La cage aux folles

Devant le verre vide, le papier avec le code à la main, Adèle était prête à s'enfuir. Le barman s'approcha pour voir si elle désirait autre chose. Il en profita pour scruter plus que nécessaire cette belle plante. Alors, sentant ce regard lourd et insistant, la rousse prit le parti de se lever. Cette fois elle n'avait plus le choix. Ou plutôt, dans sa caboche, deux seuls s'imposaient : la rue ou les escaliers. À deux pas de la porte qui menait vers la liberté ou de la première marche d'un possible plaisir, elle marqua encore un temps d'arrêt.

Ce fut avec une sorte de bourdonnement dans les oreilles et un voile devant les yeux qu'elle se vit filer vers la droite. Et dans cette direction, c'était… la montée aux étages. Dans le couloir du premier palier, elle chercha pour se remémorer ce qu'il avait dit… « C'est l'avant-dernière au fond du corridor à gauche, au premier étage. » Le cœur battant, elle avança vers son destin. Il y avait de part et d'autre de ce long tunnel juste un filet de lumière. Arrivée devant la porte, d'un doigt tremblant elle tapa les chiffres et les lettres du sésame.

Dans son affolement, elle se trompa à trois reprises, mais la quatrième tentative fut la bonne et la porte s'entrouvrit enfin. Les jambes tremblotantes, elle avança d'un pas sur l'épaisse moquette qui couvrait le sol. C'était sombre à l'intérieur, et le seul bruit qu'elle percevait était celui de sa respiration haletante. Le groom de la porte la refermait mécaniquement avec un son étrange qui lui serra encore davantage les tripes. Mais de la chambre, dans le noir, elle entendit seulement une voix suave s'adresser gentiment à elle :

— Vous voulez bien ne pas mettre de lumière, s'il vous plaît ? J'aime l'obscurité pour découvrir… mes partenaires. Si vous voulez bien vous déshabiller avant de venir me rejoindre… dites-moi quand vous serez nue. Je suppose que si vous êtes là c'est que j'ai votre accord, donc. Je vous guiderai vers moi quand…

Elle se taisait, mais ses doigts avaient presque un mal de chien pour trouver les fermetures de sa jupe et de son chemisier. Finalement, après un long moment, elle se retrouva en culotte et soutien-gorge. Ses mains passèrent dans son dos pour retirer le vêtement. Restait sa culotte : allait-elle l'enlever ou la garder ? De toute façon, il la lui ôterait si elle ne le faisait pas toute seule. Alors le triangle glissa sur ses cuisses. Cette fois elle était livrée nue à l'inconnu. Il lui fallait encore ouvrir la bouche pour qu'il la dirige.

— Euh… je suis comme vous l'avez demandé.

Ces quelques mots lui avaient coûté un véritable effort pour les extraire de sa gorge.

— C'est bien. Avancez doucement. Vous entendez ma voix ? Alors avancez lentement, vous devriez en deux pas être au bord du lit ; tendez-moi un bras que je vous attrape.

Elle avait tendu la main devant elle, et l'autre l'avait immédiatement trouvée. Cette fois, il l'amenait vers lui. Elle sentit la couche contre ses jambes, à hauteur des genoux. Il la tira alors qu'un de ses pieds se posait sur le plumard. Elle se retrouva très vite allongée ; il était lui aussi à poil. À l'aide de la main qu'il gardait dans la sienne, il la guida de suite vers sa bite.

— Vous voyez, je vous attendais, vraiment. Votre main est chaude, c'est bien. Vous pouvez toucher, ça ne mord pas.
— …

Toujours aucun son ne voulait sortir de cette bouche qui, de toute manière, allait sans doute être mise à contribution. Mais lui ne s'embarrassait pas de ce genre de questionnement ; il était sûr de son fait. Il demanda pourtant avant de… consommer :

— Je peux vous découvrir aussi à l'aveugle, de la main et de la bouche ?
— Euh… ou… oui.

Maintenant le mot était lâché et ce Dimitri avait son accord : elle ne pouvait donc plus s'en prendre qu'à elle-même. Venir dans la chambre d'un type, se foutre à poil et se laisser baiser sans même échanger deux mots, elle n'en revenait pas de ce qu'elle faisait. L'incroyable facilité avec laquelle elle s'offrait… Elle eut une pensée pour Lucie. Elle maudissait son amie qui la conduisait sur ce sentier plutôt glauque du sexe avec des inconnus. Elle avait conscience qu'elle franchissait un cap, mais aussi bizarre que cela pût paraître, elle mouillait de se vautrer aussi dans le stupre.
L'esprit humain garderait toujours une part de son mystère insondable.

