4. Héloïse, ou les deux visages d'une femme

Dans la main une jupe sobre, mais courte. Le visage de la fausse blonde s'anime d'un sourire lorsqu'elle fait signe à la vendeuse. La jeune fille qui la guette depuis un moment sent bien que celle-là est une vraie cliente potentielle, alors elle accourt, aguichée par l'appât d'une vente possible. Elle va se mettre au service de cette jolie quadra qui l'attend avec impatience.

— Vous auriez un trente-huit dans ce modèle ?
— Dans ce coloris ? Vous n'en avez pas trouvé sur le portant ? Je vais voir dans la réserve. Mais si vous voulez bien, vous pouvez l'essayer dans une autre couleur : cette jupe existe aussi en bleu nuit et en brun.
— Ah ? Montrez-moi celle en bleu. En trente-huit, si vous en avez.
— Je crois ; voyons voir…

La jeunette fouille dans la longue lignée que la tringle chromée supporte puis, avec un large sourire, elle déniche ce que la dame demande.

— Voilà, c'est le même modèle que celle que vous tenez. Vous pouvez l'essayer dans une cabine par-là. Je vais fouiller dans la réserve à la recherche de ce modèle sombre dans votre taille.
— Merci. Vous me rejoignez là ?
— Oui, oui, bien sûr !

La cliente lui montre la cabine centrale, et la jeunette file vers la resserre qui sert de réserve au magasin. Au bout de quelques minutes elle découvre ce que la femme désire, et c'est fièrement qu'elle revient vers les essayages. De loin, la vendeuse aperçoit les jambes de sa cliente, qu'elle appelle doucement dès qu'elle est suffisamment proche de la cabine.

— Voilà, Madame, j'ai trouvé la jupe que vous désirez.

La porte de tissu s'entrouvre.

— Eh bien entrez, voyons ! Ne me dites pas que vous n'avez jamais de femmes en soutien-gorge et petite culotte. Dans votre métier, ce doit être monnaie courante, non ?
— …

Elle avance la main pour tendre le vêtement, et la fausse blonde s'efface pour qu'elle entre vraiment. Le rideau retombe sur les deux filles dans l'exiguë cabine. La cliente attrape au vol le chiffon noir, et déjà elle lève un pied pour passer la jupe. Celle-ci remonte le long des fuseaux gainés de nylon de cette nana sans gêne. La taille lui va à ravir ; c'est comme une seconde peau sur le corps svelte de la dame.

— On la dirait créée pour vous. Elle tombe bien et vous va comme un gant.
— Vous croyez ? C'est vrai que là, la matière est douce.

Elle frotte ses paumes de mains sur sa croupe en lissant le tissu, ce qui fait ressortir davantage le fessier rebondi de la gaillarde qui enchaîne :

— Dites-moi ce qui conviendrait pour un haut… se mariant bien avec cette jolie jupe. Vous devez avoir le coup d'œil pour ce genre de chose.
— J'ai sûrement ce qu'il vous faut ; c'est pour une occasion spéciale, ou c'est à porter souvent et en bonne compagnie ?
— Disons, Mademoiselle, que j'aimerais sortir bien vêtue et que je voudrais faire sensation, si vous voyez ce que je veux dire…
— Pour plaire à un homme, donc ?
— Quelque part, oui… ou à plusieurs, le cas échéant.

La femme fait un clin d'œil malicieux à la jeune fille qui se dit qu'un chemisier rouge pourpre pourrait affiner encore plus la silhouette de cette belle plante.

— J'ai peut-être ce qu'il vous faut. Je reviens.

Elle repart vers les portants et rentre avec trois modèles sublimes. La brune teinte en blond se saisit d'un premier chemisier ; elle siffle de contentement.

— Waouh… vous avez sacrément l'œil : c'est tout simplement génial ! C'est ma taille ?
— Comme ça, à vue de nez, je dirais que ça va vous convenir…
— Ravissant, tout simplement ravissant !

Les boutons se referment sur le soutien-gorge pour cacher une poitrine pas vraiment volumineuse, mais plutôt harmonieuse. Une nouvelle fois deux pattes lissent l'étoffe sur les obus désormais dissimulés par une gangue rouge sombre. L'effet est saisissant. Les deux nanas se rendent de concert vers un miroir en pied qui se situe au fond de la rangée de cabines. La blonde se tourne et se retourne, admirant sans doute sa cambrure de reins que l'image reflète.

