Le Maquereau

Des quatre coins de l'univers
Quand triomphe le mal
Sans hésiter, ils partent en guerre
Pour un monde idéal

Les chevaliers du Zodiaque
S'en vont toujours à l'attaque
En chantant une chanson bien…

Des quatre coins de l'univers
Quand triomphe le mal
Sans hésiter, ils partent en guerre
Pour un m…

Des quatre coins de l'univers
Quand triomphe le mal
Sans hésiter, ils partent en guerre
Pour un monde idéal

Les che…

Des quatre coins de l'univers
Quand triomphe le mal
Sans hésiter, ils partent en guerre
Pour un monde idéal

Les chevaliers du Zodia…

Putain, il m'emmerde à sonner sans arrêt, ce connard de réveil. Qu'est-ce qu'il se passe, bon sang ? Quelle heure est-il ?… Merde ! J'suis en retard pour le boulot ! Vite, levons-nous… oh, et puis encore cinq minutes. De toute façon, ça ne changera plus grand-chose à ma situation.

Allez, debout ! Oh, purée, ça me fait chier d'aller bosser. Si au moins il y avait un peu d'action, mais rien : voilà deux semaines que je m'emmerde comme un rat mort. Même pas une petite rébellion, histoire de se dégourdir les poings. On m'avait dit qu'Athéna se mettait toujours en danger et qu'il fallait aller lui secourir les miches à chaque fois, mais rien : cette conne est incapable de déclencher la moindre guerre. Putain, fait chier…

Allez, courage, chevalier ; il faut partir bosser. Direction la cuisine, les yeux dans le brouillard. Purée, j'aurais dû y aller mollo sur la tiz, hier soir. Et cette Amalia qui m'a épuisé au lit… insatiable, celle-là ! Elle ne m'a pas lâché depuis que je l'ai trouvée, la dernière fois, allongée dans la maison du Bélier.

Hop, le bol de café sort du micro-onde. Je m'assois à ma chaise, toujours la tête dans le cul. J'attrape une tartine qui traînait là sur le côté, la trempe, et en mange une bonne bouchée. C'est bizarre, elle a un goût étrange… un goût de pizza aux anchois, en fait. Merde ! Tant pis. Je termine ma part de pizza et mon café. Étonnamment, le mélange passe bien.

Salle de bain ; je m'arrose le visage d'eau froide pour me réveiller et j'essaye de me motiver à ne pas trop tarder, j'ai plus d'une heure et demie de retard. Oh, fait chier. Je me lave rapidement, plus par flemme de bien faire que par manque de temps. Coup d'œil dans le miroir. Oh, mon Dieu, ces cernes sous les yeux que je me tape ! Et cette barbe verte qui commence à apparaître. Il faut vraiment que je me rase, ça ne fait pas sérieux pour le boulot… La flemme !

J'enfile mon armure. Je me demande bien pourquoi, vu ce qu'elle me sert. Je sors de chez moi et commence à me diriger vers mon temple. J'oubliais, il faut que je fasse un détour par le kiosque. La femme de ménage fait grève depuis plusieurs jours, je dois donc me débrouiller pour le journal. L'avantage, c'est que ça me fait faire des économies. Elle n'arrête pas de me taxer, celle-là, toujours une bonne excuse.

— Bonjour Francil, toujours aussi matinal ! me lance le marchand de journaux à mon arrivée.
— Putain, c'est Francis, grogné-je. Combien de fois devrai-je vous le répéter ? Et je ne suis pas matinal aujourd'hui ; je suis pas mal en retard, alors un journal en vitesse, s'vous plaît !
— En retard ? Vous êtes pourtant encore le premier des chevaliers d'or à venir me voir. Tenez, voilà pour vous.
— Merci.

Je lui paye le journal et me dirige vers mon temple. « Le premier ? » Bizarrement, je ne suis même pas étonné par mes collègues. Arrivé à destination, je descends au sous-sol et m'installe à mon bureau. Les nouvelles n'ont rien de passionnant, à part la grève des travailleurs du Sanctuaire qui semble s'éterniser. Les négociations avec le Grand Pope n'ont pas abouti. Une manifestation est prévue aujourd'hui. C'est la deuxième depuis le début de la grève. « Il y avait eu une belle participation à la précédente. », rappelle l'article, « Dix mille personnes selon les organisateurs, cinq cents selon les chevaliers du Sanctuaire chargés de les encadrer et de les contenir. Malgré quelques vitrines brisées, il n'y avait pas eu beaucoup de désordre. »

Je tourne les pages et arrive sur l'horoscope de Madame Irma. Je sais que c'est de la merde, mais comme d'habitude, la curiosité est plus forte que tout.

