Partie III : Celui qui fait de lui une bête se délivre de la douleur d'être un homme

Sauver Luc

Fanny dort à poings fermés. Sa mine est affreuse. Son père, le visage éreinté, l'observe dans un silence pesant.

— Comment va-t-elle ? questionne Samantha Gerald, à deux pas derrière lui.
— Pour une fois elle semble dormir paisiblement. Entre les douleurs qui l'élancent et les cauchemars qui l'agitent, c'est plutôt rare en ce moment.
— Je suis désolée, murmure-t-elle, sincère. Si seulement j'avais…
— Tu n'as pas à être désolée, ce n'est pas ta faute. Ce sont eux les responsables… Et au boulot, comment ça se passe ?
— C'est la folie ! Tout le monde est sur le pied de guerre. On met tous les moyens en œuvre pour les retrouver.
— J'aimerais tant pouvoir aider…

Oui, mais Jyrall ne peut pas puisqu'on lui a retiré temporairement son badge en attendant qu'une enquête officielle détermine son rôle dans toute cette affaire. Personne au commissariat ne le croit, bien entendu, réellement complice avec le couple de criminels, mais il a aidé l'évasion d'un fugitif. C'est sa carrière qu'il risque ! Le commissaire Gerald, le père de Samantha, fait tout pour retarder cette enquête afin de laisser le temps à un de ses meilleurs éléments de se remettre des évènements.

— Tu es mieux ici à veiller sur ta fille. C'est un moment difficile pour elle. Elle a besoin de son père.
— Je sais. Et moi j'ai besoin de les voir derrière les barreaux… ou six pieds sous terre.
— Elle est forte, ajoute-t-elle. Elle s'en remettra.

Jyrall sourit mais n'a pas l'air tout à fait convaincu. Il craint les séquelles psychologiques qu'un évènement aussi traumatisant pourrait lui laisser.

Un portable vibre ; Gerald sursaute. Elle s'excuse auprès de son collègue et répond. Elle reconnaît rapidement la voix déboussolée à l'appareil : c'est Kathy, sa meilleure amie.

— Sam, Sam, semble-t-elle paniquée, Luc a disparu… C'est horrible !
— Quoi ? Comment ça, Luc a disparu ? Ce n'est pas possible ! Qu'est-ce qu'il s'est passé ?

Jyrall tend une oreille inquiète.

— Il avait disparu quand je suis venu le chercher à la garderie. J'ai tellement peur ! Il a échappé à leur vigilance quelques secondes et voilà le résultat ! Pitié, il faut que tu m'aides.
— Calme-toi, Kathy, on va le retrouver. Il ne peut pas être bien loin. Ne bouge pas, j'arrive dans une demi-heure environ.

Samantha raccroche, le visage blême. Elle jette un coup d'œil à Jyrall et comprend qu'il pense exactement la même chose qu'elle.

— C'est eux, sans aucun doute ! affirme-t-il.
— Mais comment auraient-ils pu connaître son existence ?
— Je n'en sais rien… Par quelqu'un de ton entourage peut-être.
— Mais qui ? Ce n'est pas comme si j'avais une vie sociale ultradéveloppée. Ils n'auraient pas osé s'approcher de mon père. Ils ne connaissaient pas Kathy… Peut-être Joachim ?

Elle compose rapidement son numéro. Cela sonne dans le vide. Une boule au ventre se fait de plus en plus présente.

— Il ne répond pas ! Il est peut-être à la maison. Je devrais aller y jeter un coup d'œil rapidement.
— Je viens avec toi, lance Jyrall.
— Et si c'était une diversion pour nous éloigner de l'hôpital et venir finir le travail ? s'inquiète-t-elle. Tu ferais mieux de rester là.
— Je viens avec toi, insiste-t-il. Tu n'as qu'à appeler quelques officiers pour venir monter la garde.


Cela fait pas mal de temps que Mad n'a pas mis les pieds à Méronze. Il est étrange pour elle d'y retourner après tout ce qu'elle a vécu. C'est là que toute son histoire avec Aymeric a commencé. Elle était seule, perdue la première fois qu'elle est arrivée ici, puis elle est tombée sur Bruce. Elle a cru l'aimer, mais la vérité c'est qu'il n'était qu'une étape avant le véritable amour.

