Les incertitudes du retour

Toute la journée, la brune chez elle a tourné en rond. Gabriel l'a appelée depuis l'aéroport, juste avant l'embarquement. Elle a beau savoir que les avions sont toujours plus ou moins en retard, elle est toujours inquiète lorsque son mari est en vol. L'important, c'est que dans la soirée il sera là auprès d'elle. Depuis son lever, elle a briqué toutes les pièces de leur nid, comme pour conjurer le sort. Tout y est passé : les chambres, le salon, la cuisine, avec une sorte de rage, pour oublier qu'il lui manque encore et encore. Elle jette de fréquentes œillades au téléphone qui devrait la rassurer bientôt.

Elle est aussi stressée par ses frasques qui ont entaché la semaine de carence de Gaby. Et s'il venait à apprendre ? Que se passerait-il vraiment ? Le rouge lui monte aux joues, mais il est trop tard pour revenir en arrière. Et puis l'histoire avec Lydie lui semble moins grave que celle du voisin ou la sortie « club » et ce qui s'en est suivi, en compagnie de Marine et son homme. Pourvu que ces deux-là tiennent leur langue… La peur s'installe lentement en elle, répandant une amertume inaccoutumée chez elle. Au fil des heures d'attente, Laure ressent cette tension dont rien ne peut entraver la lente montée.

C'est vers seize heures qu'enfin l'appel tant espéré lui parvient. Dans sa précipitation pour se saisir du combiné, elle fait une fausse manœuvre et n'obtient qu'un bip crispant en bout de ligne. Rageusement, elle tente de recomposer le numéro de son interlocuteur. Quand elle y arrive, ce n'est pas la voix enjouée de son époux qui lui répond :

— Allô ! Allô, qui est à l'appareil ?
— C'est Alain. On voulait avec Minouche savoir si Gabriel était rentré.
— Ah ! J'attends son appel d'une minute à l'autre. Il devrait avoir atterri depuis un bon moment, mais avec les voyages en avion… on ne sait jamais ; les horaires ne sont pas toujours respectés.
— Tu sembles bien nerveuse, Laure. Ça va bien ?
— Oui ! Oui, je pensais que c'était lui qui m'appelait.
— Je vois. Nous voulions seulement vous inviter à dîner demain. Et rassure-toi, nous saurons garder le secret sur…
— Oui, je sais, mais une bourde est si vite faite…
— Bien entendu, nous ne voudrions pas te mettre dans l'embarras. Je pense qu'il est bon de garder des relations « normales », et à mon sens tout se passera pour le mieux. Gabriel se poserait autant de questions de ne plus nous voir du tout.
— Tu as sans doute raison, Alain, mais je ne peux pas m'empêcher d'avoir un peu la trouille.
— Fais-nous donc confiance. Bon, je te libère la ligne s'il doit appeler. Tu nous tiens au courant dès que vous en aurez parlé tous les deux ?
— Pas la peine : nous viendrons. Tu es sensé dans ton raisonnement ; mieux vaut faire comme si de rien n'était, c'est la meilleure solution. Embrasse Minouche pour moi, tu veux bien ?
— Bien sûr, et toi Gabriel pour nous deux aussi. Alors à demain, ma belle. Et encore une fois, reste zen, nous saurons nous montrer discrets.

La fin du dialogue est ponctuée par un bip, et ensuite un grand silence retombe sur la maison. Laure tremble sans savoir pourquoi. Et cette voix qui lui martèle dans la tête qu'elle doit prendre garde, présage d'un danger inconscient… La panique s'empare de la belle, et c'est un second appel qui l'arrache à son tourment.

— Laure, je suis au parking de l'aéroport. Le temps de faire la route vers toi, et dans une petite heure je serai normalement à la maison.
— Oh, mon chéri ! Je commençais à m'inquiéter. Je suis impatiente de te retrouver.
— Et moi donc ! Tu ne peux pas imaginer de quoi j'ai envie… après une semaine de carême.
— Ah-ah ! Et raconte-moi ce que tu vas me faire ?
— Je préfère que tu l'imagines pendant que je rentre le plus rapidement possible.
— Oui, mais prends garde tout de même sur la route, on ne sait jamais. Et puis les limitations de vitesse…
— Ne t'inquiète pas, je suis prudent. Comment es-tu vêtue ? Dis-le-moi, s'il te plaît.
— Ben… non, tu auras la surprise en arrivant. On dîne en tête-à-tête ce soir, mais demain nous sommes invités chez Alain et Marine. Ça te va ?
— Oui. Bon, alors je fonce ! À tout de suite, mon amour.

