Londres - Hôtel Sheraton Skyline

Sur le sofa de velours d'une couleur infâme dont seuls les Anglais peuvent s'enorgueillir, l'homme lit tranquillement. La tête légèrement penchée en avant, il est pris par l'action de son livre. Il ne s'aperçoit nullement de l'intérêt que lui porte la jeune femme brune assise elle aussi sur un autre divan aux couleurs similaires. Il poursuit imperturbablement sa lecture d'un polar acheté au kiosque aux abords de l'hôtel ou à l'aéroport.

La brune d'une quarantaine d'années bouffe littéralement des yeux le type qui ne remarque rien. Il faut dire que ses tempes argentées et ses lunettes vissées sur son nez lui donnent un air de mec bien rangé, bien dans sa peau aussi. Il feuillette une à une les pages d'un bouquin qui le passionne au point d'en oublier tout ce qui l'entoure. Pourtant, un vrombissement sourd tire soudain des lignes prenantes l'homme qui immédiatement plonge sa main dans la poche d'une veste bien coupée.

Entre ses doigts, sans affolement particulier, apparaît un téléphone portable et notre gaillard, d'un doigt sûr, décroche celui-ci.

— Allô ? Ah oui, maman. Dis à Marinette que je suis bloqué à Londres ; je suis au Sheraton Skyline Hotel de Londres.

Il marque un temps d'arrêt pour sans doute écouter son interlocutrice et reprend sa conversation.

— Oui, c'est très bien. Je n'ai pas tout compris, mais je pense que mon vol a été annulé et reporté à demain en raison d'une menace d'attentat à Heathrow. Je n'en sais pas plus. Mais ne t'inquiète pas, pour moi tout va bien. Ils nous ont emmenés et répartis dans les hôtels des environs. Celui où je suis est plutôt sélect. Et puis j'ai mon bouquin, alors il ne reste plus qu'à prendre notre mal en patience. Je serai demain à Paris, enfin… je l'espère ! Je vous embrasse, et faites de beaux rêves.

Il a raccroché, jetant un coup d'œil aux alentours et remet le portable dans sa poche. Le garçon qui passe à sa portée est illico appelé par notre homme.

— Hello, please ! (Bonjour. S’il vous plaît…)
— Yes Sir ? (Oui Monsieur ?)
— Please, could I have a bourbon ? (S'il vous plaît, pourrais-je avoir un bourbon ?)
— Naturally ! I bring you it at once, Sir. (Naturellement ! Je vous l'apporte immédiatement, Monsieur.)

Le serveur, empressé, repart vers l'immense bar où séjournent encore quelques clients accoudés à un comptoir aussi long qu'un jour sans pain. La femme baisse la caboche et l'autre, face à elle, se replonge dans une lecture décidément très captivante. Alors que le bourbon du voyageur est passé devant elle sur le plateau du barman, elle lui fait également un signe discret. Le larbin au col empesé et à la tenue impeccable se penche désormais pour prendre la commande de la nana brune qui vient de lui faire signe.

— The same thing as what you have just served, please. (La même chose que ce vous venez de servir, s'il vous plaît.)
— But of course, Madam. With or without ice cube ? (Mais bien sûr, Madame ! Avec ou sans glaçons ?)
— Without, you will be kind. (Sans, vous serez gentil.)

À quelques mètres de la femme, le type est à nouveau absorbé dans son roman policier. Décidément, sa manière de lire, sa trogne sympathique font de lui un être touchant, attirant pour la jeunette qui le reluque avec un petit bout de langue qui passe entre ses lèvres. Voilà un gaillard dont elle ferait bien son « quatre heures ». Annette, puisque c'est son prénom, se dit qu'après tout… qui ne risque rien n'a rien. Elle se lève soudain et, son verre à la main, elle louvoie entre les fauteuils pour venir poser ses jolies fesses sur un de ceux qui sont tout proches du lecteur.

— Bonjour. Vous aussi êtes parmi les passagers bloqués pour cette nuit à Londres ?

La question met un certain temps pour que celui à qui elle est destinée comprenne qu'elle est bien pour lui. Alors lentement, comme à regret, l'homme relève sa tête pour voir cette interlocutrice qui se permet de l'apostropher de cette manière. Et ce que ses yeux découvrent est, d'un coup, plus attractif que le bouquin qu'il vient de quitter. Elle a un joli minois, la donzelle qui s'adresse à lui !