C'est vrai qu'il est risqué pour tous les deux de revenir ici, mais Madeline connaît bien les lieux et sait où se réfugier. C'est chez une ancienne connaissance, une jeune femme rencontrée en boîte que Mad a sauvée d'un ex trop violent, qu'elle doit retrouver Aymeric. Pour la remercier, cette femme lui a alors offert l'asile quelque temps chez elle. C'est ce qui a amené Mad à Méronze. Cette dernière n'est restée que quelques jours, mais l'autre lui a fait promettre de ne pas hésiter à revenir en cas de besoin, même en cas d'absence, lui offrant un double de ses clés. Madeline sait qu'en cette période de l'année son amie est absente – ce qui est plutôt pratique puisqu'elle est sûre qu'elle n'approuverait pas ce qu'ils s'apprêtent à faire avec Aymeric.

Mad tape cinq coups lents et fermes sur la porte ; Aymeric lui ouvre. Elle entre, se jette dans ses bras et l'embrasse à pleine bouche.

— Alors ? demande-t-elle. Tout s'est bien passé ?
— Oui. C'était plus facile que ce à quoi je m'attendais.
— Où est-il, là ?
— Je l'ai attaché dans la cave. Tu veux le voir ?
— Non, Amour, c'est toi que je veux ; tu m'as tellement manqué…

Elle l'embrasse de nouveau et se frotte à lui afin de titiller sa virilité. Aymeric répond à ses baisers et lui caresse les fesses avant de, finalement, la repousser.

— Allons, Mad, nous ne nous sommes séparés que quelques heures.
— Je sais, mais c'était déjà trop long. J'ai envie de toi. Je suis une vilaine fille, j'ai envie que tu me fasses mal !
— Bon, soit. Je suppose que nous avons un peu de temps devant nous.


Samantha Gerald entre à vive allure dans son appartement, Stéphane Jyrall juste derrière elle.

— Joachim ? appelle-t-elle. Joachim ?

Pas de réponse. Elle cherche partout au rez-de-chaussée. Nulle trace de son fiancé. La voilà de plus en plus inquiète.

— Il est peut-être sorti, intervient Jyrall.
— Sans fermer la porte à clé ? Cela ne lui ressemble pas.

Elle décide d'aller voir à l'étage. Son collègue préfère attendre en bas. Soudain, un hurlement d'horreur ! Jyrall change d'avis et se précipite à son tour à l'étage. Il rejoint la lieutenante dans la chambre. La scène qu'il découvre lui glace le sang : allongé nu et attaché dans le lit, Joachim gît, la gorge tranchée, un sourire macabre dessiné au couteau. Il y a du sang partout. Au pied du lit, Samantha est agenouillée, abattue, en larmes.

— Ils sont venus là ! crache-t-elle entre deux sanglots. Ils se sont introduits et l'ont assassiné !
— Il n'y a pas de trace d'effraction ni de lutte, remarque Jyrall.

C'est au moment où les mots sortent de sa bouche qu'il comprend qu'il vient de faire une erreur : cela ne peut vouloir dire qu'une chose.

— Non, elle est venue seule ; c'est Joachim qui l'a fait entrer. Il a couché avec elle ? C'est de ma faute alors ? Tout ça, c'est parce que je ne lui apportais pas assez d'attention ? Parce que j'étais trop distante à cause du boulot ?
— Non, tente de rattraper le coup Jyrall. Sam, les seuls responsables, ce sont eux. Tu n'as rien à te reprocher. Tu faisais ton métier, c'est tout !

Oui, mais il en faudra bien plus pour enlever ce sentiment de culpabilité. Toutes ces fois où Joachim réclamait son attention et qu'elle n'a pas su écouter. Non, elle n'avait pas envie d'écouter. Elle avait déjà assez de soucis au boulot, elle ne voulait pas prendre en plus en charge ceux de son fiancé. « Quelle égoïste ! » se morfond Samantha.

Sur la table de nuit, Jyrall repère la photo du jeune Luc avec un sourire dessiné au sang.

— C'est bien eux qui ont enlevé ton filleul, reprend-t-il. Il faut le retrouver, et vite. Relève-toi, il n'y a pas de temps à perdre.

Sam reprend ses esprits, passe une main sur ses yeux pour essuyer ses larmes et se relève. Elle s'empare de son téléphone pour appeler ses collègues, signaler le meurtre et l'enlèvement, et ordonner la mise en place des opérations. Sa voix est déterminée et sombre. En peu de temps, la ville sera bouclée par la police. S'ils sont encore ici, le couple de criminels est pris au piège. Cette fois, ils ne pourront pas s'échapper.