— C'est… juste parfait. Bon, voyons voir si je peux trouver un second haut qui me fasse aussi belle ; j'ai tendance à tacher souvent mes vêtements, alors…
— Je vous ai choisi deux autres modèles de style un peu différent.
— Je vois cela… Vous êtes formidable ; je vous embrasserais, si j'osais.

L'employée se demande un instant ce qu'il ne faut pas faire pour satisfaire ces femmes d'un âge certain. Pas vraiment jeune, mais pas encore très vieille, et qui se raccroche à ce genre de détail pour croire encore à l'amour. Dans cette cliente, elle a l'impression de voir une réplique de sa propre mère. Au demeurant, elle est ravie, cette femme. Elle revient sur le chemisier couleur sang et son choix s'arrête sur une seconde chemise cintrée qui lui va également à ravir, mais plus sobre coté teinte : le blanc écru convient bien au corps de cette femelle qui transpire la sensualité.

— Bien ! Je prends la jupe noire, le chemisier rouge ainsi que le corsage écru. Vous n'avez rien vu qui clochait ?
— Non… enfin… je dois vous suggérer de mettre des sous-vêtements plus dans les tons des chemisiers, parce que ceux-ci sont presque transparents.
— C'est vrai, ça, maintenant que vous le dites. Où sont les parures de sous-vêtements ?
— Au fond du magasin, sur votre droite. Je ne pense pas que vous ayez besoin de mon avis pour ceux-ci.
— Pourquoi ? Vous êtes si prude ? Je ne suis pas suffisamment jolie à regarder ?
— Je… je ne voulais pas rentrer trop dans votre intimité ; et ce genre d'article, pour les essais…
— Oui, je vous comprends, mais d'un autre côté votre bon sens et votre bon goût me sont salutaires. Sans vous, il y aurait quelques fautes de goût. Alors venez me montrer ce qui me conviendrait.

Fabienne hausse les épaules et garde le sourire. Elle ne sent pas spécialement attirée par les femmes, mais cette cliente a un « je ne sais quoi » qui fait que c'est difficile de lui résister, puis une idée idiote fait sourire la jeune femme : elle songe que la dame aux cheveux teints doit avoir un portefeuille bien rempli, que quelques billets vont changer de mains. De quoi faire grimper son intéressement aux ventes journalières. Après tout, il n'y a pas de petits profits. Elle emboîte donc le pas à la quadragénaire qui s'élance vers les soutiens-gorge et autres parures qui embellissent le corps des femmes.

Quelques instants plus tard, toutes deux sont de retour dans la cabine, et sans même tirer le rideau la blonde se dévêt à nouveau. Elle laisse à l'air ses seins qui ne tombent pas. Sur ceux-ci elle colle le soutien-gorge se mariant avec le rouge du corsage qu'elle convoite, puis elle retire la jupe qu'elle portait à son arrivée et change de culotte sans aucune pudeur. Au passage, Fabienne a le temps de se rincer l'œil et d'apercevoir un buisson d'un brun uni, preuve – s'il en fallait une – que cette femme n'est pas blonde. Deux pattes se coulent sur le chiffon assorti au soutif, et les fesses retrouvent la caresse de ces deux coquines qui suivent le rebondi appétissant de la femelle. Elle a une sorte de risette.

— Alors ? Comment me trouvez-vous ? Pensez-vous qu'un homme puisse toujours s'intéresser à cela ?
— Mais…
— Allons, soyez franche ! Vous me trouvez trop grosse ? N'ayez aucune crainte, je ne suis pas rancunière et je peux tout entendre de votre bouche. Vous avez l'habitude de voir des femmes essayer des fringues.
— À vrai dire… quand je serai plus vieille, j'aimerais vous ressembler. Votre ligne est… sublime, et vous êtes tellement belle…
— Je vois. Vous savez, ma belle, la flatterie aussi fait partie de ces métiers qui nous embellissent ; alors merci, même si j'imagine que vous garderez pour vous vos appréciations.
— Non ! Je vous ai dit ce que je pensais : beaucoup de filles de mon âge aimeraient avoir un physique tel que le vôtre.
— C'est très gentil. Bon, je dois partir. Allons à la caisse, voulez-vous… Fabienne, si j'en juge par le prénom marqué sur votre veste. Vous avez été exemplaire. Encore merci. Tenez, voici ma carte si d'aventure vous aviez envie de passer me voir.
— … ?
— Ne cherchez pas midi à quatorze heures. Je m'appelle Héloïse, et je pourrais vous apprendre aussi pas mal de petits trucs qui servent dans la vie d'une femme. Vous avez le profil, et – ce qui ne gâche rien – c'est très rémunérateur. Alors, si un jour vous vous ennuyez… appelez-moi à ce numéro. Allez, je vais payer et je file : je suis déjà passablement en retard.


