Partie III : Celui qui fait de lui une bête se délivre de la douleur d'être un homme

Situation urgente

Chacun à leur bureau situé l'un en face de l'autre, Jyrall et Gerald examine le dossier concernant Madeline Kalst, désespérément à la recherche d'indices qui leur auraient échappés. Ils ont beau repasser tous les documents les uns derrière les autres, ils ne comprennent pas comment elle procède pour se renseigner si rapidement sur ses victimes sans se faire repérer. Son portrait a été distribué à tous les commissariats et gendarmeries de la région. Toutes les forces de l'ordre procèdent le plus souvent possible à des patrouilles, principalement dans les zones fortement fréquentées par des étudiants.

Mais rien, elle échappe à tout. Elle tue trois personnes, et aucun témoin ! Comment fait-elle pour savoir où et quand frapper de manière si rapide ? Comment fait-elle pour échapper si facilement aux forces de l'ordre ? Aucune trace sur les lieux des crimes. Soit cette fille est un fantôme, soit elle est vraiment très douée. Fatigué, énervé, Jyrall frotte son crâne douloureux. Il se sert une énième tasse de café.

— Ah, je n'en peux plus de cette affaire… soupire la lieutenante Gerald.
— À qui le dis-tu… J'ai hâte de coincer cette garce ! Mais avant ça, j'aurais bien besoin d'une petite pause ou d'une bonne nuit de sommeil.
— Ouais, moi aussi. Peut-être trouverons-nous une nouvelle piste dans la salle des archives.
— Aux archives ? Tu es sûre ?
— Absolument. Je ne tiens plus, là, j'en ai bien besoin.

Jyrall hésite tandis que Gerald part la première. Il y a tellement à faire et ils avancent à pas d'escargot. Est-ce bien le moment d'aller aux archives ? Peut-être bien. Qui sait, décompresser un peu leur apportera peut-être de nouvelles idées. Il se lève donc lui aussi de son bureau et descend discrètement en salle d'archives.

Gerald n'a pas allumé la lumière. À cette heure tardive, il n'y a plus grand monde dans le commissariat, et personne d'autre aux archives. Ils ont donc le champ libre pour enquêter – ou quoi que ce soit d'autre – en paix dans cette salle. Pour le moment, Jyrall commence plutôt par investiguer le corps de sa collègue. Et plutôt que fouiller dans de vieux dossiers, c'est les sous-vêtements de Gerald qu'il fouille. Très vite, cette dernière gémit et mouille. Elle a toujours démarré au quart de tour.

Contrairement à Stéphane Jyrall qui est divorcé, Samantha Gerald est fiancée. Cela fait malgré tout quelques mois qu'elle couche régulièrement avec son collègue. Sa relation avec lui n'est que purement sexuelle. Ils se sont mis d'accord dès le départ qu'il ne pouvait en être autrement. Quand on a affaire à tant d'horreurs dans ce boulot, il faut un moyen efficace de décompresser.

Très vite, leurs vêtements sont suffisamment ouverts pour permettre à leurs mains d'avoir accès à n'importe quelle partie de leur anatomie. Ils s'embrassent goulûment et se couchent sur le sol. Jyrall se positionne au-dessus de sa partenaire et s'apprête à la pénétrer. Il glisse comme dans du beurre dans sa grotte accueillante. Quelques coups de reins leur donne à tous deux ce plaisir si libérateur.

— Oui, baise-moi, mon Capitaine ! supplie Gerald. Baise-moi fort !

Comme à leur habitude, ils n'y vont pas par quatre chemins, le but principal du coït étant d'évacuer un trop-plein émotionnel. Ce n'est pas la tendresse qu'ils recherchent mais juste à satisfaire leurs pulsions. Ils baisent donc ensemble sauvagement. Gerald se retient de crier de peur d'attirer l'attention d'autres collègues. Et puis la situation se renverse et la lieutenante passe au-dessus, à califourchon sur Jyrall.

Le capitaine a toujours apprécié voir sa collègue faire du rodéo sur sa queue. La grimace de plaisir qu'elle affiche ces moments-là la rend encore plus craquante. Il aime aussi jouer avec sa poitrine gonflée et ses tétons érigés.