Bélier
Argent : vous pourriez devenir la voix de ceux qui en ont besoin.
Travail : une activité nouvelle devrait vous redonner un regain d'intérêt.
Amour : malgré de petites rencontres, votre journée est bien calme de ce côté.

Et voilà, le journal est lu. Que faire maintenant ? Que… fai… rrrr…

— Ho hé, il y a quelqu'un ?

Je me réveille d'un bond. Merde, je me suis endormi comme un con. Je reconnais la voix d'Harvey. Je remonte du sous-sol pour lui souhaiter la bienvenue. À voir ma tronche épuisée, il éclate de rire.

— Ah-ah, ça ne te réussit pas de boire, toi. Dur réveil ?
— J'ai connu mieux. Quelle heure est-il ?
— Treize heures trente.
— Purée ! Déjà ?
— T'as mangé au moins ?
— L'estomac trop barbouillé pour le moment. J'verrai ça plus tard. Tu voulais quoi ?
— Rien de précis. Juste voir ce que tu faisais.
— M'emmerder. Sieste. M'emmerder. Sieste. Comme d'hab, quoi.
— Viens, on sort. On va faire un tour, ça te changera les idées.
— Notre mission est de…
— Purée, t'es encore là-dessus ? Change de disque un peu. Le Sanctuaire ne va pas s'écrouler si tu sors. Mais si tu tiens vraiment à faire ton devoir de chevalier, j'ai peut-être une solution pour toi.

Je le regarde avec de gros yeux. Il vient de faire renaître la flamme de l'espoir en moi. Se pourrait-il qu'il m'emmène en mission affronter de périlleux ennemis ? Ce serait trop beau ! Intrigué, j'accepte de le suivre. Il me mène aux arènes de la ville. De nombreux adolescents sont en train de répéter une série de mouvements complexes censés développer leur cosmos.

— Participons un peu à l'entraînement des futurs chevaliers. Cela fait aussi partie de nos attributions de former les générations futures. Si tu veux, tu peux même prendre un apprenti.

Zut, je suis déçu. Moi qui espérais me jeter dans des combats mortels, je vais me retrouver en prise avec tout un tas de morveux même pas pubères. Le cauchemar !

— Merde, il est là, lui !

Je jette un coup d'œil sur la gauche pour voir de qui parle Harvey. Trois chevaliers d'or, un homme et deux femmes, sont en train d'entraîner des recrues. À la vue des armures, je pense reconnaître Emmanuello des Poissons, Irma du Verseau, et Hypolita du Sagittaire.

Je n'avais encore pas eu l'occasion de les croiser, et je ne vais pas m'en plaindre, vu tout ce qu'on m'a dit. À vrai dire, à part la Balance, le Cancer, le Scorpion, le Lion et le Capricorne, j'ignore encore à quoi ressemblent mes autres collègues, bien que je sois en poste depuis deux semaines. Pour le coup, le visage d'Emmanuello trahit bien la réputation que les autres lui collent : ses cheveux courts et un sourire faussement sympathique lui confèrent une tronche de fouine qui cherche à vous enfumer. Une vraie tête à claques.

Par contre, ses deux greluches ne manquent pas de charme. La première, Hypolita du Sagittaire, a ses cheveux roses coupés court à la garçonne. Habituellement, je ne suis pas trop fan de ce genre de coiffure pour une femme, mais je dois avouer que pour elle, ça lui va bien.

Avec ses longs cheveux rouges, ses lèvres pulpeuses et ses yeux d'émeraude, Irma du Verseau est aussi une très belle femme. Décidément, le Sanctuaire a vraiment le don de se procurer les plus belles femmes. La différence avec ses autres collègues, c'est qu'elle tire une tronche d'enterrement comme si elle était sur le point d'éclater en sanglots.

— Allez viens, on va aller leur dire bonjour, soupire Harvey. Je m'en passerais bien, mais ça risque de nous retomber sur le dos si nous ne le faisons pas.

Nous nous approchons donc. Avec eux, plusieurs gamins sont en train de faire quelques exercices physiques, probablement pour développer leur encore trop frêle musculature. Emmanuello fait le beau à notre arrivée en prenant une posture dominante.