Une autre plage de solitude, mais remplie d'un espoir fou désormais. Le guerrier rentre au bercail, et la brune se met en devoir de préparer une dînette pour deux. Pas un grand repas sophistiqué, simplement quelques œufs battus en omelette, quelques lardons pour donner du goût, et une salade verte pour le bonheur de son Gaby. Comme tout est prêt et que la cuisson préalable du repas ne s'impose pas, elle décide de passer à la salle de bain. Puisque son homme la désire fraîche et belle, elle va se préparer en conséquence.

La brune aime l'eau sous toutes ses formes, et la douche lui apparaît comme agréable. Elle savonne, va et revient sur des endroits qu'elle sait devenir des cibles pour son mari. Et sous le jet tiède, ses mains batifolent avec aisance sur des monts et des vallons à revisiter par son seigneur ; il restera bien maître en sa demeure. Ses ablutions doivent prendre fin ; c'est avec autant de plaisir qu'elle sèche dans un drap de bain ce corps qu'elle veut désirable au possible. Du reste, elle frissonne par avance en songeant à ces retrouvailles promises. Puis devant une coiffeuse au miroir qui lui renvoie un reflet lumineux, elle se met en devoir de maquiller son visage.

Celui-là offre son plus doux sourire, et c'est un nuage de parfum qui en arrière-garde de son ravalement de façade marque le coup le plus odorant. Il ne lui reste plus qu'à se couler dans une nuisette à damner tous les saints d'un paradis à venir. Une toute dernière touche de gloss pour faire ressortir sa bouche, donnant à son visage une allure de femme fatale, et la voici enfin prête pour la fête prévue, pour le gala garanti par son mari. Laure sait d'expérience de quoi est capable son diable d'homme : chacun des retours de ses séminaires reste un véritable régal, sur tous les plans.


La cuisine voit passer la longue silhouette de la femme qui laisse un parfum musqué dans son sillage. Son Gabriel ne devrait plus tarder maintenant. Elle donne d'un coup de poignet vigoureux un élan à sa mixture d'œufs battus, qui sagement dans une jatte n'attend plus que la cuisson. Tous les bruits qui parviennent de l'extérieur sont intérieurement analysés par une Laure trépignant d'impatience. Son mâle met bien du temps pour revenir au nid… Mais le léger cliquetis du portail qui se met en branle lui indique que celui-ci vient d'être actionné. Le cœur de la belle bondit dans sa poitrine. Elle se sent revivre enfin. Le moteur de la berline qui vient d'entrer au garage, la porte de la remise qui se referme sont autant de bruits familiers qui la soulagent. Et il pousse l'huis qui le sépare de son « chez-lui » si vide de sa présence depuis huit jours.

Devant elle, la masse imposante de cet homme qu'elle réclame si violemment est fidèle à ses souvenirs. Grand avec les épaules carrées, un sourire sur une gueule avenante, Gabriel laisse tomber ses sacs au sol. Laure reste plantée à deux mètres du gaillard qui ouvre ses longs bras.

— Mon amour ! Comme tu m'as manqué…
— Toi aussi, Gabriel ; je suis heureuse que tu sois de retour.
— Eh bien, viens m'embrasser…
— Laisse-moi simplement une seconde pour te regarder, pour te retrouver, m'imprégner de cette image qui m'a fait tellement défaut.

L'homme fait un pas vers la statue de sel qui d'un coup se met en mouvement. Elle saute contre cette poitrine protectrice et il referme ses mains sur ses fesses, la tenant totalement décollée du sol. Elle serre sa tête dans ses paumes, et leurs visages se cherchent, se retrouvent pour coller leurs lèvres les unes aux autres. Un baiser rempli d'amour unit les deux amants qui se rejoignent. Gaby la garde accrochée à son cou, et lorsqu'elle touche le sol, que leurs baisers s'espacent un instant pour qu'ils reprennent tous deux leur souffle, les pattes du mari courent déjà sous la nuisette.