Pour Fabienne, la semaine se termine plutôt bien. La bourgeoise qui est passée à la boutique a non seulement acheté pour près de trois cents euros de fringues, mais en plus elle lui a laissé un pourboire royal : un billet de cinquante euros qui dort désormais dans sa poche. Une aubaine pour la jeune fille qui ne gagne pas lourd, finalement. Enfin, elle se dit qu'il est difficile d'allier un emploi qui lui plaît à un salaire conséquent. Et comme elle n'a pas vraiment le choix… autant en profiter. Ce billet représente quelques heures de cinéma, un petit restaurant peut-être, ou au minimum une sortie sympathique. Alors elle est heureuse.

Le samedi soir, dès la fermeture du magasin, débute un long week-end de repos fait d'un dimanche et d'un lundi chômés. Pour demain ce sera grasse matinée au menu, et puis… il fera jour bien assez tôt, et Fabienne trouvera bien de quoi occuper son temps libre. Elle vit seule dans un petit immeuble situé pas très loin de la boutique où elle travaille. Chez elle, dans sa cuisine bien agencée, elle se dessape rapidement et passe sous la douche, histoire de se décrasser de ces odeurs de sueur accumulées tout au long des heures de travail.

La douche, c'est également un instant de détente et de plaisir. Pour cette jeune femme de vingt-six ans qui vit seule, sans famille, l'eau représente la vie. Abandonnée à sa naissance par des parents dont elle n'a pas la moindre petite idée, pas le plus petit souvenir, elle a vécu dans un orphelinat jusqu'à sa majorité. L'adoption dont elle aurait pu faire l'objet ne s'est jamais réalisée, voilà tout. Alors chez elle, même si c'est petit, comparé à une chambre du pensionnat où elle a fait ses études, c'est le paradis.

Après cette lessive personnelle, il est temps de s'occuper du linge de la semaine. Elle vide toutes les poches de ses frusques avant de placer celles qui en ont besoin dans le lave-linge. Si sa veste de travail ne fait pas partie des objets à laver, elle subit tout de même la fouille. D'une poche, un joli billet tout neuf de cinquante euros rejoint quelques économies dans la cachette de Fabienne. Mais un papier est également réapparu lors de ces investigations vestimentaires : une carte de visite sur laquelle sont imprimés un nom et une adresse, ainsi qu'un numéro de téléphone.

Ce bristol termine sa course sur le plan de travail, dans une vasque où s'accumulent divers papiers, lettres ou factures. Il dort là et ne sert finalement à rien d'autre qu'à encombrer le plateau, au milieu de ces choses qui sont toujours à trier… plus tard. Il y sera oublié jusqu'à ce qu'il fasse l'objet d'un futur transfert vers une poubelle qui sera à vider bientôt.

La soirée, après un repas léger, se passe sur le canapé devant le poste de télévision. La jeune femme finit par s'endormir en paix dans le calme de son salon. Elle rêve à cette cliente généreuse ; allez donc savoir pourquoi cette femme l'a marquée… Par son sans-gêne, par son pourboire généreux : ce n'est pas souvent que ça lui arrive. Puis les songes de Fabienne tournent autour du corps de cette nana bien roulée. Son esprit vagabonde entre sommeil et éveil, lui échauffant les sens. Dans ses souvenirs, une touffe de poils bruns remonte à la surface, et puis la poitrine de la quadra, avec deux seins sur lesquels, pour une raison inconnue, elle semble faire une fixette.

