Règle n° 32 : Accorder du repos aux membres fatigués.

« Synopsis NCIS - Saison 14 - Épisode 7 : Le voisin d'un Marine recueille un chaton abandonné à Paris (Texas). Le NCIS enquête. Gibbs se marie pour la quatrième fois : avec McGee. Encouragé, Ducky se marie avec Abby. Bishop entre dans les ordres. Fin de saison et fin de série. »

RORY

Putain… Alicia, c'est la fille de Calamity Jane et d'Attila ! En une demi-heure chez moi elle est arrivée à provoquer un tsunami. Mais nom de Dieu, qu'elle est bandante, et vive, et brillante ! Bon, j'ai coupé l'eau mais il y en a au moins dix centimètres partout. Ça va mettre quinze jours à sécher. Bon, où ils sont, les deux boulets de ma vie ?

Je vais dans le séjour et… c'est pas vrai, ils sont enlacés. Alicia est presque nue, juste sa minijupe retroussée sur ses (jolies) fesses et… je pète un câble.

— Mais c'est pas vrai ! Elle détruit ma maison et elle continue à fricoter avec mon frère comme si de rien n'était… Je rêve !

Noël me fait les gros yeux, nettement réprobateur. Il commence à ouvrir la bouche comme Alicia s'écarte de lui et se tourne vers moi, le visage défait et baigné de larmes. Elle ouvre la bouche pour dire quelque chose mais se ravise, baisse la tête et file comme une flèche, se baissant juste pour ramasser son top qui flotte près de la porte d'entrée. Avant que j'aie pu réagir elle est partie. La porte claque.

Le silence, juste troublé par le glouglou de l'eau qui s'écoule doucement par les interstices du vieux parquet. Le salon est plongé dans la pénombre, juste éclairé par un lampadaire de la rue. Je suis atterré, je sais que j'ai merdé. D'ailleurs mon enfoiré de frangin me le confirme alors qu'un moteur de voiture rugit dehors.

— Tu attends quoi, bordel ? Alicia se barre en chialant et tu la laisses faire ? Elle est foutue d'avoir un accident, voire pire. Et toi tu restes en arrêt sur image, comme un con… Y a des fois, je te foutrais des baffes.
— Je… commencé-je, désemparé.
— Mais casse-toi, nom de Dieu ! Fous le camp et rejoins-la avant qu'elle fasse une connerie.

Je sors enfin de ma torpeur et de la maison : il pleut à verse, un rideau serré qui limite la visibilité à vingt mètres maxi. Alicia n'est plus là, bien sûr ; la rue est déserte. Qui sortirait par un temps pareil ? Bon, elle est partie, mais où ? Je n'ai pas son adresse exacte, et Venice est vaste. Je rentre en trombe en criant :

— Nono, téléphone à la CBS, ou plutôt à beau-papa, et dégote-moi l'adresse d'Alicia. Je prends la voiture et tu m'appelles dès que tu as le renseignement.
— Bien chef, oui chef ! C'est pas malheureux que tu te remues enfin le cul. Cette nana, en plus d'être canon, a l'air de tenir à toi, ce qui est surprenant, mais elle doit te trouver quelque chose, un truc invisible qui dépasse mon entendement.

Je prends un vieil imper froissé et pars en grommelant après les frères débiles qui devraient vivre en Australie, voire plus loin. Quand j'entre dans la voiture pourtant garée tout près, je suis trempé comme un canard. En jurant, je démarre sur les chapeaux de roues et file vers Venice. Je suis obligé de diminuer la vitesse jusqu'à me traîner comme un escargot asthmatique : entre la pluie torrentielle et la circulation au ralenti, pas possible de jouer à Andretti.

Je me suis garé et je tambourine sur le volant comme un malade quand Nono m'appelle. Il me donne non pas une, mais deux adresses : celle d'Alicia et celle de ses parents. Un quart d'heure après je suis à la première adresse. Pas de Mini à l'horizon, mais par acquis de conscience je me rue contre la porte que je cogne du poing plusieurs fois, essayant même d'ouvrir, en vain. Merde, où est-elle passée ?

