Chapitre 3

Une semaine sans aucune nouvelle ; je ne suis qu'une loque humaine. J'ai dit au travail que je suis souffrant, que je dois prendre plusieurs jours. Je n'arrive plus à sortir de la maison. Je ne me douche plus, j'ai terminé toutes les bières, toutes les bouteilles d'alcool, il n'y a presque plus rien à manger nulle part. Je ne veux pas sortir de la maison. Je reste accroché à sa nuisette ; son odeur s'est évaporée, remplacée par celle de mes larmes. Elle me manque tellement…

Je consulte mon téléphone à chaque instant, de peur de louper un appel de sa part, un message, un signe de vie. Je le mets en charge dès que la batterie descend à 50% et je reste à côté jusqu'à ce que soit indiqué 100%. Je n'essaie plus de la contacter. Je lui envoie seulement deux messages par jour, l'un le matin : « Passe une bonne journée. Tu me manques. » et l'autre le soir : « Fais de beaux rêves. Je t'aime. » Mais rien, jamais la moindre réponse. Ma plus grande peur est d'avoir en retour : « Numéro non attribué. » J'ai encore l'espoir qu'elle me lit.

Un numéro inconnu ; j'hésite un instant et finis par décrocher. Ma voix est rauque, déformée de ne plus avoir parlé depuis des jours :

— Allô ?
— C'est moi… T'es là ?
— Oui, je suis là. Reviens, s'il te plaît.
— Non.
— Excuse-moi. Je t'en supplie, excuse-moi. Je n'aurais pas dû aller avec cette…
— Je m'en fous de cette pétasse ! Tu n'as donc pas compris pourquoi je suis partie ?

Je ne sais pas quoi répondre. Il me semblait tellement évident que c'en était la cause ; mais là, je ne sais plus, je ne comprends pas. Alors, pourquoi ? Je ne lui poserai pas la question : de toute façon, elle ne me répondrait pas. Je tente juste de me justifier :

— Je voulais me venger.
— Je l'avais bien compris, merci pour cette précision. Mais je ne comprends pas pourquoi, alors qu'il me semble avoir été plus que gentille avec toi.
— Tu l'as fait pour te faire pardonner.
— Me faire pardonner de quoi ? D'avoir pris mon pied avec un type parce que tu ne me regardes même plus ? Mais, tu ne comprends vraiment rien à rien ! Et tout ton beau discours de la semaine dernière n'était donc que du vent ?

Non, j'avais été sincère. Entre temps, la jalousie m'avait gagné, m'avait rendu aveugle et sourd. Mais elle est partie, et elle ne me manque à aucun instant. Je ne suis même plus intéressé de savoir qui est cet homme ; je me fiche de savoir ce qu'il a fait à ma femme. Je déglutis, je sens que je la perds totalement. Elle reprend :

— Bon, je t'appelle pour autre chose. J'ai besoin de documents pour louer…
— Je t'aime.
— Non, ce n'est pas vrai. Tu n'as pas le droit de me dire ça après ce que tu m'as fait.
— Joli coeur, je t'aime plus que n'importe quoi au monde.
— … Arrête, s'il te plait.
— Je veux te voir.
— Il ne faut pas. J'ai commencé à chercher un avocat pour le divorce.
— Choisis le lieu, j'y serai. Je ne veux pas que la dernière image de toi soit celle où tu as disparu dans cette ruelle sombre. S'il te plait…
— … Je… D'accord, je te rappelle.

Elle a raccroché. J'attends son coup de fil. Elle a dit « D'accord. », mais j'ai peur qu'elle change d'avis. Elle ne me rappelle pas, mais m'envoie un SMS bien longtemps après en indiquant le nom d'un restaurant et l'heure. Je n'ai pas beaucoup de temps, il faut que je me rende présentable pour elle.

J'avais quinze minutes d'avance ; elle en aura vingt de retard. Je suis près de la fenêtre, observant chaque personne qui passe. J'espère qu'elle va venir. Et au milieu de la foule, je la reconnais, sa silhouette, sa façon de marcher. Elle ne m'a pas encore vu, elle ne s'est pas vêtue pour me plaire. Elle fume, jette son mégot en traversant la rue. Ses cheveux ne sont pas attachés ; elle porte un vieux pantalon usé qui lui casse ses formes, une blouse ample à grosses fleurs que je lui avais demandé plusieurs fois de jeter tellement je ne l'aimais pas. Elle n'est pas maquillée. Je la trouve si belle…

Elle me voit enfin de l'autre côté de la vitre. Elle semble hésiter. Je me lève, j'ai peur qu'elle parte. Elle baisse la tête et entre dans le restaurant. Elle a des cernes monstrueux, tout comme moi. Elle n'a pas dû dormir beaucoup ces derniers jours, tout comme moi encore. Elle s'installe en face de moi sans un mot, sort un papier de son sac et me le glisse sur la table en me disant :

— C'est la liste des papiers dont j'ai besoin pour la location. Si ça ne te dérange pas, j'aimerais que tu les scannes et que tu me les envoies par mail. Sinon, dis-moi quand je peux passer à la maison pour les récupérer, à un moment où tu ne seras pas là.
— Tu es sublime…
— Ne dis pas de bêtises ! Tu t'es fait attaquer par ton rasoir ?

