L’appel des sens

Le début de l’après-midi se trouve être des plus adorables. Ils se sont vêtus d’une manière agréable, elle pour pouvoir monter son Alizéa et lui pour marcher à leur côté en forêt. Puis ensemble, ils sont venus vers le portail du corral, et là-bas au fond deux oreilles pointues se sont dressées. Les naseaux relevés, a-t-il compris que c’est vers lui qu’ils venaient ? Toujours est-il qu’à aucun moment il n’a montré un quelconque signe de nervosité. Il n’a pas même reculé quand, d’une main sûre, Léa a placé le mors dans sa large bouche. Ensuite lui poser et serrer la selle sur son dos n’a plus été qu’une formalité.

Le cheval tenu par la bride, ils ont commencé à avancer vers le sentier qui mène aux premiers bouquets de sapins. Alizéa a suivi sans renâcler, sentant qu’ils prenaient la bonne direction. Ces deux-là, devant lui, discutaient gentiment, calmement, et la musique de leurs voix lui parvenait, rassurante. L’important, c’était cette autre chose que le vent lui apportait : l’odeur de la femelle qui en rut quelque part lui flattait le nez. Enfin Léa l’avait fait stopper, avait maintenu la bride sur son cou pendant que son pied se plaçait dans l’étrier. D’une geste tout en souplesse, elle avait grimpé sur son dos et ils avaient marché devant Allan.

C’est au détour du grand bois de résineux, alors qu’ils allaient ensemble traverser la clairière que soudain il avait aperçu l’objet de sa convoitise. Léa a immédiatement ressenti le changement dans l’attitude de l’animal. Sa main a plus fermement tenu les rênes, puis elle l’a fait stopper complètement, croyant sans doute qu’il voulait manger un peu cette belle herbe verte qui frissonnait sous la brise légère de cette merveilleuse journée. Alizéa a baissé le cou, et quand Allan, revenu à leur hauteur, a pris le genou de son épouse et l’a aidée à sauter au sol, la bête enfin libre s’est ruée dans l’espace clair.

L’odeur, cette fragrance imperceptible, cette attirance apportée par le vent, le cheval savait que sa source en était toute proche. Un pas, puis un autre, sans aucun signe de nervosité, il savait se rapprocher de ce parfum si particulier pour lequel il aurait gravi des montagnes.

— Hé, Allan, regarde ! C’est quoi, là-bas ? Un autre cheval ?
— Où ça ? Je ne vois rien.
— Mais si, là-bas au fond à droite, sous les noisetiers !
— Non : ce n’est que l’ânesse de madame Grégoire. C’est là que notre Alizéa voulait venir. Il aura sans doute senti l’odeur de celle-ci.
— Mais Allan, c’est un garçon, et elle c’est une fille, non ?
— Oui, et où veux-tu en venir ?
— Tu ne crois pas qu’ils pourraient… enfin, tu vois, quoi.
— Il ne manquerait plus que ça ! Mais c’est qu’il bande, ce con ! Tu as raison ; et maintenant pour le faire revenir, ce n’est plus la même histoire. Rappelle ton bourrin, bon sang, il ne va quand même pas…
— Ben… on sait maintenant pourquoi il avait l’air si tendu pendant que tu t’occupais si bien de moi.
— Zut, regardez-moi ce truc… et l’autre, là ! C’est bien une gonzesse, à venir tendre ses fesses de la sorte. Tu crois qu’elle est en chaleur ?
— Le culot de me dire ça à propos des filles ! Et si nous ne tendions jamais nos fesses, vous feriez quoi de ce machin-là qui vous pend entre les jambes ? Vous êtes quand même bien heureux de nous voir remuer du popotin devant vous.
— Oui, c’est vrai, mais là on va tout droit à l’incident diplomatique avec la mère Grégoire. Vise un peu la trique d’enfer qu’il a, ton cheval !
— De toute façon, pour l’empêcher maintenant ce serait trop compliqué. J’irai m’expliquer avec Gisèle si notre Alizéa lui fait un petit, à son ânesse. Tu crois que ça marche à tous les coups chez ces animaux-là ?
— Je n’en sais rien ; mais il a l’air de savoir y faire, le bougre !