Après avoir raccroché, Gerald se met en route pour le commissariat. Jyrall, souhaitant se rendre utile et ayant lui aussi des comptes à régler, veut la suivre mais elle refuse.

— Non, tu n'as pas d'arme et tu es suspendu. C'est trop risqué. Reste en dehors de tout ça. Tu seras beaucoup plus utile à ta fille en restant à ses côtés.

Et elle disparaît peu après. Dans peu de temps, les premières équipes arriveront pour baliser la scène de crime et l'analyser. Jyrall, lui, retourne à son véhicule et frappe de colère ses poings sur le volant. Ses mains tremblent de rage. Diable, ces deux-là auront causé bien des dégâts ! Il se sent si inutile, coincé à l'hôpital tandis que les deux fugitifs courent encore. Il aimerait faire quelque chose lui aussi. C'est décidé : il va partir à leur recherche de son côté en remontant les différentes pistes que la police avait. Il se jure pourtant de n'y aller qu'en éclaireur. S'il repère quelque chose, il appellera tout de suite ses collègues et ne prendra pas de risques inutiles. C'est tout ce qu'il peut faire.


Aymeric est encore assoupi quand Mad rouvre les yeux. La sieste aura été de courte durée. Impossible de se reposer ; un mauvais pressentiment lui tord l'estomac. Son ombre, elle aussi est agitée, mais plus d'impatience. Madeline aurait aimé s'enfuir loin de Méronze avec son homme, mais celui-ci voulait faire payer les flics. Jusqu'alors, si elle avait si bien réussi à échapper à la police, c'est qu'elle ne jouait pas avec eux. Elle les évitait autant que possible. Qu'importe, elle est prête à tout pour lui. Désireuse d'accomplir le moindre de ses désirs, elle a accepté de l'aider.

Elle se rend dans la cuisine, histoire de se changer les idées en se remplissant l'estomac. Quelques fruits feront l'affaire. C'est là qu'elle entend des gémissements en provenance de la cave. Elle décide d'aller voir le petit Luc ; jouer un peu avec lui – ou plutôt le torturer un peu – devrait la distraire un temps et satisfaire sa part d'ombre.

Elle le trouve à genoux, les mains ligotées à une poutre. L'enfant est en larmes. De la morve lui coule du nez. Effrayé, il se recroqueville comme il peut quand il entend quelqu'un descendre les escaliers.

— N'aie pas peur, je ne vais pas te faire de mal, lui ment-elle.

Elle s'approche, le prend dans ses bras. Il a un mouvement de recul, mais finalement se laisse faire et commence à se détendre.

— Je m'appelle Madeline. Et toi, c'est bien Luc ?
— Oui… hésite-t-il en pleurnichant. Vous allez vraiment pas me faire de mal ?
— Moi ? Non. Mais mon amoureux là-haut, je ne parierais pas autant. Tu sais, il a une vilaine dent contre ta marraine et je crois qu'il est bien décidé à se venger sur toi.

Le regard de Luc s'embrase de terreur.

— Mais je n'ai rien fait, moi ! J'vous en prie, laissez-moi partir !
— Je voudrais bien, mais mon amoureux ne serait pas content. Et moi je n'aime pas quand il n'est pas content. Je fais tout pour lui faire plaisir.

Elle le serre fort contre elle comme si elle voulait le rassurer et lui chuchote à l'oreille :

— Franchement, j'ai très peur pour toi. Mon amoureux va te faire très très mal.

Luc, pris de panique, la repousse et se débat. Elle fait mine de se montrer compatissante, mais en elle-même elle est ravie.

— Maman ! Maman! Je veux ma maman ! hurle le petit.

Madeline recule, révulsée, et lui jette un regard noir.

— Ta mère ? Ta mère ne viendra pas pour toi. Il n'y a que moi ici !
— MAMAN ! continue-t-il malgré tout.
— Tais-toi ! le gifle-t-elle, ayant perdu son calme.
— Je te déteste ! lui crache-t-il. Tu es une méchante dame. Je veux ma maman !

