Acte IV : Doutes et méprises

De plus en plus persuadé que sa sœur lui ment, Frédéric ne comprend plus rien à cette chipie. Comment peut-elle avec autant d'audace faire aussi bien semblant ? Mon Dieu, quel aplomb elle a pour ne pas se trahir ! Et l'autre, là, son pote… Adrien, c'est ce prénom-là, qu'il lui a donné. Pourquoi lui aurait-elle menti sur une pareille chose ? Un prénom, ça ne se cache pas ; ça ne se travestit pas non plus. Alors il y a un truc pas clair dans la vie de Karine, et il se fait fort de découvrir ce que c'est. Pour cela, il se met en devoir de la suivre sans qu'elle ne s'en rende compte. Chaque jour il la file, pareil à un flic qui passerait inaperçu. C'est cependant étrange, car au bout de quelques jours, malgré des heures passées à lui coller aux basques, il n'a rien trouvé d'anormal dans son comportement.

Il reste bien entendu certain qu'elle cache un secret ; mais lequel ? Il s'est rendu dans tous les lieux qu'elle fréquente, a vu toutes ses amies, ses copains aussi, et il a même été jaloux de la voir se faire draguer par quelques garçons ; mais elle n'a cependant donné aucune suite à ces tentatives de flirt. Des jours durant, il suit pas à pas Karine ; et pourtant, toujours rien d'anormal dans son attitude. Frédéric finit par se dire qu'il est fou, que son obsession pour sa frangine devient… étouffante. Il se dit qu'il court à la folie. Et puis aimer de cette manière-là sa frangine… il n'en peut plus.

Il ne dort plus des nuits entières, se sentant enfermé dans ses turpitudes. Il passe de longues heures sa verge tendue à la main, imaginant le corps de Karine nu, lui prodiguant des caresses que seul un amant peut avoir. Alors à qui parler de tout ceci ? Il cherche désespérément une aide quelconque, sans entrevoir vraiment vers qui se tourner. Sa mère ? C'est bien la dernière personne à qui il oserait parler de cela. Son père non plus, du reste, ne serait pas capable de comprendre. Alors ? Qui va bien pouvoir l'aider ? Il lui semble que dans sa tête c'est un peu le grand bazar. L'histoire de la piscine, sa rencontre avec cet Adrien, tous ces épisodes le rongent.

De guerre lasse, le jeune homme se dit que cet Adrien, ce pourrait être un bon compromis. Entre la folie qui le guette et la solution de parler à un inconnu ou quasi-inconnu, finalement le choix n'est pas très compliqué. Frédéric pense aussi que ce garçon-là possède une clé de l'énigme, que c'est peut-être le destin qui les a mis sur la même route. En se masturbant une énième fois, il se dit qu'il lui faut retrouver ce type et qu'ensuite il avisera. C'est en éjaculant dans son mouchoir qu'il finit par trouver enfin un semblant de sommeil et qu'il sombre dans une nuit sans rêves.

Lors du petit déjeuner suivant, il a les traits plus détendus, il est serein. Tout se passe dans le meilleur des mondes, et pour une fois aucune algarade avec Karine ne vient troubler le café matinal familial. Hector lève le nez de son sacro-saint journal, jette un regard à Alice qui se contente de lui sourire. Elle hausse les épaules, et les deux enfants semblent ne rien remarquer. Pour chacun, la journée débute sous de bons auspices. Retrouver l'autre, cet Adrien, risque de s'avérer ardu. À part son prénom et l'endroit où ils se sont brièvement parlé, Frédéric n'a aucun fil conducteur.

Des soirées durant il va traîner dans cette rue sans jamais croiser le visage connu de cet inconnu. C'est désespérant ; les jours passent, et pas la moindre trace de ce garçon. La jalousie qui le ronge ne le quitte pas non plus. L'horreur absolue, et pourtant… en suivant à nouveau Karine, il ne décèle rien qui puisse lui faire penser qu'elle revoit en douce Adrien. Son humeur en devient maussade, son esprit commence à divaguer dangereusement. Mais le pire de tout ceci, c'est qu'il n'a vraiment personne à qui parler de cela.


