Chapitre 2

Le miroir renvoyait l'image d'une drôle de fille au regard interrogateur, comme si elle se demandait effectivement si c'était bien là son habituel reflet devant elle. Quelque chose avait changé, mais elle ne saurait dire quoi. Elle se fit un sourire. Puis ouvrit grand la bouche, loucha sur ses dents, ne constata pas de problèmes de ce côté-ci, écarquilla les yeux pour en observer le blanc, tourna à demi la tête sans se quitter du regard, et en était là de ses grimaces lorsque Christelle, sa collègue, entra dans les toilettes.

— Ah, salut Cassie ! lança-t-elle avec désinvolture en ouvrant la porte d'une cabine.

Le geste resta figé tandis qu'elle penchait la tête pour mieux voir sa collègue, qui avait pris une mine revêche de circonstance.

— Qu'est-ce que tu faisais ? s'étonna-t-elle.

Cassie essaya de cacher sa gêne.

— Rien, rien, marmonna-t-elle en ouvrant le robinet d'eau froide.

Du coin de l'œil, elle vit Christelle s'approcher d'elle d'un air perplexe.

— C'est curieux, annonça-t-elle en l'examinant attentivement, j'ai l'impression que tu es différente, mais je ne saurais pas dire pourquoi.

Cassie se prit à penser qu'elle ferait mieux de s'occuper de ses affaires, mais haussa les épaules dans un simulacre de gaieté, continuant à se laver les mains.

— Oh, tu sais, j'ai fait une rencontre dans le train hier ; j'en suis encore toute chamboulée. Un homme merveilleux !

La perplexité de Christelle se mua en un regard vide et profondément imbécile. Petite trentaine, cul serré dans des jeans moulants et blouse imprimée léopard, le fond de teint et le rouge à lèvres épais, une fourrageuse permanente fixant ses cheveux méchés de blond et de noir, Christelle était ce qu'on pouvait appeler une pétasse psychotique, alternant les rumeurs les plus crasses aux observations les plus naïves, relents de son angoisse à laisser échapper le réel dans une continuelle perte de contrôle. Tout savoir ou tout deviner sur tout le monde faisait partie intégrante de sa personnalité, tant elle craignait de se retrouver dans une situation humiliante, dégradante ou non conforme à la haute idée qu'elle se faisait d'elle-même.

Par exemple, elle proposait toujours aux autres de leur offrir un café quand elle s'en servait un à la machine, de peur qu'on le lui demande et qu'elle se retrouve comme qui dirait en statut de serveuse – ce qui était dégradant. Elle posait, de la même manière, autant de questions bêtes et insignifiantes afin de s'entendre répondre qu'elle connaissait les réponses, ou qu'au moins ces dernières correspondaient à celles qu'elle se représentait – ce qui la rassurait.
Enfin, elle aimait colporter les plus viles rumeurs, souvent emballées d'un joli papier cadeau « jem'inquiètepourellemais », ce qui, à ses propres yeux, la dédouanait du tort qu'elle pourrait éventuellement causer, puisqu'elle opérait avec bienveillance.

— Tu as rencontré quelqu'un ? balbutia miss fausses boucles.

Cassie ne put contenir son sourire satisfait.

— Eh oui ! confirma-t-elle en s'essuyant les mains.

Christelle plissa ses yeux tout en jaugeant Cassie du regard.

— Qu'as-tu à la lèvre ? demanda-t-elle, sans songer une seconde que ses questions pouvaient passer pour un désagréable interrogatoire.

Instinctivement, Cassie porta un doigt à sa bouche tuméfiée qu'Éric avait dévorée et mordue ardemment la veille. Elle devrait sans doute éprouver de l'embarras, avoir honte ou peur de ce rapport de force intime et passionnel, et pourtant… seule demeurait l'immense joie de vivre une relation exceptionnelle. Il lui arrivait enfin quelque chose, à elle, Cassie Martinez !