La neige de l'écran fait face à la jeune fille, qui en sursaut reprend contact avec la réalité du monde qui l'entoure. Dehors il fait nuit, la rue est dépeuplée. Seuls quelques rares taxis en maraude passent au ralenti sous les fenêtres de son immeuble. Alors la locataire de l'appartement retire les derniers oripeaux qui la couvrent encore, se glisse dans un lit bien frais, et médite sur sa vie. Elle se sent fébrile et agitée. Pour se soulager les nerfs et calmer ses inquiétudes, elle ne connaît qu'un seul moyen efficace : elle répète des gestes qu'elle et ses consœurs de l'orphelinat ont si souvent pratiqués lors de nuits si semblables à celle qu'elle vit là.

Deux mains partent à l'assaut d'un corps exigeant, d'un ventre qui réclame comme un dû ; des caresses apaisantes. Elle y trouve rapidement son compte et enfin se libère par un orgasme puissant, tout juste satisfaisant peut-être. Mais faute de grives, on mange bien des merles. Alors…

Et le dimanche matin, c'est le couple de voisins de l'appartement contigu au sien qui se charge de lui rappeler qu'il existe bien d'autres façons d'apaiser les corps.

Les cris de la dame d'à-côté sont à l'unisson des soupirs du monsieur qui fornique ou nique fort, mais les deux termes en cet instant se rejoignent tellement bien ! C'est si flagrant que la jeune Fabienne s'octroie elle aussi un petit en-cas manuel. Alors c'est à trois qu'ils expriment chacun de leur côté de la cloison les bienfaits d'une thérapie ancestrale. La vendeuse se rendort, et son retour à la réalité ne se fait qu'en début d'après-midi ; cette fois, c'est son estomac qui lui rappelle qu'elle doit s'alimenter aussi pour vivre.

Elle passe donc un peu de temps à poil dans sa cuisine ; après tout, elle est seule et ne dérange personne. C'est au moment de se servir son omelette aux oignons que son bras heurte la soucoupe où gisent les papelards en attente. Adroitement, elle rattrape au vol le plateau, bien qu'un carton s'en échappe, un petit rectangle blanc noirci de lignes et de lettres sombres. Pourquoi cette fichue carte de visite et cette satanée bonne femme reviennent-elles sans arrêt dans les pattes et la caboche de l'employée ? Un vrai mystère !

Tout en dégustant ses ovules brouillés de poules d'élevage, elle ne peut s'empêcher de laisser ses yeux s'attarder sur le numéro de téléphone, et après une vaisselle vite expédiée, mue par elle ne sait quel instinct animal bizarre, ses doigts se retrouvent sur le clavier de son téléphone portable. Comme par hasard, le numéro qu'elle compose est celui de cette Héloïse inconnue jusqu'à la veille. À la troisième sonnerie, la voix enjouée de la fausse blonde répond à celle plus timide de la jeune femme :

— Allô ?
— Allô, Madame Héloïse… c'est la vendeuse du magasin de prêt-à-porter de la rue des États-Unis. Vous me remettez ?
— Bien entendu ! J'attendais votre appel, mais pas aussi vite, je l'avoue.
— Je vous dérange ? Auquel cas, je peux vous rappeler un peu plus tard.
— Mais non ! Ne soyez pas bête. Je vous imagine avec une grande destinée. Vous avez des tas d'atouts. Bon, je vous envoie mon chauffeur si vous me donnez votre adresse. Rassurez-vous, nous ne ferons que discuter entre femmes. Mais vous devrez être honnête en tous points avec moi, d'accord ?
— Euh, oui, oui, bien sûr. Mais pourquoi vous intéressez-vous à moi ?
— Parce que vous avez un profil qui convient à ce que j'ai à vous proposer, et jusque-là je ne me suis jamais fourvoyée. Donc c'est bien d'accord ?
— D'accord pourquoi ? Je ne…
— Pour que mon chauffeur vous prenne en charge. Donnez-moi votre adresse ; pour votre téléphone, ce n'est plus nécessaire : il s'affiche sur mon portable.

Aussi incroyable que cela puisse paraître, la jeune femme, sans aucune peur ni méfiance, dicte à la femme son adresse. Lorsque le vide laissé par l'interruption volontaire de la conversation s'installe, Fabienne ne revient pas de son audace : jamais elle n'a fait preuve d'une telle hardiesse envers quiconque. Elle s'habille à la hâte puisque le bonhomme doit la prendre en charge dans une demi-heure. Ça ne lui laisse guère de temps pour gamberger. Elle se refait une rapide beauté et se sape du mieux possible. Il n'était que temps : dans la rue, une longue berline vient de freiner pour stopper devant l'immeuble de Fabienne. Un type en uniforme gris et casquette en descend.

