vous Quand l'élève est prête, le Maître apparaît

L'oiseau bleu (1/2)

Jeudi 1er avril (ce n'est pas une blague)

Assise en tailleur sur mon canapé, je n'arrive pas à quitter l'enveloppe des yeux, ainsi que le papier comportant le lieu, la date et l'heure de rendez-vous :

Hôtel L'Oiseau Bleu
Vendredi 2 avril – 18 h 30.
Présentez-vous à l'accueil et entrez en toute humilité.

Si je passe cette porte, j'entre dans son monde.

« Mais quel monde délicieux, petit agneau… »
« Un monde dangereux ! Tu vas t'y perdre ! »
« Tant que tu n'y entres pas, tu ne sauras pas. »
« Un monde de perversité et de douleur ! »

Mon regard s'attarde sur l'écriture fine et élégante. Je me souviens encore de la force de ses mains sur moi. Le contraste entre la délicatesse de son écriture et la puissance de ses mains est saisissant. Je frissonne de plaisir à ce souvenir.

Je jette un coup d'œil sur l'écran de mon ordinateur. J'ai passé deux soirées à chercher des vidéos de domination et de soumission. La plupart m'a effrayée, révoltée ou écœurée. Dans la majorité des cas les soumis sont humiliés, violentés, dégradés. Leur dignité est piétinée. Pourtant, à la lecture des documents qu'il m'a donnés, je n'arrive pas à l'imaginer comme ça, si du moins il respecte la ligne de conduite qui apparaît dans ces écrits. Je ne sais plus que croire.

« Si j'y vais, pourrai-je faire marche arrière ? Il m'a dit qu'il ne me retiendrait pas. Mais puis-je lui faire confiance ? »

Je reprends les documents dont j'ai rayé certains passages, complété d'autres ou annotés.

« Choix cornélien, petit agneau. Si tu n'y vas pas, tu n'auras jamais tes réponses, susurre Animal. »
« Rien n'indique que tu les auras, même si tu y vas. »

Je finis par jeter les feuilles sur ma table et me lève me préparer un bon bain pour me détendre. J'ai encore du mal à trouver le sommeil, à la fois effrayée et excitée à l'idée de me retrouver seule avec lui à l'hôtel. Il pourrait me faire n'importe quoi. Je m'imagine dans le noir, à la merci de ses désirs, à son entière disposition, livrée à ses caresses…

En y songeant, je me caresse lentement en commençant par mes seins. Je les masse doucement, effleurant mes tétons du bout des doigts, puis une de mes mains descend sur mon ventre, effleure mon pubis et glisse entre mes lèvres. Je soupire en titillant mon clitoris, bien au chaud entre mes lèvres humides. Mon doigt tourne autour de lui, m'arrachant des gémissements intenses.

Dans ma tête, c'est Mathieu qui me caresse le sexe humide, qui glisse ses doigts entre les lèvres en un mouvement lent et profond jusqu'à m'arracher un cri de plaisir… J'ouvre les yeux : je suis seule dans mon bain qui commence à refroidir, les doigts enduits de mon plaisir. Ma main se dirige vers le tiroir du meuble sous le lavabo et en sort un godemichet. Je l'observe sous toutes les coutures : il est bien plus petit que le sexe de Mathieu.

« Je m'en contenterai. »

Je pose les pieds sur les rebords de la baignoire et me caresse les lèvres. Un peu d'eau tiède pénètre dans mon antre. Sans hésitation, je fais glisser le gode en moi en lâchant un profond gémissement. Je le laisse me pénétrer lentement, tout entier. Je ferme les yeux. Derrière mes paupières closes se dessine la silhouette de Mathieu, qui m'observe les bras croisés. Son regard d'obsidienne semble m'encourager à me donner du plaisir devant lui. J'écarte mes lèvres de ma main libre et caresse mon clitoris en imprimant de lents et profonds allers-retours à mon jouet.