Adèle ne se comprenait plus du tout. Sa vie basculait dans ces cochonneries que quelques semaines auparavant elle réprouvait avec véhémence : c'était bien la preuve que rien n'était écrit à l'avance. Mais sur le lit, ce qu'elle tenait là, dans sa main refermée, raidissait de plus en plus. Dimitri s'était simplement tourné vers elle, et maintenant sa bouche lui envoyait sur le cou et le visage un souffle aussi court que le sien : l'émotion n'était donc pas que féminine.

Même s'il y avait cru, il restait la possibilité d'un désistement de dernière seconde ; mais le fait que cette jolie femelle ait osé pousser sa porte lui ouvrait des perspectives bien agréables. Il avait toujours aimé les nouveautés, et celle-ci en était une bien réelle et palpable. Pour se rassurer pleinement, sa bouche courut de suite vers une autre qui, de toute évidence, restait nouée par l'appréhension. Ce premier contact les fit frémir tous les deux. Elle était extrêmement réceptive, et le frisson qui la parcourut était de bon augure.

Il s'enhardit donc et une de ses pattes de mâle partit en exploration. D'abord sur les contours d'un visage bien fait dont il gardait l'image des traits, volés lors de la discussion autour d'une boisson. Puis cette grosse pogne fila vers un mamelon qui restait ferme et élastique tout à la fois. Un sein aussi agréable au toucher qu'il l'était à l'imagination. Alors conquérante, cette main, sans obstacle sur sa route, glissa doucement vers l'endroit qui le faisait bander. Et deviner sans voir était encore plus excitant. Dimitri adorait ces découvertes hors de la vue.

Elle se laissait toucher sans lâcher l'os qu'elle caressait. Il admira bien vite aussi un coup de poignet des plus calmes. De lentes montées, de longues descentes sans à-coups qui lui donnaient encore plus envie. Elle n'était pas une pro, mais elle savait manier la queue d'un homme. Expérience ou non, il savourait. Gus avait raison : cette belle pouliche était une perle rare. De sa main restée libre il appuya sur la tête d'Adèle ; elle comprit que c'était l'heure de passer aux choses sérieuses.

Sans murmurer un seul mot, elle se courba seulement un peu et sa bouche vint flirter avec la queue que sa menotte branlait avec une sorte de tendresse maternelle. La fournaise du gosier qui avala d'un coup son engin fit rugir Dimitri ; il poussa un soupir qu'elle prit comme un compliment. Une petite langue s'enroulait entre le prépuce et le gland. Bien peu de femmes savent le pouvoir de cette caresse intime ; trop souvent elles se contentent de sucer, lécher le gland. Mais cette suceuse-là avait du style et un vrai savoir-faire.

Sous ses doigts de l'homme, une toison abondante comme la lui avait décrite fidèlement son ami. Alors il l'imaginait, tout en folâtrant dedans sans vergogne, de la teinte des cheveux. Il se dégagea de la menotte et de la bouche qui le câlinaient ; pas pour s'enfuir, mais seulement pour prendre une position plus appropriée à son idée, et les lèvres de Dimitri vinrent se mêler à la fête qui se préparait. Cette fois allongé tête-bêche, il pouvait tout à loisir la laisser reprendre sa fellation un instant ajournée. Lui aussi voulait connaître l'émotion de cette première découverte de sa chatte. Et quoi de mieux que d'en goûter les contours avec la langue ?

Un instant, dans l'obscurité et juste avant de déguster l'huître, il eut comme un sourire : voilà ce qu'il pouvait appeler « donner sa langue au chat ». Et quand il eut rejoint les deux grandes lèvres, il sut de suite que la belle mouillait abondamment. Alors comme un gosse qui mange un bonbon, il se régala du nectar de ce fruit juteux ; de longs allers et retours sur les babines trempées alors que d'une bouche distinguée elle continuait sa pipe. Un vrai bonheur que cette belle femme, et lui faire l'amour allait être plaisant.