Rien n'y fait, le petit continue de hurler et d'appeler désespérément sa mère. Madeline observe ses mains trembler. Elle s'étonne de la colère dans laquelle les malheurs du petit l'ont mise. Très vite, elle comprend que cela lui évoque son passé. « Ta mère ne viendra pas pour toi. Il n'y a que moi ici ! » Ce sont exactement les mots que lui avait soufflés son père après le décès de sa mère. Elle était désespérée à cette époque, seule au monde. Et aujourd'hui elle se comporte comme son fumier de géniteur.

Déboussolée par une vague de sentiments contradictoires, elle fuit en courant par les escaliers, referme la porte derrière elle et tombe à genoux. Que lui arrive-t-il ? Une boule à l'estomac la fait souffrir. Des nausées la tourmentent. « Qu'est-ce que j'ai fait, maman ? » se demande-t-elle. Ce n'est qu'un enfant innocent comme elle l'était à l'époque. Madeline pleure « Tu disais que tu serais toujours là pour moi, mais tu es partie, tu m'as abandonnée ! » Elle sent soudain comme une présence près d'elle, quelque chose de bienveillant, une lumière qui chasse les ténèbres qui se terrent dans son cœur. Madeline se recroqueville et chantonne la berceuse de sa mère.

C'est peu après qu'Aymeric arrive. La jeune femme se relève et accourt dans ses bras réconfortants. Elle l'embrasse.

— Qu'est-ce qu'il s'est passé ? demande-t-il.
— Rien, le petit pleure, juste de peur.
— Il ne pleurera plus longtemps ; c'est le moment !

Le cœur de Madeline fait un bond d'horreur. La perspective de faire du mal à l'enfant ne la laisse plus autant indifférente.

— Attends, es-tu sûr de vraiment vouloir cela ?
— Bien entendu. J'imagine déjà la gueule que fera la lieutenante quand elle retrouvera les différents morceaux.
— Servons-nous plutôt du gamin comme appât. Attirons Gerald dans un piège. Gardons le petit intact jusque-là.
— Hum, je crois que je préfère mon idée.
— Comme tu veux, Amour… lâche-t-elle, déçue.

Voilà qu'elle s'inquiète du sort du petit alors que quelques minutes plus tôt elle se plaisait à le tourmenter. S'est-elle identifiée à lui, ou son instinct maternel s'est-il réveillé ? Elle n'en sait rien. Elle sait juste qu'elle doit faire quelque chose pour le protéger, ou lui faire gagner un peu de temps. Cela a beau être contre les projets d'Aymeric, Mad ne saurait faire autrement. C'est plus fort qu'elle. Luc a besoin d'aide et n'a qu'elle sur qui compter. Mais Aymeric est décidé et ne semble pas prêt à changer d'avis. Elle sait qu'elle ne parviendra pas à lui faire entendre raison. Comment alors le détourner de sa vengeance ?

Il veut passer mais Madeline lui barre une nouvelle fois la route.

— Qu'est-ce que tu veux encore ? s'impatiente-t-il.
— Rien, j'avais juste envie de toi, se frotte-t-elle contre lui.
— Rhaa, s'énerve-t-il. Mad, ce n'est pas le moment !

Mais elle ne l'écoute pas et continue sa petite manœuvre. Elle se colle à lui, le caresse et l'embrasse dans le cou. L'homme frissonne de plaisir. Il tente de la repousser une nouvelle fois mais ses ardeurs se réveillent à leur tour. Aymeric saute sur Mad et l'embrasse. Décidément, quand elle veut quelque chose, impossible de lui résister.

— Tu n'es vraiment qu'une salope, Madeline : tu ne penses qu'à ça.
— Oui, Amour, je suis ta salope. Baise-moi !

Il la prend dans ses bras et la jette sur la table de la cuisine où il lui arrache ses vêtements. Pris d'une intense frénésie, il la prend là, violemment, sur la table, la pénètre comme une bête sauvage. Satisfaite, Madeline laisse son amant se défouler sur elle avec enthousiasme. Le plaisir est tellement intense qu'elle en oublie un instant Luc.


Aymeric, en sueur, retrouve son souffle après un orgasme foudroyant.

— Je crois que j'aurais bien besoin d'une bonne douche, maintenant.
— Oh oui, une bonne douche à deux… sourit-elle à pleines dents.
— Non, je te vois venir ; assez de temps perdu ! Tu iras après si tu veux tandis que je m'occuperai du petit.