Portée par l'eau tiède, je me sens détendue, entièrement focalisée sur mes caresses et le coulissement du gode dans mes chairs. J'aime prendre mon temps, laisser le plaisir monter tranquillement. Je l'enfonce de nouveau entièrement et lui fais décrire de grands cercles dans mes chairs moelleuses. J'ai beau essayer d'imaginer les doigts agiles de Mathieu, je ne parviens pas à prendre du plaisir. Je ressors mon jouet pour le jeter dans le lavabo, et le remplace par mes doigts.

— Aaahhh… Ooooh…
« Tu aimerais qu'il soit là, hein… »
— Oh oui… réponds-je en accélérant mes mouvements.
« Tu aimerais ses doigts en toi… »
— Aaahhh… Mat-thieu… prié-je en enfonçant profondément mes doigts.
« Tu veux te soumettre à lui, et tu vas le faire. »
— Me sou-met-tre… oui…
« Que t'arrive-t-il, petit agneau ? »
« Petit agneau est devenu une grosse cochonne. »

— Oooouiiiiii !

Ma tête est au bord de l'implosion alors que mon corps se cambre avec délice dans l'eau, maintenant froide.

Et là dans ma tête, un déclic : « J'irai à l'Oiseau Bleu… et je me soumettrai à lui ! »

Enveloppée dans mon peignoir, je me prépare une salade composée et me décongèle du pain.

— « Entrez en toute humilité. » Qu'entend-il par-là ? murmuré-je en regardant de nouveau le message.

Je repense au contrat : De ce fait, dès sa présence devant lui, la soumise pourra attendre tous les ordres de son Maître dans une totale posture d'obéissance. Dans une nudité totale, debout, jambes écartées, mains sur la tête, ou à quatre pattes et le front posé sur le sol, les jambes ouvertes et écartées au maximum.

Nue, je dois me présenter nue devant lui, soumise.

— Mon Dieu, je raisonne déjà comme si j'étais sa soumise.
« Mais tu l'es depuis le premier jour, et tu aimes ça. »
« Malheureusement, rien à dire de plus. »

— Oui, j'en meurs d'envie et de trouille…

Plusieurs fois je tends la main vers le téléphone pour appeler Nathalie et lui demander un conseil, mais je connais déjà sa réponse : « Vas-y, tu vas passer un sacré bon moment. » Bien sûr, j'ai envie de sexe, d'aventure, d'inconnu… mais irai-je jusque-là ? Sans parler des conséquences qu'il pourrait y avoir pour mon travail. Si au moins il n'avait pas été mon supérieur… peut-être que ça aurait été plus simple.


Vendredi 2 avril

Je regarde ma montre : dans une heure et quart mon rendez-vous. Je suis tout excitée.

Comme il me l'a écrit, je ne porte rien de plus sous ma robe qu'un porte-jarretelles noir et des bas. Robe qu'il me faudra enlever pour me présenter à lui afin qu'il puisse contempler et accéder à mon intimité comme et quand il le souhaite.

C'est la première fois que je ne porte aucune lingerie sous mes vêtements. Je dois reconnaître que la sensation est très agréable. Je suis surprise de ne pas le voir de la journée, mais j'évite d'interroger mon entourage pour ne pas éveiller les soupçons. Je finis par apprendre qu'il s'est rendu en déplacement chez plusieurs imprimeurs et distributeurs. Pas une seule fois il n'a cherché à me contacter au sujet de ce soir. Un bon point pour lui.

J'apprécie le doux frottement de ma robe sur mes seins qui m'offre une voluptueuse caresse et garde mes tétons tendus toute la journée ; d'ailleurs, les collègues semblent apprécier car je sens leurs regards lubriques me déshabiller. J'en ai même surpris à se lécher les babines comme des loups affamés.

J'ai eu beaucoup de mal à rester concentrée sur la dernière réunion. Je n'ai pas arrêté de jeter des coups d'œil anxieux à la pendule dont les aiguilles avançaient inexorablement alors que la réunion s'éternisait. Richard m'a rappelée deux fois à l'ordre et est même venu me parler avant que je ne quitte la salle.