L'homme a levé la tête, cherchant des yeux les fenêtres qui sont en façade. Bien sûr, il ne peut pas savoir lesquelles sont celles de la fille qu'il vient chercher, mais il sait par contre où trouver le bouton du digicode.

— Bonjour. Je suis Paul, le chauffeur de Madame Héloïse.
— J'arrive, Monsieur, j'arrive dans une seconde.

La voix qui lui parle est plutôt agréable.

— Ne vous précipitez pas ; j'ai tout mon temps. Madame n'est pas pressée, elle saura vous attendre.

Le type est jeune. La voiture se faufile dans la circulation, et au bout d'une quinzaine de minutes ils se retrouvent dans la cour d'une maison plutôt cossue. Le chauffeur lui ouvre la portière, et sur le perron, en haut de cinq marches, Héloïse l'attend. Elle est vêtue d'une longue robe stricte et sombre. L'entrée où est reçue la jeune femme est aussi grande que son appartement. Un vaste escalier de pierre monte vers un balcon qui surplombe le hall. Des chambres sont à l'étage. Finalement, c'est vers un boudoir du rez-de-chaussée que se dirigent les deux femmes.

— Asseyez-vous. Un rafraîchissement ?

Sans attendre de réponse elle frappe dans ses mains, et surgi de nulle part le chauffeur arrive.

— Apportez-nous du thé glacé, s'il vous plaît, Paul.
— Bien, Madame.

Après son départ, Héloïse s'adresse à la jeunette assise sur un fauteuil :

— Vous avez un compagnon ? Un petit ami ?
— … ?
— Je vous ai dit que vous auriez à répondre à toutes mes questions !
— Non, je suis seule.
— Vierge, ou vous avez déjà couché ?
— Euh… oui, une fois.
— À votre âge, une seule expérience ? C'était un homme ou une femme ?
— Un homme.
— Donc vous n'avez pas renouvelé l'expérience. Y a-t-il un problème qui vous ait empêché de le refaire ?
— Non : ça ne s'est pas trouvé, c'est tout.
— Bien. Et si je vous proposais une association… gagnante-gagnante, vous seriez partante ?
— Je ne comprends pas…
— Rencontrer des messieurs, gentils mais assez… âgés et surtout très généreux, ça vous intéresserait ?
— … ?
— Oui, des hommes qui aiment les jeunes femmes pas trop farouches. Un petit complément de votre salaire que j'imagine plutôt peu élevé. Mais c'est vous seule qui devez décider. Et si c'est oui, je vous ferai faire un bout d'essai avec mon homme à tout faire. Paul n'est pas seulement mon chauffeur, il est aussi mon homme de confiance, et parfois… mon amant. À vous de savoir ce que vous voulez.
— Je…
— Je vois bien que vous hésitez, mais je peux vous guider… si vous me faites confiance.
— Ben…
— Je comprends, alors venez.

Héloïse s'est levée et a fait signe à la jeune fille de la suivre. Elles sont désormais dans une sorte de petite chambre équipée d'un lit pour une personne et d'un portant. Sans état d'âme, la quadra s'adresse à Fabienne d'une voix douce :

— Vous voulez bien vous dévêtir ?
— Me déshabiller ? Ici ?
— Oui. Il m'est possible de voir votre corps ? Nous sommes entre femmes, non ? Alors…

Un peu déstabilisée par la demande, elle déboutonne fébrilement son chemisier, puis c'est avec l'aide d'Héloïse que le vêtement quitte sa peau. Vient le tour de la jupe. Comme la jeune femme a de nouveau une hésitation très visible, c'est la quadra qui s'active à faire glisser le zip de la ceinture. La corolle de tissu glisse sur les longues gambettes de Fabienne, et la jeunette se retrouve en sous-vêtements dans l'espèce de réduit que les nanas occupent.

— Pour le reste, je peux faire appel à Paul ?
— Paul ? Je…
— Une simple formalité, rien de plus.

Un nouveau haussement d'épaules de la gamine et il est trop tard ; la voix de la femme qui hèle son homme à tout faire fait tressaillir le corps presque nu.