Après le départ de son épouse, c'est la seule femme avec qui il ait couché, et jusqu'à elle il n'avait plus ressenti de désir pour qui que ce soit. Puis un jour, alors qu'il était plongé sur une affaire encore non résolue, il vit débarquer cette jeune femme qui prétendait venir le seconder. Ses sens se sont réveillés à ce nouveau contact féminin, mais il n'a rien voulu tenter. En effet, Gerald est la fille du commissaire, et Jyrall s'était décidé à s'en tenir à des rapports purement professionnels. Mais voilà qu'un soir, après une journée particulièrement éprouvante où ils avaient tous deux assisté à une scène de meurtre particulièrement sordide qui avait beaucoup affecté Gerald, cette dernière lui avait ordonné sans le moindre signe avant-coureur un « Baise-moi ! »

Leur corps-à-corps sulfureux arrive à terme. Ils jouissent tous deux. Ils prennent quelques minutes à rester dans les bras l'un de l'autre et à reprendre leur souffle avant de se rhabiller. Puis finalement, l'appel du devoir se fait trop forte. Ils retournent donc au boulot, mais avec un regain d'énergie.

— Et si… réagit soudain Gerald, plusieurs minutes après leur retour. Et si Madeline Kalst avait un autre complice ? Celui-ci pourrait aisément faire les repérages à sa place. Personne ne le connaît. Ça expliquerait pourquoi elle passe aussi inaperçue !
— Mais oui, ce n'est pas une mauvaise idée. Nous n'avons aucun indice qui va dans ce sens, mais ça reste très probable.
— Oui, il faudrait nous assurer au plus vite que cette piste est sérieuse. Mais comment ?
— J'ai une idée… Attends !

Le portable de Jyrall vibre. Il regarde le numéro : c'est sa fille. Curieux. Que veut-elle à cette heure-ci ? Elle sait très bien qu'il travaille. Bon, il la rappellera plus tard.

— Convoque monsieur Dumas en salle d'interrogatoire.
— Tu crois qu'il va nous parler maintenant ?
— Je ne pense pas, mais évoquons l'hypothèse d'un autre complice devant lui et voyons sa réaction. Il n'a pas besoin d'ouvrir la bouche pour nous dire si on fait fausse route ou non.
— D'accord, je vais le chercher tout de suite.

Alors que Jyrall se verse une nouvelle tasse de café en prévision de la nuit qui va sans doute se révéler encore longue, son portable se remet à vibrer. C'est encore le numéro de sa fille qui s'affiche. Ce coup-ci, il se dépêche de sortir du commissariat et décroche.

— Allô, chérie, que se passe-t-il ? Je t'ai déjà dit de ne pas m'appeler au boulot si ce n'était pas important.
— Oh, croyez-moi Capitaine Jyrall, c'est important. Ici Madeline Kalst.
— Madeline ? sursaute le policier. Que faites-vous avec le portable de ma fille ?
— Par trois fois je vous ai mis en garde. Par trois fois je vous ai demandé de libérer Aymeric Dumas mais vous ne m'avez pas écoutée. J'ai dû prendre d'autres mesures…
— Quoi ? Qu'avez-vous fait de ma fille ?
— Oh, rassurez-vous : elle est toujours vivante… pour le moment. J'ai décidé de me montrer clémente et de vous accorder une dernière chance de relâcher Aymeric. Je vous propose donc un échange : la personne la plus chère à mes yeux contre la personne la plus chère à vos yeux. L'échange aura lieu dans l'ancienne zone industrielle de Montausin. Faites intervenir vos collègues, et elle est morte. Arrivez trop tard, et elle est morte. Vous avez deux heures !
— Attendez, je veux parler à ma fille ! Je veux entendre le son de sa voix.
— Très bien, je vous la passe…
— Allô, papa ?
— Allô, ma chérie ? pleure Jyrall. Elle t'a blessée ? Elle t'a fait du mal ?
— Non, non, pas encore, mais… oh, s'il te plaît, fais vite, j'ai tellement peur… elle a dit qu'elle me tuerait. S'il te plaît, fais ce qu'elle demande.
— Capitaine Jyrall, reprend Mad, comme je vous l'ai dit, je me suis montrée clémente alors que vous m'avez déjà retiré Aymeric deux fois. Mais ma clémence ne durera pas. Dépêchez-vous, le temps presse !