— Hum, je vois que tu es… disponible. Sens comme j'ai envie de toi, l'effet que tu me fais !
— Alors des actes, pas de vagues promesses ! Sers-toi, la table est mise.
— Tu peux compter sur moi ! Après une semaine d'abstinence, tu peux imaginer ce que ça va donner.
— Chut ! Profitons de ce moment et partageons. Tu vois bien que moi aussi j'en ai envie…
— Si j'en juge par cette humidité par là… oui…

Laure vient de faire un pas en arrière et ses doigts s'affairent à dégrafer la ceinture du pantalon de Gabriel. Il se laisse faire comme un gamin, trop heureux de sa bonne aubaine. Elle y parvient au prix de quelques efforts, tant ses mouvements sont désordonnés, dictés par un trop grand enthousiasme. Le pantalon bâille désormais sur le ventre, et sans s'arrêter à ce détail grotesque, la brune le fait glisser sur les cuisses de son mari. Ensuite une de ses mains remonte vers ce qui provoque encore pour quelques secondes une bosse conséquente.

— Tu ne vas pas passer, avec un jeu pareil !
— Qui te parle de passer ? Mais souffler n'est pas jouer…
— Ne t'inquiète pas, mon amour : je ne vais pas souffler, mais plutôt aspirer ! Enfin, je m'en occupe à ma façon, tu veux bien ?
— Oh, que oui !

Elle vient de joindre le geste à la parole. Fléchissant sur ses genoux, elle porte son visage à la hauteur de l'instrument que sa menotte cramponne, puis l'homme a l'impression que son sexe est happé par un four à chaleur tournante. La langue de son épouse en redécouvre les contours, la texture également. Elle joue d'une main à faire coulisser la peau tendre sur le mât tout en gardant le contact entre sa bouche et le gland qui apparaît ou se cache au gré des mouvements du poignet féminin. Il souffle déjà.

Gaby se raidit et porte ses deux mains sur le crâne qui, au niveau de sa braguette, s'active dans une prière digne du mur des Lamentations. Il se crispe sur la nuque, enfonçant le dard au plus profond de cette gorge accueillante. Puis au bruit de hoquet qu'il perçoit, il relâche sa prise. La bouche quitte prestement son mandrin pour reprendre haleine.

— Tu veux donc me faire mourir par asphyxie ? Tu es trop gros pour ce genre de jeu…
— C'est trop bon, ma belle. Depuis le temps que j'attends cela… À mon tour de m'inviter au festin. Viens, viens par là !

Il la fait se relever, et les deux mètres qui les séparent de la table de chêne, il les fait en sautillant avec son pantalon tirebouchonné sur les chevilles. Elle a compris où il veut en venir, alors elle se laisse renverser sur le tablier de bois vernis. La nuisette qu'elle porte n'offre que peu de résistance, et sa force naturelle lui permet de déposer littéralement son corps léger bien à plat à l'endroit choisi. La maintenant couchée par une patte placée sur son ventre, il en profite pour se débarrasser de sa culotte et de son slip encombrants.

Lentement il caresse cette plage blanche qui va du nombril au pubis, en ne perdant pas une miette de ce que ses yeux redécouvrent. Laure a fermé ses paupières, attentive aux prémices d'un plaisir programmé et espéré. Quand d'un index souple mais ferme il longe le sillon parfait qui clôt encore la caverne des délices, elle sursaute violemment. Le visiteur plonge alors dans des profondeurs insoupçonnées. Un plongeon facilité, il faut le reconnaître, par une abondance de sécrétions diverses qui démontrent au mâle que sa femelle est prête.

Mais avant de venir la prendre dans un assaut final inéluctable, Gabriel veut d'abord en recueillir toutes les fragrances, et en lui levant les talons il fait passer les jolies gambettes de son épouse sur ses épaules. Cette manœuvre ouvre des perspectives à ses regards, et évidemment à son visage qui vient se faufiler dans le couloir de chair qui dévoile l'intégralité de l'intimité de sa femme. Il a beau avoir parcouru des milliers de fois ce chemin, c'est toujours par une raideur spectaculaire de sa queue que se traduit cette vision merveilleuse.

Elle geint doucement alors que d'une langue experte l'homme lape cette conque aux senteurs épicées. Il va, vient, monte et descend, s'aidant parfois de ses doigts pour tirer une musique étrange des lèvres de sa femme. Ses plaintes ne sont nullement de douleur et se modulent en petits gémissements, seulement ponctués de petits cris plus rauques lorsque la tension est trop vive. Gabriel est assidu à l'ouvrage, revenant sans cesse sur ce pic dressé aux confins des lèvres humides. Les hanches de la belle allongée ondulent lascivement au rythme des coups de langue ou des doigts qui s'enfoncent en elle.