Plan B. Je remonte dans mon bolide et file chez les parents d'Alicia. Enfin, je file… je me traîne, déjà à cause de la circulation, mais aussi parce que je cherche mon chemin dans un secteur que je ne connais pas. Hyper-chicos, ledit secteur ; les parents n'ont sûrement pas besoin de l'Obamacare : ils ont une grande maison style hacienda en pisé qui doit coûter un bras, voire les deux. Au moins n'est-elle pas tape-à-l'œil comme celles construites autour. Les nouveaux riches, j'vous jure…

Bingo : la Mini est stationnée devant le garage, l'accès côté conducteur largement ouvert. Je me gare derrière elle et claque la portière en passant puis vais sonner. Une jolie Black en jean slim et tee-shirt des Spurs ouvre la porte et sourit en me voyant.

— Noël ? Bonsoir. Tu connais les Riverside ?
— Désolé, mais je suis Rory, le frère de Noël. Je travaille avec Alicia ; je peux la voir ?

Elle s'aperçoit que je suis trempé et me fait malgré tout signe d'entrer.

— Excusez-moi ; je croyais… C'est fou ce que vous ressemblez à Noël ! Moi, c'est Angela, la gouvernante de la maison. Vous me suivez ? Nous étions en train de boire un verre au coin du feu.

Elle me fait traverser le hall, un couloir et un grand salon pour accéder à une bibliothèque chaleureuse éclairée par quelques appliques et une belle flambée dans une cheminée massive. Alicia est vautrée dans un fauteuil club, un verre ballon dans la main ; elle paraît perdue dans ses pensées.

— Ali, prévient mon cicérone, c'est ton collègue Rory qui a bravé la tempête pour te voir…
— Rory ? Pourquoi t'es venu ? geint-elle d'une voix pâteuse. Angie, tu n'aurais pas dû le laisser entrer ; j'ai démoli sa maison et je suis bonne à rien.

Angela ouvre ses deux mains paumes en haut en faisant la moue, signe d'embarras et d'impuissance. M'est avis que la môme Alicia a noyé son chagrin dans l'alcool depuis son arrivée, et en y mettant du cœur. Je m'approche et m'agenouille devant ma jolie blonde qui pose ses yeux voilés sur moi.

ALICIA

Putain, il est venu jusqu'ici pour m'engueuler malgré le temps pourri ; il doit être grave furax. Faut dire que j'ai mis le paquet, ce soir : j'ai commencé par tailler une pipe à son frère devant lui puis j'ai inondé sa maison, tout fait disjoncter… Je suis partie quand il a commencé à hurler après moi. Si ça se trouve, sa maison est complètement détruite, et son frère…

— Il est pas mort, ton frère, non ? Je sais pas comment j'ai fait, mais je te jure : j'ai pas fait exprès.
— Mais non, il lui arrive jamais rien de grave à Nono, t'inquiète pas.
— Je crois que c'est arrivé quand j'ai perdu le plug aux toilettes ; il est tombé de mes fesses direct dans le broyeur et alors tout a explosé autour de moi.

Un silence, puis j'entends un hoquet : Angie est prise d'un fou-rire qui la plie en deux ; elle pleure en se tapant le ventre sous mes yeux incrédules. Rory prend ma tête entre ses deux mains et embrasse mon front si tendrement que je me mets à pleurer.

— Tu… tu vas pas me tuer ?
— Pas tout de suite, non. J'ai d'autres idées en tête n'incluant pas le meurtre. Comme te demander de m'épouser.

Mon cerveau fait tilt. J'en suis à me demander si j'ai bien entendu quand une voix grave fige mon sang dans mes veines : mon père entre dans la bibli de sa démarche à la Fred Astaire.

— En ce cas, j'espère que vous êtes bien assuré.
— Bonsoir. Monsieur Riverside, je présume ? Je suis Rory Gallagher.
— Le chanteur ? s'étonne mon père.

Bien sûr, Rory me regarde avec un air genre « je te l'avais dit que j'ai un nom connu ». Connu des vieux, ouais !

— Eh non, je suis juste scénariste, comme votre fille.
— Et vous avez l'idée saugrenue de vouloir l'épouser… Donc vous venez me demander sa main en grande tenue, pour en imposer ?

