Chapitre 5

Le lendemain matin, la raison lui était revenue avec tant de force qu'elle s'injuria toute seule à voix haute pendant une heure entière, allumant clope sur clope et tournant en rond dans son petit appartement. Elle essaya de joindre plusieurs fois l'homme de sa vie, mais ne réussit qu'à parler à son glacial répondeur. Déprimée, elle posa le bouquet de roses rouges sur son oreiller et s'allongea à côté, le contemplant en essayant de ne pas trop pleurer. Les fleurs étaient magnifiques, explosant de senteurs et de couleurs. Cassie se noya dans leur parfum lourd, puissant, et finit par se rendormir.

La sonnette de l'entrée la tira d'un sommeil agité de cauchemars. Mal réveillée, elle tituba jusqu'à la porte et l'ouvrit brutalement. Son sourire s'évanouit : Philippe se tenait sur le seuil, détendu, souriant, en bermuda kaki et petite chemise blanche.

— Salut, princesse, lança-t-il joyeusement en entrant d'autorité.
— Que fais-tu ici, Philippe ? demanda Cassie d'une voix morne. Je t'avoue que ce n'est pas trop le moment, là…

Mais les yeux de son amant brillaient de mille feux lorsqu'ils se posèrent sur elle.

— C'est la première fois que je te surprends au saut du lit, dit-il, ému. Tu es superbe.

Ses mains se glissèrent sous sa robe d'intérieur rose. Leur contact froid sur sa peau nue fit désagréablement frissonner Cassie. Ces caresses agressaient son corps tels les glissements du plat d'un couteau… Elle repoussa doucement son patron et fit volte-face.

— Tu veux du café ? proposa-t-elle avec légèreté. J'en ai besoin, en tout cas.
— Moui, pourquoi pas…

Ils burent leurs tasses en se toisant du regard.

— Écoute, Philippe… Je crois qu'on devrait arrêter, maintenant, assura soudain Cassie d'une voix ferme.
— Arrêter quoi ? s'étonna Philippe.
— Tu ne devrais pas être ici, insista la jeune femme. On avait convenu de certaines choses…
— Oui, mais tu me manques trop, au boulot, avoua l'homme d'un air fiévreux. J'ai besoin de ta peau, de ton parfum…
— Philippe, gronda Cassie, j'aime un autre homme. Tu le sais.
— Je m'en fous. Je suis marié ; on s'en fout de tout ça, haleta son boss en se levant. Ce qui compte, c'est de pouvoir te toucher, te humer… m'enfoncer en toi…

Cassie sentit le rouge monter à ses joues.

— J'aimerais qu'on arrête, redit-elle, comme pour se convaincre elle-même.
— Non, je ne crois pas, répondit Philippe en plissant les yeux. Viens, approche.

Comme dans un rêve, Cassie se vit effectivement avancer vers lui. Philippe l'embrassa à pleine bouche. Sa langue invasive avait le goût de café et de clope, à moins que ça ne vienne d'elle… dans tous les cas, elle aurait aimé le repousser, mais le désir commençait déjà à battre dans ses veines telle une longue pulsation hypnotique. La jeune femme se serra contre le corps de son patron et ses mains agrippèrent ses cheveux tandis que leur baiser se prolongeait. Philippe ricana. Ses mains se faufilèrent à nouveau sous le vêtement épais, happant les seins dans leurs paumes, pinçant les tétons, caressant et tâtant leur courbe lourde… Cassie ferma les yeux, le souffle court, frémissant sous les doigts experts de son boss.

— D'accord… capitula-t-elle. Mais c'est la dernière fois, tu m'entends ? Aaah…

L'homme s'était penché pour lui mordiller sauvagement la poitrine. Cassie se dandina, vaincue, consumée par l'envie d'être prise comme une chienne. Philippe la caressa de plus en plus intimement, pour finir par enfoncer ses doigts ici et là, ce qui fit crier Cassie.

— T'aimes ça, salope, hein ? éructa-t-il, les yeux écarquillés comme un fou.

La jeune femme lui retourna un drôle de regard.

— Non, mais, ça va pas ? se hérissa-t-elle en le repoussant. Pourquoi tu me parles comme ça ?

Philippe cilla nerveusement puis sembla se reprendre. Il observa attentivement Cassie, laquelle sentit ce regard critique glisser sur elle comme une insulte.