Léa a pris la main d’Allan et tous les deux regardent l’incroyable scène qui se déroule à quelques mètres d’eux. L’ânesse se frottant le croupion contre la tête du cheval, l’ambiance devient vite pornographique au possible. Puis, levant sa masse de muscles et de chair, le cheval, d’un seul élan, tente une première fois une pénétration qui s’avère plutôt difficile. Mais en bon ouvrier, dix fois sur le métier, remets ton ouvrage ! Et il ne se prive pas de recommencer. Enfin sa tige énorme semble complètement avalée par l’arrière-train de la demoiselle. Le cri qui fuse emplit la prairie, et les frémissements qui s’emparent des deux nouveaux amants secouent leur pelage de vagues, d’ondulations qui ne cessent qu’au désaccouplement.

— Bon… Eh bien, on saura rapidement si madame doit enfanter. Tu parles d’une histoire ! Sûr que la Gisèle ne va pas être ravie de savoir ça. Ça t’a fait quoi, à toi, de voir ça ?
— Je dois avouer que ces deux-là m’ont donné une petite envie…
— Oh, ma chérie, je t’aime vraiment de plus en plus ! Chez moi, la réaction est bien visible, tu ne trouves pas ?
— Oui, humm ! J’ai le droit d’y mettre la main ?
— Tout ce que tu veux : la main ou autre chose ; ne me laisse pas comme ça ! Je te concède que ceci n’a rien à voir avec la trique monstrueuse de ton cheval, mais il faut se contenter de ce que nous avons.
— Ah-ah ! Toujours cette petite pointe acide de jalousie, on dirait ; mais c’est avec toi que je fais l’amour, pas avec lui : alors sois heureux, bon sang !
— Encore heureux que ce soit avec moi que tu joues, et que lui c’est juste pour le fun ! Mais bon, il me donne des regrets : j’aimerais en avoir quelques centimètres de plus à lui opposer.
— Tu vois bien qu’il a trouvé chaussure à son pied : regarde-le qui flatte sa maîtresse ; il est content, sans doute.
— Oui, et moi je voudrais bien que tu me câlines aussi un peu : tu es ma maîtresse aussi avant toute chose, non ?
— Et puis cet objet-là me convient parfaitement. Ce n’est pas la taille l’important, je pense, mais bien la manière de l’utiliser ou de s’en servir, ce qui se confond parfois.
— Alors d’accord pour… Oui, je vois que tu as saisi rapidement. Tu pourrais te mettre à genoux ? Là, pour une prière un peu particulière.
— Mais les vœux de Monsieur vont être exaucés. Voilà…
— Parfait ! Bien ; je vois que la bouche de la dame étant occupée, j’apprécie la tournure que prennent les choses ! Oui… doucement, tout doucement. Ta langue est divine, mon ange ! C’est ça, fais-la tourner lentement sur le bout… Oui, comme ça. Ah, c’est trop bon !

Léa, à genoux, débute de longues succions sur la tige turgescente de son Allan qui ne se fait pas prier pour la laisser faire. La fellation commence gentiment sur le bord du petit chemin, sans incommoder plus que cela les deux bêtes qui se soufflent sur les naseaux mutuellement. Les premiers râles de plaisir montent aux lèvres de l’homme debout, le pantalon tirebouchonné sur les cuisses, alors qu’une main de la jeune femme frictionne tranquillement cette hampe dont l’extrémité supérieure disparaît entre ses lèvres rouges. Puis elle bascule sa tête en arrière et longe le sexe juste de la pointe d’une langue gourmande, revenant en titillant, doucement, sur toute la longueur de chair gonflée.

Allan, les mains sur les hanches, jette un œil sur son épouse qui lui fait un bien fou. Les yeux mi-clos, elle semble apprécier la caresse qu’elle-même délivre à ce sexe auquel elle rend hommage. Mais n’y tenant plus, il lui attrape les cheveux, sans lui faire mal, l’attirant vers lui pour s’enfoncer davantage dans son gosier. Le gland sollicité pénètre entre les lèvres qui s’écartent pour lui faire une place. Au passage, les mâchoires se distendent alors que les premiers soubresauts de la montée d’un plaisir inéluctable s’annoncent.