— C'est ce fichu gamin, celui de ma frangine, mentit Cassie en se dirigeant vers la sortie. Il s'est relevé au moment où je me penchais et…
— Cassie, tu es sûre qu'il est fiable, ton type ? insista Christelle avec toutes les apparences de la préoccupation amicale.

Cassie se raidit.

— Que veux-tu dire ?
— Oh, je ne sais pas… Un homme dans un train, tu as dit ? Peut-on jamais faire confiance aux gens que l'on rencontre comme ça, par hasard ? Tu ne le connais pas…
— Il faut bien les rencontrer au moins une fois pour pouvoir les connaître, rétorqua Cassie d'un ton acide.
— Cassie chérie, voyons… tu t'es vue ? Il n'a certainement pas de bonnes intentions, tu sais… Les mecs, j'en connais un rayon !

« Ben oui, salope, contrairement à moi qui ne suis qu'une grosse vache, c'est ça ? » pensa Cassie en fusillant sa collègue du regard.

— Je me suis vue… Quoi ? Tu insinues que je ne pourrais pas faire de belles rencontres ? ironisa la jeune femme.
— Non, non, pas du tout… Il est comment ? Un peu biscornu ou… un peu laid ? Il porte de grosses lunettes ?
— Non, c'est un écrivain. Plutôt bel homme, figure-toi.

Christelle, occupée à se repasser du rouge à lèvres sur sa bouche déjà écarlate, envoya un regard de commisération à Cassie dans le miroir.

— Chérie, se désola-t-elle, laisse tomber, il est louche.
— De quoi te mêles-tu, Christelle ?
— Oh, écoute, je ne disais ça que pour ton bien, ma cocotte, laissa tomber Christelle un peu sèchement. Comment peux-tu croire qu'un bel homme, écrivain de surcroît, puisse avoir le coup de foudre pour toi lors d'un bref voyage en train ?

Cassie se retourna vers son interlocutrice et la toisa de toute sa hauteur. En effet, la bombasse aux fausses créoles et aux vrais airs de salope mesurait bien quinze centimètres de moins qu'elle. Sa collègue battit en retraite jusque dans la cabine.

— Mais bon, pense ce que tu veux ; tu sais, ça ne me regarde pas. Fais juste bien attention à toi : il peut être dangereux, ce type !

Le bruit de la porte se refermant brutalement fit sursauter Cassie. Pendant que Christelle essayait de se débattre dans son jean enfilé au chausse-pied, Cassie, furieuse, passa devant la porte et lança à voix basse et fielleuse :

— Putain de connasse.
— Tu m'as parlé, Cassie ?… Cassie ?


Arrivée dans son trois-pièces ce soir-là, épuisée par sa journée de boulot et toujours en colère contre sa pourriture de collègue, Cassie prit le temps de se servir un verre de vin qu'elle dégusta avec un paquet de cacahuètes, songeuse. Quelque pensée obscure se formait dans son esprit ; elle n'arrivait pas à se concentrer suffisamment pour la formuler de façon claire. Le souvenir du baiser de la veille parasitait sa réflexion…

— Cassie, on se reverra, n'est-ce pas ?
— Oui, bien sûr, Éric…

Et sa langue avait cherché la sienne, et son souffle s'était mêlé au sien, et ses doigts avaient glissé dans ses cheveux blonds en une voluptueuse cajolerie. Sa bouche avait le goût de café, de tabac, une odeur de mâle puissant, attractif ; la suavité de sa langue, la brûlure de ses lèvres ardentes avaient achevé de la faire chavirer.
Désormais faible esquif de chair et de désir, Cassie avait noyé son regard dans le sien, comme pour imprimer sur sa rétine le moindre détail de ce visage tout en angles et arrondis sensuels.

— Tiens… voici ma carte de visite, avait murmuré Éric après cette étreinte fougueuse, en plein milieu du quai sale et puant de la gare Montparnasse. Tu peux m'appeler quand tu veux.
— D'accord, avait balbutié Cassie. Éric… attends !