Les mains de Laure cramponnent les rebords de la table et elle dodeline de la tête en cadence. Son visage reflète le plaisir. Celui qu'elle prend à se laisser ainsi toucher par son mari, celui que son corps parvient encore à juguler. Pour combien de temps ? Elle ne veut pas y penser. Ce serait trop rapide. Alors, pour ce faire, elle se repasse des films dans sa caboche. Des images revenues de séances pareilles à cet instant.

Puis d'autres s'insinuent dans son esprit, toutes différentes. Il y a là du monde qui se bouscule au portillon : Marine et Alain, le jeune Renaud, mais surtout cette jolie vendeuse, Lydie ! La brune sent monter en elle une vague folle d'un plaisir démultiplié par ces visions revenues du néant. Gabriel persiste. Ses mouvements se font plus amples, ses doigts enfoncés dans la chatte qui le fait bander vont de plus en plus vite. Alors, c'est d'un coup le point d'orgue de ces préliminaires : le ventre qui se contracte sous ces allées et venues éclate dans un jet puissant d'un liquide clair.

La femme qui se libère hurle. Elle hurle de mots insensés, sortis tout droit de son esprit embrumé. Gabriel ne cesse pas pour autant son pilonnage, malgré cette pluie évacuée par son épouse en transe. Pourtant il vient de tiquer sur les mots criés par sa partenaire de jeu. Si sur l'instant il ne leur prête qu'une importance relative, il a tout de même noté que le prénom scandé par Laure lui est totalement inconnu. Dans ces instants de grandes folies, bien entendu, des tas de détails peuvent repasser par la tête des personnes qui jouissent, mais de là à inventer des prénoms…

Pire encore : pourquoi diable Laure a-t-elle besoin de penser à quelqu'un d'autre alors qu'ils font l'amour tous les deux ? De plus, le manque de cette semaine entière ne devrait pas engendrer ce genre de nécessité. Que se passe-t-il dans la caboche de son épouse ? Bien sûr, ce n'est pas le moment de tailler une bavette, mais il range cela au plus profond de son esprit. Il sera temps demain d'ouvrir le débat avec sa brune. C'est donc un peu dépité bien que bandant comme un taureau qu'il s'enfonce maintenant en elle jusqu'à la garde.

C'est toujours aussi bon. Pourtant il semble bien y avoir une épine quelque part. Laure hurle de plus belle pendant que son Gabriel se déhanche et la possède comme si sa vie en dépendait. Elle continue à psalmodier des phrases incompréhensibles, mais certains mots sont si nets… Ça ne rassure en rien son laboureur qui va finir par ensemencer le sillon. Les vocables entendus perturbent quelque peu une machinerie prompte à se dérégler. Et de guerre lasse, bien qu'en crevant d'envie, la queue de son bonhomme marque le coup. Aussi incroyable que cela puisse paraître, la bite bien raide la seconde d'avant ramollit soudainement. Elle quitte le navire en perdition, et l'épouse écartelée ne saisit pas de suite qu'un incident vient de se produire. Pour elle, dans son rêve fou, c'est l'accomplissement de cet acte débuté depuis le retour de Gaby.

Lui, debout, toujours dans la fourche ouverte, offerte, la regarde sans un sourire. Quand elle se redresse pour le serrer contre elle, il n'a guère de réactions. Laure n'a rien compris, ne s'est pas seulement aperçu du changement subtil de son amant. Elle lui fait des mamours, l'embrasse dans le cou, le remercie, le félicite pour l'orgasme qu'il a su lui donner.

— Tu as été… comme toujours, Gabriel, merveilleux !
— Hum…
— Tu n'as donc pas aimé ?
— …

Il ne dit pas un mot. Ébranlé par ses quelques murmures précédents, son mari ne semble pas à l'aise, mais dans son euphorie d'après sexe, la brune ne voit toujours rien d'anormal dans le comportement de son époux. Il file sous la douche et elle s'occupe enfin de son omelette. C'est assez rapide pour qu'il retrouve les couverts et un dîner sympa à l'endroit où quelques minutes auparavant c'était elle qui servait de hors-d'œuvre. L'air renfrogné de son mari passe toujours inaperçu aux yeux de la belle. Lui a cependant repris un peu de self contrôle.