Quand le serpent crache son venin, Léa ne cherche pas à en perdre la moindre goutte. Elle sent ce liquide chaud et d’une texture étrange lui asperger la gorge. La petite giclée qui arrive en tête n’est que le prélude à un arrosage plus voluptueux. Avec des cris qui résonnent dans la campagne, Allan s’offre un orgasme magistral, un feu d’artifice royal. Puis, la bouche pleine de lui, sa compagne se relève doucement. Dressée tout contre sa poitrine, elle pose maintenant ses deux mains sur le cou de son mari, et dans un simple geste tendre vient coller sa bouche à la sienne. Sa langue se fait clé pour ouvrir les lèvres de son époux, et c’est dans un baiser passionné qu’ils partagent le nectar de vie, là, loin de tout.

Lorsqu’ils rouvrent les yeux après que leur souffle court les oblige à reprendre pied dans la réalité des choses, Alizéa est là, si proche que ses naseaux les frôlent. Léa, sans dire un mot, le reprend par la bride et les voilà tous les trois à nouveau marchant ensemble sur le sentier. Plus que des mots, les émotions restent ancrées en chacun des deux amants. Pour le cheval, personne ne saura jamais si lui aussi est heureux. Il ne dira rien, c’est sûr, de son petit bonheur à lui. Ils ne croisent pas âme qui vive, mais, bon Dieu, que les chaumes sont belles ! Les callunes, tout comme les brimbeliers, annoncent déjà la couleur de l’été.


Les branches se sont couvertes de dentelles, différentes pour chaque essence. Elles ploient sous une mer frissonnante aux nuances de verts innombrables. Le plus léger vent, la plus timide des brises fait remonter des vagues de cet océan de verdure qui débute une lente mutation vers des jaunes et des ocres de toute beauté. Huit longs mois se sont passés depuis qu’Alizéa a monté l’ânesse de Gisèle, et depuis quelques jours Léa, en passant devant son enclos, a remarqué que son ventre s’était arrondi. Alourdi semble même un terme plus exact. Elle se demande si Allan est allé trouver la propriétaire de cette bête pour lui dire que… Il n’en a pas parlé avec elle, c’est sûr, elle n’en a pas de souvenir.

Léa décide donc d’aller voir la propriétaire de l’animal qui vit là-haut sur le plateau, mais sur l’autre versant de la montagne. Heureusement, Alizéa est un bon cheval ; il passe partout sans trop la chahuter. La jeune femme adore les après-midis, se balader ainsi à droite et à gauche sur les chemins forestiers, et lui est parfaitement à l’aise avec les cinquante kilos de la dame sur son dos. Parfois, quand les pentes sont trop prononcées, elle met pied à terre ; alors il en profite pour poser son museau sur son épaule. Des gestes de tendresse entre lui et elle. Mais pour le moment, Léa voit approcher la maison de Gisèle. Elle saute au sol à l’approche de la barrière qui clôture la demeure vieillissante, terriblement vosgienne avec ses tuiles et ses pans de toit si caractéristiques.

Rien ne semble bouger dans cette ancienne ferme bien rénovée. La jeune cavalière appuie une seconde fois sur le bouton poussoir de la sonnette, et enfin sur la façade une fenêtre s’entrouvre. Un jeune homme apparaît dans l’encadrement, comme pour s’assurer de qui arrive. Puis il ouvre la porte d’entrée et vient sans se presser vers Léa.