Madeline n'insiste pas plus. Tout ce qu'elle voulait, c'était gagner un peu de temps. Dans quel but ? Elle n'en sait rien au juste. Ce n'est pas comme si le petit Luc allait pouvoir échapper à son funeste destin. Non, Aymeric a décidé qu'il ne vivrait pas une journée de plus. Qui est-elle pour s'opposer à sa décision ? Personne, juste sa dévouée femme.

Elle décide tout de même de se montrer plus tendre avec l'enfant et lui prépare un petit goûter. Elle descend au sous-sol. Luc sursaute au son de la porte qui s'ouvre. Il ne pleure plus mais son regard est vide. Madeline descend les marches.

— Désolée pour tout à l'heure ; je n'aurais pas du te gifler. Tiens, je t'ai apporté à manger.
— Je n'ai pas faim…
— Voyons, Luc, il faut manger. Tu as besoin de prendre des forces.
— Non, je ne veux pas !
— S'il te plaît Luc, ça te fera du bien…
— Je veux ma maman ! recommence-t-il à sangloter.

Le cœur de Madeline se serre. Elle le prend dans ses bras pour le consoler.

— Je sais, mon petit, mais ta maman n'est pas là. Je suis là, moi…

Rien n'y fait, les larmes de Luc ne sèchent pas. Madeline aimerait vraiment faire quelque chose pour lui mais elle ne peut rien y faire. Il est condamné… non, elle ne peut s'y résoudre. Elle hésite et se décide. Elle défait les liens et libère le garçon.

— Viens, dit-elle en lui tendant la main.

Il la regarde, méfiant, avant de se résoudre à lui prendre la main. Elle l'emmène jusqu'en haut des escaliers, franchit la porte de la cave et le dirige vers la sortie. C'est à ce moment qu'Aymeric apparaît. Elle se fige de stupeur devant lui.

— Qu'est-ce que tu fais, bon sang ? grogne-t-il.

Luc se cache derrière Madeline.

— Il n'y est pour rien, explique-t-elle. Ce n'est pas à lui de payer.
— Pour rien ? Et alors, tu crois que j'y étais pour quelque chose, moi ? Je n'avais rien demandé avant que tu te décides à me faire vivre un enfer.
— Je suis désolée… je ne peux te laisser lui faire du mal.
— Tu te fous de ma gueule, là ? Après tout ce que tu m'as fait subir, tu oses t'opposer à ma volonté ? C'est bien toi qui voulais que je me laisse gagner par mon obscurité, non ? Et maintenant tu m'enlèves ma proie.

Aymeric, le regard ivre de rage, avance vers Madeline et Luc. Mad prend peur, ouvre la porte de la maison et ordonne à Luc de fuir. Aymeric, plus rapide, attrape le gamin par le bras. Madeline se jette sur lui pour lui faire lâcher prise. Furieux, il lui emmanche un violent coup de coude sur le visage. Elle hurle de douleur et recule d'un pas. Aymeric en profite pour balancer Luc plus loin et fermer violemment la porte. Effrayé, le gamin part se cacher sous la table.

— Si tu crois que tu vas m'échapper comme ça, petit merdeux…

Aymeric avance d'un pas lourd vers sa victime, mais Mad est plus rapide et se jette une nouvelle fois sur lui en le frappant de toutes ses forces.

— Arrête ! hurle-t-elle.

Mais les coups de la jeune femme sont inefficaces ; leur seul effet est de mettre Aymeric encore plus en rage. Son poing s'écrase dans le ventre de Madeline. Elle en a le souffle coupé.

— Tu veux jouer à ça ? crache-t-il. Eh bien jouons. L'heure est venue, ma belle, l'heure est enfin venue que je te tue enfin. Tu as fait de ma vie un enfer, tu as tout détruit. Je voulais tous les punir, mais tu es la seule responsable. J'aurais dû commencer par toi.

Un coup dans la mâchoire ; Mad se retrouve à terre. Aymeric ne se contrôle plus. Sa rage le domine complètement. Il donne de puissants coups de pied dans le ventre de la jeune femme qui hurle et pleure de douleur. Elle n'a jamais cru Aymeric capable de la tuer bien qu'il ait tenté déjà deux fois, mais aujourd'hui elle voit sa fin venir.

Mais l'homme en oublie Luc qui a retrouvé une once de courage, suffisamment pour sortir de son abri et courir vers la porte. Aymeric, qui lui tournait le dos, réalise seulement la fuite du petit quand il entend la porte claquer derrière lui.