— Paul, s'il vous plaît !
— Oui, Madame ?
— Vous voulez bien vous occuper de mademoiselle ?
— Si elle est d'accord.
— Vous l'êtes, n'est-ce pas, Fabienne ?
— Euh… ou… oui.
— À la bonne heure !

Le type s'est déjà rapproché à frôler ce corps qui lui fait désormais face. Ses mains sont chaudes et douces. La maîtresse des lieux fait un clin d'œil au garçon, encouragement tacite à aller de l'avant, et les pattes se jouent rapidement de l'agrafe du soutien-gorge, puis la culotte aussi s'envole vers le reste des habits en tas sur le pied du lit. Fabienne se sent poussée vers la couche, et lorsque ses mollets sont en appui sur le bord du pieu, le chauffeur la fait asseoir. La tache sombre du pubis est bien en vue alors qu'Héloïse s'assied également, mais sur l'autre côté du plumard. Elle prend la main de la jeune femme.

— Vous êtes superbe. Ne craignez rien, Paul est très doux et va vous donner du plaisir tendrement.
— Je… vous croyez que c'est nécessaire ?
— Allons, détendez-vous.

La bouche d'Héloïse se penche vers la joue de la jeune, et tout en embrassant celle-ci, elle force quelque peu sur le haut du corps pour que la belle se retrouve couchée cette fois.

— C'est parfait. Broutez-moi ce minou, Paul. Et vous, Fabienne, détendez-vous. Vous allez trouver cela agréable.

Aussitôt dit, aussi rapidement fait. Le bonhomme a déjà le museau entre les deux cuisses, et du bout de la langue il écarte délicatement la chair des grandes lèvres, pourtant perdues dans une broussaille de poils. La jeune femme ferme les yeux, mais l'autre femme la rappelle à l'ordre :

— Non, ne fermez pas les paupières : je désire voir toutes vos réactions à chacune des actions entreprises sur vous et votre ventre. Voilà, c'est bien ! Respirez gentiment… C'est bon, n'est-ce pas ?
— Humm…

Paul continue, mais sur un signe de sa patronne il se redresse. Si elle ne voit pas vraiment ce qu'il se passe, au son, Fabienne comprend que l'homme se déshabille. Quand il revient contre elle, il est nu, et cette fois il est agenouillé au-dessus du visage des deux dames. La main d'Héloïse guide alors la verge qui bande devant les lèvres de celle qui est allongée, vers l'entrée de sa bouche puis, la seconde main sur le front de la jeunette, elle lui demande d'une voix rauque :

— Prenez-la. Allons, sucez cette belle bite. Montrez-moi votre savoir-faire.

Comment expliquer que la môme pompe alors le dard ? Enfin, tout y passe, et c'est toujours sous la houlette de la quadra que la gamine se laisse baiser avec des soupirs de plus en plus expressifs. Elle obéit au doigt et à l'œil à cette dame âgée qui la fait prendre par son propre amant, mais c'est bref : lorsque la fausse blonde voit et entend jouir la jeune, d'un signe elle fait se retirer le type. Lui aussi ne dit rien, et tout en récupérant ses fringues il file vers un autre coin de la maison. Mais Fabienne doit encore passer à la salle de bain, et dans la baignoire elle écoute Héloïse lui parler de ce qu'elle attend d'elle :

— Vous avez été fabuleuse ! Vous êtes prête pour ce que je voudrais vous proposer. Si cela vous rassure, ce que vous avez fait en compagnie de Paul vous aurait sans doute rapporté autant que deux semaines de votre travail. Vous voyez, ce n'est pas si terrible, et vous me semblez douée. De plus, le sexe de mon chauffeur est d'un diamètre bien supérieur à celui des messieurs généreux que je peux vous faire rencontrer. Vous êtes intéressée ?
— Je ne sais pas… enfin, pas vraiment. Ce serait quand, ces rencontres ?
— La première : ce soir avec moi et deux hommes. Après, ce serait à vous de définir le rythme et la cadence. Mais je suis certaine que vous allez y prendre goût et que vous allez en vivre plutôt bien.
— … ?
— Oui ! De plus, la plupart du temps, il n'y a même pas de pénétration, et c'est pourquoi je dois avoir recours moi aussi à… Paul lorsque mon corps réclame trop. Ils nous échauffent, ces gentlemen, mais ne savent ou ne peuvent pas toujours éteindre les feux qu'ils allument.
— Vous me parlez de ce soir ? Mais… vous aussi seriez là ?
— Oui : une partie fine à quatre, en quelque sorte, et une première pour vous, ma belle oiselle. Mais c'est toujours à vous de décider. Par contre si vous dites oui, nous ne reculerons pas, ni moi ni vous. C'est bien saisi ?
— Bon, je veux bien faire un essai, voir en vrai ce que ça peut donner. Je ne promets cependant rien…
— Alors tapez là ! Nous passons un peu de temps à nous pomponner, et à vingt heures nous irons dîner avec ces messieurs. Vous verrez, ils sont toujours adorables… des papys gâteau, quoi ! Et remarquez que je n'ai pas dit « gâteux »…


