Mystère dans la crypte

Monseigneur Deport était un éminent démonologue ; nombreux étaient ceux qui s'imaginaient qu'il parlait tout seul et s'adressait aux esprits. En réalité, lorsqu'au cours d'entretiens dans son bureau avec des visiteurs il lâchait quelques onomatopées qui n'avaient rien à voir avec la conversation en cours, il formulait plutôt des encouragements au jeune vicaire caché sous sa soutane qui, avec application, lui tutoyait le pontife avant de faire mousser le Créateur.

Le brave évêque avait de suite remarqué ce jeune séminariste aux traits féminins dont la large bouche suggérait naturellement ce qu'on pouvait en faire ; aussi, dès la fin de ses études théologiques, le prélat avait pris sous sa protection, en qualité de secrétaire particulier, l'Abbé Zéhassec. Celui-ci comprit bien vite que pour obtenir le salut de son âme, il lui faudrait faire des sacrifices et s'habituer à recevoir quotidiennement le gros goupillon de Monseigneur dans le fondement.

Il faut bien reconnaître que Barnabé Zéhassec avait des prédispositions : très jeune, il avait éprouvé une sorte de fascination pour les vêtements féminins, et dès qu’il pouvait se travestir, son plaisir était décuplé ; c’est pourquoi il avait décidé d’être curé. Ainsi, il pourrait porter la robe à longueur de journée sans offusquer la populace. Bien avant d’entrer au séminaire, il avait déjà compris que les cierges ne servaient pas qu’à illuminer la Vierge : ils s’étaient avérés également bien utiles pour contribuer à la perte de sa virginité. Le cierge pascal le faisait saliver ; c’était pour lui un mets royal, mais il n’avait pourtant jamais osé, craignant de fuir du trou.

Un matin de juin, monseigneur Deport, tout en buvant un café, prit connaissance de la lettre du Père Plex pendant que l'Abbé Zéhassec commençait à lui délivrer sa matinale gâterie buccale. L'évêque fut ébranlé par ce qu'il lisait ; il interrompit derechef son vicaire et décida, toutes affaires cessantes, de partir immédiatement pour l'abbaye de Ker Ozen avec le secret espoir d'exorciser le Père Igor.

Au même moment, le juge Mandernié lisait distraitement la même missive, se souvenant vaguement de cette vieille histoire qui n'avait plus raison d'être car la plaignante, miss Emma Sfairfoot, avait purgé sa peine et fini par quitter avec regret le bordel de la Mère Mac Rell ; elle avait même renoncé à entreprendre de nouvelles poursuites envers le comte Roller des Fines Anses.

Par contre, pour le juge, l’envie de découvrir la vérité sur cette transformation en loup était avant tout une occasion inespérée de pouvoir faire une escapade dans le Kreiz-Breizh en compagnie de sa nouvelle greffière, la jeune Émilie des Vers-Gondés avec qui il entretenait une relation toute particulière. En effet, dès leur première entrevue, une sorte de fusion des esprits s’était produite entre eux, et bien souvent un simple échange de regards leur suffisait pour se comprendre et lancer une mauvaise blague. Parfois, il leur suffisait de concentrer leurs forces mentales pour parvenir à déplacer un objet. Ils s'entendaient comme larrons en foire, et ceux qui les croisaient avaient souvent la curieuse impression de voir deux diablotins.

Émilie adorait faire des blagues. Un matin avant la messe, elle était allée déverser quelques bouteilles d’encre dans les bénitiers de la petite église de Kichtenik. Et c’est en riant qu’elle avait regardé les paroissiennes sortir, après l’office, avec une tache sur le front ; même la très digne dame Chatalair – cette vieille bigote – était elle aussi tachée, mais en dessous de la ceinture : le sermon du Père Manganate sur les tourments de l’enfer avait dû sérieusement l’ébranler.

Ils prirent la diligence en partance pour Ker Ozen. Après quelques jours de route, ils arrivèrent à l'heure du souper dans un village proche de l'abbaye. S’étant installés dans l'unique auberge, ils se mirent à table pour dîner. À une autre table de la grande salle, Monseigneur Deport et l'Abbé Zéhassec commençaient à déguster leur soupe. En attendant d'être servie, mademoiselle des Vers-Gondés se mit à fixer intensément la petite croix qui pendait autour du cou de l'évêque ; comme par enchantement, le minuscule Christ se détacha de la croix et tomba au fond de l'écuelle, éclaboussant de soupe le prélat. Apparemment, le Nazaréen ne marche pas sur la soupe : il coule !

