bon, pas désagréable, celui que j'ai… En plus, il bandait bien. Parfois, c'est galère. On croit que le stress, c'est seulement féminin ; eh bien, pas du tout ! Ces messieurs aussi ont leur passage à vide… ou plutôt à plein, puisque s'ils ne bandent pas, on ne peut guère les vidanger. Allez, on file d'ici ?
— Et Léo ? Tu sais où il est ? Ça m'a donné soif de…
— On va aller au bar ; il devrait s'y trouver. Tu as eu droit à un sacré morceau… J'aurais bien échangé ma place avec toi !
— Quoi ? Je ne…
— Je rigole ! Mais avoue que tu as eu du mal pour le prendre profondément dans ta bouche : il en a une belle, l'animal !
— Tu le connais ?
— Non. Difficile de savoir, avec la cloison ; mais je pense que tu n'as pas à chercher bien longtemps.
— Hein ? Pourquoi tu dis ça ?
— Vise un peu qui est avec mon cher petit mari… Tu vois ? Le reste est à l'avenant de ce que tu as découvert à ton « trou de la gloire ».

La blonde reconnaît enfin dans la pénombre Léo, qui est toujours accoudé au bar ; elle aperçoit aussi celui qui l'accompagne. Il va bien avec le chibre dont elle vient d'user quelque peu derrière le mur troué : il est… bestial, dans le sens « animal ». Bien charpenté, aussi sombre que la nuit qui les entoure ; elle lui donne entre trente et quarante piges. De suite, Hélène minaude sans cependant faire de remarque ; un peu comme si elle tenait à la rendre jalouse. Mais là, aucun risque. Emportée par l'élan, elle a succombé à son désir d'y goûter ; mais là, elle n'a absolument pas l'idée de faire un plongeon dans l'exotisme.

Les deux mâles voient revenir les deux donzelles, et de suite, malgré le boucan incessant, Léo tente de faire les présentations :

— Ma chérie, voici Jérôme, un homme charmant qui est de passage dans notre région. Jérôme, je te présente Hélène, ma femme, et une amie : Aurore.
— Enchanté, Mesdames, de faire votre connaissance. Vous prenez un verre ?
— Volontiers pour moi, et ça tombe bien : mon amie Aurore me disait il y a une minute qu'elle mourait de soif. Un gin fizz ; c'est bon pour toi aussi, Aurore ?

L'intéressée fait un signe du menton, et deux cocktails arrivent dans les pattes des nanas. C'est de nouveau Léo qui suggère de dénicher un endroit plus tranquille, à l'abri du vacarme de la salle. Un mélange de musique et de cris ou de dialogues monte de la ruche qu'est devenue la salle. Tous sont cachés à demi par des masques, ce qui rend difficile d'identifier qui que ce soit. Bien sûr que ce Jérôme ne peut pas, lui, passer inaperçu ! Et c'est vers le coin piscine que se replie le quatuor qui vient de se former de façon impromptue. Dès que la porte se referme sur le coin dansant de la boîte, un calme relatif retombe sur tous.

— Ouf ! Un peu de silence… ou presque : voilà qui est reposant. Vous avez envie de vous baigner un peu, les filles ?
— Tu en penses quoi, Aurore ? Moi, ça me tente bien…
— Ben… si tu y vas, j'y vais aussi.
— D'accord. Tu es des nôtres, Jérôme ? C'est sans tralalas !
— Tralalas… tu veux dire quoi par-là ?
— On se baigne tous à poil, nous ; donc pas de chichis. Nous sommes entre nous.
— Vous… vous êtes tous libertins ? J'aime l'idée… Vous avez l'air d'être des habitués de cette boîte. C'est drôle aussi que si peu de monde se retrouve autour de ce bassin…
— Ils ont sans doute mieux à faire que de se baquer ; il y a plein de petits trucs sympa à faire, de l'autre côté de la porte. Tu n'as rien essayé, Jérôme ?
— Si… le mur là-haut.
— Et alors ?