— Oui. Vous êtes sur le même vol ?
— Non, mais ce soir tous les départs sont reportés, et le mien ne fait pas exception.
— Ah oui, bien entendu ; je n'avais pas pensé que tout était bloqué. Nous vivons dans un drôle de monde…
— Mon anglais est plus qu'approximatif, et trouver un compatriote ici est un coup de chance !
— Oh, la France n'est pas si éloignée : une heure et demie de vol tout au plus.
— C'est vrai et… pardon, je ne me suis pas présentée : Annette, et je me rendais à Bruxelles.
— Enchanté alors, Annette, de faire votre connaissance, bien que les circonstances… Je suis Pierre, Parisien de toujours, et comme vous prisonnier de ce pays qui, comme chez nous, est en proie aux peurs primales du terrorisme et de ses bombes.

Annette suit des yeux les lèvres fines de ce type qui lui raconte d'une voix douce des choses dont elle se fiche éperdument. Pour un peu elle lui crierait déjà qu'elle n'a qu'une envie : celle de ne pas passer la soirée – la nuit, même – seule. Oh, rien à voir avec une peur ancestrale ou d'autres boniments de follette en manque d'imagination : non, c'est juste que ce soir elle voudrait oublier un peu plus vite tout un tas de trucs plutôt déplaisants et que ce mec lui a tapé dans l'œil.

Pierre voit la jeune femme, pas si certain finalement que son âge soit si éloigné du sien, qui boit lentement ce qui parait être un bourbon. Alors comme ça, pour ne pas perdre le bénéfice d'une conversation plaisante, il lève aussi son verre pour trinquer. Cette femme est belle, mais le terme qui lui vient à l'esprit n'est pas vraiment celui-là : il pense plutôt qu'elle est bandante. Il lui donnerait entre trente-cinq et quarante ans, et son corsage qui se gonfle à chaque inspiration est un appel à l'amour.

Oui, elle est tellement féminine que les yeux qui couraient sur les lignes sombres d'un bouquin de quai de gare ont soudain un infini plaisir à en suivre d'autres, tellement plus agréables. Et puis, quand il songe « amour », il s'agit plus de sexe que de tendres ébats, encore que le mélange des genres reste possible. Un court instant il songe à Marinette qui doit être inquiète dans leur maison proche de Versailles, et il continue, mine de rien, à lorgner sans vergogne sur les formes qui s'affichent dans un fauteuil club d'une couleur ahurissante. Ces Anglais et leurs goûts !

Mais cette Annette est un régal ! De plus, elle aussi suit chacun de ses mouvements. Elle croise et décroise également une paire de gambettes gainées de nylon. Ce que devine l'homme est un peu plus étouffant encore. Elle chercherait une aventure qu'elle ne s'y prendrait pas autrement. Il se perd dans des images dont elle est déjà l'héroïne, mais beaucoup moins vêtue, il est vrai. Pourquoi d'un coup ses pensées lui procurent-elles une sorte de plaisir trouble ? Et ce trouble se caractérise par un gonflement significatif de son pénis. Il ne cherche pas à camoufler cette bosse que la femme brune provoque volontairement sans doute.

Elle garde un bout de langue entre les lèvres, une pointe rose qui dépasse, et cette manière de la faire glisser d'un coin à l'autre de la bouche… c'est forcément voulu ! Pierre finit son bourbon, et comme elle aussi a terminé son gobelet, il trouve le moyen de prolonger cette situation inédite.

— Vous prenez un autre…
— Volontiers ! Le bourbon est excellent, n'est-ce pas ?
— Oui. J'appelle le serveur.

Ses quinquets courent sur l'ensemble du grand salon. Plus loin, un couple de personnes âgées ne se préoccupe absolument pas d'eux. Quant au serveur, il est derrière son bar à laver des verres. Alors Pierre lève la main, et le loufiat accourt immédiatement.

— Sir ? (Monsieur ?)
— The same thing, in color please ! (La même chose ; en couleurs, s'il vous plaît.)
— Very well, Sir. (Très bien, Monsieur.)