Elle raccroche subitement, laissant Jyrall dans le désespoir le plus total. « Ma petite fille adorée ! Comment diable a-t-elle réussi à mettre la main dessus ? Mon Dieu, s'il lui arrivait malheur, jamais je ne m'en remettrai. » Jyrall panique, fait les cents pas, se tape le crâne pour trouver quoi faire. Elle lui a donné rendez-vous ; il saura où elle sera. Peut-être lui tendre un piège ? Non, non, non, mauvaise idée : au moindre incident, c'est sa fille qui risque d'en pâtir. S'il a pleinement confiance en Gerald, nombre des policiers qui les suivent sont loin d'être des experts ; ils mettraient tout le monde en danger. Et puis deux heures… Vu le trajet entre ici et Montausin, ça ne lui laisse pas beaucoup de temps pour organiser quoi que ce soit. Que faire ? Il ne peut tout de même pas libérer un suspect !

D'un pas nerveux, Jyrall retourne à l'intérieur du commissariat en tentant de camoufler la rage et la peur qui l'animent. Il se dirige rapidement vers la salle d'interrogatoire. Il croise Gerald.

— Le suspect est en salle prêt à ce que nous l'interrogions, dit-elle, enthousiaste.
— Dis, fait-il le plus naturellement possible, j'ai repensé à un truc. Il me faudrait jeter un coup d'œil à un vieux dossier. Tu pourrais me récupérer celui de l'affaire Bokara aux archives pendant que j'interroge monsieur Dumas ?
— Hein ? Ça ne peut pas attendre ? Tu préfères pas que nous l'interrogions à deux ?
— Non, non, il me le faut rapidement. Fais-le pour moi, s'il te plaît.
— D'accord, si tu insistes… cède-t-elle, curieuse.

Le dossier de l'affaire Bokara, elle peut le chercher longuement : Jyrall a oublié de le ranger, il est toujours dans son bureau. Voilà de quoi l'occuper un bon moment.

— Stéphane, fait-elle avant de partir, tu es sûr que tu vas bien ? Tu as l'air bizarre.
— Je t'assure, tout va bien. Vas me chercher ce dossier s'il te plaît.

Pas convaincue, elle accepte cependant d'obéir à la requête de son supérieur. Jyrall entre en trombe dans la salle d'interrogatoire, réveillant la curiosité d'Aymeric. Voilà maintenant qu'il débranche la caméra. Il s'approche d'Aymeric, les yeux enragés, et le chope par le col.

— Maintenant, fini de jouer, petit merdeux ! Tu vas me dire tout de suite où ta putain de copine se cache !
— Attention, Capitaine : je crois que vous êtes en train de perdre votre calme.

Le poing du flic atterrit sur le visage du jeune homme. Aymeric pousse un petit cri de surprise.

— Pas le temps de jouer à tes conneries ! Dis-moi où elle est ! vocifère Jyrall.
— Je ne suis pas sûr que vous ayez bien le droit de cogner un suspect…

Un deuxième poing frappe Aymeric. Bien que douloureuse, la situation semble curieusement l'amuser.

— Ah ah, Capitaine, vous croyez vraiment que j'en ai quelque chose à faire de la douleur physique ?

Jyrall frappe de nouveau, encore et encore, de quoi ajouter de nouvelles ecchymoses sur le visage tuméfié d'Aymeric mais le garçon n'en a cure.

— Mais qu'est-ce qui vous met autant en rogne, Capitaine ?
— Elle a pris ma fille ! gueule-t-il. Elle a pris ma Fanny ! Je dois la retrouver avant que ce ne soit trop tard.
— Fanny ?

Aymeric est surpris. Il éclate soudain de rire. C'est un fou-rire incontrôlable. Décidément, Mad a toujours un coup d'avance ! Nul doute qu'il s'agit de la Fanny chez qui elle s'était réfugiée, la même Fanny qu'elle a soumise aux moindres de ses caprices. Elle gardait donc sous la main la fille de Jyrall, à n'utiliser qu'en cas de besoin. Et voilà maintenant qu'elle sort ce joker de sa manche. Et Jyrall qui s'imagine qu'il peut encore sauver sa fille… « Ah ah, c'est trop drôle ! S'il savait, le pauvre… »