— Ça te va ce que j'ai préparé ?
— Oui ! Oui, bien sûr.
— Tu as bien joui ? Parce que j'avoue que je ne savais plus trop où j'en étais et, qu'égoïstement je ne me suis pas préoccupée de ton plaisir.
— Ne t'inquiète pas pour ça. Ça ira mieux demain ou un autre jour.
— Ah bon ? Parce que tu n'as pas l'intention de… remettre cela tout à l'heure ? Nous avons du temps à rattraper, tu sais.
— Celui qui est perdu l'est à jamais, Laure. Personne ne peut revenir en arrière.
— Oui, une réflexion que je me fais souvent depuis quelque temps.
— As-tu des raisons de te dire ce genre de chose ?
— Hein ? Non. Non, bien sûr !

La femme assise près de son homme pour la première fois de la soirée le sent songeur, soucieux. Elle lève le visage vers celui qui lui fait face à table. Se douterait-il de quelque chose ? Qui aurait bien pu le renseigner avant son retour ? Ou bien n'a-t-il lancé que des paroles en l'air ? Prêché le faux pour savoir le vrai ? En tout cas, il convient d'être prudente ; très prudente, même. Laure ne pose plus de questions : s'il veut parler, il doit le faire tout seul, ce n'est pas à elle d'aller au-devant des ennuis. « Laisser faire et voir venir », une devise qui a fait ses preuves. Et puis rien n'indique que Gaby soit vraiment au courant.


Les jours suivants sont faits de hauts et de bas, c'est bien là aussi l'apanage des couples traversant le temps. Entre eux, pas d'altercations et tout semble dans la normalité, si ce n'est une défiance seulement tangible pour un œil persévérant. Bizarrement, malgré leurs envies parfois exacerbées, les deux ne viennent plus aussi spontanément l'un vers l'autre. Le repas du second soir du retour de Gabriel a été un calvaire pour sa femme. Chaque parole lui a fait peur, comme si leurs amis allaient lancer un pavé dans la mare ; rien de ce genre n'a pourtant eu lieu.

Alors la vie a repris un cours en apparence calme. Gabriel a toujours des doutes, mais les exprimer serait comme tuer un peu de cet amour qu'il porte à sa Laure. Elle, de son côté, est bourrée de remords, de regrets aussi vains qu'inutiles, mais elle sent confusément que son homme a quelque chose qui lui reste en travers de la gorge. Elle non plus ne veut en rien envenimer une situation qui, somme toute, n'en a pas besoin. Le changement, si subtil soit-il, de l'humeur de son Gaby lui arrache les tripes et met ses nerfs à vif. Elle s'emporte souvent pour des futilités.
C'est ainsi qu'un soir pour une peccadille, l'orage éclate :