Elle avait fouillé, fébrile, dans sa poche de manteau jusqu'à ce qu'elle trouve un stylo. D'une main un peu tremblante, elle avait saisi la paume d'Éric, l'avait embrassée en le regardant droit dans les yeux, puis avait rapidement noté son numéro de téléphone au dos de sa main virile.

— Tiens. Si tu n'appelles pas… je le ferai.

Éric lui avait souri, d'un air franc. Une dernière caresse sur ses cheveux, et il s'était reculé.

— Sois sans crainte, Cassie… À bientôt ; porte-toi bien.

Elle l'avait suivi des yeux tandis qu'il s'éloignait dans la foule bruyante, descendait rapidement les escaliers et prenait la sortie extérieure sans un regard en arrière. Mollement, Cassie s'était engagée vers les bas-fonds de la gare, en direction du métro, parmi les effluves parfumés de jus de fruit provenant des vendeurs de smoothies hors de prix.

Et maintenant elle était là, dans son salon, et avait du mal à croire qu'elle n'avait pas rêvé. La magie de cette rencontre commençait à s'estomper pour laisser place aux doutes. Le poison Christelledemoncul faisait apparemment son effet. « Salope ! » jura-t-elle encore une fois. En quoi était-ce si difficile d'imaginer qu'elle puisse plaire à quelqu'un ? Qu'elle aussi puisse faire des rencontres extraordinaires, et peut-être trouver l'amour ?

Le cœur battant, elle gagna la salle de bain, se déshabilla, et pour la première fois depuis des années prit le temps de s'observer dans le miroir sous toutes les coutures. Le spectacle était désolant. La graisse de ses cuisses lourdes et de ses larges fesses lui répugna ; quant à ses gros seins qui pendaient, impossible de les trouver un tant soit peu jolis.

Démoralisée, elle se fit couler un bain, et en attendant que sa baignoire se remplisse, passa un peignoir. Installée devant son ordinateur, elle eut envie d'écouter de la musique et cliqua sur sa playlist Happiness, de Sébastien Schuller.
Elle surfait sur le net à la recherche de quelques informations sur Éric lorsqu'elle entendit la sonnette de l'entrée à travers ses écouteurs.

— Salut, fit simplement Éric lorsqu'elle ouvrit le battant.

Cassie s'appuya sur le chambranle en dévorant l'homme du regard. Chaque détail de sa personne se gravait dans sa mémoire au fur et à mesure que ses yeux se posaient sur sa petite barbe de quelques jours, le revers de sa veste dont un bord était mal plié, le fouillis de poils qui débordait de l'encolure en V de son pull bleu marine, le gonflé appétissant de son entrejambe, perceptible à travers le pantalon de toile beige, ses mains, qu'elle savait douces et précises lorsque ses doigts effleuraient sa peau… enfin son regard erra vers le haut du visage et rencontra celui d'Éric, intense, plein de promesses mêlées d'espoir ; et finit par tomber sur la ligne souriante de ses lèvres à l'ourlé si doux.

La jeune femme aurait pu lui demander ce qu'il fichait là et comment il l'avait trouvée ; finalement, ces explications s'avéreraient tellement dérisoires face au déferlement d'émotions qui l'envahissait… La cale était percée, l'eau s'insinuait de tous côtés… À nouveau elle devenait ce frêle esquif tremblant dans la houle du désir, dont Éric semblait le seul commandant à bord.

Inutile de décrire l'infime son que produisent les bruissements d'étoffes lorsque les vêtements tombent à terre, ou les bouches lorsqu'elles se cherchent en d'enfiévrés baisers de sel. Inutile d'évoquer ces incontrôlables mouvements de pudeur au moment où les doigts glissent tels des rubans de feu jusqu'aux plus chaudes intimités lourdes de plénitude… puis plus bas, humides des sucs irrépressibles de l'envie, quand les corps deviennent juste le véhicule absolu dont se sert la passion pour s'épanouir.
Et lorsque ces réflexes avortés d'une maigre résistance s'évanouissent dans le tourment des flammes, ne reste plus que le vacarme de l'âme au plein rugissement de son plaisir.