— Catherine… j'ai parlé à ma mère. Elle veut bien t'accorder quelques-unes de ses précieuses minutes.
— C'est vrai ? Oh, Maryse je t'en suis reconnaissante !
— Ne t'inquiète pas. Tu dois avoir sur moi une bonne influence, et ma mère s'en est rendu compte. Il te suffit de venir le soir que tu veux avec moi et elle te parlera.
— Oui… mais je n'ai pas vraiment de quoi payer une séance.
— C'est bon ; je lui ferai de l'œil, elle peut bien faire ça pour moi. C'est vrai aussi que depuis que je lui ai parlé de tes cauchemars, elle a l'impression que nous nous sommes rapprochées. Tout n'est peut-être pas perdu entre elle et moi.
— Comment te remercier ?
— Ça, ma belle, c'est facile. Nous devons avoir notre examen, et là je ne peux vraiment compter que sur toi. Tu es mon meilleur atout.
— Alors on travaille un peu parce que je vois la prof qui nous regarde bizarrement.
— Ouais, ce n'est pas le moment de nous attirer les foudres de « miss éprouvette » !

Les deux filles rient de ce bon mot et se penchent avec sérieux sur les exercices en cours. Catherine se sent soulagée, comme si le simple fait d'aller voir la mère de Maryse lui donnait un autre courage. L'angoisse qui l'étreint en permanence semble prendre un peu de distance. C'est donc le cœur léger qu'à la cantine les deux comparses retrouvent Adrien à l'heure du déjeuner. Il n'a d'yeux que pour la petite Vosgienne, et le plus clair de son temps de midi, il le passe à la scruter, telle une perle rare. À la fin de la journée les deux copines se retrouvent dans la petite chambre de Cathy, et c'est ensemble qu'elles se rendent chez la maman de la petite rousse.

Au premier abord, la femme qui se dresse devant les deux amies a une stature imposante. À part sa chevelure, réplique exacte de celle de sa fille, rien ne pourrait pourtant les apparenter. Le visage rude, les quinquets toujours en mouvement, elle scrute avec insistance cette gamine que lui a ramenée sa progéniture puis elle avance, la main tendue, vers Catherine.

— Bonjour ! Vous êtes Catherine ?
— Oui. Bonjour Madame… Maryse vous a raconté ?
— Oh, vous savez, ma fille n'est guère bavarde et peu loquace ; n'est-ce pas, ma chérie ? Alors il semblerait que vous traversez une mauvaise passe ?
— Je ne sais si le verbe « traverser » s'applique bien, dans mon cas.
— Vous voulez que nous passions dans mon cabinet ? Nous serons plus à l'aise pour en parler.
— Je dois vous dire avant que… je n'ai pas d'argent.
— Allons ! Vous êtes une amie de ma chipie de fille et je crois que vous avez sur elle une certaine influence, parce que depuis qu'elle travaille avec vous elle me parle beaucoup plus qu'avant. Alors vous savez, ça vaut tout l'argent du monde.
— Bon ! Puisque vous voilà devenue les meilleures amies du monde, je vous laisse et je vais préparer des pâtes. Tu dineras avec nous, Cathy. Pas d'objection, Madame la reine-mère ?

La remarque – au demeurant acerbe – de Maryse n'a pas l'effet escompté, et sa mère la regarde en souriant.

— Vous voyez ? Quand je vous dis qu'elle commence à s'apprivoiser ! Allez, venez donc que nous parlions un peu de tous vos tourments.

La jeune Vosgienne suit la maîtresse des lieux. Derrière une porte capitonnée, un large cabinet dans lequel un immense divan de cuir rouge mange une partie de la place, un bureau, deux sièges tapissés et un autre derrière le bureau, celui de la psychiatre sans aucun doute. Bien entendu, Catherine se trouve un peu désemparée dans cet espace calme. Odile s'assoit sur un des deux fauteuils et la prie d'en faire autant près d'elle.

— Bon, voilà. Ici, c'est un peu… froid, impersonnel, mais c'est voulu. Il n'y a rien pour que mes patients se raccrochent à leurs souvenirs, rien pour les perturber. Si vous voulez bien, Catherine, c'est bien votre prénom ?
— Oui…
— Alors j'aimerais que là, sans vous occuper de moi, vous me parliez de vous, de tout ce qui vous passe par la tête. Je vais prendre quelques notes, mais ne vous inquiétez pas. Je vous écoute, et si vraiment j'en ai besoin, je vous poserai des questions ; mais pour le moment, je veux juste entendre la musique de votre voix.
— Je… je commence par quoi ?
— Le mieux… par le début, votre date de naissance, vos parents…

Alors la jeune fille, après quelques minutes, se met à murmurer. Elle parle de Gaby, de Marinette, de cette belle entente entre tous les trois, de ces années d'études, de ce qui a toujours fait son univers. Elle n'omet pas non plus de discuter de son village, ce coin qui lui manque tant. Aussi de sa rencontre avec Maryse, d'Adrien. Soudain, Odile fait un signe de la main.