Je souris : je me suis coupé plus d'une fois en essayant de retirer cette barbe d'une semaine. Elle baisse les yeux, tourne la tête comme à la recherche de quelque chose, puis me demande :

— Tu as commandé ?
— Pas encore, je t'attendais. Soutien-gorge blanc bon marché, culotte trop couvrante, certainement de couleur rouge clair.
— Je n'ai pas envie de jouer à ce jeu, tu as trop d'années de retard. Tu as gâché ta chance ; un autre en profitera.
— … Tant que tu es heureuse…

Elle tourne à nouveau la tête, la lève, regarde le plafond. Sa bouche s'ouvre, elle a du mal à respirer. Ses yeux deviennent rouges. Elle essuie une larme qui commence à couler sur sa joue et me dit :

— Je savais que c'était une mauvaise idée qu'on se revoie.

Elle récupère son sac et se redresse, prête à partir. Je lui attrape la main, me rapproche d'elle, me colle contre elle. Elle me demande ce que je fais ; je commence à lui chantonner :

When you were here before
Couldn't look you in the eye
You're just like an angel
Your skin make me cry

You float like a feather
In a beautiful world
And I wish I was special
You're so fuckin' special

But I'm a creep…

Elle m'enlace alors et me dit :

— Tu chantes toujours aussi faux…

Et elle se met à pleurer chaudement dans le creux de mon cou. Je lui frotte le dos, lui caresse les cheveux et je lui chuchote :

— Je t'aime…

Elle ne pouvait pas oublier cette chanson. C'était notre chanson, celle que j'avais demandée, nous permettant de danser un bout de slow avant de me mettre à genoux devant elle pour lui demander sa main. Elle m'avait répondu un « oui » sans aucune hésitation sous les yeux hagards des clients du restaurant dans lequel nous étions ce soir-là, avant de recevoir de nombreux applaudissements.

Elle avait attendu que nous soyons au dessert pour m'entraîner dans les toilettes. Elle voulait que je la prenne « avant que je ne devienne une femme trop respectable pour faire ça. » J'en avais été incapable, ayant trop peur que quelqu'un nous surprenne.

Elle se calme doucement, arrête de pleurer. Elle me regarde ; je tente un baiser. Elle se laisse faire. Nos langues se mélangent doucement, puis se caressent plus fougueusement ; je n'ai jamais eu autant envie d'elle que maintenant ! Des personnes nous regardent ; je n'en ai rien à faire. Je la prends par la main et l'entraîne avec moi jusqu'aux toilettes. Elle rejette ma main alors que je veux la faire entrer dans le box :

— Non ! Je n'ai plus confiance en toi. Je ne veux pas te servir de vide-couilles pour ensuite être traitée comme une merde.
— Ça ne se produira pas.

Elle va au lavabo, se mouille le visage. Je pose mes mains sur ses hanches. Elle me sort :

— Comment peux-tu avoir envie de moi ? Je suis horrible.
— Pas du tout. Tu n'as jamais été aussi attirante.
— Je ne te crois pas. Prouve-le : prends-moi là, au risque qu'on nous surprenne. Je sais que tu en es incapable.

C'est vrai, je ne suis pas du tout exhibitionniste. Plus d'une fois je l'ai déçue, refusant de lui faire l'amour de peur que quelqu'un débarque ou nous voie. Un coup rapide dans les toilettes d'un train ou un avion ? Non, jamais. Baiser dans la voiture ? Une ou deux fois, sur un parking isolé et désert. Alors, au cinéma, sur une plage… il n'en a jamais été question.

Mais, c'est différent aujourd'hui. Tout est devenu différent. Mes mains glissent sur le bouton de son pantalon, l'ouvrent. Il tombe d'un coup sur ses chevilles. Elle me laisse faire, attend de savoir quand je vais m'arrêter. Je descends sa culotte jusqu'à mi-cuisses ; je ne m'étais pas trompé : elle est bien rouge clair. Je baisse ma braguette, extirpe ma verge qui commence à se tendre sérieusement.

Elle se cambre ; je la vois enfin sourire. Nous nous observons dans travers le miroir. Je glisse mon gland à l'entrée de son vagin ; il est un peu humide, accepte ma pénétration tant que je m'enfonce doucement via de petits à-coups. Et je m'arrête de bouger alors que je ne peux pas aller plus profond. Elle prend un air déçu en me disant :

— Je m'en doutais, tu veux arrêter.
— Non, mais je trouve qu'il te manque quelque chose.

Je glisse une main dans ma poche et en sors son alliance. Elle me regarde fixement dans les yeux. Je lui annonce :

— Je n'aime baiser que les femmes mariées.

Elle sourit, tente un petit rire et me donne sa main gauche, me permettant ainsi de faire glisser l'anneau sur son annulaire. Alors je commence à la besogner, sentant en même temps son vagin s'ouvrir et s'humidifier.