Leurs préliminaires durèrent une bonne partie de la fin de cet après-midi. Puis il la prit, reprit à de nombreuses reprises. Elle le chevaucha autant qu'il la prit. En levrette, à la missionnaire, et dans tellement de positions qu'elle ou lui aurait pu ajouter un nouveau chapitre au Kama Soutra. Enfin, après maints galops d'essai, sans qu'il aille jusqu'au bout de son effort, trop conscient de la difficulté de revenir au mieux de sa forme après avoir arrosé le persil, ils décidèrent d'un commun accord de s'octroyer une pause.

Le minibar étant bien fourni, ils se désaltérèrent avec cette fois un léger rayon de lumière. Dimitri put enfin admirer la plastique de sa conquête. Il en profita pour régler certains détails dont pourtant elle ne réclamait rien. Le portefeuille de Dimitri diminua d'épaisseur et celui de la rousse prit du volume. C'était aussi de bonne guerre. Ensuite ils refirent l'amour et elle le pressa comme un citron. Il ne se retint pas une première fois et éjacula dans la bouche gourmande de la rousse, puis elle continua à le sucer, le lécher jusqu'à ce qu'il retrouve un second souffle.

Lui aussi s'occupa de sa chatte avec une faim grandissante. Et il s'octroya même la familiarité de lui enfoncer un index dans le derrière. Si elle lui attrapa le poignet, ce n'était pas pour le faire partir de là, mais seulement pour lui donner un rythme moins douloureux. Il l'embrassa maintes et maintes fois, puis il eut encore une demande assez précise :

— Vous me permettez d'entrer là où j'ai mis mon doigt ?
— Vous me promettez d'être doux, de ne pas forcer comme une brute ?

Devant une telle demande, combien de mecs auraient dit autre chose que lui ?

— Bien sûr que je serai doux. J'ai envie de vous prendre par là, mais je ne suis pas un sauvage… Vous voulez bien, dites ?

Il avait tenu parole, faisant une pause quand elle posait sa main sur son ventre pour qu'il fasse un arrêt. Lentement elle s'habitua à cette chose en elle et il parvint à cette sodomie totale dont il rêvait pour de bon. Elle n'avait ressenti qu'une légère douleur à l'intromission, puis une sorte de gêne lors des premiers va-et-vient. Après, elle ne se souvenait que de sa jouissance et de la main de l'homme qui lui caressait la chatte tout en la pistonnant si profondément qu'elle entendait son ventre claquer contre ses fesses. Elle avait joui des caresses, moins sans doute de la sodomie, mais celle-ci n'avait pas été une souffrance horrible. Elle préférait sans doute toujours un coït – entre guillemets « normal » – à cette pratique, mais c'était supportable, et souvent les hommes aimaient bien cela ; elle saurait donc aussi, de temps en temps, faire plaisir à l'un d'entre eux. Seuls les plus méritants pourraient prétendre à cette privauté qui ne deviendrait jamais une habitude ; de cela, elle en était certaine.

La nuit était déjà bien avancée lorsqu'ils se quittèrent. Dimitri avait voulu la raccompagner, mais elle avait refusé. Pas très envie qu'il sache où elle résidait ; alors elle avait fait le chemin sous des rafales de vent annonciatrices d'une nouvelle tombée de neige. Le froid était coupant, et elle fut heureuse de rentrer dans sa maison. Quelques minutes plus tard la cheminée illuminait le salon de ses flammes. Sur son portable l'attendaient plusieurs appels et un message de Lucie. Elle l'écouta puis le supprima sans pour autant la rappeler.

Son amie voulait juste savoir si le type à qui elle avait donné ses coordonnées avait appelé : il n'y avait donc aucune urgence. Elle prit son temps pour se dévêtir ; comme elle s'était douchée dans la chambre d'hôtel avant de la quitter, elle se coula avec plaisir dans un déshabillé vaporeux. Fatiguée mais comblée, Adèle, sur son sofa, tenta de suivre le film que la chaîne cryptée diffusait. Les images qui s'annonçaient n'avaient rien de bien réaliste : une femme faisait l'amour avec un type aussi musclé que Van Damme et avec un QI sans doute équivalent. Elle zappa puis éteignit le poste de télévision pour mettre un CD sur la platine.