— Vous savez, Mademoiselle, que ça fait deux bonnes heures que nous bavardons ?
— Vous voulez dire que je parle ; vous n'avez rien dit.
— Oui, mais j'écoute et je suis vos dires. Votre famille vous manque, c'est certain. Revenez donc demain. Vous me parlerez de ce qui vous amène ici. Là, nous avons fait connaissance toutes les deux. Je vous ai un peu apprivoisée, un peu cernée, mais nous irons un peu plus sur le fond de votre problème.
— Vous pensez que vous pourrez faire quelque chose pour moi ?
— Bien sûr, mais avant toute chose il nous faut identifier la source de vos cauchemars ; c'est primordial. Ensuite, vous verrez que les choses vont s'arranger d'elles-mêmes. Bien, allons voir notre cuisinière en herbe. Le gratin de pâtes doit être cuit.

Juste avant de sortir du cabinet, Catherine se tourne vers la maman de Maryse.

— Merci… merci du fond du cœur. J'espère vraiment que ces mauvais rêves vont s'arrêter.
— J'en suis certaine. Hop, à table ! Maryse, nous voici et nous sommes affamées.

La salle à manger est prête. Les couverts sont dressés et son amie est là. Elle semble impatiente.

— Ben, vous en avez mis un de ces temps ! J'ai cru que j'allais dîner toute seule. Qu'est-ce que tu as bien pu raconter à notre grande psy ?
— Voyons, Maryse, ton amie est ma patiente, et je n'aime pas que l'on parle de mon travail à table. De toute manière elle va revenir tous les soirs pendant un petit moment.
— Ah bon ? Alors tu es aussi un peu siphonnée !

La rousse a jeté ces mots en riant ; tout le monde prend le parti d'en rire. Finalement, le plat de nouilles préparé par la fille de la maison est bon. La salade verte servie avec le fromage est aussi un rappel au pays de Catherine : un munster odorant qui vient de son terroir embaume la table, et ses occupantes ne rechignent pas à le dévorer. La soirée voit le renouveau des relations mère-fille, et finalement tout le monde y trouve son compte.


Depuis plusieurs jours, Frédéric n'a plus d'appétit. Si sa sœur ne dit pas un mot, Alice, elle, s'aperçoit que son gamin ne va pas bien.

— Tu as des problèmes Frédéric ? Qu'est-ce qui ne va pas ? Tu n'es pas malade au moins ?
— Mais non, maman. Je vais bien.
— Je ne crois pas, moi. Tu sais, une mère sent ces choses-là. Tu ne veux pas m'en parler ?
— Je te dis que je vais bien, alors ne t'inquiète pas pour mon manque d'appétit.

Karine n'a pas bronché, mais au fond d'elle-même l'inquiétude est aussi latente. Ce grand benêt qui ne mange plus, qu'est-ce que ça veut dire ? Alors ce soir elle frappe discrètement à la porte de son frangin.

— Bon, à moi tu peux parler, tu sais bien !
— Tu rigoles ? Tu ne vas pas t'y mettre aussi. Je vous ai dit que tout est parfait, alors lâche-moi, tu veux.
— Tu racontes ça à maman ou à papa, pas à moi ! Je sais quand tu racontes des craques.
— Tu veux savoir ? Vraiment ? Alors tant pis pour toi. Je crois que tu nous balades depuis des mois, que tu fréquentes des gens inconnus, que nous ne savons rien de toi, que même ton prénom tu le changes quand tu vas avec tes nouveaux amis.
— Eh bien, je crois que cette fois, il va falloir t'enfermer ! Je te jure que tu es vraiment en train de péter les plombs, mon petit Frédéric. Je crois que tu devrais consulter un médecin avant qu'il ne soit trop tard.
— Karine, je ne suis pas dingue : je t'ai vue ! J'ai repéré la marque de naissance que tu portes sur l'épaule, j'ai parlé au type avec qui tu étais à la piscine. Tu ne lui as pas dit ton vrai prénom.
— Bon, je te laisse à tes délires puisque tu te complais dans ceux-ci.
— C'est ça ; c'est toi la mytho, mais aux yeux de tous je suis un dingue, quoi !
— Je n'en sais rien, mais je suis sûre d'une chose : la seule piscine que je fréquente, c'est celle de grand-père, et mes… amis, hommes ou femmes, m'appellent tous Karine. Maintenant, fais quelque chose, va consulter : il y a un truc qui disjoncte dans ta caboche. Je t'aime, mon frère, mais là j'avoue que tu me fiches la trouille.