Cette question vient de faire rougir la blonde. Sans trop s'en rendre compte, Léo a mis dans le mille. Mais dans le peu de lumière qui règne autour de la piscine, personne ne peut remarquer le ton cramoisi du visage d'une Aurore honteuse. Et puis après tout, seule Hélène peut savoir ; elle se tait. Il n'y a donc pas de quoi en faire un drame ; dans un tel endroit, quelques écarts de conduite sont tolérables. Ce sont donc quatre individus qui se mettent nus pour se doucher avant de s'immerger dans une flotte agréable. Léo serre de près la blonde. Quant à celui qui les suit depuis un moment, il ne sait pas trop quelle attitude adopter vis-à-vis de l'épouse de l'autre type.

Il est vite au courant de la liberté d'une Hélène qui se sent de plus en plus encline à passer à l'acte. Elle nage si proche du nouveau venu qu'elle semble le frôler à chaque mouvement de ses bras. Il n'est pas aveugle, et surtout pas indifférent aux manœuvres de la nana brune. De plus, le mari de celle-ci ne paraît guère préoccupé par le sort de sa belle : il s'attaque à la copine de celle qui allume sans vergogne le black baraqué. Les premiers à quitter le bassin, ce sont bien les deux éléments d'un couple « brune et noir ». Sur la margelle, quelques pelles sont échangées sous les regards en coin d'Aurore, poursuivie par les assiduités de Léo.

Pas du tout jaloux de savoir ce que trame le duo à poil qui se pourlèche, il vient de rejoindre la blonde et s'enroule telle une liane autour d'elle. Elle ne refuse pas non plus l'échange labial qui s'ensuit. Les danses des corps qui se préparent sont lascives, et autant sur le bord que dans l'eau les mains se frôlent, les ventres se creusent. C'est long, c'est langoureux, et chacun y trouve son compte. Finalement, les rapports sexuels interdits dans le bassin obligent nos deux compères à rejoindre le couple qui, sur la bordure, a déjà une longueur d'avance.

La brune roucoule, se laisse prendre et pousse de petits gémissements à deux pas d'un second équipage qui s'apprête à faire exactement la même chose. Ils sont désormais quatre à faire l'amour, à geindre doucement, et les deux nanas dont les épaules sont collées l'une à l'autre se sourient dans une félicité réciproque. À quel moment leurs mains se joignent-elles dans un entrelacement de doigts féminins ? Peu importe ! Les visages crispés par un plaisir trouble se font face. Et il arrive ce qui était annoncé depuis quelques instants : les bouches des femmes se soudent pour un baiser plus du tout fraternel alors que les mâles en rut continuent leur labourage en règle.

Ça excite donc d'autant plus les étalons de voir ces pelles qui unissent les femmes. Et qui dit surcroît d'excitation voit s'accroître la rapidité de l'explosion. Il semble que les deux hommes se libèrent presque simultanément. Alors, couchées côte à côte, offertes aux regards des braves qui récupèrent, les dames dont les ventres se calment enfin sont comme soudées par le bienheureux dénouement de ces possessions magistrales. Une énième fois les lippes se rejoignent, rallumant dans les prunelles des baiseurs une étincelle de désir.

Suffisant pour un second round ? Aurore se laisse aller, alors qu'embrassée à bouche-que-veux-tu par la femme de Léo, un visage affamé vient brouter son intimité poisseuse des sécrétions laissée lors de l'assaut. Celles de Léo tout comme les siennes, en un mix indéfinissable. La langue qui dérive dans ces effluves particuliers, elle ne tient pas vraiment à savoir à qui ils appartiennent ; il lui suffit de se dire qu'elle est bien, que c'est trop bon, et les lèvres closes par un palot déjanté, plus rien n'est important que ce plaisir qui renaît.

Elle laisse encore celui qui la prend pour cible la retourner dans le but de la faire monter sur son ventre. Cette fois, elle ne peut garder plus longuement sa bouille collée à celle de son amante, littéralement levée et posée sur le bidon douillet de celui qui veut la prendre. Les paupières toujours hermétiquement jointes, elle sent ce piston qui entre en elle. Là, plus de doute : il est de couleur, et puissant. Mais elle ne comprend pas de suite pourquoi les deux pattes de l'amie lui écartent les fesses assez largement. Il y a d'abord une pointe de langue qui s'introduit dans ce long sillon. L'escale qu'elle y fait lui transmet des tas de vibrations inconnues.