L'évêque repêcha son Christ et l'essuya religieusement avec sa serviette. C’est alors qu’il remarqua le large sourire d’Émilie ; se doutant bien qu'elle ne devait pas être étrangère à cet incident, il sembla s'adresser à elle en grommelant quelques mots. La jeune fille crut comprendre quelque chose comme « Va au bistro, grosse pouffiasse ! » Elle s'apprêtait à se lever pour aller tremper le nez de cet ecclésiastique impoli dans son écuelle, mais le juge Mandernié, la retenant par le bras, lui expliqua qu'il avait prononcé une phrase en latin : « Vade retro, Satanas ! ».

Le repas se termina sans autre incident, mais l'animosité entre Monseigneur Deport et mademoiselle des Vers-Gondés était palpable.

En prévision de la nuit de galipettes qu'ils s'étaient promise, le juge et sa greffière avaient pris une chambre avec un grand lit, et sitôt la porte fermée ils s'étaient mis à l'aise et avaient commencé leur ronde amoureuse. Ils furent interrompus dans leurs ébats par le bruit provenant de la chambre contiguë à la leur. En effet, Monseigneur Deport n'avait pas apprécié du tout la chute du Christ dans sa soupe ni le sourire ironique de la jeune Émilie, alors il jurait comme un apostat et passait sa colère sur son vicaire. C’est pourquoi, lorsque le prélat exhiba son gros gland aussi violacé que sa calotte épiscopale, l'Abbé Zéhassec s'agenouilla et le prit en bouche en fermant les yeux comme s'il recevait la communion. Il suça longuement et avec dévotion son évêque jusqu'à ce que, secoué de spasmes, il se déverse dans la bouche du jeune abbé qui avala la semence jusqu'à la dernière goutte. Une fois repu et vidé, Monseigneur Deport s’endormit en ronflant comme un cochon, laissant l’Abbé Zéhassec se finir comme il le pouvait tandis que nos deux diablotins reprenaient leurs galipettes.

Le lendemain matin, le juge et sa greffière – un peu fatigués –, le prélat et son vicaire arrivèrent presque en même temps à l'abbaye de Ker Ozen où ils furent accueillis par le Père Turban qui les conduisit jusqu’au bureau du Père Plex. Celui-ci fit de rapides présentations et leur exposa la situation tout en faisant part de ses conclusions. L'évêque enfila alors sa tenue d'exorciste, sous les regards amusés du juge Mandernié et de mademoiselle des Vers-Gondés. Un petit cortège muni de torches se forma et commença à descendre les escaliers qui conduisaient à la crypte. De nombreux moines suivaient ce petit groupe car ils voulaient voir l'état du Père Igor.

Devant la lourde porte de la crypte, tous firent silence : il n'y avait plus aucun bruit. Était-il mort ? Finalement, le Père Pignan ouvrit doucement la porte qui grinça sur ses gonds, et tous pénétrèrent dans la vaste salle, le regard tourné vers la voûte où la cage était accrochée. Un murmure de stupeur et de désappointement parcourut l'assistance : la lourde cage était vide ! (Elle avait un joli nom, mon guide…).

Elle était pourtant toujours aussi bien cadenassée, et ses barreaux était intacts : le Père Igor s'était mystérieusement volatilisé ! Tous cherchaient des traces sur le sol de terre battue pour essayer de comprendre par où et comment il avait pu disparaître. Ils finirent par trouver un os courbé bizarrement : c'était sans aucun doute le fameux baculum dont les bonzes avaient fait mention, l'os qui permet à certains mammifères de pénétrer les femelles sans avoir d'érection et de ne bander qu’ensuite, une fois bien installés. Ils trouvèrent également par terre un phallus de taille plus que respectable, tout lisse, en quartz rose qui reflétait la lueur des torches.

Personne ne comprenait la présence de cet objet insolite en cet endroit ; les avis étaient partagés. Certains, comme le Père Ledelakadémy, prétendaient que c'était bien le sexe du Père Igor qui, une fois transformé en pierre, avait fini par se détacher de son corps suite au coup de couteau du bonze Har-Yen. D'autres avançaient en riant que leurs prédécesseurs avaient dû faire de monstrueuses orgies dans cette crypte. Tous papotaient autour de ces deux objets, oubliant pourquoi ils étaient descendus dans les tréfonds de l'abbaye.

L'Abbé Zéhassec, les joues empourprées, regardait avec envie ce sexe de quartz au toucher froid, mais si soyeux… Monseigneur Deport commençait à s'impatienter ; il aurait bien voulu quitter cet endroit au plus vite car il n'y avait rien à exorciser. Il avait l’impression qu’on lui faisait perdre son temps avec des fadaises.

Soudain, un cri strident résonna dans la crypte, provoquant un silence total. C’était Émilie qui venait de hurler. Tremblante comme une feuille, elle désignait de la main un recoin de la salle en balbutiant : « La bit…, la bé… la bébé…, la bête ! Elle est là ! » Tous les regards convergèrent alors vers l'endroit désigné par mademoiselle des Vers-Gondés : effectivement, dans la pénombre luisait une paire d'yeux rouges.