— Bonjour, Madame.
— Bonjour. Je suis Léa, votre plus proche voisine.
— Oui, je me souviens, je vous ai déjà vue sur le plateau ; vous avez un joli chalet. Je suis Lionel, le fils de Gisèle. Et que puis-je pour vous ?
— J’aurais aimé voir Gisèle.
— Je suis désolé, mais maman est partie chez sa sœur pour se remettre d’une méchante bronchite. Elle ne reviendra que dans quelques semaines. Vous aviez quelque chose de particulier à lui dire ?
— C’est donc pour cela que je ne la voyais plus au marché du dimanche, au village.
— Oui, elle est âgée et elle a du mal à se remettre de notre trop long hiver. C’était grave ?
— Non, pas vraiment. Enfin, ça dépend de ce que l’on qualifie de « grave ». Notre cheval, celui-là, s’est un peu trop occupé de votre ânesse un après-midi de printemps, et…
— Vous voulez parler de « Quatrelle » ? Mais elle est là-haut, sur le parc. Je suis allé la voir avant-hier et elle avait l’air de bien profiter de son séjour sur la pâture.
— Sans doute, mais vous n’avez pas remarqué qu’elle s’arrondissait ? Je pense que mon bandit l’a engrossée. Vous voyez, je crois qu’elle va avoir un petit.
— C’est possible, ça, entre un cheval et une ânesse ? Vous croyez ? Maman n’avait rien dit ; elle ne le savait pas ? Entrez, ne restez pas devant la barrière, ce sera plus facile de discuter dans la propriété.
— Merci, comme vous voulez, mais je pense bien que ce gaillard-là va être « papa » avec votre animal. Le croisement d’une femelle de la race de… comment dites-vous ?
— Quatrelle. C’était l’année des Q pour les prénoms, et ma mère n’avait pas d’idée.
— C’est original, pour le moins ! Quatrelle, donc, va mettre bas un petit bardot.
— Comme Brigitte ? C’est rigolo, ça aussi ! Tiens donc, elle qui milite en faveur des animaux… Donc vous venez me dire que notre demoiselle a été séduite par votre…
— Étalon, oui, c’est bien cela.
— Ben, je ne sais pas quoi vous dire. Je suppose qu’il n’y a rien d’autre à faire que d’attendre ? Je ne suis pas trop habitué à recevoir des gens ici, à la ferme, et des femmes encore moins, surtout quand c’est pour parler « maternité ».

Tous deux sourient. C’est vrai que c’est assez bizarre comme situation. À la dérobée, la jeune femme jauge le garçon. « À peine plus de vingt ou vingt-deux ans, des cheveux presque blonds bien coiffés, une gueule d’ange… » pense-t-elle en le regardant danser d’un pied sur l’autre.

— Et vous me suggérez quoi, alors ?
— Juste surveiller votre femelle et voir avec le vétérinaire dès que possible ; nous prendrons en charge les frais occasionnés par le comportement de notre Alizéa : c’est le nom de notre cheval.
— Bon, eh bien je passerai voir le véto quand j’irai au village pour qu’il vienne faire un tour.
— C’est plus prudent ; et le bébé sera bien entendu à vous.
— Vous ne le réclamerez pas, donc ?
— Non, pas du tout ; il sera de toute façon bien mieux avec sa mère. Un enfant doit toujours avoir besoin de sa maman, non ?
— À qui le dites-vous… Je suis empêtré dans des papiers auxquels je ne comprends strictement rien. Je n’ose pas la déranger pour des histoires d’impôts ou des trucs de ce genre.
— Là-dessus, je ne peux rien pour vous non plus : je suis aussi nulle que vous ! Mais si vous voulez, si vous ne savez pas, venez voir mon mari ; il saura vous expliquer. C’est comme vous le sentez, mais nous sommes là pour vous donner un coup de main si c’est nécessaire, d’accord ? Ne restez pas trop isolé.
— Vous voulez entrer boire un verre à la maison ?
— Pourquoi pas ? Mais avant, pourrais-je avoir un seau avec de l’eau pour faire boire ma bête ?
— Oh, pardon ! Oui, bien sûr. Je vais vous chercher cela tout de suite, mais entrez dans la maison, je reviens de suite.

Le jeune homme s’éloigne presque en courant vers une sorte de puits et il revient, tenant un seau qu’il pose devant Alizéa. Léa voit les muscles du jeune garçon rouler sous son tee-shirt noir, et il lui semble voir un double de son Allan. Il y a quelque chose de son mari dans l’attitude du fils de Gisèle, ce côté indéfinissable « homme de la campagne ». Pourquoi, avec son sourire et sa façon d’être, lui donne-t-il ce trouble étrange ? Elle n’arrive pas à comprendre très bien elle-même ce qui se passe, mais elle est perturbée par ce jeune homme.

Quel âge peut-il bien avoir ? Vingt ? Vingt-et-un ans tout au plus. Ses yeux noirs reviennent croiser le regard de Léa et elle baisse la tête la première, signe qu’elle est perturbée. Mais lui garde un énigmatique sourire, et sa candeur désarme encore plus la jeune femme. Elle tourne la scène dans sa tête, et le seul mot qui lui vient spontanément, c’est « innocence ». Oui, c’est cela : il a un air innocent. Elle esquisse un sourire, et lui prend cela pour une invitation.