— Excuse-moi, déclara-t-il d'une voix étrangement indifférente. Je ne sais pas ce qui m'a pris…

Cassie resserra machinalement la ceinture de sa robe d'intérieur autour d'elle et lui jeta un coup d'œil un peu inquiet.

— Bon, tu veux que je revienne bosser ou… je sais pas ?

Philippe recula de plusieurs pas, eut un regard circulaire sur la pièce puis sur Cassie, et elle devina qu'il se demandait ce qu'il fichait là, en définitive.

— Non, non, pas du tout, rétorqua son patron en se redressant de toute sa stature. Ça ira bien maintenant ; on n'a plus besoin de toi.

Comment ça, on n'avait plus besoin d'elle ? Cassie ouvrit la bouche, mais il ne la laissa pas parler.

— Oh, Cassie, au fait… évite les viennoiseries : on dirait que tu reprends du poids, lança Philippe d'un ton très impersonnel, tout en s'en revenant vers le vestibule.

Cassie referma la bouche, blessée, tandis que la porte d'entrée claquait derrière lui. Elle ne bougea pas, toute raide contre sa table de cuisine. Elle se sentait salie, trompée… laide, laide, laide. Grosse et laide.

Elle finit par bouger et alla se coucher lentement sur son lit. Les roses rouges d'Éric captèrent son attention… leurs pétales ourlés et froncés faisaient triste mine. Elles étaient déjà en train de faner, comme si leur merveilleuse et éphémère explosion de couleurs et de senteurs avait été leur chant du cygne.


Dix jours s'écoulèrent, comme écartés de l'aube au crépuscule en un étirement maximum. Dix interminables journées que Cassie occupa à diverses activités inintéressantes au possible, davantage pour combler le vide généré par ce grand écart quotidien que motivée par un quelconque besoin.

Manger. Beaucoup. Dormir. Beaucoup. Paresser. Trop. Au dixième jour, Cassie jeta l'éponge ; elle n'en avait plus rien à foutre de la vie. Elle passa rapidement une robe fleurie constellée de taches, jeta quelques mots sur une enveloppe décachetée, et par habitude saisit son sac avant de sortir précipitamment de son appartement. Aveuglée par la lumière directe de ce soleil qu'elle n'avait pas vu depuis plus d'une semaine, elle colla sa main comme une visière sur son front moite, se repérant dans le fatras bruyant de la rue. Déterminée, à demi délirante, elle prit le chemin de son travail. Quels qu'aient été ses objectifs à cet instant, ils n'étaient ni gais ni lumineux, dans cette chaleur d'été suffocante. Plusieurs dizaines de minutes plus tard, ses fantasmes avaient fini de cuire sous le soleil de juillet. Trempée et haletante, les lèvres sèches, les cheveux collés à sa figure par la sueur, Cassie se dirigeait tout droit vers l'entrée de son entreprise, de l'autre côté de la route, lorsque du coin de l'œil elle capta la silhouette aisément reconnaissable de cette salope de Christelle, à quelques mètres d'elle.

Quelque chose se bloqua en elle ; un désir longtemps réprimé qui soudain jaillissait du fond d'elle-même comme un flot incontrôlable. Une fureur froide la submergea. Résolument, elle s'avança vers son insupportable collègue…

Christelle attendait que le feu piéton passe au vert, tout près du passage clouté. Cassie n'avait plus toute sa tête ; elle ne savait pas trop ce qu'elle allait faire : lui hurler au visage, la frapper ? Elle n'en avait pas la moindre idée. Au moment où elle put être si proche de Christelle qu'elle pouvait la toucher, elle fut prise de vertige, de nausées, et chancela en éclatant d'un rire dément. Il y eut des clameurs, un horrible coup de freins, et un bus bleu et blanc surgit devant elle.

Bleu… blanc… rouge…


Éric sortit de l'ascenseur et marcha à pas feutrés dans la pénombre du couloir jusqu'à la porte d'entrée de Cassie. Une fois devant, il déposa sa valise et attendit un peu, savourant son bonheur. Il aimait cette femme comme un fou. Bien sûr, rien ne pouvait justifier la manière dont elle l'avait traité la dernière fois, il le savait. Il s'était désespérément raccroché à tout ce qui avait été beau entre eux ces derniers mois pour tenir le coup pendant ses « vacances » interminables en Espagne.