L'adagio d'Albinoni, malgré l'imposture de son écriture (rendons à Giazotto ce qui lui appartient), restait un morceau dont elle raffolait. Elle écoutait religieusement dans la douceur du salon rendu agréable par les flammes de l'insert. La musique était, comme la douche, un plaisir bien personnel et elle revivait là, sous les mesures des cordes, les images de cette journée délirante. Comment en était-elle arrivée à se laisser baiser de la sorte ? Il suffisait donc que Lucie donne son numéro et qu'un inconnu l'appelle pour qu'elle se glisse dans son lit ? Que devenait la belle femme distante de toutes ces années ? Cette mère de famille bien sous tous rapports ?

Elle aurait voulu mettre cela sur le compte de ce fichu chômage, mais plus elle réfléchissait, plus elle savait qu'elle se mentait. Elle aimait cela, finalement, ces pattes inconnues qui venaient la tripoter, ces lèvres qui se vautraient sur son corps. Elle aimait sentir en elle une bite bien bandée qui gonflait encore plus en la travaillant lentement. Et puis cette sodomie dont elle n'aurait jamais voulu entendre parler quelques mois auparavant ? Elle l'avait presque aimée… Il faut dire aussi que ce Dimitri avait une classe folle. L'expérience des femmes aussi, et ça se sentait tout autant que ça se voyait.

Elle en était là de ses réflexions saugrenues quand elle sursauta. Un bruit inhabituel ? Un déraillement du CD ? Aussitôt elle ouvrit les yeux et tendit l'oreille. En fait, il s'agissait tout bonnement de la sonnerie de la porte d'entrée. Qui pouvait bien venir la déranger à cette heure-là ? En maugréant elle se leva, coupant d'un geste le son de la platine. Derrière le battant de bois, la chevelure brune ne laissait planer aucun doute sur l'identité de la visiteuse : Lucie, encore elle, attendait derrière l'huis. Zut ! Que voulait-elle encore, celle-là ?

— Eh ben, ma belle ? Tu ne réponds plus au téléphone ? Je m'inquiétais, moi ! Tu vas bien au moins ?
— Mais bon sang, je ne suis pas toujours pendue à mon portable, moi.
— Ouais. Alors, il a appelé ?
— Qui ? De qui me parles-tu ?
— Mais de Dimitri, le pote de Gustave. Il devait prendre contact avec toi.
— Tu ne vas pas encore remettre ça ! Il n'y a rien à en dire.
— Non ? Ne me dis pas que vous vous êtes vus ? Je n'en reviens pas… Petite cachottière ! Tu es quand même une rapide, toi ; tu vas finir par me mettre sur la paille !

Elle riait en disant cela. Comme toujours, Adèle eut l'impression qu'elle venait de faire entrer un feu follet dans sa demeure.

— Tu es… incroyable. Bon, tu auras bien un petit café pour une amie de passage.
— À cette heure-ci ? Tu ne vas pas pouvoir dormir, ma belle.
— Je m'en contrefiche. Je vais voir un vieil « ami ». Tu vois ce que je veux dire… Tu faisais quoi, toi, dans le noir ?
— Rien, j'écoutais de la musique ; ça m'arrive de temps en temps, et c'est bien sympathique.
— Tu n'as pas envie de m'accompagner, je suppose…
— Non, j'ai eu ma dose pour aujourd'hui !
— Ah… Donc ce loustic-là, le copain de Gustave, c'est un bon coup ? Généreux ?
— Il n'y a donc que cela qui t'intéresse ? En plus, curieuse avec ça. Je ne te répondrai plus ; enfin, pas à ce genre de question, vois-tu !
— À ta guise, ma belle. Mais je suis contente ; je peux donc dire aux deux goui… pardon, aux deux lesbiennes de t'appeler ?
— Je présume que même si je te dis non, tu ne vas pas m'écouter ; alors fais comme bon te semble.
— Elles sont toujours ensemble ; tu es prête à assumer ? Je n'ai aucune idée de ce que cela peut donner. Autant pour Dimitri ou les autres mecs je peux imaginer, avec les femmes je ne suis pas dedans. Mais bon…
— Tiens, ton café… Tu peux comprendre que je ne prenne rien avec toi à cette heure-là.
— Oui. Je suis à cette adresse. Il est bon que tu le saches – on ne sait jamais – c'est un nouveau, celui-là ; alors si demain tu n'avais plus de nouvelles, c'est chez ce gars-là que je vais. D'accord ?
— C'est vrai que c'est plus prudent d'en parler à quelqu'un ; j'y songerai si d'aventure je devais refaire une sortie.
— Oh, c'est seulement avec de purs inconnus. Tu sais, les deux femmes dont on vient de parler, tu peux y aller les yeux fermés. Enfin, pour ce que j'en dis… Allez, je file ! Je vais encore être en retard.