Inutile, oui, car la puissance de l'instant se perd toujours au creux d'une étreinte muette, une étreinte aussi vieille que le monde.


— Je suis assez surprise, murmura Cassie en soufflant sur un minuscule nuage de mousse qui se perdit sur l'abondance de sa poitrine.

À l'autre bout de la longue baignoire XXL, Éric riva ses yeux aux siens, souriant, détendu.

— De quoi ?
— De ce qui vient de se passer entre nous…

Éric sembla songeur. Sous la surface, ses pieds frôlèrent l'intérieur des cuisses de Cassie, la faisant frémir.

— Développe… l'encouragea-t-il.
— Je ne sais pas comment dire… c'est compliqué.
— Alors dis-le simplement, suggéra l'homme de sa belle voix grave, amusée.
— Pourquoi moi ?
— Tu es magnifique.
— Même si c'était le cas, des femmes magnifiques, tu dois en croiser des tonnes.
— Non, pas du tout. J'aime ton corps… tu es merveilleuse.

Cassie rosit de plaisir. Coquine, elle glissa ses mains dans l'eau chaude et caressa les genoux ronds, pileux, sensibles. Éric parut apprécier… surtout lorsque ses ongles remontèrent les muscles de ses cuisses pour aller se perdre tout près de sa sensible paire de couilles.

— D'autres étonnements ? murmura Éric, les yeux mi-clos.
— Hum… quelques-uns…
— Comme ?
— Pas l'ombre d'un fouet, d'une paire de menottes ou d'autres choses exotiques.

Éric poussa un lourd soupir puis rouvrit tout à fait les yeux pour contempler Cassie. Les cheveux noués sur le dessus de sa tête, la peau brillant d'humidité et les seins flottant dans la mousse, il la trouvait irrésistible. Elle le dévisagea sans gêne.

— Je peux faire sans, répondit-il, soutenant son regard.
— Je vois.
— Et toi ?
— Aussi.
— Mais tu préfères… ?
— Je n'en sais absolument rien. Je n'ai pas pratiqué ce genre de… chose. J'ai juste… lu des livres. Un tas de livres.
— Je vois… une novice, somme toute.
— Si on veut, oui.
— Tu voudrais que je sois ton initiateur ?

Cassie détourna les yeux.

— Je ne sais pas, se borna-t-elle à répondre. Tu comptes revenir ?

Éric parut stupéfait.

— Évidemment !… Enfin, si tu le veux bien.
— Pourquoi ?

Les yeux bruns d'Éric s'écarquillèrent davantage.

— Comment ça, pourquoi ? Tu ne vois pas ce qui se passe entre nous ?
— Bien sûr que si, mais…
— Pourquoi ces réticences ? Que me caches-tu ?
— Ce que je te cache ? rétorqua-t-elle en plantant ses yeux dans les siens. Tu ne manques pas d'air, non ? Sur ta page officielle, il est dit que tu es marié.

Éric garda soudain le silence. Cependant, il ne baissa pas les yeux.

— Ah… fit-il enfin.
— Oui… ah.
— Tu as cherché…
— Ben oui, bien sûr.
— Tu n'avais pas confiance ?
— Je ne te connais pas.

Court silence.

— Après ce que nous avons vécu, je trouve qu'on se connaît bien, maintenant, argua Éric.
— Oui, bon, soit. Voudras-tu revenir, donc ?
— Je t'ai déjà répondu à ce sujet.
— Je crois que je t'aime.

Éric se racla la gorge, puis sembla s'absorber dans la contemplation de la mousse qui s'évanouissait en frémissant dans l'eau du bain. Lorsqu'il regarda à nouveau Cassie, qui attendait, le cœur au bord des lèvres, son visage était grave, mais serein.