La jeune fille sort de la chambre en claquant la porte. Sur son lit, Frédéric, ulcéré par ses mensonges, se tient la tête entre les mains. Comment peut-elle ainsi lui raconter sans sourciller de pareils bobards ? Dire qu'entre eux deux tout avait été toujours parfait serait mentir, évidemment. Mais pour soutenir des trucs aussi… Non, ce n'est plus la Karine avec qui il a passé toute son enfance. Sans aucun doute, sa poitrine qui a pris un volume conséquent, ses hormones de femme lui ont apporté aussi cette rouerie incroyable. Il ne la reconnaît pas. Et pourtant, là encore malgré tout, il a eu cette pointe d'envie qui lui a tendu une partie de son corps qui d'ordinaire ne bronche pas à la vision des membres de sa famille. Il se dit soudain qu'il devrait voir un toubib, oui. Mais pas pour les raisons qu'elle vient d'évoquer, non, juste parce qu'il risque de souffrir d'être amoureux de… sa sœur. Et ça, c'est pas normal.

La nuit qu'il passe est agitée à bien des points de vue. En premier lieu par ses doigts qui manipulent sa tige qui a raidi à l'approche de Karine. Puis ensuite par toutes ces images qui reviennent flotter sous son crâne, l'empêchant de s'endormir. Combien de fois entre éveil et sommeil sa frangine s'est-elle pointée, sourire aux lèvres, arrogante, et les seuls mots qu'elle a prononcés résonnent dans son cerveau en lettres de feu : « Cinglé ! Cinglé ! »

Ces paroles méprisantes roulent encore sous le front du garçon lorsqu'il se réveille. Au petit déjeuner, son père, plongé dans son canard, se sent obligé de faire une réflexion lorsqu'il lève le regard sur son fils :

— Frédéric, mauvaise nuit, ou bien es-tu es ressorti ? J'ai entendu ta porte claquer. Tu as une petite mine. Maman m'a dit que tu n'allais pas bien, mais je constate qu'elle n'a sans doute pas tort.
— Papa, j'ai mal dormi, c'est tout. Tu ne vas pas toi aussi te mettre contre moi avec les gonzesses de la maison ?
— Pas du tout, mais tu t'es vu dans une glace ? Tu ne te drogues pas, au moins ?
— Mais ce n'est pas possible ! Je suis entouré par une bande de fous et c'est moi qu'on traite de dingue. Le monde à l'envers… J'en ai marre !
— Calme-toi, tu veux bien ? Tu peux aussi me parler. La conversation restera entre nous. Et puis si je peux t'aider…
— Pff… Le nombre de gens qui veulent m'aider en ce moment, c'est hallucinant : maman, Karine, toi… Mais merde, je vais BIEN ! Il faut vous le dire en chinois ? Je vois ma frangine en compagnie d'une bande de… enfin, avec des types que je ne connais pas ; elle ne donne pas son vrai prénom à ses nouveaux potes, et je suis au tribunal familial. L'Inquisition qui me juge, en quelque sorte. Vous allez me brûler vif ? Vous voulez quoi ?
— Écoute, Frédéric, il arrive que dans la vie on traverse tous de mauvaises passes. Tiens, je vais te donner le nom d'une de mes anciennes collègues de fac ; elle a ouvert un cabinet sur Nancy. Si tu veux, je lui en touche deux mots pour toi et tu pourras aller la voir.
— C'est quoi encore, ce plan ? Papa, je ne suis pas cinglé, pas cinoque. Je suis sain de corps et d'esprit. Comment dois-je le dire pour être écouté dans cette baraque ?
— Frédéric, ton visage contredit totalement tes paroles. Tu n'es certainement pas fou, mais tu as sûrement un problème passager, et cette… femme peut vraiment t'aider.

Hector s'est levé et fouille dans son portefeuille. Il en sort un billet et un bristol, tend l'ensemble à son fils.

— Tiens. Ton argent de poche, et puis si besoin, une carte de… cette amie. Fais comme tu veux, mais ne reste pas comme ça.
— Mais oui, mais oui… Compte là-dessus, papa !