— Mais qu'est-ce qu'il t'arrive ? me demanda-t-il, inquiet. Tu as l'air à côté de tes pompes aujourd'hui !
— Pardon, Richard. C'est que… commençai-je à répondre.

Je n'ai pas su quoi dire. J'ai vu la silhouette de Mathieu au coin du couloir et me suis retenue de sursauter lorsque je l'ai vu porter son index à ses lèvres si sensuelles. Mon esprit s'est aussi perdu dans un torrent de délices labiaux sur ma peau.

— Eh bien, j'attends ! m'a tancée Richard, me ramenant brutalement à la réalité.
— Excuse-moi, murmurai-je, j'ai passé une mauvaise nuit.
— Repose-toi ce week-end. Je ne veux pas que ça se reproduise. C'est clair ?
— Oui, Richard. J'y veillerai.
— Allez, dit-il en me tapotant l'épaule. File et détends-toi.

« Si seulement il savait ce que sa petite protégée va faire en sortant d'ici, me sermonne Rationnel, que penserait-il de toi ? »
« Qu'elle s'éclate avec un mec d'enfer ! le coupe Animal. Laisse-la vivre, cette petite, enfin quoi ! »
« Tu peux toujours reculer, reprend Rationnel, faisant fi de la remarque de son alter ego lubrique. »
« Pffff… c'est trop tard : non seulement elle va y aller, mais elle va adorer. Et ça, petit agneau, ton Maître le sait déjà. »
« Ça suffit, vous deux ! J'en ai marre ! »

Agacée par leurs débats interminables, je regarde ma montre : ça va être l'heure de partir. Je passe aux toilettes pour vérifier mon maquillage, subtil et léger, et me déshabille. Lorsque je me regarde dans la glace, mon reflet me renvoie l'image excitante de la dépravée que je suis ce soir. J'enfile mon imperméable gris foncé et le ferme correctement avant de filer vers la station de métro.

La rame arrive quand je pose le pied sur le quai, alors je me dépêche de gagner le premier wagon. Il y a beaucoup de monde et nous sommes serrés les uns contre les autres. Je me demande si les hommes autour de moi qui me pressent contre eux s'imaginent comment je suis habillée, ce que je m'apprête à faire. Certains, j'en suis sûre, me traiteraient de salope ; d'autres en seraient sûrement très excités.

À chaque arrêt il monte un peu plus de monde ; nous nous serrons de plus en plus. Soudain je sens une main m'effleurer discrètement la poitrine. Je tressaille mais n'ose pas relever les yeux. Voyant sans doute que je ne réagis pas, la main se faufile à l'intérieur de mon imper. J'entends un « Oh ! » de surprise de son propriétaire lorsqu'il découvre ma poitrine nue. Ses caresses se font plus fortes, m'écrasant un sein puis l'autre. Il me murmure que je suis une petite salope de me balader comme ça. Il me pince les tétons puis disparaît à une station de la mienne.

Je soupire de soulagement en me rapprochant de la porte. Je resserre les bras autour de moi et patiente jusqu'à mon arrêt. Lorsque enfin nous arrivons à ma station, je me précipite vers la sortie dès l'ouverture des portes, soulagée d'en être sortie. Je regarde derrière moi : les portes du wagon se ferment et la rame repart.

« Est-ce que ces attouchements sont un avertissement de ce que je risque de devenir ? »

C'est quand même flippant. J'ai sans doute fait une erreur en venant ici. Je pourrais changer de quai et repartir dans l'autre sens.

Presque malgré moi, mes pas me portent vers la sortie. Le vent frais me fait du bien et me permet de me ressaisir. Il me faudra une dizaine de minutes pour rejoindre l'hôtel à pied.

Je me retrouve sur la place J***, à deux pas de l'hôtel. Inspirant profondément, je me dirige vers la rue B***.