— Putain, mais qu'est-ce qui te fait marrer, espèce de cinglé ? s'énerve Jyrall.
— Du calme, du calme, Capitaine ; je vais vous aider, promet Aymeric en reprenant son sérieux.
— Dis-moi où elle se planque alors.
— Voyons, Capitaine, elle est déjà ailleurs maintenant. Bien qu'elle soit follement amoureuse de moi, elle ne me fait pas du tout confiance. Elle s'attendra donc à ce que je la balance. Et si elle vous aperçoit en train de traîner aux alentours de sa dernière planque, vous pourrez dire adieu à votre fille. Bon, restons positifs ; elle ne la tuera peut-être pas tout de suite : elle jouera un peu avec elle avant. Vous pouvez me croire, je suis un fin connaisseur.
— Tu as dit que tu m'aiderais.
— Oui, et je vais le faire. Je vous aime bien, vous savez. Vous avez tenté par deux fois de me sauver ; malheureusement, vous êtes arrivé trop tard ces deux fois. Mais vous avez essayé, et ça, je le respecte. Ce soir, c'est votre fille que vous essayez de sauver. Je veux vraiment vous aider avant qu'il ne soit trop tard.
— Alors dites-moi quelque chose qui me sera utile.
— Je devine que Madeline veut vous forcer la main pour que vous me libériez ; alors vous n'avez pas trop le choix. Menez-moi à elle, récupérez votre fille, et ensuite je vous aiderai à capturer Madeline. Vous aviez raison, Capitaine : cette fille a fait assez de dégâts. Il est temps que cela cesse.
— Je… je ne…
— Vous n'avez pas le choix, Capitaine. C'est la seule manière de sauver votre fille.

Jyrall hésite. Peut-il faire confiance à Aymeric ? Bien sûr que non, mais a-t-il vraiment le choix ? La vie de sa fille est en jeu et le temps presse. S'il continue encore de tergiverser, jamais il n'arrivera à temps pour sauver sa tendre et douce Fanny.

Il a enfin pris sa décision. Il se lève et détache les menottes d'Aymeric. Il sort son arme de service, enlève le chargeur pour le remplacer par un vide et donne le pistolet au jeune homme.

— Nous allons vous faire sortir d'ici en simulant une prise d'otage.
— Pour cela, ne vaudrait-il mieux pas un chargeur plein ?
— Je ne suis pas assez fou pour confier une arme chargée à un criminel : je n'ai absolument pas envie que les choses dégénèrent encore plus. Rassurez-vous, je m'arrangerai pour que mes collègues vous laissent partir.

Quelques minutes plus tard, Aymeric sort de la salle d'interrogatoire, le flingue collé sur la tempe de Jyrall. Il se dirige vers la sortie du commissariat quand il tombe sur le premier policier. Ce dernier réagit au quart de tour et lève sa propre arme en direction des deux hommes.

— Posez votre arme ! hurle-t-il.
— Non, vous posez votre arme ou je lui fais exploser la tête, répond Aymeric. Reculez !

L'échange a rameuté tous les policiers encore présents, y compris la lieutenante Gerald. Aymeric est entouré de flics et appuie l'arme sur le crâne de Jyrall d'une façon menaçante.

— Posez vos armes, réitère-t-il, ou je le tue !
— Faites ce qu'il dit, enchaîne Jyrall, inquiet que la situation lui échappe complètement. C'est un ordre !

Malgré tout, les flics ne sont pas décidés à laisser un suspect s'évader, d'autant plus avec leur capitaine en otage. « Quelque chose cloche ! » ; Samantha Gerald en est certaine. Elle connaît le capitaine par cœur. Il ne se serait jamais laissé prendre en otage si facilement. « Quelque chose cloche, mais quoi ? » Elle peut lire la peur de Jyrall dans son regard. Or, l'homme est expérimenté ; en temps normal, il garderait son sang-froid dans une situation identique. De quoi a-t-il peur, alors ? Et puis cette curieuse demande, tout à l'heure : pourquoi rechercher un vieux dossier sans aucun rapport avec l'affaire en cours ? Non, il a dû se passer quelque chose de grave.

Jyrall comprend les doutes de sa partenaire. Il la supplie du regard de lui venir en aide.

— Baissez vos armes, les gars, ordonne Gerald à son tour.
— Mais, lieutenante… intervient un des policiers.
— Baissez vos armes, j'ai dit ! À moins que vous vouliez avoir la mort d'un de vos supérieurs sur la conscience.

De mauvaise grâce, les policiers obtempèrent. Aymeric, toujours avec son otage sous le bras, s'enfuit du bâtiment. Les deux hommes courent alors vers le parking et grimpent dans le véhicule personnel du capitaine de police. En un instant la voiture démarre en trombe et disparaît.