Six mois se sont écoulés, et presque un soir sur deux Fabienne ouvre sa porte. Elle ne regarde plus la tête des hommes qui viennent chez elle pour y chercher une heure ou deux de tendresse. Elle revoit Héloïse de temps à autre pour des « cas plus sérieux ». Toutes deux sont devenues des amies. La journée, la jeune vendeuse continue son travail au magasin. Sa patronne l'a même augmentée, tant elle sait y faire avec la clientèle. Son chiffre d'affaires augmente de mois en mois. Chose étrange, beaucoup d'hommes seuls achètent des vêtements de femmes qui ne se montrent jamais.

Ces types-là paient rubis sur l'ongle ; il n'y a rien à redire. Le pourcentage sur les ventes rapporte gros à la jeune femme qui vient de se payer une jolie voiture de luxe. Elle a aussi signé un compromis de vente pour une petite maison dans les faubourgs, un peu plus loin de son magasin il est vrai, d'où évidemment le besoin de posséder cette mignonne décapotable. Tout le monde semble y trouver son compte, alors pourquoi chercher la petite bête ? Du reste, quelquefois ces vieux clients aisés font de l'œil à la patronne de Fabienne.

La jeune femme hésite encore à proposer à Nadine, c'est le prénom de la propriétaire de la boutique de fringues, oui, Fabienne hésite encore à lui parler de cet accord prometteur avec Héloïse. Un jour prochain qui sait… pour le moment l'une et l'autre profitent un peu de ces portefeuilles bien épais et tout roule donc. Mais un jour viendra… où il sera temps de partager également ces soirs avec de nouvelles têtes féminines. Après tout, certaines femmes savent avoir comme les messieurs deux visages. Deux faces dont l'une plus sombre qui finalement rendent bien des services au commun des mortels.


Fabienne habite une jolie villa. Elle part souvent en vacances avec un fiancé. Si ce monsieur n'est jamais le même, tous ceux qu'elle fréquente ont un point commun : ils sont reconnaissables à ce qu'ils possèdent tous de luxueuses berlines, de grandes maisons, et parfois s'offrent des yachts immenses… Et lorsque d'aventure un trop riche s'en vient à partir, un autre guère plus pauvre remplace le précédent. De quoi vivre une existence de rêve, tant que le corps le permet, que la beauté de cette femme demeure intacte.


L'avancée en âge a conforté la position de cette fourmi ; elle a fini par acheter ce magasin de vêtements prêt-à-porter dont elle était une des toutes premières employées, comme quoi il est possible de se sortir de la condition d'ouvrière, pour peu que la Nature soit généreuse avec les dames.

Les atouts d'Héloïse se sont pourtant un tantinet fanés, mais elle a su, tel un écureuil, engranger quelques noisettes pour le long hiver qui arrive. Puis Fabienne, sa jeune amie, a repris le flambeau, et la cohorte de jeunes filles qui se bouscule au portillon s'acquitte d'une redevance minime. Mais un sou plus un sou et encore d'autres… à la fin ils deviennent matelas !

La chambre qu'occupe la vieille dame, fausse blonde jadis, est souvent visitée pour des conseils… toujours bienvenus. Héloïse ne teinte plus sa crinière blanche, mais sait toujours d'une main douce rassurer, et avec Fabienne elles se racontent des souvenirs déjà lointains, ceux d'un temps où Paul, jeune chauffeur, ne faisait pas que conduire… Si les temps changent, les besoins restent identiques, et les dames savent toujours redonner le moral aux hommes, surtout s'ils sont… très riches ! Et il existe encore des hommes à tout faire qui n'ont pour tout bagage qu'une belle gueule et… la gaule flamboyante.