— Un jus de fruit ? Un café ? Qu’est-ce que je vous sers ?
— Un verre d’eau, si vous avez. Oui, de l’eau, simplement de l’eau : avec ce temps, c’est encore ce qu’il y a de mieux.
— Tenez. Mais vous êtes sûre de ne rien vouloir d’autre ?
— C’est parfait. Ça ira comme cela, merci. Vous arrivez à vous débrouiller avec la maison ?
— Ben… je fais ce que je peux. Rien ne traîne de trop : comme ça, quand maman reviendra, tout sera en place et elle n’aura pas de surcroît de travail.
— Et pas trop seul ici, dans la montagne ? Vous n’avez pas peur, la nuit ?
— Vous savez, j’ai toujours vécu un peu solitaire, alors j’ai appris à aimer le calme de nos Vosges. Et puis de temps en temps, comme aujourd’hui, j’ai une visite… intéressante.

Il a dit ces mots avec un aplomb incroyable, plongeant dans le regard de la jeune femme. À tel point qu’elle ne sait quoi répondre, mais elle se sent complètement remuée de l’intérieur. Incroyable ! Voilà qu’un gamin de vingt piges va la faire rougir comme une collégienne. Elle a à peine une pensée pour Allan. Sûr qu’il en rigolerait de la voir ainsi prise en faute. Enfin, rigoler ? Pas si certain, finalement… Apprécierait-il vraiment qu’un gamin drague presque sa femme ? Parce que c’est un peu ce qui se passe, non ? Le pire, c’est qu’elle n’est pas vraiment insensible à cet état de fait.

— Donc, vous disiez que je pouvais venir voir votre mari pour qu’il me débroussaille un peu les déclarations d’impôts de maman ?
— Oui, oui, pas de souci : il se fera un plaisir de vous expliquer et de vous aider.
— Sympa ! Je viendrai sûrement alors un de ces soirs.
— Pas trop tôt : il ne rentre que vers dix-huit heures de son travail, mais vous dînerez bien avec nous ?
— Je ne voudrais pas abuser de la situation…
— Vous savez, une assiette de plus ou de moins, ça ne change pas grand-chose. Bon. Eh bien, donnez le bonjour à Gisèle et dites-lui que nous pensons bien à elle. Qu’elle se soigne bien et nous revienne vite.
— Je ne manquerai pas de lui dire que vous êtes passée ; et pour Quatrelle, ne vous inquiétez pas non plus : je ferai un saut chez le véto.
— Bon. Eh bien, il ne me reste plus qu’à redescendre. Merci pour le verre et pour l’eau d’Alizéa.
— Vous partez déjà ? Je vous aurais bien… gardée encore un peu, vous savez.
— …
— Oui, je vois si peu de monde ces derniers temps. Et puis… vous êtes si… Enfin, faites comme bon vous semble.

En prononçant ces mots, c’est comme un regret qui perle dans sa voix. Léa regarde ce grand gaillard un peu perdu, un peu déboussolé. Il étend la main en signe d’au-revoir, et comme elle s’approche pour le saluer, le bout des doigts entre en contact – involontairement – avec la peau de son bras. C’est comme une sorte de décharge électrique, comme un coup de jus qui la secoue ! Pourquoi cette quasi-réplique en plus jeune de son Allan lui fait-elle cet effet-là ? La main qui s’accroche à la sienne pour la secouer en signe d’au revoir lui donne soudain bougrement chaud. Intérieurement, elle se traite de folle d’oser un instant imaginer…


Ce qui vient de se passer – pour anodin que ce soit – la perturbe tout le long du trajet de retour. Ce gosse, là-haut, ne quitte plus ses pensées. Cela en devient obsédant, et même le retour d’Allan ne la sort pas de ces images bizarres, de cette main qui l’a… presque envoûtée. Mais il a tout juste vingt ans ; encore un enfant… Alors comment et pourquoi cela arrive ? Elle sent bien que son mari à plusieurs reprises pose un regard sur elle, comme pour savoir ce qui se passe. Elle ne le sait pas elle-même !

