Le contrat

Au cours des semaines qui suivirent, elle fut assidue aux séances du Conseil Municipal. Je ne lui avais pas retiré sa délégation car j'aurais dû l'annoncer au Conseil et en expliquer la raison : c’eût été gênant. Mais étant donné que je ne lui confiais plus de missions, ça revenait quasiment au même.

Je me méfiais d'elle ; elle avait une attitude assez froide envers moi, néanmoins sans aucune manifestation d'hostilité. Je craignais d'elle le pire en me disant qu'elle aurait pu m'accuser de harcèlement sexuel. Sur ce plan-là, je n'avais toutefois rien à me reprocher puisque c'était elle qui m'avait sauté dessus pour essayer de m'amadouer ; et de toute façon, sans témoin, c'est toujours la parole de l'un contre celle de l'autre.

Cependant, je me disais qu'il ne valait mieux pas que ça s'éternise. Aussi je laissai filer le mois de délai que je lui avais accordé. J'attendais qu'elle vienne vers moi, qu'elle me dise si elle avait trouvé une solution financière ou pas, mais rien n'arriva avant l'expiration de l'ultimatum.

À la fin du dernier Conseil, je vis qu'elle traînait, manifestement pas pressée de partir. Tous avaient pris congé et quitté la salle. Nous n'étions plus que tous les deux ; elle bricolait je ne sais quoi dans son agenda. J'attendis.
Finalement, elle leva les yeux vers moi.

— Oui ? Vous vouliez me parler, Stéphanie ?
— Oui, Monsieur le maire, dit-elle d'une voix blanche. Mais fermons d'abord la porte.
— OK.

Elle alla fermer cette unique porte.

— Eh bien, je suppose que vous voulez me parler de votre dette, me dire que vous avez trouvé une solution ?

Elle s'approcha en louvoyant, un peu comme une chatte sur un toit brûlant, d'un pas félin mais mal assuré.

— Voilà, Louis, en effet. Je n'ai pas pu obtenir d'avance sur salaire ; le mois n'a pas été terrible, et je n'ai pas touché les commissions que j'espérais.
— Votre employeur vous a refusé cette avance : c'est donc qu'il est certain que le mois prochain ne sera pas mieux. Les affaires ne marchent donc pas.
— Oui, en effet. Je n'ai pas de solution financière à vous proposer ; mes finances ne sont pas reluisantes, mais j'ai besoin de cette délégation. J'ai besoin de regagner votre confiance, de continuer à effectuer des missions pour la mairie. Pour les indemnités et pour… enfin… c'est important pour moi. Vous avez vu que j'ai été assidue depuis un mois : je suis venue à toutes les séances.
— Oui, oui, je le reconnais ; il ne serait pas très glorieux pour le Conseil d'apprendre que l'une de ses membres ne tient pas ses engagements, et surtout ne paie pas ses dettes.
— Oui, je le sais bien…
— Oui, et alors ?
— Alors j'ai pensé… Je sais que vous êtes un homme seul, et la façon dont vous avez… hum… réagi… je veux dire physiquement la dernière fois me fait dire que ce petit « traitement » de ma part, de temps en temps, vous ferait sans doute le plus grand bien. Aussi, si vous y consentiez… si, de temps en temps – tout en s'assurant de votre parfaite discrétion, bien entendu – à ce que je vous prodigue ce genre de… enfin, de soin… vous pourriez finir par effacer ma dette… Disons, au bout d'un an ? Qu'en pensez-vous, Louis ?

Déjà elle s'approchait comme une louve, prête à se jeter sur sa proie.

— Écoutez, dis-je pour interrompre son approche, sans que je veuille mettre en doute vos capacités ni la qualité de vos charmes, de votre jeunesse et de votre beauté, vous comprendrez aisément que 4 000 €, c'est une somme. Et je vais vous dire, si on se fie à ce que je sais des tarifs des call-girls les plus belles et les plus réputées (désolé de faire cette comparaison triviale, Stéphanie, mais si on en est là, autant appeler un chat un chat), pour vous qui n'êtes pas une professionnelle, il va falloir vous donner du mal pour m'en donner pour 4 000 €, n'est-ce pas ?
— Euh… oui.
— Aussi, si je laisse de côté la période où vous serez « indisponible » après votre accouchement, et si je suis d'accord pour une période d'un an, vous comprendrez que pour cette somme je ne vais pas pouvoir me contenter d'une petite pipe – même si vous êtes très douée – de temps en temps : je vais me permettre d'avoir des exigences.
— Oui, je comprends, Monsieur le maire. Vous pourrez user de moi de toutes les façons qu'il vous plaira ; j'étais prête à vous l'accorder.

Commençant à me tripoter le col, elle me déclara sur un ton qu'elle voulait sensuel :

— Vous allez voir, vous n'allez pas le regretter…
— Je vous crois, Stéphanie. Mais pas ici, et pas maintenant. Gardez votre énergie, vos charmes et vos talents pour plus tard.