En réalité, la plupart de leur temps à deux, lui et sa femme l'avaient passé à se disputer comme des chiffonniers. Cela faisait maintenant trois mois qu'Éric essayait de la convaincre de divorcer à l'amiable, sans vagues, sans jugement, sans colère, et cela dans l'intérêt des enfants. Lucinda savait parfaitement qu'il l'avait déjà trompée au cours de leurs nombreuses années de mariage. Au début de sa relation avec Cassie, elle n'avait rien dit. Les protestations ne servaient à rien dans ce cas-là, elle le savait bien. Ou peut-être même ne faisaient-elles que rapprocher son homme de ses désirs coupables, en un lancinant mouvement de contradiction.

Oui, elle savait depuis longtemps que le meilleur moyen de se débarrasser de l'infidélité de son mari, c'était de l'ignorer. Éric finissait toujours par rentrer à la maison, comme un bon toutou tenu en laisse. Depuis qu'il était devenu papa, Lucinda restait persuadée de ce perpétuel retour. Leur amour était telle une horloge, et ils en étaient les aiguilles. Elle indiquait les heures, son homme les secondes, de sorte qu'il la rejoignait toujours à un moment au gré des minutes égrenées sur le cadran. En prenant cet aspect de leur couple comme une fatalité du temps, Lucinda avait cessé de s'inquiéter. Il y avait les enfants. Éric serait toujours à elle… elle y avait veillé en accouchant de deux filles et d'un garçon.

Seulement, voilà… il avait rencontré Cassie.

Éric resta planté devant la porte un long moment, fatigué… presque brisé. Mais il n'était pas mort. Pas encore. Le jour viendrait où il rendrait l'âme. Et ce jour-là, il ne pouvait l'envisager autrement que dans les bras de Cassie. Là-bas en Espagne, au son des cigales, ballotté dans le hamac entre deux palmiers, Éric était sorti de sa torpeur humide de sueur pour ouvrir les yeux sur le ciel infiniment étoilé ; cette révélation l'avait fait frissonner : il aimait Cassie envers et contre tout, et il voulait mourir dans ses bras, en ce jour funeste et lointain où le fil de sa vie serait coupé. Alors il avait murmuré une prière à la Lune et avait promis à sa belle de revenir très vite se blottir au creux de ses bras moelleux. Éric n'était pas assez fou pour s'imaginer que Cassie ait pu entendre sa prière, dans son petit appartement parisien ; pourtant il s'était senti délivré d'un poids énorme.

C'est sans doute à l'instant T où on prenait finalement une décision, après de longs mois de difficiles délibérations, qu'on était aussi bien avec soi-même.

L'homme poussa un lourd soupir et appuya sur la sonnette. Il ignorait si Cassie était chez elle ; elle pourrait être partie on ne sait où, au bras dont on ne sait qui. Il n'avait répondu à aucun de ses messages pendant onze jours ; cependant, il n'avait pu attendre une minute de plus. La veille, il s'était rendu chez son avocate pour lancer une procédure de divorce. La nuit qui le séparait de Cassie avait été dure, éprouvante. Il avait discuté très longtemps avec Lucinda et l'avait laissée en pleurs au petit matin. Cette mémoire-là s'effaçait peu à peu, comme si naturellement son esprit faisait de la place dans ses souvenirs pour ceux à venir avec Cassie…

Personne ne vint ouvrir. Éric insista, et le bonheur céda la place à l'angoisse. Il avait essayé de ne pas y croire, mais si vraiment elle s'était barrée avec on ne sait qui, dans un ultime acte de vengeance à son égard ? La tête pleine de questions, Éric fit les cent pas sur son palier, essayant d'appeler le portable de la jeune femme. Elle ne répondait pas, évidemment.

— J'ai plus de batterie, murmura soudain une voix de femme derrière lui, le faisant sursauter.

Éric se retourna vivement. Il aurait voulu se laisser aller à la joie de leurs retrouvailles, mais l'aspect physique de Cassie l'arrêta net dans ses mouvements.

— Que t'est-il arrivé ? s'écria-t-il, choqué.