Enfin la pression qui s'exerce sur l'œillet niché là et lubrifié par la salive ; elle se surprend à songer qu'il va… oui ! Trop tard pour crier, trop peur aussi, mais le cercle de muscles n'oppose guère de résistance ; il s'ouvre et se laisse investir par ce qui, en moins gros, lui pénètre d'une manière plus normale la chatte. Un soupir, et c'en est fini de sa virginité anale. Le second sexe est inséré dans le conduit, et il faut toute la maestria des deux mecs pour conduire à bien la manœuvre. L'un avance lorsque l'autre recule. Et puis un rythme de croisière s'impose tout seul.

Avec lui, le ressenti devient ingérable. Ce sont des cris, des hurlements presque, mais aucunement de douleur. Aurore, qui se laisse prendre par deux entités différentes, n'y trouve que son avantage. Elle ne sait plus ce qu'elle fait, ce qu'elle dit : juste des mots sans signification qui découlent de ce double coït qui l'emporte dans un voyage très flou. La bouche d'Hélène qui l'embrasse, ses deux paumes entourant son visage, elle vogue sur un plaisir dont elle n'aurait jamais seulement imaginé qu'il puisse exister deux heures plus tôt.

Plus aucune notion de temps ni de ce qui est dans son environnement immédiat. Elle se laisse aller à vivre l'instant présent, avec ce qu'il lui apporte de bon, d'agréable. Et c'est d'un coup un déchaînement qui lui ouvre les portes d'un orgasme dont elle ne mesure pas la profondeur. C'est en apesanteur qu'elle nage dans un univers où plus rien n'est palpable, où tout est déformé, superbe de couleurs inconnues. Combien de temps dure le voyage ? Comment va se passer l'atterrissage ? Elle s'en moque éperdument en psalmodiant des phrases dont personne ne peut deviner la teneur. Il n'existe plus que son plaisir… fou, immense, et qui l'emmène jusqu'à l'oubli.


Un léger frisson qui parcourt la peau nue de la jeune femme la réveille. Les trois autres sont tous là. Ils observent sans un mot la forme allongée qui renaît de ses cendres. Jérôme est le premier à lui sourire. Nu également – comme tous – il ne montre aucun signe de peur. Hélène est lovée contre son mari, chatte alanguie qui garde jalousement son matou. Le larron à la peau sombre passe sa grosse patte sur le visage de la belle, qui visiblement a apprécié la grâce d'une double pénétration. Il ne bande plus vraiment, bien que son boudin ait gardé des mensurations proches de cet état. Hélène aussi tend la main pour une caresse sur le visage d'Aurore.

— Tu as une belle santé, Aurore : on ne peut pas dire que tu fais semblant lorsque tu te donnes. Les bonshommes apprécient tous la performance, et j'ai été un peu délaissée. Viens, juste toi et moi… allons boire un verre.
— Et nous, alors ? Vous voulez nous abandonner là, Jérôme et moi ?
— Allons, mon chéri, il y a des tas de petites femmes dans la salle : vous allez bien trouver de quoi rassasier vos pafs ! Nous allons nous amuser… sans vous. Alors tu as quartier libre. Ton pote Jérôme fait lui aussi ce qu'il veut. Et ne parlez pas d'abandon, mais seulement d'une pause plus longue que d'habitude, c'est tout. Tu viens, Aurore ? Ces messieurs sont grands ; ils sauront se débrouiller sans nous.
— … !

Sans se poser de questions, la blonde suit donc celle qui mène la danse ; et après s'être rhabillées, les deux nanas plantent littéralement les deux mecs sur le bord de la piscine. Direction la salle et sa musique, son boucan et la fête qui s'y déroule. Là, des fantômes aux poitrines dénudées côtoient des Arlequins sans culotte. D'autres louves aux masques chatoyants dansent avec des Pierrots au sexe nu. Une brune et une blonde se fondent dans la masse grouillante qui évolue sous l'égide d'un Jean survolté, qui gère ses platines avec beaucoup de flair. C'est donc un couple de dames qui se met à tourner au rythme des notes calibrées pour la circonstance.