Elle me regarda avec un air étonné. Elle savait bien que je n'étais pas un jeune mâle fougueux et pressé, mais elle commençait à se demander ce que j'avais prévu (parce qu'elle avait bien compris que j'avais déjà échafaudé quelque chose et que j'y avais réfléchi).

— Ah bon, alors quand ?
— Venez me revoir ici jeudi, à la fin de ma permanence, pour discuter des petites modalités.
— Bon, d'accord.

Elle semblait soudain un peu dépitée, mais aussi inquiète. Je la sentais désireuse de poser des questions afin de lever le voile de mystère que je venais de faire naître, mais elle n'osa pas chercher à en savoir plus. Elle ramassa ses affaires et prit congé.

— Au revoir, Louis. À jeudi.
— À jeudi.


Le jeudi, elle se présenta à l'heure convenue. À cette heure, en effet, j'avais fini de recevoir les rares administrés qui étaient venus me rencontrer, et le secrétaire de mairie était parti depuis plus d'une demi-heure.

— Entrez, Stéphanie, je vous en prie. Et fermez la porte derrière vous. La permanence est terminée.

Elle s'exécuta.

— Venez donc vous asseoir ici, à côté de moi ; nous devons parler de ce que nous avons convenu.
— Entendu, Monsieur le maire.

Je la trouvai très en beauté, et elle avait l'air détendu. Elle portait un pantalon d'un tissu plutôt élastique qui moulait bien ses légères formes, des bottes – qui ressemblaient à des bottes d'équitation mais n'en étaient pas – et un chemisier élégant que repoussait son ventre arrondi. Elle était maquillée discrètement et avec goût, fidèle à son habitude.

Elle prit place à ma droite.

— Voilà, Stéphanie. Dans un premier temps, je vous ai préparé un contrat. Oui, je sais, ça va vous étonner : ce n'est évidemment pas un contrat officiel, mais un contrat moral, unilatéral, qui n'a pour but que de sceller l'engagement que vous avez pris envers moi. Vous allez le lire, puis le signer. Naturellement, il n'y en a qu'un seul exemplaire, et c'est moi qui vais le conserver.

J'avais en effet eu le temps de réfléchir depuis la première fois où elle m'avait payé en nature, et il ne fallait pas qu'elle me prenne pour un idiot : j'étais arrivé à la conclusion que pour ne pas me faire avoir, pour ne pas prendre le risque que ce genre d'arrangement se retourne contre moi, je devais prendre des garanties.
Elle me regarda avec stupeur, contemplant tantôt la feuille de papier, tantôt mon visage. Visiblement, elle ne s'attendait pas à ça.

— Je vous laisse le lire, Stéphanie, allez.

Elle prit donc la feuille entre ses doigts et se mit à lire.
Le contrat était ainsi libellé :

Je, soussignée, Stéphanie Delorme, reconnais par la présente devoir à M. Louis Y. la somme de 3 954 €, somme que je devais à son frère M. Charles Y, charcutier-traiteur à F. pour le buffet du vin d'honneur de mon mariage le 20 juin 2…, dette que M. Louis Y. lui a rachetée.
N'ayant pu rembourser cette dette, je m'engage à la payer à M. Louis Y. en nature, sous forme de faveurs sexuelles à sa convenance. Dans l'éventualité où j'essaierais de me soustraire à cet engagement, j'en assumerais toutes les conséquences.
Je certifie par ailleurs être à l'origine de cette proposition, et ne pas signer ce contrat moral sous le chantage ou la contrainte.

Fait à L. le 5 juin 2…

Quand elle eut terminé, elle me regarda, interdite, comme attendant de ma part des explications.

— Que comptez-vous en faire ? demanda-t-elle d'une voix blanche. Il n'y a que moi qui signe. Si je le signe et vous le donne, qu'est-ce qui me garantit que vous n'allez pas en faire usage ?
— Usage ? Quel usage voudriez-vous que j'en fasse ?

Elle me coupa :

— L'envoyer à mon mari, par exemple ; en faire part au Conseil Municipal, le rendre public…
— Réfléchissez, Stéphanie : même si je ne signe pas au bas de ce contrat, s'il était rendu public, je serais autant éclaboussé par le scandale que vous. Et j'aurais des ennuis avec votre mari également, n'est-ce pas ?
— Oui, bien sûr… Alors, pourquoi faire ce contrat ?
— Vous savez, ma jeune amie, combien sont devenues courantes de nos jours les plaintes, procédures et procès pour harcèlement sexuel ? Je ne voudrais pas, après que vous m'ayez « payé » votre dette en nature, que vous puissiez m'accuser publiquement et devant la justice d'avoir abusé de mon pouvoir et de ma position pour obtenir de vous que vous m'offriez vos charmes… dis-je en souriant.
— C'est pourtant un peu ce que vous avez fait en me menaçant de me retirer ma délégation, Monsieur le maire… répondit-elle avec un sourire ironique et légèrement mauvais.
— Ce n'était pas du chantage sexuel, ma belle : je ne vous ai pas menacée à ce moment-là de vous retirer votre délégation si vous ne me remboursiez pas votre dette – ou au moins une partie de celle-ci – mais j'étais sur le point de vous la retirer ; et c'est vous qui m'avez amadoué avec votre pipe en me donnant un « acompte », je vous le rappelle. Vous êtes un petit démon de perversité, ma petite chérie, et vous avez le don de travestir les faits et de raconter une version qui vous arrange Et vous êtes douée pour essayer de me faire oublier que c'est vous qui avez une grosse dette envers moi, et pas l'inverse ! Voilà donc une bonne raison pour que je prenne des précautions, et ce contrat est bien pour moi mon contrat d'assurance : vous venez de m'en faire la démonstration.