— Alors c'est toi le nouveau, me lance-t-il. Je me présente : je suis Emmanuello des Poissons, autrement dit le plus puissant et noble des chevaliers d'or.
— Ouais, c'est ce qu'on m'a dit, réponds-je.
— Vraiment ? paraît-il surpris. Ah-ah, je vois que ma légende m'a précédé.
— Quant à moi, mon nom est Fr…
— Francil du Bélier, me coupe-t-il. J'ai vu ton arrivée dans le journal.

Putain ! Mais tout le monde le lit, ce putain de journal ? Ce nom débile va encore me coller au cul combien de temps ? J'm'en fous, le prochain qui m'appelle "Francil", fils du Grand Pope ou pas, je lui défonce sa race ! Ils s'en souviendront au moins après.

— C'est Francis, grogné-je en tentant de garder mon calme.
— Et moi je suis… commence à dire Irma avant d'être coupée elle aussi par Emmanuello.
— Voici Irma du Verseau et Hypolita du Sagittaire.
— Enchanté, Mesdames leur lancé-je avec mon sourire des plus charmeurs.
— Hé, les gamins, gueule Emmanuello aux jeunes recrues, veuillez saluer notre nouveau chevalier du Bélier. D'après mon père, il a déjà de nombreux exploits à son actif. Bien qu'il ne dépasse tout de même pas ma légende sensationnelle, vous lui devez tous le respect.

Sa légende sensationnelle ? Mais de quoi parle-t-il, bon sang ? D'après ce que j'ai entendu dire, il n'a aucun fait d'armes. Même en mission, il s'arrange toujours pour partir avec au moins l'une de ses greluches afin de leur laisser tout le boulot. Les mômes lui obéissent tout de même et s'inclinent bien bas devant moi en signe de respect. Je leur donne une petite tape sur l'épaule pour les remercier.

— Pouvez-vous nous raconter votre combat le plus difficile ? demande un petit rouquin aux yeux brillants. Ça serait sûrement très formateur pour nous.
— Oh, les mômes, s'exclame l'autre teigne, vous n'êtes pas là pour bavarder ! Pas de repos pour les braves. Allez hop, continuez l'entraînement, tas de feignasses ! Faites-moi chacun une série de cinq cents pompes ; et que ça saute, les limaces !

De mauvaise grâce, les élèves débutent leur exercice tandis qu'Emmanuello commence à me baratiner sur ses prétendus exploits. Je ne l'écoute que d'une oreille, faisant semblant de m'intéresser. Les gamins commencent à peiner à faire leurs pompes, surtout le rouquin. Je lui lance un sourire d'encouragement. Visiblement, cela lui donne un regain d'énergie. Emmanuello a repéré ce petit échange et écrase le dos du gamin avec son pied. Sous le poids, ce dernier est plaqué au sol.

— Allez, du nerf le mioche !
— Vous… m'écrasez… Seigneur, peine-t-il à dire.

Le petit tourne la tête sur le côté pour éviter de bouffer du sable. Emmanuello sourit sadiquement.

— Tu la vois, ma belle armure d'or toute brillante ? Elle est sublime, n'est-ce pas ? J'ai la grande classe, ainsi vêtu ; et toi, tu es là avec des vêtements tout crasseux. Tu voudrais une belle armure aussi ? Eh bien il faut travailler dur pour la mériter : te surpasser, affronter les innombrables périls sur ton chemin. Il faut avoir le sens de l'effort. J'augmente juste un chouïa la difficulté de ton exercice ; tu ne vas pas t'en plaindre, tout de même ?

Je serre les dents et le poing. Que ce connard ose parler de mérite quand on sait comment il est devenu chevalier d'or me répugne. Il agit juste par mépris du môme, pas dans son intérêt. Est-ce parce que le rouquin a montré de la curiosité pour moi ? Je suis prêt à intervenir, mais Harvey me retient. Pendant ce temps-là, le gamin tente de continuer son exercice et fait preuve d'une réelle détermination. À la surprise générale, il parvient à faire appel à un semblant de cosmos et arrive à se redresser de quelques centimètres. Dérouté, le chevalier des Poissons augmente violemment la pression et plaque de nouveau le môme au sol dans un claquement sec.

Les ricanements d'Emmanuello se font entendre tandis qu'Harvey me fait signe de le suivre. Le chevalier de la Balance m'emmène vers un autre groupe de personnes, trois gamins sous les ordres d'une charmante demoiselle en armure d'argent.