Impossible de compter le nombre de frôlements – volontaires ou non – pas plus que ces glissades de mains sur des croupes peu sauvages. Ici, les sens sont exacerbés, comme inhibés par une absorption déraisonnable d'alcool. Au bout de quelques valses et autres fox-trots, les deux complices quittent la piste devenue trop ingérable. Elles passent en revue tous les petits coins, les alcôves occupées par des couples, des trios, dont l'unique préoccupation est bien de faire l'amour. Faire l'amour ? Forniquer ou niquer fort un peu partout. Là, une femme entourée d'une poignée de mâles dont elle est le jouet ; ici, plusieurs couples qui interchangent leurs partenaires.

Plus loin, une marquise embrasse un page aux seins à couper le souffle. Puis les marches font revenir les deux visiteuses vers le mur des gorges profondes. Par contre, la couche sur la mezzanine est occupée : une jeune dame porteuse d'un bandeau est agenouillée en position de levrette, fesses relevées et un Napoléon semble cravacher un cul bien présenté. À l'approche de ces deux voyeuses, le type tend le manche vers elles, les invitant à officier.

— À vous l'honneur, Madame ; mon esclave est à vous. Faites-en ce que bon vous semble.
— Vous êtes sûr que c'est bien ce que vous voulez ?
— Ben, oui.

Hélène s'est adressée au « méchant » en riant. Elle fait le tour du lit, relève la frimousse de la jeune femme ; la cravache est jetée sur le drap, et le gars médusé voit l'arrivante faire se relever sa suppliciée.

— Alors on vous la vole pour le reste de la nuit. Vous trouverez bien de quoi vous amuser, dans toute cette assemblée de joyeux drilles. Nous allons aimer votre douce amie sans vous. Merci.
— Mais… vous ne pouvez pas faire ça !
— Vous venez il y a tout juste quelques secondes de nous y autoriser : « Mon esclave est à vous. Faites-en ce que bon vous semble. » Ce sont bien vos paroles, n'est-ce pas ?
— Oui, mais…
— Il n'y a pas de « mais » qui tienne ! Une parole est une parole. Elle est à nous ! Allez, viens ! Remets tes fringues ; on va faire la bringue le reste de la soirée. Mon amie, c'est Aurore ; et moi, Hélène.
— Ah, Justine. Je ne suis pas vraiment une esclave, ni maltraitée par Laurent. C'est seulement un jeu pour lui redonner un peu de… peps.
— Tu es à moi, tout de même : il l'a dit, et il ne va pas mourir de ne plus t'avoir sous la main durant quelque temps. Allons au bar, j'ai soif.

Finalement, celui que la nouvelle appelle Laurent reste seul dans son coin. Empereur déchu le temps d'un verre, d'une heure, ou du reliquat d'une soirée qui bat son plein ? Les boissons s'entrechoquent dans un tintement qu'aucune oreille ne peut discerner, tant le barouf est intense. Ça bouge dans un joyeux va-et-vient aux alentours de la source de la picole. Emportée par la fougue et la spontanéité d'une Hélène déchaînée, la bouche de cette Justine se partage entre les deux complices qui ont volé son esclave à Bonaparte. Des tas de types, mouches attirées par le miel, sont éconduits sèchement d'un plat de main de la brune. Elle renvoie sans pitié tous ceux qui se hasardent à tenter une approche, directe ou non.

Un trio uniquement composé d'amazones finit par dénicher un endroit libre, une sorte de renfoncement où un lit leur tend les bras. Et là, les lourds rideaux ayant été tirés, les corps se livrent à un curieux ballet : danse du ventre, danse des langues, et caresses multiples qui se déclinent en rondes saphiques très élaborées. Aucune d'elles n'est délaissée, oubliée. Le trio permet tellement de combinaisons qu'il pourrait durer des heures, mais les sens parfois s'épuisent, et finalement les premières lueurs d'une aube naissante mettent fin à ces bouquets changeants. Hélène, Aurore, Justine, toutes sont repues et se mettent en quête de leur moitié… noyée dans la masse des anonymes qui peuplent le club.