— À la fin, tu vas me dire ce qui nous arrive, Gabriel ?
— Pardon ? Qu'est-ce qui te prend ? Comment ça, qu'est-ce qu'il nous arrive ? Ne serait-ce pas à toi de me donner quelques éclaircissements ?
— Quoi ? De quoi parles-tu ? Je te trouve étrange depuis ton retour de séminaire. Nous n'avons plus vraiment de conversations, comme si nous devenions deux étrangers. Je n'ai pas fait ce que tu attendais de moi ? Ne suis-je pas assez gentille ? Je crois que j'ai droit à un peu plus de considération. Tu passes le plus clair de ton temps à ton bureau. Tu me fuis ? As-tu rencontré quelqu'un d'autre ? J'ai le droit de savoir, d'être informée, non ?
— Tu ne manques pas d'air, toi ! Tu es incroyable, tout de même… Et en plus tu as la mémoire bien courte.
— Comment ça ? Vas-tu finir par m'expliquer à la fin ?
— Ne serait-ce pas à toi de m'expliquer qui est Lydie ?
— Mais…
— Alors ? Qui c'est, cette Lydie ?
— Mais c'est une vendeuse de la boutique de fringues Chez Morgan. Pourquoi me parles-tu de cette femme ?
— Le soir de mon retour, alors que tu prenais ton pied, tu la suppliais de ne pas te faire de mal. Je suppose que tu es très intime avec cette nana… Tu n'as même pas senti que tu m'avais coupé la chique ce soir-là ? Bien trop occupée à remettre tes idées en place, sans doute !
— Tu es fou ! Je ne sais pas pourquoi j'ai crié ce genre de truc ; je suppose que lors de tes caresses je n'avais plus toute ma tête. Et c'est pour cela que depuis tout ce temps tu me bats froid ? Tu ne pouvais pas en parler avant, que l'on règle ce quiproquo une fois pour toutes ?
— Oh, il y a encore autre chose… notre dîner chez Alain… tu es restée dans tes petits souliers toute la soirée, presque comme si tu avais peur de je ne sais quel drame. Peur que l'un d'eux me raconte quoi, au juste ?
— Là, tu te fais des films, Gabriel ! Il te faut te calmer. Comment peux-tu me parler comme ça ? Je ne vois même pas ce que tu veux insinuer. De toute façon, je ne connais rien non plus de tes soirées lors de tes absences. Après tout, il y a aussi des femmes dans vos réunions, n'est-ce pas ? Et qui me dit que tu ne t'envoies pas en l'air avec l'une d'elles, voire avec plusieurs ?
— Bien vu ! C'est du grand art de retourner la situation à ton avantage. Malheureusement, ça ne marche pas avec moi. Je veux entendre de ta bouche toute la vérité.
— La vérité… la vérité, c'est que mon corps m'appartient tout comme le tien t'appartient. Si je t'avais trompé, je ne vois pas pourquoi je devrais te rendre des comptes. Dans l'autre sens, il en va de même, bien entendu. Alors que tu me croies ou pas, je te le redis, je n'ai rien à me reprocher. Cette gamine, Lydie, elle est venue dans ma cabine alors que j'essayais des vêtements la veille de ton retour, et je ne sais pas ce qui s'est passé dans ma caboche pour que je fasse un amalgame pareil lors de notre partie de jambes en l'air. Sans doute que cette jeunette m'avait perturbée plus que je ne l'aurais cru. C'est tout.
— Je vais donc me contenter de ces explications. Je ne cherche pas la bagarre, mais tu comprends que j'ai pu être troublé que tu lui murmures des choses comme ça alors que nous faisions l'amour. Et pour Marine et Alain ? Rien à en dire ?
— Il te suffit de leur demander ; après tout, ils sont tes amis autant que les miens. Tu me prends vraiment pour une salope, hein ? C'est dingue, après toutes ces années passées l'un près de l'autre…
— On n'est jamais trop prudent. Peut-être que tu pourrais avoir un jour besoin d'aller voir ailleurs si l'herbe est plus verte dans le pré du voisin.
— Ben tiens… Les voisins aussi, pendant que nous y sommes. Pourquoi pas ? Et même que les fils de certains d'entre eux sont devenus des hommes, qu'ils aimeraient me baiser, qu'en penses-tu ?
— On va laisser tomber ce genre de discussion qui apporte plus de questions que de réponses.
— Tu as raison. Tu n'as pas envie de… tu vois bien, un petit coup au passage ? Et puis comme ça tu pourrais te déguiser en mari gentil ; ça me changerait du vieux bougon qui passe son temps à m'éviter depuis quelques semaines.
— Tu as raison ; allons-y ! Mes doutes m'ont déjà fait perdre assez de bon temps. Si nous passions aux choses sérieuses, histoire que tu te souviennes que je t'aime ?
— Ton comportement de ces derniers jours ne plaide pas en faveur de cette éventualité. Je crois que j'ai parfois songé que tu avais une maîtresse…
— Avec les amants que je t'ai imaginés, ça fait bonne mesure, non ?
— Alors viens ici, mon chéri ; il est plus que bien de renouer les quelques fils qui se détricotent au gré de ta mauvaise humeur.
— Hum, voilà qui remet tout à plat…
— C'est bien ! Un jour nous serons peut-être adultes, à l'instar de nos amis restaurateurs.
— Quoi ? Libertins, tu veux dire ? Je suis trop jaloux pour cela, Laure.
— À voir, mon amour, à voir ! Et si c'était moi, pour te punir, qui te le demandais gentiment ? Tu refuserais complètement ? Du coup, pas si sûre que tu…
— Chut… viens.

Gabriel vient de poser sa bouche sur celle de sa femme. Ils échangent un vrai baiser amoureux. Et quelque part, les fines gouttelettes de sueur qui perlent sur le front de la brune se justifient par cette prétendue envie de sexe spontanée… une aubaine pour elle ! Elle songe en souriant intérieurement qu'elle vient d'avoir terriblement chaud. La catastrophe n'était pas très loin. Alors elle se laisse aller à le caresser autant qu'il la câline.

Demain sera un autre jour… à vivre !