L'Oiseau Bleu est un petit hôtel discret, dans une rue peu fréquentée. Je suis allée à la pêche aux infos sur le net. Il a fallu que je m'inscrive à leur newsletter pour avoir des informations complètes. Il semble être le rendez-vous des amoureux de l'après-midi ou des couples adultères. Un hôtel discret où les chambres peuvent être louées à l'heure ou à la nuit. Je me demande pour combien de temps mon hôte l'a louée.

« Tu peux encore faire marche arrière ; il n'est pas trop tard… »
« Oh si, petit agneau va s'offrir au grand méchant loup. Tu ne peux plus rien y faire. »
« N'y va pas ! N'y va… »
« LA FERME ! »

Je m'arrête un instant devant les doubles portes. Je pourrais faire demi-tour et rentrer chez moi, me prendre une bonne cuite et cuver tout le week-end.

« Tu veux te rendre malade ou quoi ? »
« Pour le coup, il a raison : t'es pas drôle quand t'es saoule. Tu dors, c'est nul. »
« Mouais, pas faux. »

Prenant une profonde inspiration je pousse la porte, jette un coup d'œil dans le hall… ouf, il est désert. Je me dirige vers le réceptionniste et lui demande la chambre vingt-trois. Âgé d'une cinquantaine d'années, il a dû en voir défiler des couples adultères, des coups d'un soir ou d'un après-midi. Il me sourit, d'un air aussi complice que bienveillant.

— Premier étage, au fond du couloir à droite. Je crois que vous êtes attendue, Mademoiselle.
— Merci.
— Bonne soirée.

J'esquisse un sourire et me dirige vers l'escalier. Je me force à prendre mon temps pour monter les marches : mon Rationnel me dicte de fuir en courant, ma Libido de les grimper quatre à quatre, ce que mes talons ne me permettent pas. Je sens mes jambes flageoler en arrivant à l'étage.

« La dernière porte à droite. »

J'ai l'impression que ce couloir fait un kilomètre.

Me voilà devant la porte entrebâillée de la chambre vingt-trois. Je pose la main sur la poignée dorée. J'hésite à franchir le pas. Si j'entre, je ne pourrai plus faire marche arrière…

La porte s'ouvre lentement.

Un doux parfum d'encens flotte dans la chambre plongée dans la pénombre. J'avance dans un petit couloir après avoir fermé la porte. Sous mes pieds, je sens un tapis épais, souple. Un morceau de musique classique flotte dans l'air ; je le connais, mais je n'arrive pas à mettre un titre dessus. J'arrive dans la chambre proprement dite : une grande pièce, éclairée de bougies un peu partout. Des coussins jonchent le sol. Des meubles près des fenêtres dont les rideaux tirés ne laissent filtrer que peu de lumière.

Promenant mon regard dans toute la pièce, je tombe enfin sur lui : debout, dos à la fenêtre, un verre à la main. Bien qu'il soit dans la pénombre, je devine plus que je ne le vois son regard perçant sur moi, qui me tétanise à nouveau.

« Entrez en toute humilité. »

Je fais glisser la ceinture de mon imperméable dans les passants et en défais lentement les boutons. J'ai besoin de prendre mon temps pour me rassurer un peu. Je laisse tomber mon vêtement au sol ; il s'étale autour de mes pieds comme la corolle d'une fleur. Instinctivement, je glisse mes mains dans mon dos et garde les yeux baissés. Je le connais à peine mais il m'impressionne, comme s'il avait pris l'ascendant sur moi dès notre première rencontre.

Seulement vêtue d'une paire de bas noirs et d'un porte-jarretelles, je m'agenouille sur l'épaisse moquette et, la tête baissée, lève mes poignets croisés l'un sur l'autre dans sa direction.

— C'est en toute conscience et en pleine acceptation que je me présente à vous comme votre soumise fidèle et dévouée.

Si un jour on m'avait dit que je me soumettrais sexuellement et spirituellement ainsi à un homme, j'aurais éclaté de rire.