— Je crois que je t'aime aussi, dit-il simplement, l'air ému. C'est complètement fou. Je ne te connaissais pas hier matin, lorsque je me suis levé. Et désormais… je ne peux plus imaginer vivre sans toi.
— Pareil… Qu'est-ce qu'on va faire ? Tu vas divorcer ?

Pour la première fois, un embarras manifeste vint gâcher les beaux traits de son amant.
C'est avec toute la peine du monde qu'il laissa échapper :

— Je ne peux pas.
— Pourquoi ?
— J'ai promis.

Cassie fronça les sourcils.

— À qui ? insista-t-elle.
— Mes enfants… ils sont encore petits, tu sais.

Cassie sentit une grosse boule indigeste se former dans sa gorge. Les yeux piquants de larmes, elle jeta sèchement :

— Alors pourquoi m'avoir draguée dans ce train ?
— Cassie… je ne t'ai pas draguée…
— Bien sûr que si.
— Non, j'ai parlé avec toi, nuance. Puis… il s'est passé quelque chose… je ne sais pas.

Cassie saisit fermement les bords de la baignoire, se leva et sortit du bain, animée d'une rage comme elle en avait rarement ressentie.

— Cassie… protesta Éric, les yeux tristes. Je t'en prie…
— Tu aimes ta femme ? réussit à articuler Cassie entre deux sanglots rentrés.
— Non.
— C'est déjà ça…

La jeune femme attrapa son peignoir et abandonna son amant, commandant sans navire, naufragé dans la mousse de sa baignoire.

Il la rejoignit quelques instants plus tard. Ses pieds nus laissaient des empreintes humides sur le tapis épais du salon. Cassie fumait nerveusement devant son ordinateur et avait repris ses écouteurs. Elle sursauta lorsqu'il effleura délicatement son épaule. Le regard mitraillette qu'elle lui lança affligea davantage l'écrivain.

— Cassie, cessons de nous disputer, tu veux bien ? supplia Éric.
— Je ne t'entends pas.

Il fit mine de lui ôter son casque, provoquant chez Cassie un mouvement de colère. Elle le repoussa si violemment que ses écouteurs tombèrent. Assombri, Éric la saisit par les épaules, très fermement cette fois, et l'obligea à se dresser devant lui. Haletante, les yeux lançant des éclairs, Cassie le mesura du regard. Il la trouva tellement belle que sa bouche trouva d'instinct celle de sa maîtresse en un baiser farouche. Les lèvres brûlantes d'insultes avortées s'ouvrirent toutes seules sous la poussée impérieuse de sa langue.

Dans un grognement étouffé, Éric serra la jeune femme contre lui. Amollie contre son corps chaud, elle ne réagit pas, répondant même à son cuisant baiser. Sous le coup de cette brûlante réponse, Éric sentit monter en elle un désir sauvage qui le surprit et le déstabilisa une fraction de seconde. Cassie en profita pour se dégager de son étreinte brusque. La gifle qu'elle lui colla en pleine poire alluma un incendie puissant chez l'homme. Atteint dans sa virilité, il agrippa les poignets de Cassie dans un étau implacable.

— Espèce de…

Le souffle court de la jeune femme, ses yeux agrandis et luisants d'excitation semblaient autant d'indices du déchaînement nerveux qui l'étreignait. Éric écrasa encore une fois ses lèvres sur les siennes, et ils s'embrassèrent avec passion durant de longues minutes.

La respiration coupée, Éric s'éloigna un instant pour saisir la cigarette à moitié éteinte des doigts de Cassie et la jeta négligemment dans le cendrier, puis il accrocha sa nuque encore humide du bain, forçant peu à peu la jeune femme à s'étendre sur le bureau.

Leurs yeux se croisèrent. Le combat muet mais fiévreux qui les animait avivait leurs regards et cinglait leurs gestes tandis que l'homme laissait tomber la serviette ceignant ses reins et divisait les cuisses charnues de Cassie pour buter séance tenante dans son sexe. Il était mouillé et entrouvert. Éric n'eut aucun mal à s'y enfoncer profondément.