Le breuvage ambré est fabuleux. Il détend un peu la jeune femme qui s'est assise face à ce Pierre, au demeurant fort sympathique. C'est le second verre qu'elle boit. Alors l'alcool, s'il est bon, n'en est pas moins très désinhibant. Elle a tout fait pour le faire bander et elle se félicite de ce qu'elle entrevoit. La déformation d'un endroit bien défini de l'anatomie de ce type est prometteuse… Elle a absolument besoin de lui, de ne pas être seule cette nuit. Il fera bien l'affaire ; après tout, il n'est pas désagréable à voir, non plus.

Elle déplie une énième fois ses jambes : pas question de laisser retomber le feu qu'elle a allumé. Lui la dévore des yeux, se tordant le cou pour faire remonter son regard vers ce centre qu'elle découvre par instants. Est-il vraiment dupe de son petit jeu ? Pas si sûr, mais après tout, on n'attrape pas les mouches avec du vinaigre. Et puis, c'est cette nuit ou jamais. Alors, autant que l'homme soit… intéressant ! Pour l'heure, il n'est encore qu'au stade de l'amorçage, mais elle va tout faire pour ferrer le poisson, et ensuite advienne que pourra.

Cette fois, à force de contorsions, sa jupe est remontée plus haut que le genou et ça ne le dérange pas outre mesure ; à croire que ce n'est pas si fortuit. Elle plonge dans les prunelles de ce mâle qui ne détourne pas les siennes. C'est doux, c'est chaud, c'est brûlant comme de la braise, et ni l'un ni l'autre n'est tenté de cesser ce combat qui se livre là sur une banquette anglaise. Elle veut séduire, et cet inconnu est un test. Sa main repose le verre avec une élégance rare. Et Pierre n'en perd pas une miette. C'est très bon signe pour la suite des évènements.

— Bien ; je vous remercie de m'avoir accompagné, mais je crois qu'il est temps pour moi d'aller faire dormir mes yeux.
— Oh, vous allez donc abandonner une pauvre femme dans un pays étranger dont elle ne parle que si peu la langue ?
— J'ai eu une journée éprouvante et une fin d'après-midi tout aussi consternante, voyez-vous ; je suis las.
— Vous… comment dire, vous ne voulez donc pas m'offrir un dernier verre ?
— Si, bien sûr. Je vous appelle le garçon tout de suite.
— Non, je voulais dire… dans votre chambre.
— Ah ? Vous… après tout, pourquoi pas ? Du champagne ?
— Comme bon vous semble ; peu importe la bouteille pourvu que nous ayons l'ivresse, n'est-ce pas ?

Il s'est remis sur ses pieds, aussitôt imité par la brune. Elle est d'une taille qui approche la sienne, et son corps gracieux est bien proportionné. Son sac d'une main, elle marche à ses côtés, écoutant d'une oreille distraite quand il s'adresse une fois encore au serveur dans la langue de Shakespeare.

— You make for us go up a bottle of champagne, the best you have. (Faites-nous monter une bouteille de champagne ; le meilleur que vous ayez.)
— Well, Lady and Gentleman. So, which is your room ? (Bien, Messieurs-dames. Pour quelle chambre, s'il vous plaît ?)
— Oh ! Yes : twenty nine. Thank you. (Oh oui… la vingt-neuf, merci.)

Le jeune homme en habit sombre n'a pas répondu, se contentant de hocher la tête ; il a pourtant un énigmatique sourire au coin des lèvres : il se doute bien que la brune vient de lever un bon lièvre. Alors toujours ensemble, Annette et Pierre se dirigent vers l'ascenseur qui dessert les étages. La cabine grimpe aussi vite que la température entre eux deux. C'est dans une suite très calme que le couple de fortune pénètre désormais. Il fait asseoir sa belle nouvelle amie sur un sofa, qui cette fois n'attire pas de grimaces à cause de sa laideur.

Annette se plonge avec délectation dans le moelleux d'une assise de velours, rapidement suivie par un Pierre qui s'est simplement débarrassé de sa veste. Ses muscles sous sa chemise sont encore plus impressionnants qu'au grand salon. Le bout rose de la langue de la brune est réapparu entre ses dents, pareil à une invitation à poursuivre des débats dont les prémices se sont déroulées au bar. Sa jupe est revenue à la limite de ses genoux, mais les billes qui brillent dans leurs orbites sont autant de promesses non dites.