Finalement, c'est dans un coin où quelques couples sont endormis que Léo, nu comme ver, est secoué doucement par son épouse.

— Léo… Léo… Réveille-toi, il est l'heure de rentrer.
— Hein ? Ah zut, j'ai dû m'endormir.
— Je confirme. Je ne sais pas ce que tu as bien pu faire, mais tu roupillais comme un bienheureux. Si tu sais où tu as abandonné tes fringues… Je suggère que tu te rhabilles et que nous rentrions à la maison.
— Ouais, pas de souci.
— Et l'ami Jérôme ? Il est dans le coin ?
— Oh, lui… non. Dès votre départ il s'est fondu dans la masse. M'est avis que sa couleur de peau et son entrain lui ont permis de trouver de quoi roucouler ; les amatrices d'exotisme ne doivent pas manquer dans cette assemblée.
— Il est libre, alors… et puis il a bien raison d'en profiter. Dame Nature l'a gâté, alors c'est bien qu'il offre en contrepartie quelques menus services aux femmes dans le besoin. Mais Aurore et moi sommes crevées… Bon, tu te sapes et nous filons ?
— Oui, oui, un peu de patience, que diable ! Tu as fait également ce que tu as voulu, alors on se calme.
— Mais qui est cette miss qui semble être en votre compagnie ?
— Ah, Justine ? Nous l'avons arrachée des griffes d'un sauvage. Non, je rigole ! Elle était avec son casse-croûte, mais nous ne l'avons pas encore retrouvé, lui. Il est peut-être parti, vexé que nous ayons délivré sa belle prisonnière.

Aurore, qui fait le guet depuis l'entrée de la chambre, en écartant le rideau lance à l'intention de celle qui doit se sentir un peu seule du coup :

— Il ne reste plus grand monde… ça devrait être simple de le retrouver, non, ton Laurent ? Pendant que notre Léo se remet en tenue, nous pouvons peut-être t'aider à le rechercher ?
— Merci. Je vais aller au bar ; les serveuses savent qui il est. Peut-être l'ont-elles aperçu.
— D'accord, je vais avec toi. Mes deux amis ont peut-être des choses à se dire.

C'est ainsi qu'Aurore et Justine regagnent le bar. La première serveuse interrogée a la réponse :

— Ah, vous êtes Justine ? La copine de Laurent ?
— Oui, c'est bien cela.
— Il est parti, mais il a laissé un message pour vous. Tenez.

L'autre lui donne un papier que la jeune femme lit. Dans la pénombre latente de la salle, impossible de déchiffrer sur son visage une quelconque altération de son teint, ce qui oblige la brune à questionner à nouveau Justine :

— Ça va ? Rien de grave ?
— Non : juste un con qui m'écrit que je peux aller dormir où je veux cette nuit. Que mes affaires seront prêtes demain et que je peux passer quand je veux pour les récupérer.
— À ce point ?
— Comme tu vois. Ça ressemble fort à une rupture. Lâche, en plus…
— À cause de nous ? Tu m'en vois navrée.
— Mais non, ne t'inquiète pas : elle couve depuis des jours et des semaines ; il fallait bien qu'un jour ça craque. Il en voulait toujours plus et je n'arrivais pas vraiment à suivre.
— Viens, alors ; nous n'allons pas t'abandonner. Et si Léo et Hélène ne veulent pas t'héberger, je le ferai, moi ! Je ne vis pas avec eux : nous sommes juste de sortie les trois.
— Une virée sympa pour un soir, alors ?
— C'est presque vrai. Mais à cette heure, je n'ai pas envie de m'étendre sur le sujet.
— Je comprends. Bon, allons rejoindre tes amis. On verra bien de quoi demain sera fait. Je suis libre comme l'air, et soulagée finalement de ne plus avoir à subir ce… minable.
— …

Chacun se tait en quittant le club. Les loups quittent les visages, et la voiture avec ses deux passagères à l'arrière glisse vers le cœur de la ville et enfin vers la maison du couple. Hélène se sent morveuse d'imaginer que Pascaline et elle ont peut-être contribué à l'éclatement de ce couple. Bien sûr, elle n'a pas entendu les éléments rapportés au bar à sa décoratrice ; elle ne connaît donc pas le fin mot de l'histoire.