Mes mains glissent de ses hanches et remontent le long de son dos pour dégrafer son soutien-gorge qui emprisonne trop sa belle poitrine. Elle lève les bras ; je fais voler sa blouse et retire entièrement ce sous-vêtement devenu inutile. Ses joues rougissent, ses gémissements s'amplifient. J'attrape ses seins, les malaxe, emprisonne ses tétons entre mes doigts. Quelqu'un entre – un homme, je crois – mais je m'en fous. Il s'enferme dans le box alors que le vagin de ma femme se contracte sur ma queue ; un orgasme la submerge, le mien tarde à arriver.

Un bruit de la chasse d'eau. Elle me fait sortir d'elle en me disant « On continuera plus tard. » Elle remet en place sa culotte, je range ma queue, elle remonte son pantalon. L'homme sort du box et va se laver les mains comme si de rien n'était, mais il n'arrête pas de jeter des coups d'œil à ma femme qui a encore les seins nus. Il sort des toilettes alors qu'elle enfile son haut sans avoir remis le soutien-gorge qui reste sur le sol. Je lui dis :

— Je m'en foutais, du type. On pouvait continuer.
— Je m'en suis aperçu mais je ne le sens pas, ce mec. Viens, on part.

Effectivement, l'homme parle à un serveur en montrant du doigt les toilettes. Il ne nous voit pas passer, et nous partons. Nous allons à la chambre d'hôtel où elle loge depuis une semaine. Nous allons récupérer ses affaires en vue de les remettre à leur place à la maison. L'endroit est miteux, mais pas cher. Elle râle un instant car personne du ménage n'est passé. Le lit est défait… Je me doute… et j'ai la confirmation en découvrant un préservatif usagé dans la poubelle. Ma gorge se serre, une certaine tristesse m'envahit, mais pas de jalousie. Elle sait que je l'ai remarqué ; elle s'assoit sur le coin du lit et déclare :

— Tu peux toujours changer d'avis.
— Tu n'as jamais aimé dormir seule. Il a eu de la chance.
— … Tu le penses ?… J'avais oublié comment la plupart des mecs pouvaient être nuls. Je ne suis tombée que sur des cons, mais ça m'a fait passer le temps.

Il y en a eu plusieurs ? En voyant ce préservatif, j'ai pensé qu'il s'agissait de l'autre, qu'elle en avait fait son amant. Mais non, il n'a été qu'un coup, comme ces mecs : juste un mouchoir en papier qu'on jette une fois utilisé. Combien ont couché avec elle ? Je m'en fous. Je m'en fous vraiment, en fait. Je suis d'ailleurs rassuré qu'il y en ait eu plusieurs. Pas de jalousie, pas de rage, mais une sacrée envie.

Je fouille dans ses affaires ; je la trouve, la sors alors qu'elle était bien cachée au fond d'un sac. Je la pose sur le lit à côté d'elle sans rien dire. Elle me sourit en découvrant la robe portefeuille. Elle me demande :

— Ça veut dire quoi ?
— Qu'on pourrait peut-être reprendre là où ça n'aurait jamais dû s'arrêter.
— En oubliant cette semaine jusqu'au moment où je remonterai dans la voiture vêtue de cette robe ?
— Non, en oubliant uniquement que je n'ai été qu'un gros con bouffé par la jalousie.

Je la regarde se déshabiller, se maquiller en restant nue. Elle me dit qu'elle n'a plus de bas à enfiler, peut-être un ou deux collants. Je ne réponds pas mais prends dans sa trousse à maquillage un crayon noir et fais uniquement un trait à l'arrière de chacune de ses jambes, partant du haut de ses cuisses, descendant jusqu'à ses chevilles.

Je la laisse finir de se préparer pour poser ses affaires dans la voiture. Le temps du chargement, elle arrive à l'autre bout du parking. Elle est magnifique. Un couple la croise ; je vois l'homme la suivre du regard, jusqu'à tourner la tête pour mater ses fesses. Je ne suis donc pas le seul à la trouver belle. Je le savais avant, je l'avais oublié. C'est à moi de savoir l'assumer.

Un type avec un gros ventre passe, se dirige directement vers elle. Il la prend par la taille, essaie de l'embrasser, mais elle tourne la tête et les lèvres se posent sur sa joue. Dois-je intervenir ? Elle se débrouille très bien sans moi. La jalousie ne revient pas ; cela m'étonne, mais me fait également du bien. Elle le repousse gentiment, et je l'entends dire :

— Désolée, mais ce soir je suis prise.

L'homme semble déçu et la laisse partir. Elle me regarde d'un air un peu honteux ; je lui souris. Elle se colle à moi. Je l'embrasse en glissant une main dans sa robe pour caresser un sein. Elle se laisse faire, me dit qu'elle veut que je la prenne. Une drôle de fierté m'envahit. Je comprends qu'elle pourrait avoir tous les hommes à ses pieds, mais elle est mienne.

Je relève le défi que je m'impose de ne plus jamais la laisser de côté ; je sais que j'assurerai. Tout a changé, sauf une seule chose : elle est mon joli cœur.