Cassie émit une espèce de borborygme excité, attirant aussitôt au plus loin dans son antre d'un ample mouvement de hanches le membre dressé. Haletant, Éric la fixa droit dans les yeux tout en entamant de frénétiques saccades au plus chaud de son ventre. La claque qu'il lui décocha sur une fesse entraîna un sursaut surpris en elle, et à travers les mèches folles de ses cheveux dénoués, elle l'interrogea du regard.

— Je t'aime, gémit-il seulement, comme si cela suffisait à tout excuser.

Et il recommença à la fesser avec régularité tout en la pilonnant vigoureusement, ce qui ne sembla pas déplaire à sa maîtresse. Les pieds solidement accrochés autour de l'homme, Cassie exposait sans plus aucune pudeur la mollesse dilatée et tendre, rosie par l'effort, de son corps étendu sur le bois froid du bureau. Elle frottait indécemment ses formes opulentes contre Éric, sans plus penser à rien ; seule comptait désormais la houle puissante qui la galvanisait au plus profond de son être.

Seule comptait, oui, cette démente étreinte que lui offrait Éric qui, les yeux dans les siens, la conduisait assurément au bord de ce plaisir fou qu'elle avait expérimenté seulement une heure auparavant. C'était la première fois dans sa courte vie que, sans mots, sans promesses – voire sans préliminaires – elle ressentait ce besoin de jouir qui lui faisait tout oublier, même les courbatures et les douleurs dues à l'inconfortable position.

Éric se pencha et embrassa ses larges mamelons qui se dressèrent sous sa langue, puis il les mordilla. Faisant remonter sa bouche pour conquérir celle de la jeune femme, il se mit à pincer les tétons sensibles. Cassie ne tarda pas à jouir comme une folle, le postérieur rougi, les sens en déroute, et bousculée dans toutes ses certitudes. Ses cris ne furent pas qu'un pâle écho inachevé de son torrentiel orgasme ; ils exprimaient toute la difficulté que cette relation pulsionnelle aurait à vivre, ce mélange de douleur et de plaisir qui la ravageait à cet instant précis, faisant fi de ses principes et de son éducation. Qui était-elle ? Comment se penser en tant que Cassie maintenant qu'elle se savait différente, maintenant qu'un homme comme Éric, un inconnu la veille encore, était en train de jouir en elle sans préservatif ? Comment avait-elle pu en arriver là, elle qui n'avait jamais supporté qu'un homme lève la main sur elle ?

Paradoxalement songeuse dans son délire paroxysmique, Cassie serra son amant contre elle, absorbant ses gémissements de plaisir comme la prêtresse écoute religieusement le chant sacré du temple. Éric venait soit de la corrompre, psychologiquement et physiquement, soit de la mener vers elle-même. Encore tremblante, les membres lourds de félicité, Cassie reniflait l'odeur de sueur de son partenaire tandis qu'il reprenait doucement conscience, avachi sur elle, soufflant comme un bœuf. Le parfum de cet homme était enivrant. Elle embrassa son épaule moite ; il bougea un peu, et leurs yeux se croisèrent à nouveau… elle lut dans son regard ce désordre mêlé de perplexité et de fascination qui avait déjà été le sien lors de leurs deux premiers rapports sexuels.

— Tu es exceptionnelle… murmura Éric tout doucement.

Cassie lui sourit.

— Je ne savais pas que je l'étais… osa-t-elle faire remarquer, exprimant ainsi beaucoup de modestie.
— J'espère que maintenant… tu es au courant, répondit-il en lui souriant avec tendresse.

Éric se redressa en grimaçant, libérant de son poids la jeune femme. Ignorant les zones douloureuses, Cassie parvint à asseoir sa corpulence flasque. Éric lui prit la main et baisa le bout de ses doigts avant de glisser de longs baisers mouillés dans son cou et sur ses seins.

— Qu'allons-nous faire maintenant ? demanda Cassie.
— Vivre, déclara juste Éric en la contemplant intensément.