Le visage inexpressif de Cassie le désorientait bien plus que sa mise défroquée et sale. On aurait dit qu'elle s'était sauvée de chez elle par la fenêtre. Ses chaussures étaient dépareillées, et ses jambes nues couvertes de cambouis noir.
Cassie le contempla de longues secondes tandis qu'Éric bouillait sur place. N'y tenant plus, il se précipita sur elle et la serra convulsivement contre lui. Elle se laissa mollement faire.

— Ma chérie, déclara-t-il d'une voix vibrante d'émotion, dis-moi ce qui s'est passé ! Mon Dieu… je t'aime…

Peu à peu, la jeune femme répondit à son étreinte, timidement. Ils s'embrassèrent comme des perdus.

— Je t'aime aussi… laissa-t-elle échapper d'une voix cassée. Ne me quitte plus… plus jamais… plus jamais…

Éric saisit son visage entre ses paumes et plongea son regard dans le sien. Ce qu'il lut dans ses yeux le troubla. Réprimant son malaise, il sema sur ses paupières closes et sa bouche de multiples baisers doux et tendres.

— Viens, fit-elle tout bas en l'entraînant vers son appartement.

Il la suivit docilement.

— Mon amour, j'ai quelque chose à te dire, déclara-t-il d'un air ému une fois la porte refermée. J'ai demandé le divorce… Voilà… je suis tout à toi.

Cassie se tenait face à l'évier de la cuisine et lui tournait le dos. Il remarqua que ses cheveux dorés étaient ternes et plus courts, mais on les avait coupés de manière très anarchique, comme à coups de ciseaux malhabiles. Au moment où il pensait cela, il sut avec certitude que c'est ce qui était arrivé : Cassie s'était coupé les cheveux toute seule. Il trouva ce détail très étrange, mais se dit qu'elle avait dû être aussi chamboulée que lui par leur séparation.
Chacun réagissait comme il le pouvait face à la cruelle absence…

— Cassie ? s'inquiéta-t-il un peu, comme elle ne répondait pas.

Soudain, ses yeux tombèrent sur quelques mots griffonnés à la hâte au dos d'une enveloppe décachetée tombée sur le sol. Il la ramassa, et ce qu'il lut le transforma en une statue de sel.

— Qu'est-ce que c'est que ça ? demanda-t-il d'une voix blanche. On dirait des mots d'adieu… Tu avais l'intention de… ?

La jeune femme se retourna vers lui. Ses yeux étaient éteints. Il y avait quelque chose de différent chez elle… Intuitivement, Éric sut que l'étrangeté de sa maîtresse n'émanait pas simplement de son apparence physique ou de son manque flagrant de réactivité. Il était arrivé quelque chose. Elle avait changé.
Éric s'approcha pour la prendre dans ses bras.

— Que s'est-il passé pendant mon absence, Cassie ? demanda-t-il doucement en la serrant à nouveau contre lui. Où étais-tu ?

Elle haussa les épaules et détourna le regard.

— Dehors, répondit-elle d'une voix laconique.
— Dehors ? s'étonna Éric. Toute la nuit ?
— Oui.
— Mais… tu as dormi dehors ?
— Je sais plus…
— Que voulais-tu faire ? Pourquoi ce message d'adieu ?
— Je sais pas… je suis partie sur un coup de tête… j'avais envie de passer sous un bus…

Cassie se dégagea de son étreinte et tituba jusqu'à la chambre. Interloqué, Éric la suivit comme un automate. La jeune femme fourrageait dans son placard.

— Tu as entendu ce que je t'ai dit tout à l'heure ? continua vaillamment Éric, s'adressant au dos courbé de sa maîtresse. J'ai quitté Lucinda… je suis libre.

Cassie hocha la tête en se retournant, une corde à la main. Un pâle sourire creusa ses fossettes. Éric se sentit fondre.

— Oui, je sais, affirma Cassie d'une voix raffermie. Tu es tout à moi. Je ne te laisserai plus jamais partir, Éric.

Enfin, il la retrouvait ! L'écrivain sourit en retour à sa belle, et croisa les bras en observant ce qu'elle tenait à la main.

— Et que vas-tu faire avec ça, jeune fille ? s'enquit-il, amusé.
— T'attacher, répliqua-t-elle innocemment, toujours en souriant.

Surpris, Éric pencha la tête sur le côté, et les yeux étrécis il examina attentivement la jeune femme.