Le groom de l'hôtel monte une bouteille de champagne à la chambre vingt-neuf. Il porte avec précaution son plateau où sont posés deux coupes et un seau à glace. Au milieu de celui-ci, un Dom Pérignon bien frappé. D'une main gantée de blanc, il cogne doucement contre la porte. Le type qui vient lui ouvrir s'efface pour le laisser entrer. Sur le canapé, une poupée brune est assise, regardant passer le serveur et son fardeau. Bien entendu, déjà le garçon de courses se fait une idée plus précise ; il mesure la chance qu'a cet homme.

Mais le billet de dix livres qui change de mains d'une façon extrêmement discrète fait oublier la jalousie latente. La porte se referme sur ce couple qui du coup lui est devenu bougrement plus sympathique.

— Bon, alors… une coupe d'un bon champagne bien frais ! Je vous sers.
— Oui, mais attendez donc une seconde ; il y a tant de manières de boire un vrai nectar de notre belle région de France…
— Tant de manières ?
— Oui. Vous voulez bien que je vous montre ? Mais retirez-moi donc ce muselet qui retient trop le bouchon.
— Vos désirs sont donc des ordres ; voilà.

Les grosses pattes desserrent le fil de fer, et quelques secondes plus tard un « pop » sonore augure de la bonne manœuvre des doigts. Un liquide éclatant aux mille bulles d'or se déverse dans deux coupes prêtes à l'accueillir. La femme s'est relevée, et sans aucune gêne elle accroche ses menottes autour du cou de notre Pierre éberlué. Mais pourquoi refuser ce clin d'œil du destin ? Il la laisse se pendre à lui et force même peu plus le rapprochement en refermant ses bras dans son dos.

Annette a levé la tête, mais si peu, juste pour amener ses lèvres contre celles du monsieur. Et la magie d'un baiser remonte le flambeau d'un Pierre qui adore cela. Elle coule sa langue dans le palais qui attendait sa reine. Un goût subtil de « reviens-y » emporte notre homme trop heureux de sa bonne fortune. Elle se frotte, chatte au possible, la poitrine contre ce torse encore encotonné. Il savoure avec joie ce premier palot en songeant qu'il ne peut qu'être l'annonciateur d'une longue série.

Annette aussi songe exactement à la même chose, mais elle veut les agrémenter, les pimenter de mille et une façons. Une main quitte la nuque à laquelle elle s'agrippait, et cette petite louche se saisit d'une coupe. Elle porte la boisson à sa bouche et aspire une partie du liquide, mais c'est pour mieux revenir le partager avec ce type qui ne s'en offusque pas le moins du monde. Et le baiser devient humide, doux, aux saveurs pétillantes. Puis il se répète un nombre de fois que personne ne veut comptabiliser : non, pas besoin de chercher à savoir où elle veut l'amener !

Le vin est bon, et déjà Pierre imagine qu'il ne sera pas le seul à être tiré. Du reste, la maîtresse en devenir a entrepris de dénouer sa cravate. Ses doigts courent sur chaque bouton d'une chemise qui s'ouvre en grand. Quand les poignets laissent défiler les manches, c'est sur une peau presque imberbe que dansent désormais les paumes de la belle. Et lui ne fait rien pour brusquer quoi que ce soit ; il n'est plus qu'attente, et sa ceinture subit aussi les assiduités des minuscules mains féminines.

Le pantalon qui coule sur ses guibolles lui donne l'impression d'une nudité totale, mais il est en caleçon pour un temps encore. C'est alors que, candide, Annette rompt ce miraculeux silence. Ses lèvres, en se rapprochant une fois encore de celles de Pierre, quémandent ou prient :

— Et moi, alors ? Je vais devoir tout retirer toute seule ?
— …

Ce n'est pas la peine de demander plus longtemps : c'est le signal, le feu vert pour qu'il se libère, et du même coup la délivre aussi de sa gangue de tissu. C'est plus brouillon, moins rapide que pour lui, mais les tremblements de ses gros doigts ne sont pas étrangers à cet affolement perturbateur. Le résultat final, c'est que deux corps sont l'un contre l'autre, elle en culotte et lui en slip. Les seins qui touchent sa poitrine d'homme sont ronds, bien fermes, et leur chaleur est communicative. Elle se répercute partout dans le corps du mâle, et plus spécialement dans un endroit qui n'est plus tellement protégé.