Frédéric se lève brusquement, paraissant vraiment fâché. Il repasse par sa chambre et sa douche. En s'observant attentivement dans le miroir, il ne peut que constater que sa gueule peut faire peur. Alors il s'habille en vitesse, fourre dans sa poche le billet de son père ; mais la carte qui tombe au sol retient son attention. Il se baisse, ramasse le rectangle blanc et lit le nom et l'adresse : « Madame Odile Redon, Docteur en psychiatrie. » Le reste des lignes noires se perd dans la précipitation du départ du garçon. Il ne songe qu'une seconde que c'est… juste une connerie.


Catherine est revenue plusieurs soirs chez son amie Maryse. Elle passe plus de temps sur le siège d'Odile qu'avec sa copine. La femme s'avère douce, patiente, et lentement la jeune fille s'est ouverte. Elle narre chaque fois un peu plus de sa vie. L'autre, toujours muette, griffonne sur un bloc des choses que la petite Vosgienne ne saura jamais. Cathy livre ses angoisses, expulse ses craintes, fait ressortir les fantômes qui la rongent. Elle s'ouvre comme un bouquin, tentant de se délivrer du mal. Le médecin ne cherche pas à accélérer le mouvement, laissant doucement la jeune femme venir à elle. La jeunette parle aussi de cet Adrien qui prend de plus en plus d'espace dans son esprit.

Puis un soir, enfin, Odile sort de son silence :

— Je crois que vous faites un dédoublement de personnalité. Un peu comme si votre esprit voulait vivre une autre vie. Ce que je ne saisis pas encore – et c'est le fond du problème –, c'est à quand remonte votre traumatisme. Il semble être très lointain dans le temps. Si profondément ancré en vous que vous n'en avez qu'une vague conscience. Excusez ma question abrupte : vous n'avez jamais eu de frère ou de sœur ? Enfin, votre maman n'a jamais fait d'interruption de grossesse, accidentelle ou volontaire ?
— Je ne pense pas… mais on ne parle pas de ces choses à la maison.
— Bien entendu, mais je pense que c'est là que se situe… le nœud de vos cauchemars. Si nous avons une réponse à ces questions, nous aurons une solution et vous serez libérée, une bonne fois pour toutes.
— Vous… vous sous-entendez que ma mère sait quelque chose… qu'il s'est passé un truc dans sa vie ?
— En tout cas, un évènement est arrivé qui semble vous avoir affectée, pour ne pas dire traumatisée. Si nous découvrons ce que c'est, nous serons en mesure de vous guérir.
— Que… que me suggérez-vous, alors ?
— Peut-être devriez-vous inviter vos parents à venir me voir.
— Pour ma mère, ça me semble encore possible ; et pour papa, je doute fort qu'il soit d'accord.
— Procédons par étapes, alors, voulez-vous ? Votre maman vient lors d'une séance en votre compagnie, et nous verrons s'il est besoin de voir votre père.
— Je vais essayer… je vous promets de tenter le coup.
— Bien. Allez, venez, nous en avons fini… pour le moment.

Pour Catherine, en parler l'a soulagée, mais ça reste temporaire. Et certaines nuits le trou noir qui aspire la jeune fille est si profond qu'elle n'ose plus fermer les yeux. Elle attend donc avec impatience les vacances pour discuter avec Marinette. Adrien, à plusieurs reprises, est venu seul la raccompagner. Jamais pourtant il n'a tenté un geste d'approche, un geste de tendresse. Elle l'aurait sans doute laissé faire ; elle se surprend même à penser qu'elle aurait pu répondre à des avances de sa part. Mais rien ! Pas une allusion, pas une tentative pour un bisou du bout des lèvres ! Il se contente toujours de la bouffer des yeux sans jamais aller plus avant dans leur relation. Si cela agace prodigieusement Cathy, elle n'ose pas aborder le sujet ; ça ne se fait pas !

Ce samedi, Maryse la tarabuste depuis le début de l'après-midi pour aller au cinéma ; l'arrivée du garçon finit par décider la jeune Vosgienne. Pas pour le film insipide au possible, plutôt pour que ces deux-là lui fichent la paix. Assise au dernier rang, tout en haut de la salle aux fauteuils de velours rouge, elle se perd un peu dans des pensées moroses. La rousse a pris place à sa gauche, et sur sa droite Adrien a posé ses fesses. Finalement, le film ne l'intéresse que moyennement. Dans cette obscurité, elle est surprise de sentir la main masculine qui, sans avoir l'air de rien, cherche la sienne. Elle ne se défend nullement, et les doigts chauds entrent en contact avec sa paume moite.