Dès leur arrivée chez le couple, Pascaline décide de rentrer chez elle. Malgré les tentatives d'Hélène et de Léo pour la retenir, elle ne veut rien entendre. Ce qui motive du coup la nouvelle venue à ne pas dormir chez la brune.

— Tu veux bien m'accueillir pour ce qui reste de nuit à dormir ?
— Mais oui ; je ne vais pas te laisser à la rue.

Justine se tourne alors vers le couple :

— Vous avez sans doute mieux à faire qu'à vous préoccuper d'une fille paumée et larguée par un idiot. Votre amie Aurore que vous semblez maintenant appeler Pascaline veut bien me recevoir, alors ne soyez pas fâchés, mais… je crois que je vais vous débarrasser de ma présence.
— Oh, mais tu ne nous gênes sûrement pas. Léo et moi serions heureux que tu restes. Et toi aussi, Pascaline ; mais faites comme bon vous semble toutes les deux. On se revoit lundi, sur notre chantier, ma belle ?
— Oui, promis. Et puis je me doute bien que vous avez plein de confidences à vous faire… Allez, on file ! Viens, Justine. Je te raconterai l'histoire de mon prénom changeant.

Une bise s'échange entre tous ces personnages qui viennent de vivre des instants assez… chauds, et la blonde roule avec comme passagère l'infortunée délaissée. Elles discutent à bâtons rompus bien que le chemin ne soit pas d'une longueur permettant de s'en raconter trop. Au bout de quelques minutes elles sont devant la porte que la clé de la brune déverrouille. Il ne faut qu'une minute ou deux pour qu'elles se retrouvent les deux dans le salon de celle qui reçoit.

— Tu veux boire quelque chose ? On a encore un peu de temps pour discuter, non ?
— Ben… je ne suis pas à la belle étoile, et, mon Dieu… les évènements risquent fort de m'empêcher de dormir.
— Je nous fais un bon jus. Ça te dit, ou pas ?
— Bien sûr ! Pas trop costaud, hein.

C'est l'affaire d'un instant avant qu'une bonne odeur de café n'embaume la pièce. Pascaline et sa nouvelle amie sont installées sur le canapé et sirotent enfin ce que la cafetière vient de distiller. La brune relate un peu de son existence à celle qui l'écoute sans l'interrompre. Puis c'est au tour de l'invitée de livrer quelques bribes de sa vie. Les deux femmes s'apprivoisent lentement, et c'est ainsi qu'elles se découvrent bien des points communs. En particulier celui du goût pour le travail manuel, et c'est comme ça que Pascaline apprend que sa jeune visiteuse et sans emploi. Dans sa tête une idée germe, et sans plus réfléchir elle la lance d'emblée :

— Si tu veux, je peux te prendre avec moi le temps que tu refasses surface et que tu te remettes de ta drôle de rupture.
— Avec toi, Pascaline ? Qu'est-ce que tu veux dire par là ?
— Eh bien… tu m'accompagnes sur mes chantiers. Tu sais, parfois deux bras supplémentaires ne seraient pas de trop.
— Tu… tu me proposes un boulot ? J'ai bien compris ça ?
— Oui. En plus, pas de problème de logement : tu peux vivre chez moi le temps qu'il te plaira. La chambre d'amis est à ta disposition. Comme ça nous serions prêtes en même temps et partirions bosser ensemble.
— Tu… tu es certaine que c'est ce que tu veux ? Ce serait génial, bien sûr, mais… je vais toujours être dans tes pattes.
— Écoute, on peut toujours faire un galop d'essai ; qu'en dis-tu ?
— Banco ! Tu me retires une sacrée épine du pied… Je ne sais plus quoi dire.
— Eh bien tais-toi, voilà tout !