— Ah oui ? Tu inverses les rôles maintenant ?
— Pourquoi pas ? le brava-t-elle insolemment. Allonge-toi sur le lit… je vais faire un brin de toilette.

Une fois la jeune femme sous la douche, Éric, détendu, s'étendit sur le lit et alluma la télé, histoire de passer le temps et de voir les nouvelles. Au milieu du fatras politique, en zappant sur plusieurs chaînes en même temps, il tomba sur quelques faits divers, notamment la mort sanglante d'une jeune femme qui était passée sous un bus, la veille, tout près d'ici. Apparemment, une drôle de grosse femme l'aurait poussée et serait en fuite… Éric soupira et coupa le son. Il y avait vraiment des tarés. Et dire que Cassie avait eu envie de la même chose au même moment ! Une journée noire pour les conducteurs de bus, de toute évidence !

Cassie sortit de la salle de bain ; elle était nue et magnifique. Sa peau laiteuse brillait de perles d'eau, ses seins lourds dardaient leurs tétons corail tandis que plus bas, son triangle de poils blonds luisait comme une toison d'or. Subjugué, Éric la regarda s'approcher à lents pas chaloupés.

— Tu devrais te déshabiller, suggéra Cassie d'une voix rauque.

Il ne se le fit pas dire deux fois. Rapidement, il ôta sa chemise hawaïenne, son vieux short fatigué, ses chaussettes blanches et ses pompes en toile. Dressée au pied du lit telle une statue de Vénus, Cassie l'observait d'un regard intense, indéchiffrable.

— Que tu es beau, mon amour, chuchota-t-elle amoureusement.
— Et toi donc ! croassa Éric, fou de désir.

Il bandait déjà, et le regard de Cassie s'attarda sur son membre viril puissamment levé. Un instant, un nuage de tristesse vint obscurcir sa physionomie.

— Non, Éric, dit-elle d'une voix un peu distante. Je ne suis pas belle : c'est toi, uniquement toi, qui me rends belle.
— Tu es magnifique, Cassie, assura Éric avec ferveur. Approche-toi, mon amour ; je vais t'aimer de la seule manière qu'il convient… en te vénérant…

La jeune femme secoua la tête mais vint vers lui malgré tout. Ils s'enlacèrent passionnément, s'offrant mutuellement maintes caresses, maints baisers, tout animés de désir et d'amour… Et comme prévu, Éric finit solidement attaché au lit, de la même façon qu'il avait pratiquée avec elle plusieurs mois plus tôt. Il lui était impossible de bouger. À califourchon sur lui, Cassie le couvrit de nouveaux baisers. Ses ongles peints en rouge griffèrent légèrement la peau de son aimé, qui poussa des soupirs de frustration.

— Viens, mon amour, gémit Éric… Je te veux tout à moi…
— Je suis tout à toi, Éric, dit Cassie d'une voix étranglée par l'émotion, la gorge serrée. Je l'ai toujours été…
— À mes yeux, tu es la plus merveilleuse des femmes, murmura Éric en la couvrant du regard. Je suis à toi… à jamais…
— À jamais… répéta Cassie.

Elle pleurait.

Sur le visage béat d'Éric ruisselèrent soudain des larmes rouges tandis que les ongles écarlates s'enfonçaient dans les orbites, se mêlant à son sang. Plus forte que la matière, plus forte que le désir, plus forte que les hurlements d'Éric, sa volonté de croire en la beauté éternelle tua toute raison en sa compagne. Ses lèvres sanguinolentes avalèrent les yeux autrefois aimants. Ses mains griffèrent la peau, ses ongles déchirèrent l'enveloppe fragile qui la séparait du cœur palpitant de son merveilleux amant. L'Amour avait tout dévoré dans le cœur de Cassie ; Cassie dévora le cœur de son amour. Désormais seule dans ce brutal silence de la vie, Cassie put enfin se lover au plus profond de son être et se repaître de cette chaleur humide qui la révélait enfin au monde telle qu'elle était vraiment : belle, bonne, magnifique… vénusienne.

« Pour donner libre cours à sa fantaisie, à son imagination, l'écrivain doit ouvrir les portes à tout ce qui sourd en lui, démons compris. »
Mario Vargas Llosa / Entretien avec Catherine ArgandFévrier 1995