— Voici Mée, chevalier de la Lire. Elle fut mon apprentie il y a quelques années. C'est un chevalier brave qui n'hésite pas à donner de sa personne en combat comme ailleurs.

Eh bien, il n'a pas choisi la plus moche des apprenties : un mignon petit visage orné d'une chevelure de boucles d'argent et d'yeux de la même teinte, ce qui se marie parfaitement à l'argenté de son armure.

— Si tu veux, me murmure-t-il plus discrètement, je peux t'arranger un coup. Comme je te disais, elle n'hésite pas à donner de sa personne.
— On verra…

Habituellement, je n'aurais pas dit non ; mais vu comment m'use déjà Amalia, je préfère garder mes forces pour le moment.

Je jette ensuite un coup d'œil aux apprentis de Mée. Le premier est un gamin pas très haut avec de grands yeux naïfs. Il porte de petits gants verts qui laissent ses doigts libres, une veste bleue à manches courtes blanches et une casquette rouge et blanc.

— Bonjour, me fait-il ; je m'appelle Sacha, et un jour je serai le meilleur chevalier. Mon rêve est de revêtir une des cinq armures légendaires, et en particulier celle de Pégase car Seiya est pour moi le plus grand héros à avoir jamais existé. Tout comme lui je veux combattre pour la paix et la justice, la veuve et l'orphelin, les femmes et les enfants, les opprimés et les laissés pour compte, les aveugles et les sourds, et surtout pour Athéna. J'affronterai tous les dangers, les périls, les ennemis et les tyrans qui s'opposeront à nous pour la gloire du Sanctuaire. Je serai prêt à affronter mille morts et je me relèverai toujours. Ma volonté sera pure et forte. Jamais je ne me laisserai abattre. Je…
— Merci, j'ai compris, le coupé-je avant qu'il me tienne la grappe des heures. Enchanté, Sacha.

Je jette un regard aux les deux autres, un couple de jumeaux blonds au teint très pâle et aux traits rudes des pays du Nord. Des grands gaillards déjà bien musclés pour leur âge.

— Et voici les frères Sigvald et Sigfrid, continue Mée.
— Wesh, c'est toi le nouveau ch'valier d'or ? me fait le premier.
— Wesh, comment ça fait trop plaiz' de t'rencontrer gros, continue le second. À ce qu'il paraît, t'es trop un ouf. Et, mec, faudrait trop de ouf qu'tu nous fasses une p'tite démo pour nous trémon comment t'es trop fort de ouf.
— J'avoue, Monsieur Francil, que j'apprécierais moi aussi vous voir en action, poursuit Sacha.

Francil ? Francil ? Francil ? Putain, ça me gonfle, ce nom ! J'avais prévenu ; c'est tombé sur lui. Tant pis.

— Très bien, vous voulez me voir en action ? C'est le moment d'en profiter. Petit exercice du jour : combat en conditions réelles. Je n'utiliserai aucune attaque, mais mes coups seront réels. Je commence par toi, Sacha.

Du coup, il semble moins téméraire.

— Qu'est-ce qu'il y a ? Je croyais que tu étais prêt à tout pour atteindre ton rêve, prêt à souffrir les pires maux.

Mes mots semblent lui redonner du courage. Il se met en position de combat, l'air déterminé et me lance un regard de défi.

— Un jour je serai le meilleur chevalier, se met-il soudain à chanter. Je me battrai sans répit. Je ferai tout pour être vainqueur et gagner les défis. Je parcourrai la Terre entière, traquant avec espoir nos ennemis et leurs mystères, le secret de leurs pouvoirs…
— GrouAhAaaaahhhh !!! chargé-je furieusement pour le faire taire.

Sacha n'a pas le temps de réagir que déjà mon premier coup l'atteint à l'estomac, suivi d'une série rapide qui s'abat sur lui comme une grêle. Je ne prends même pas la peine de viser, frappant au hasard et me délectant des craquements des os brisés. En moins de vingt secondes, le gamin est à terre.

— AHhhh, chiale-t-il, j'ai mal… Pitié, achevez-moi vite. J'veux mourir. Pitié…

Et encore, j'ai retenu mes poings. En vrai, j'aurais pu le tuer d'un coup.