— Merde ! jure-t-il.

Il en abandonne Mad et court chercher le révolver. Au même moment, à quelques mètres à l'extérieur, Jyrall patrouille avec sa voiture en éclaireur. C'est alors qu'il voit surgir Luc, affolé. Son cœur bondit de joie. Ce n'est pas trop tard ! Il freine rapidement et lui ouvre la portière passager.

— Vite ! Monte, Luc ! hurle-t-il.

Heureusement, le gamin le reconnaît et lui obéit. Soudain, un coup de feu retentit et le pare-brise explose. Luc hurle de terreur. Aymeric, le révolver à la main, vient de faire son apparition. « Il est là ! » rugit Jyrall. Pendant un court instant, le policier hésite à foncer sur le criminel pour en finir une fois pour toutes, mais le gamin est dans sa voiture : c'est trop risqué pour lui. Il préfère donc redémarrer en trombe et fuir.

D'autres coups de feu se font entendre. Jyrall perd le contrôle de son véhicule ; un pneu a dû être touché. La voiture dérape et percute un lampadaire. Jyrall est sonné sur le coup. Aymeric se précipite vers la voiture pour en finir, mais il fait l'erreur de s'approcher un peu trop près de la portière juste au moment où Jyrall reprend conscience. Ce dernier l'ouvre violemment, percutant le jeune homme qui en lâche son arme. Le flic bondit hors de sa voiture et se jette sur Aymeric avant qu'il ne récupère le flingue.

Cette fois, il le tient ! Ses poings frappent avec fureur, mais Aymeric est plus résistant qu'il en a l'air : il ne se laisse pas impressionner par la puissance des coups de Jyrall. Envahi lui aussi par la rage, la douleur est comme anesthésiée. D'un grand coup de pied il parvient même à repousser son adversaire.

Les deux hommes se relèvent et se font face. Les lèvres d'Aymeric dessinent un sourire mauvais et son regard se tourne vers l'arme qui est à terre.

— Luc, sauve-toi loin d'ici ! hurle Jyrall.

Vite, Aymeric se jette sur le révolver. Jyrall lui fonce dessus pour l'empêcher de l'utiliser. Luc, heureusement conscient après l'accident, réussit à s'enfuir suite au conseil du policier malgré la peur qui le tétanisait. Il court de toutes ses forces. Aymeric hurle de rage : sa proie lui échappe. Il serre l'arme dans ses mains comme la mâchoire d'un lion sur le cou d'une gazelle, mais Jyrall, lui maintenant les poignets, l'empêche de viser sa cible qui s'éloigne de plus en plus.

Les deux hommes luttent pour prendre le dessus sur l'autre. Jyrall fait un croche-pied pour renverser son adversaire, dont la chute lui fait lâcher l'arme, qui se retrouve bien vite dans les mains du policier. Cette fois, c'est fini ; il le tient vraiment, lui, le monstre qui a défiguré sa fille.

Jyrall hésite. Ce connard est à sa merci. Il pourrait le buter s'il le voulait. D'ailleurs, il en a très envie. Il sent comme une ombre planer dans son esprit. Ses mains tremblent. Il est prêt à appuyer sur la détente tandis que l'autre l'observe, un grand sourire de défi sur les lèvres. NON ! Jyrall reprend ses esprits. Il ne doit pas céder à la vengeance : la justice lui réglera son compte.

— Bouge plus, fumier ! Je te tiens, espèce d'enf…
— NON ! hurle une voix de femme.

Quelle erreur idiote ! Dans le feu de l'action, Jyrall avait oublié Madeline Kalst qui, le visage tuméfié, vient de sortir elle aussi de la maison, une arme pointée dans la direction du policier. De nouveaux coups de feu tonnent. Jyrall réplique. Une balle atteint Mad à l'abdomen, une autre Jyrall au bras, lui faisant lâcher le révolver.

Au loin, les sirènes de la police se font entendre. Aymeric se précipite vers Madeline. Il récupère son arme et l'aide à se relever. Il jette un dernier coup d'œil dans la direction de Jyrall, mais le capitaine vient de se mettre à couvert.

— Il faut fuir ! le presse Madeline.

Aymeric revient à ses esprits et aide sa complice à grimper dans leur voiture. Il démarre en trombe tandis que les voitures de police apparaissent tout au bout de la rue.