C'est justement dans cet abri précaire que la menotte s'est enfoncée. Et l'ancre à laquelle elle s'agrippe, cette petite patte, n'est dans cet état que pour se laisser diriger. Annette ne s'en prive pas. Le goupillon frétille entre les doigts qui l'encerclent. Mais ici, point encore d'eau bénite : juste une barre qu'elle besogne d'un poignet agile. Et lui n'est plus en mesure de renoncer à quoi que ce soit : les mouvements de balancier qu'imprime la paluche font un effet bœuf à notre taureau. Il se laisse manier à la baguette par cette amazone experte.


Bien ! Elle a réussi à amener ce Pierre là où elle voulait. Tout s'annonce nettement mieux qu'elle ne l'aurait cru. Il n'est plus en mesure de résister, de dire non à ses avances. Ça a été plus facile qu'elle ne l'aurait imaginé. Le reste sera sans aucun doute plus aisé. Elle trouve même une certaine délectation dans ce pouvoir qu'elle exerce maintenant sur lui. Il bande bien, et elle joue avec le mandrin. Lui soupire alors qu'il lui caresse le dos de ses ongles bien taillés. Mais elle doit encore garder l'esprit en éveil un petit moment.

Tant pis s'il faut en passer par là pour parvenir à ses fins ; c'était essentiel de monter dans la chambre de ce gars. Il y a loin de la coupe aux lèvres, mais lui n'y voit que du feu. Pour finir, elle laisse aller son instinct et le branle avec entrain. Bon, ce n'est pas non plus si déplaisant… Il est bien foutu. Et sa cheville, celle sur laquelle sa main opère de larges et longues amplitudes, est bonne au toucher. Il sent bon aussi, ce qui ne gâche rien. Joindre l'utile à l'agréable peut aussi s'avérer un réel plaisir.

Il embrasse divinement, et elle est vite couchée, non pas sur le divan, mais sur la moquette du salon de la suite, et il fait couler entre ses seins des larmes de champagne qu'il s'empresse de récupérer d'une pointe de langue gourmande. Frissons garantis, et elle n'échappe pas à cette règle. Elle sent aussi son envie qui s'éveille au fil des caresses qu'il lui distille. Alors pour ne pas être en reste, pour rester cohérente dans sa démarche, il faut qu'elle aussi se montre… convaincante. Pour cela, quelle meilleure preuve que le prendre en bouche ? La sucette agrémentée elle aussi d'une lampée de bulles, et le tour est joué.

Mais à force de jouer avec le feu, elle risque bien d'y laisser quelques plumes, même si pour l'instant c'est elle qui la taille. La queue retroussée laisse apparaître sur le gland une perle de liquide qui se mélange très vite au vin fabuleux. Et quand elle absorbe l'ensemble, seule la saveur champenoise subsiste ; c'est toujours ça de gagné. Et lui se pâme sous des câlins buccaux tellement ciblés… Pour un peu, elle sentirait la montée d'une sève qu'elle veut encore différer un moment. Pour cela, elle doit donc moduler ses effets, ses passages et chatouillis sur cette verge qui frise la crise d'apoplexie.

Si elle continue d'une main et d'une langue fermes des attouchements quasi instinctifs, elle cherche un moyen plus détourné pour revenir à son objectif premier. Elle se dit que finalement, le mieux serait de… de suivre son chemin et de le faire jouir. Oui, mais elle est maintenant aussi humide que lui. Et ce Pierre, pour l'instant, n'a pas l'intention de s'endormir sur ses lauriers. Pour preuve, ces mains qui lui fouillent l'entrejambe et qui ne sont pas véritablement inexpérimentées, à tel point qu'elle aussi se sent proche de cette jouissance qu'elle veut reculer le plus possible.

Alors comment ses doigts se retrouvent-ils à fouiller dans son sac à main ? Comment surtout l'homme ne s'aperçoit-il pas de ce micro-comprimé qu'elle laisse tomber subrepticement dans sa coupe de champagne ? Celle où, quelques secondes après, elle pose ses lèvres avant de la lui tendre.