Papa toise Rory avec un intérêt manifeste ; il faut dire que celui-ci est pieds nus, son jean noir est trempé et sale, sa tenue étant complétée par un antique imper froissé et couvert de taches grasses ou noires, voire les deux. Très fashion week !

— Vous ne croyez pas si bien dire, Monsieur. C'est à peu près tout ce qui me reste après le passage du cyclone.
— Le cyclone, moui… susurre mon père en louchant de mon côté. Et vous avez fait de sérieuses études de météorologie avant de penser être capable d'en épouser un. Ou une…
— Disons une. La plus belle des tempêtes tropicales, Monsieur.
— Certes, je n'en disconviens pas. Quant à ce que j'ai entendu en arrivant, je préfère ne pas savoir comment ma fille chérie occupe ses fesses.
— Papaaa ! protesté-je, mes oreilles prenant feu en constatant que papa a entendu l'épisode du plug. S'il te plaît, arrête !
— Tu as raison, Ali. Alors, que penses-tu du fils de l'inspecteur Columbo ? m'interroge papa en désignant Rory et son imper pourri.

Cette toute simple question m'arrête net en plein auto-apitoiement, me plongeant dans la confusion la plus totale. Euh… Rory ? Ce que j'en pense ? À part qu'il a la plus grosse bite de tout Los Angeles… Enfin bon, je les connais pas toutes non plus ; et je ne crois pas que ce soit la réponse appropriée à donner à son père. Je réalise que le public présent (papa, Angie et Rory) me regarde avec curiosité ; ils sont suspendus à mes lèvres, en attente. Et je constate alors que Rory est anxieux : il se mord la lèvre inférieure tout en passant la main dans ses cheveux en pétard. C'est la première fois que je le vois comme ça. Je ne peux plus résister et m'approche de lui jusqu'à être à trente centimètres maxi ; je lève les yeux et lui souris. Inexplicablement, une larme coule sur ma joue.

— Oui.

Ma voix est juste assez ferme pour émettre un croassement, tellement ma gorge est serrée, mais il a compris. Ses yeux de cocker s'illuminent et il me prend dans ses bras, serrant à me péter deux ou trois côtes. Et il m'embrasse. Avec la langue et tout. Vous ai-je dit qu'il embrasse divinement ? En dix secondes je prends feu de haut en bas ; je noue mes mains sur sa nuque tout en écrasant mon pubis contre son érection toujours aussi vaillante.
Un cliquetis rapide de talons aiguilles me signale l'arrivée de maman.

— Mon Dieu, mais que fait donc cet homme à embrasser Ali au milieu de la bibliothèque ? Il a perdu l'esprit ?
— Eh bien, c'est exactement ça, explique papa ; cet homme ici présent va épouser notre fille.
— Le pauvre garçon… il ne sait pas ce qui l'attend !
— Si, apparemment. Ce qui me laisse perplexe, je ne te le cache pas.
— Peut-être sort-il du bagne, ou alors il vient de finir une mission sur Mars, et il est tellement en manque que la première femme qu'il a trouvée…
— Papa, maman, vous avez fini votre cirque ? Je l'aime ; il a fallu que papa me demande ce que je pensais de Rory pour le comprendre. Alors j'attends votre bénédiction plutôt que des blagues à deux balles.

Mamie déboule à son tour, un calibre 45 à la main en criant façon inspecteur Harry :

— Fais-moi plaisir, dégaine ! Et lâche ma petite-fille, misérable !

Pour faire bonne mesure, elle tire deux fois en l'air, pulvérisant un bon mètre carré de plafond et emplissant la pièce d'un nuage de plâtre. Rendons justice à mon chéri qui tressaille à peine et n'urine pas de trouille sur le parquet. Il nous faut ensuite une longue minute pour recouvrer notre audition, laps de temps pendant lequel mes parents roulent de gros yeux à mamie qui ne paraît pas le moins du monde perturbée : elle agite son calibre fumant en sifflotant un air de western.

— Mamie, interviens-je, range ton artillerie ! Je te présente Rory, mon fiancé.
— Putain, le beau mâle ! Et il paraît armé lourdement, à voir la bosse dans son jean. Compliments, Ali. Quand tu en auras assez de lui, tu me le prêteras ?

Je crois que je tiens beaucoup de mamie ; ses gènes ont dû sauter une génération !