Elle était partie aussi vite qu'elle était venue. Le feu follet disparut dans la nuit et Adèle reprit l'écoute de sa musique.

Une nouvelle bûche brûlait dans le foyer lorsque que les paupières lourdes de la rousse se fermèrent pour de bon. Un long somme s'ensuivit sur le canapé, dans la tiédeur de la pièce rassurante où crépitait le feu. Elle se réveilla vers trois heures du matin, remit du bois dans l'âtre et fila se coucher. Les fredaines apportaient aussi leur lot de fatigue et un réel besoin de repos. Demain il ferait jour.


Au lever, la neige faisait une couche blanche compacte. Le froid aussi était présent. Adèle s'étirait comme une chatte, heureuse de vivre. Elle venait de retrouver au fond de son sac à main les billets remis par Dimitri. Elle chercha une boîte pour y ranger ses « salaires ». Quand elle ouvrit les enveloppes des deux premières soirées, elle en serait presque tombée sur le cul : là-dedans, en tout, il y avait de quoi voir venir, et surtout payer toutes les factures courantes des dépenses de sa maison. Donc la météo de son compte bancaire repassait au beau fixe.

La rousse chantonnait tout en préparant son omelette à la ciboulette. Un repas rapide qu'elle affectionnait tout particulièrement. Une bonne odeur de beurre chaud et d'œufs qui cuisaient lui mettait l'eau à la bouche. Elle ouvrit son portable et de suite elle vit que quelqu'un avait appelé. Le message émanait d'une femme. Donc une des deux dont parlait Lucie dans la nuit s'était manifestée. Elle écouta le message et appuya sur le chiffre que devait permettre de rappeler la correspondante sans avoir à refaire son numéro.

— Allô, vous êtes bien chez Nathalie. Je suis absente, je vous rappelle dès mon retour.

Elle n'insista pas. Son assiette était pratiquement vide au moment où Nathalie rappela.

— Allô ! Bonjour, ici c'est Nathalie ; je vous recontacte sur les recommandations de votre amie Lucie. Je suppose qu'elle vous a affranchie, et que si vous avez composé mon numéro c'est que vous êtes disponible pour une rencontre. Je tiens juste à préciser que nous sommes toujours deux. Ma compagne et moi… un ménage entre filles, pour ne qu'il ne subsiste ni doute ni ambiguïté.
— Bonjour. Adèle à l'appareil. Oui, c'est bien Lucie qui m'a m'avertie de votre possible appel. Donc je voudrais savoir de quoi il retourne.
— Nous n'avons ni le temps ni surtout l'envie de draguer, et la formule récompense contre sexe nous convient parfaitement. Alors voici notre adresse si vous voulez nous rejoindre ; nous passerons un après-midi des plus agréables.
— Ben, au vu de l'adresse, ça ne va pas être possible.
— Pas possible ? Vous ne voulez donc pas nous rendre visite ?
— Ce n'est pas tout à fait cela, mais je n'ai ni mon permis ni moyen de locomotion.
— Ah, d'accord ; un détail qui nous avait échappé. Mais si nous vous prenions en charge, devant chez vous ou à l'endroit de votre choix ?
— Je veux bien, mais je n'ai aucune expérience avec des filles.
— Il faut bien un début en toute chose. Alors on dit treize heures trente, mais où ?
— Vous connaissez la ville, et bien sûr le parking de l'église Sainte-Libère, alors ?
— Parfait, Adèle.
— Et votre compagne, c'est…
— Jacqueline et moi, Nathalie ; nous avons trente-neuf ans toutes les deux. Bien, je viens vous chercher devant Sainte-Libère pour treize heures trente. Merci, et à tout à l'heure alors… Bon appétit si vous n'avez pas encore déjeuné.

Adèle était prête à se jeter dans l'arène. La cage aux folles n'aurait rien de pire que la rencontre avec un inconnu invisible dans la nuit ; en journée, la peur n'était guère conséquente. Et puis… elle avait besoin d'une paire d'escarpins dont elle avait vu lors d'une sortie quelques jours plus tôt un modèle superbe dans une vitrine. Parfois les rencontres ont du bon, et au diable les états d'âme !
C'était la loi de l'offre et de la demande ; pas de quoi se sentir aussi coupable : elle ne faisait rien de mal.