De l'autre côté, son amie sourit aux frasques bébêtes d'un type qui, sur l'écran, accumule les âneries. La paluche qui accentue sa pression sur sa patte à elle, elle la trouve plutôt bien agréable. Comme elle a jeté son manteau en travers de ses genoux, cette visiteuse imprévue ne se contente plus de câliner quelques phalanges : non, elle cherche sans complexe un genou, que seul le tissu de sa cape cache aux regards de sa voisine. Alors quand les doigts masculins remontent le long de sa cuisse, elle se contente de serrer plus fort le poignet qui cavale sur elle. L'obscurité de la salle est une alliée de poids pour Adrien. Ses phalanges remontent vite vers le centre des jambes jointes de Catherine ; elle ne fait pas un mouvement. Sa respiration s'arrête un instant. Elle regarde du côté de Maryse, se penche vers elle et lui murmure quelques mots :

— Tu trouves ça chouette ? C'est un peu naze, non ?
— Chut… laisse-moi suivre ! J'adore ce film !

Le fait de se pencher vers sa compagne de siège entrouvre le compas pourtant encore hermétique aux caresses masculines, et l'autre profite de cette ouverture providentielle. Un de ses doigts écarte l'ourlet qui encercle une cuisse. Ce garnement s'insinue sous le tissu, et quand elle se redresse il est sur la toison plaquée par la dentelle. Catherine se contente de soupirer silencieusement ; sa main se crispe sur le poignet du garçon, mais elle ne tire pas en arrière l'avant-bras fureteur. Ayant l'impression qu'elle est d'accord, il poursuit donc ses investigations. Cet index qui se frotte maintenant sur toute la longueur de son sexe n'est pas désagréable ; pire, elle en retire d'étranges sensations.

L'autre jeune fille, à quelques centimètres de ses deux amis, ne s'aperçoit donc de rien ? Les ailes du nez de Cathy frémissent sous l'avancée de cet incroyable attouchement, presque en public. Mais loin de décourager le garçon, elle écarte davantage son entrejambe, facilitant ainsi le glissement sur sa fente de ce doigt inquisiteur. Il ressent cet écart comme une invitation à s'aventurer plus profondément dans la jungle de ce ventre qui maintenant l'affole aussi. Il pose alors sa tête sur l'épaule de la jeune femme. La culotte est mouillée, de cela il en est certain. Et son envie à elle trouve un écho particulier dans le bas de son ventre à lui : désormais il bande.

Sa bite se trouve bien à l'étroit dans ses fringues. D'un geste vif, la fermeture de la braguette glisse sans bruit pour délivrer la queue serrée dans un slip surtendu. La main libre du jeune homme attrape celle qui vainement serre encore son poignet joueur, et délicatement il l'amène vers le centre de son corps dégagé de tout vêtement. Quand, surprise, elle effleure le mandrin, elle n'a qu'une fraction de seconde de recul, mais il la tient bien et elle se retrouve avec une tige raide sous la paume, une chose qu'elle n'a jamais touchée. Maryse, elle, rit comme le reste de la salle aux fredaines du crétin qui crève la toile de ses pitreries ininterrompues.

La main qui se referme sur le sexe d'Adrien est comme une brûlure, comme un plaisir interdit. Et lui ne se contente plus de survoler la chatte pleurante de son amie : il entrouvre délicatement les deux lèvres de cette bouche invisible pour venir en goûter du bout d'un majeur inexpérimenté la texture affolante. Elle a une sorte de soubresaut, mais sa copine prend cela pour un éclat de rire. Pourquoi referme-t-elle sa patte sur le tube qu'elle frôle ? Mystère. Ou bien est-ce parce que les sensations que le garçon lui transmet sont si violentes, que par réflexe… elle veut le croire. Sous sa menotte, la bête chaude tressaille également, et instinctivement elle fait aller et venir sur le mât ses doigts qui montent et descendent.

Adrien s'est raidi suite à cette initiative personnelle de Catherine. Les allers et retours ne durent pas très longtemps ; son entrée manuelle en elle est vite interrompue par cette chaleur douce qui émane de son ventre d'homme. Il ne peut que venir crisper ses deux mains pour arrêter les mouvements de la fille. Elle ne comprend pas de suite qu'il ne veut que stopper les gestes tellement… chauds de cette patte. Pour un peu, elle l'aurait fait éjaculer ; privilège et désagrément de l'inexpérience et de la jeunesse. Pourtant, son envie si longtemps contenue ne demandait qu'à se répandre en larmes blanches sur les doigts de celle qui le branlait.