— Bonne journée, ma chérie ? Tu as un peu profité du soleil ?
— Oui : j’ai fait une longue promenade qui m’a amenée chez Gisèle. Tu savais qu’elle était partie dans sa famille pour se remettre d’une mauvaise bronchite ?
— Comment veux-tu que je le sache ? Tu as trouvé porte close, alors.
— Non : elle a un fils qui s’occupe de ses affaires ; enfin, qui garde la maison, plutôt. À ce sujet, je lui ai proposé tes services pour ses papiers administratifs. Ceux de sa mère qui ont l’air de le perturber.
— Il ne doit pas être très vieux, ce garçon, non ? C’est vrai que ce sont nos plus proches voisins et que nous les voyons si peu… Quand viendra-t-il ?
— Oh, rien de précis à ce sujet : il m’a juste dit qu’il viendrait au moins pour la feuille d’impôts.
— Je peux me permettre une petite question ?
— Vas-y, dis-moi.
— Il s’est passé quelque chose ? Là-haut, je veux dire : tu as été comme absente toute la soirée.
— Enfin, Allan, c’est un enfant, un gamin ! Il n’a guère plus de vingt ans. Je n’ai discuté que quelques minutes avec lui, mais je l’ai averti pour leur ânesse. Je ne sais pas s’il m’a crue. Du reste, pour celle-là. Enfin, je lui ai dit que nous prendrions en charge les frais occasionnés par les bêtises de notre Alizéa. Apparemment, ni Gisèle ni lui ne semblaient s’être aperçu de la grossesse de leur bête. Mais c’est une drôle de question ! Tu ne serais pas un peu jaloux, toi ?
— Il y a matière à l’être ?
— Non, non, ne va pas te mettre martel en tête encore.

Lui s’est approché d’elle ; la main de Léa câline doucement la joue de son mari, et les poils qui repoussent font un bruit étrange, une sorte de crissement sous les doigts.

— Hum, ça repousse vite ; tu ne t’es pas rasé ce matin ?
— Si, mais plus on avance en âge, plus vite la barbe repousse.
— C’est juste pour dire, parce que… j’aime bien quand elle me… gratouille.
— Ah bon… et où ça ? Dis-le-moi.
— Je ne vais pas aussi te faire un dessin. Si ?
— Serait-ce une invitation pour…
— Prends-le comme tu veux, Allan.
— Alors viens un peu plus près…

Il lui saisit le poignet, la forçant gentiment à s’approcher de lui. Quand il courbe légèrement la tête, elle lève son visage. Leurs lèvres se soudent, et débute une longue série de baisers, seulement interrompus par l’obligation de reprendre leur souffle. Elle se love contre lui, chatte qui se frotte à son matou. Les mains de celui-ci glissent sur la laine du chandail qu’elle porte, et sous la pression de ses doigts il a vite trouvé la fermeture du soutien-gorge. Après avoir relevé la petite protection angora, d’un geste simple le fermoir se trouve déclipsé. Puis, sans qu’elle ne trouve rien à redire, le pull quitte son corps pour s’étaler à même le carrelage de la cuisine.

Elle ronronne, ivre de ce désir soudain, et quand dans un mouvement souple il l’attrape par dessous les fesses pour la soulever comme une plume, ce sont ses bras qui entourent son cou à lui. Il l’emporte, précieux fardeau, vers le lit qui a déjà tant connu de leurs amours. Puis elle est rapidement nue alors que lui reste totalement vêtu. Dans la pénombre de leur chambre, il contemple ce corps de femme. Elle est toujours aussi ravissante, avec ses yeux clos et ses bras en croix, sur la couverture qui la reçoit. Sa beauté, son abandon lui donnent une érection ; mais a-t-il seulement besoin de cette nudité pour la désirer ?

Il tire sur la ceinture qui maintient son pantalon, dégrafe les boutons de sa chemise et jette l’un et l’autre sur le sol sans se préoccuper de l’endroit où les chiffons retombent. Il ne garde sur lui que son caleçon et s’étend tout contre le corps impassible de sa belle. Léa vient alors poser sa tête sur le torse de cet homme qu’elle aime, et sa main, sans trembler, glisse sur la poitrine à l’air. Elle ne s’arrête pas aux tétons qu’elle se contente d’effleurer, coulant lentement le long du ventre pour explorer le nombril. Ayant reconnu ce cercle amical, elle se faufile encore plus bas, sur cette plage poilue qui l’amène gentiment vers l’élastique du slip.