La jeune femme s'est rapprochée de celle qui, à ses yeux, lui sauve la vie, et elle se jette à son cou. Comme elle veut lui faire une bise, les deux visages s'approchent l'un de l'autre. Quiproquo, ou volonté délibérée ? Aucune des deux ne saurait le dire. Toujours est-il que ce ne sont pas sur les joues qu'atterrissent les lèvres pourtant destinées à un vrai smack. Qui a tourné la bouille au moment crucial ? Et c'est sur les bouches que se décline le baiser. Mais là encore, si l'intention n'était pas de se rouler une pelle, l'action, elle, le devient. Et c'est comme si elles en rêvaient. Deux langues qui flirtent dans des palais inconnus…

Pascaline, qui reprend son souffle, veut calmer le jeu :

— Je n'ai pas dit ça pour cela, tu sais, Justine…
— Et si ça me plaît à moi, ce qui se passe entre nous ? Tu vas avoir le cœur de me rejeter ?
— Euh… non, non, bien entendu.
— Alors… pourquoi salir les draps d'une chambre d'amis alors que nous pouvons partager ta couche ? À moins que ton lit ne comporte qu'une seule place ?
— Viens, je vais te le montrer. Comme ça, tu jugeras sur place.
— Humm… j'en meurs d'envie ; et toi aussi, j'en jurerais…
— Tu sais, depuis que j'ai rencontré Léo et Hélène, je ne sais pas ce qui m'arrive. J'ai l'impression que je suis maintenant à voile et à vapeur… moi qui étais convaincue que seuls les rapports hommes-femmes valaient la peine d'être vécus.


Huit semaines que ces deux nanas vivent presque tout le temps ensemble, deux mois où tout coule de source. Les chantiers vont si bien que la blonde décide que sa compagne doit devenir plus que cela : elle la veut comme associée, ce qui montre l'attachement de l'une à l'autre.

Et la vie continue. De temps en temps le couple revoit Léo et Hélène. Quelquefois, c'est la brune seule qui leur rend visite, et ce qui se joue lors de ces instants-là n'est pas à révéler à tout le monde. Mais jamais Léo n'est invité sans sa femme. Bien sûr, ces soirs-là, il fait l'amour sans distinction à celle qui le désire. Pas de crise, pas de stress ; tout va bien.

Le club et Jean, Pascaline les évite. Et comme Justine n'en parle plus non plus, ce n'est pas plus mal. Laurent – le fameux saligaud qui a largué sa petite amie – n'a jamais tenté de reprendre contact avec elle. Les jours, et surtout les nuits, sont désormais des moments d'une telle intensité que si les murs pouvaient raconter ce qu'il se passe dans certaines chambres… un livre ne suffirait pas à tout répertorier.

Pascaline n'oublie pas le temps où Aurore et elle cohabitaient dans son corps, mais surtout dans son cerveau. Et au fil des mois elle s'est rendu compte que l'amour peut aussi se conjuguer au féminin, et qu'il est aussi solide avec un reflet dans le miroir. Léo est dorénavant le seul qui conserve un droit d'accès à leur intimité, lorsque bien entendu Hélène le permet ; et encore, pas trop souvent. La vie est un long fleuve qui charrie bien des exceptions.

Finalement, Odette s'est résignée, et son fils n'est jamais revenu à la charge. Personne – et surtout pas les deux entités féminines qui vivent une belle romance – ne sait si cet amour tout neuf durera une semaine de plus, un mois, une année ou dix, mais elles cueillent le meilleur de ce que l'autre offre. Et au diable les mauvaises langues qui, par jalousie sans doute, bavardent dans leur dos. L'amour reste ce qu'il est ou devrait être.

La réunion du corps et de l'esprit tendent vers une alliance charnelle de ceux qui sont complices. Et pour le moment, tout est bien qui se vit le mieux du monde ! Alors, que les commères et toutes les vipères de cette terre aillent se faire pendre ailleurs.
Peut-être que, finalement, c'est cela que l'on appelle « l'Amour » ?