— Bois, Pierre, et je boirai pour connaître tes pensées.
— Hum… Si tu les voyais, mes idées, je suis sûr que tu en rougirais… de honte.
— Alors, bois, bois vite ! J'ai hâte d'en savoir davantage.

Le rire de gorge du type est stoppé par la coupe qui flirte avec ses lippes. Il absorbe une grande gorgée de ce nectar béni des dieux. Puis une seconde encore, et ses doigts s'affolent maintenant davantage dans la chatte qu'ils visitent. Elle tente de reposer la flûte à demi vide, et bien entendu elle la renverse sur la moquette.

— Zut ! Je ne vais pas savoir…
— Si ! Attends, ma belle ; je vais prendre la mienne.

Ceci dit, il sert prestement le second verre et le passe à cette compagne avec laquelle il compte bien aller plus loin dans les réjouissances. Elle aussi avale une goulée de liquide aux merveilleux bienfaits, puis elle se laisse aller à finir à la bouche ce qu'elle a si brillamment attaqué. Il suffoque, se contracte, tente de faire défiler dans sa tête des images toutes différentes de ce qui se passe dans ce salon. Malgré tous ses efforts, il ne peut contenir l'envie qui soudain le submerge. Il essaie de lui faire reculer la bouche qui le suce avec frénésie, mais rien n'y fait, et Annette doit d'elle-même laisser échapper ce dard qui pleure. Elle en reçoit une large giclée sur le menton, puis le reste se perd également dans la laine d'un hôtel londonien.

Alors tous deux restent longuement immobiles. Lui voudrait reprendre des forces pour un second round, plus profond celui-ci. Elle, surtout pour que ce qu'elle a mis dans son verre fasse son petit effet. Ils n'échangent plus un mot, savourant chacun de son côté cette victoire à venir.

Bien entendu les raisons sont différentes, et la seule certitude de cette histoire c'est qu'au moins un des deux aura ce qu'il convoite. Pierre ou Annette ? Mais là, le destin n'y est que pour bien peu de choses. La duplicité offre une victoire trop facile à la femme qui n'aura finalement eu qu'à jouer des sens de l'homme pour… après tout, il était consentant. Et il rêve déjà de ce corps qu'il va pouvoir prendre, reprendre sans doute ; mais comme ses paupières sont lourdes !


Annette a longuement attendu, les yeux clos, sans bouger, que la respiration de son presque amant se fasse plus calme, puis au bout d'une éternité, elle a levé le bras de Pierre. Quand il est allé assez haut, accompagné par la main féminine, elle l'a brusquement lâché. Le bras est retombé lourdement sur le ventre de son propriétaire. Il dort à poings fermés. Il faut dire que la dose qu'elle a collée dans son verre aurait pu endormir la moitié d'un haras ! La brune se tourne alors sur le côté, remonte affectueusement une mèche de cheveux collée sur le front de Pierre.

Ensuite elle se lève, se revêt tranquillement, puis farfouille dans son sac à main. Un petit sachet en toile de jute en est extrait et elle file dans la chambre de son nouvel ami. Elle entrouvre la valise sagement posée sur le lit. Dans celle-ci, elle dégotte une petite poche vide. Avec un peu de chance, à Paris, le type n'aura même pas l'idée de jeter un coup d'œil dedans. D'un mouvement décidé, elle emprisonne le sachet dans cette cachette que l'on dirait prévue pour lui. Elle referme la valise, et c'est l'heure de regagner sa propre chambre.

Mais avant de tirer la porte de la chambre sur le corridor dans lequel elle se trouve, elle se ravise et revient d'abord vers l'homme, puis vers son bagage. Elle regarde Pierre, lui caresse une fois encore le visage, regrettant sans doute de n'avoir pas conclu. Puis sur l'étiquette de la malle, elle relève l'adresse proche de Paris de ce monsieur Nothomb Pierre. Elle s'agenouille une nouvelle fois devant le corps nu et embrasse du bout des lèvres, le visage de son… non, pas encore amant.

— Au revoir, Pierre. Nous nous reverrons, je te le promets.

Voilà, la porte vient de se refermer, et cette fois c'est vers sa chambre que la brune Annette se dirige pour de bon. Un poids en moins pèse sur son cœur. Pierre a été un délicieux passe-temps, mais leur histoire ne fait que débuter ; alors pourquoi se faire du souci ?

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