Allan ne bronche plus, retenant presque son souffle. Mais la main experte a vite soulevé le textile léger et les doigts s’infiltrent sous ce fragile refuge. Là, sous les doigts, palpite désormais une tige raide, chaude, attirante. C’est à cet instant qu’enfin l’homme laisse passer à nouveau l’air entre ses dents. Léa perçoit ce sifflement comme une invitation, et les petites phalanges se referment sur le pieu qui en frémit d’aise. Alors lentement, très lentement, il se tourne vers elle et empoigne son visage entre ses mains.

— Léa, je t’aime…

La réponse de la femme se perd dans un murmure alors qu’elle se tortille, se déhanche pour mener son visage sur le torse de son mari. À la suite de ses doigts, sa bouche recherche le même chemin, suit les traces sur la peau pour bien sûr arriver à la même source. Lui se contente de la laisser suivre sa route sans entraver ses mouvements. Un long frémissement accueille l’arrivée des lèvres douces sur le pistil qui dépasse du slip trop petit pour contenir cinq doigts et une bouche. Il savoure avec extase ce baiser d’une autre nature alors qu’elle pousse de petits cris sauvages, ce qui ajoute encore à l’érotique bisou qu’elle lui prodigue.

Plutôt que de crisper ses doigts sur le drap, il préfère les poser sur son dos. Ceux-ci trouvent la peau nue et griffent sans violence cette colonne vertébrale découverte. C’est à son tour de sentir leur présence, d’avoir la chair de poule. Elle souffle comme lui désormais et attend que les caresses se précisent, que les câlins la ravissent. Il sait aussi y faire ; connaissant le corps de son épouse, il sait ce qui va lui mettre le feu aux joues, ou ailleurs aussi. Tranquillement, alors qu’elle continue ses succions de manière tendre, il arrive lui aussi sur cette faille qu’elle ne cache plus. Quand il parvient à l’entrejambe d’une langue alerte et habile, elle ouvre le compas de ses jambes le plus possible.

Cette invitation au festin, pas besoin de la répéter deux fois : Allan a vite compris quelles étaient les attentes de sa femme. Léa, couchée sur le côté, donne de petits coups de bassin pour coller plus encore la bouche contre son sexe. Elle bouge sans à-coups, juste pour prendre le maximum de plaisir à la caresse. C’est si fort, si violent qu’elle en oublie celle qu’elle fait elle-même à la queue de plus en plus raide. Dans la chambre, les deux amants prennent leur part de bonheur, s’enivrant des senteurs et des envies de l’autre. Comme ils sont beaux dans cette manœuvre particulièrement réussie ce soir !
La nuit est là quand, enfin repus, ils s’enlacent dans un geste qui reflète toute la tendresse du monde.

— Waouh ! Madame avait le feu au cul, ce soir…
— Pyromane ! Je vais te dénoncer. Si tu ne m’avais pas allumée… Mais tu es le meilleur ! Alors pourquoi aller chercher ailleurs ce que j’ai à la maison ?
— C’est un point de vue que je veux bien partager toute ma vie. Léa…
— Oui Allan ?
— Je te veux pour moi tout seul… et pour toujours.
— En est-il autrement ? Alors de quoi te plains-tu ?
— Oh, je ne me plains nullement ; c’est juste une remarque. Tu me rends heureux, alors pourvu que ça dure.
— Humm… Finalement, je veux bien faire l’amour tous les jours avec toi, juste pour t’entendre me parler comme ça.
— C’est ça ! Et si je te prenais au mot ? Tous les jours, dis-tu ? Ce n’est pas tombé dans l’oreille d’un sourd ! Tous les jours ? Ah-ah ! Tous les…
— Ça va, tu ne vas pas le répéter tout le reste de la nuit ! Je l’ai dit, mais ce n’est pas vrai : tu n’y arriverais pas.

Ces deux-là se mettent à rire de leurs propres bêtises. Ils sont heureux et, mon Dieu, demain est un autre jour… Retour devant le téléviseur, un bon film, et ensuite à nouveau le lit, mais cette fois sans vraiment chercher le sexe. Simplement enlacés pour s’endormir avec des images plein les yeux, ils sont seulement contents d’être ensemble et de s’entendre si bien.

Pourtant, Léa a quand même la main de ce jeune homme et ses paroles qui reviennent en boucle dans sa tête avant de s’enfoncer enfin dans un sommeil bien mérité.