Elle me regarda, vaincue, à court d'arguments.

— Si vous avez bien compris ce contrat, qui est très simple, signez !

Elle hésita quelques instants tandis que je la fixais avec un regard noir et sévère sans la lâcher des yeux. Troublée désormais, les doigts presque tremblants, se sentant acculée dans un piège qu'elle avait elle-même construit et qui se refermait sur elle, elle prit le stylo et signa au bas de la page.

— De toute façon, marmonna-t-elle tout en essayant de garder une contenance, ce contrat n'a aucune valeur, ce n'est qu'un bout de papier.
— J'en conviens, ma chère Stéphanie. C'est pourquoi nous n'allons pas le signer devant notaire ni l'enregistrer au greffe du tribunal. Mais désormais il est à moi, dis-je en m'en saisissant et en le rangeant dans ma serviette (j'avais en fait l'intention de le ranger dans un tiroir de mon bureau fermant à clef, ici, en mairie, et surtout pas chez moi), et vous aussi, un petit peu… ajoutai-je en la regardant avec un sourire vicieux.

Pour peu, je m'en serais léché les babines.

— Et puis un contrat, c'est avant tout une question de bonne foi et de confiance mutuelle, n'est-ce pas, ma chère Stéphanie ? lui demandai-je non sans ironie.

Je ne voulus pas enfoncer le clou en ajoutant que, question bonne foi, elle en manquait légèrement et que, question confiance, elle avait jusque-là un peu trahi la mienne ; ce n'était pas nécessaire : je pense que le message subliminal était passé.

— Oui, Monsieur le maire, répondit-elle avec un air résigné.
— Bon. Pour les modalités pratiques, si nous passions au concret ? Il est indiqué, dans le contrat que vous venez de signer, « à sa convenance » ; c'est à dire, pour être précis, « à la mienne ». Donc, nous allons fixer ici et maintenant le jour et l'heure où vous allez commencer à me rembourser. Quant au lieu, ce sera chez vous (comme la première fois, du reste). Quand êtes-vous libre ? Personnellement, j'ai mon jour de repos le jeudi, comme aujourd'hui. Vous pourrez être disponible ?
— Disons… oui. En début d'après-midi, je pourrai être chez moi.
— Très bien. Donc, jeudi la semaine prochaine, c'est parfait. Pour ce qui est du concret, je tiens à vous dire, Stéphanie, qu'à mon âge on a envie de choses qui sortent un peu de l'ordinaire. Je ne vais pas me contenter d'une séance de baise à la va-vite : j'ai quelques petits caprices, quelques exigences.
— Lesquels ? demanda-t-elle, inquiète.
— Eh bien, pour tout dire, étant donné que vous allez m'offrir votre corps de façon adultère, je trouverais tout à fait excitant que vous me receviez la semaine prochaine revêtue de votre robe de mariée comme le jour où je vous ai mariée (tout en pensant en disant cela « Comme le jour où vous l’avez mis à l’envers à mon frère et à ma belle-sœur… ») ; cela mettrait beaucoup de piquant et m'émoustillerait beaucoup.
— Oh, Monsieur le maire…
— Elle était très élégante et très sexy. Ah, et puis pour ce qui est des dessous, je ne sais pas ce que vous portiez le jour de votre mariage, mais étant donné que je n'aime pas les strings, je vous laisse le choix : ce sera soit cul nu avec des Dim-up blancs, soit en collant porte-jarretelles. Blanc, bien entendu. Et vos ravissants escarpins blancs vernis. Si vous ne les avez plus, vous en rachèterez.
— Je les ai toujours, Monsieur le maire.
— Eh bien, c'est parfait ! Rien d'autre ?
— Euh, non. Enfin, si…
— Quoi donc, Stéphanie ?
— Je veux bien tout ce que vous voudrez, Louis, mais avec des préservatifs ; ce n'est pas que je n'ai pas confiance, mais je tiens à me protéger, surtout que je suis enceinte.
— Naturellement ; ça allait de soi. Je les apporterai.
— Très bien.
— Eh bien, si tout est réglé, je vous libère et vous dis à jeudi, Stéphanie. À 14 heures. Soyez prête : je serai ponctuel.
— Pas de problème, Monsieur le maire. Je serai prête et… disponible.
— Hum… j'en salive déjà, Stéphanie !

À mon étonnement, elle me serra la main avant de me quitter.

— Au revoir, Monsieur le maire.
— Au revoir, Stéphanie.