— Wesh, frèrot, t'as vu comment il lui a marave la gueule ?
— Wesh, trop ! T'es trop un ouf, Monsieur Francil ! Comment il a trop pris cher, Sacha, ah-ah !
— Francil ? grogné-je. À votre tour, maintenant.
— J'peux pas gros, faut qu'j'y aille, j'ai du linge à repasser.
— Et moi j'ai pas fait mon lit ce matin, et puis j'suis d'corvée d'vaiselle.
— En piste, j'ai dit ! C'est vous qui vouliez me voir en action…

Ils finissent par obéir. Le premier se met bien de face et commence à faire son chaud pour tenter de m'impressionner en effectuant des gestes ressemblant vaguement à des mouvements d'arts martiaux. Il a l'air de se prendre pour un ninja, mais il est plus ridicule qu'autre chose. En un éclair je suis juste devant lui ; d'une petite pichenette du doigt dans la poitrine, le gamin est projeté à plusieurs mètres. Le second ne se laisse pas impressionner et tente de profiter de l'ouverture pour m'attaquer de dos. Je suis loin d'être un débutant et le repousse d'un coup de coude. J'enchaîne avec une clé de bras, un uppercut et un coup de boule. Crack, paf, boum : celui-ci a son compte.

Le premier revient à la charge. J'évite ses coups qui m'ont l'air tout de même plus maîtrisés que ce que j'aurais pu imaginer. Avec un peu plus d'entraînement et de discipline, il pourrait devenir un bon chevalier. Mais bon, il est temps de mettre fin à cette séance d'exercice. Un coup de genoux dans les parties intimes me permet de le mettre à terre, pas trop fort tout de même, je ne voudrais pas le priver de descendance.

— C'est Francis, putain ! finis-je pour conclure.
— Wesh, comment tu nous as trop foncedés ! J'ai trop le seum d'avoir loupé mes attaques.
— Wesh, trop de ouf, bro, tu f'sais trop tièp' quand il fait valdinguer grave loin avec son doigt.

Ils gémissent tous deux mais gardent tout de même le sourire, au contraire de Sacha, toujours en larmes. Les jumeaux semblent prêts à reprendre l'entraînement dès qu'ils auront récupéré. Ils pourraient vraiment faire de bons chevaliers.

À voir l'état dans lequel j'ai mis les trois élèves de Mée, je me dis que, finalement, je ne vaux peut-être pas mieux qu'Emmanuello. Je dois avouer qu'un peu d'action, de sentir les os se briser sous mes poings, m'a fait un bien fou. La séance ne valait pas un combat réel où je peux vraiment me donner à fond, mais c'était tout de même très divertissant.

Peu de temps après l'évacuation des trois gamins sur des civières, des voix se font entendre. Au début, elles semblent plutôt lointaines, alors je n'y fais pas très attention. Mais plus ça va et plus elles s'imposent à nous. Bientôt on peut distinguer toute une foule, et en haut des gradins apparaissent des civils portant des pancartes et des banderoles sur lesquels on peut lire des slogans tel que « À bas le Maquereau ! », « Non à la diminution de nos retraites ! », ou encore « Vos impôts, mettez-vous-les dans le cul ! » Ils sont escortés par quelques chevaliers de bronze qui tentent de les retenir, mais semblent plutôt débordés. J'avais oublié qu'il y avait manifestation aujourd'hui.

Très vite, la foule investit les arènes, empêchant le bon déroulement de l'entraînement des jeunes recrues. Un des chevaliers de bronze, celui de l'Hydre, s'approche d'Emmanuello qui semble furax et lui gueule après. Avec Harvey et Mée, nous nous approchons pour entendre ce qu'il se dit.

— Espèce de crétin, t'avais besoin de leur dire où j'étais ?
— Mais, Boss, se défend le bronze, c'est eux qui ont demandé…
— Il fallait ne rien leur dire, ou leur mentir. Maintenant par ta faute ils vont me casser les couilles !
— Mais ils voulaient vous parler…

Bientôt nous sommes tous entourés de centaines de manifestants scandant en chœur « À bas le Maquereau ! » pendant que les autres chevaliers d'argent et de bronze font évacuer toutes nos recrues au cas où la situation déraperait. C'est étrange d'être encerclés par une foule en colère…

— C'est quoi « Le Maquereau » ? interroge le chevalier des Poissons.
— Boss, c'est vous qu'ils appellent « Le Maquereau », affirme l'Hydre. C'est parce qu'ils disent que vous les prostitueriez tous si vous en aviez la possibilité.
— Vraiment ? C'est une idée intéressante… Oui, mais mon vieux ne serait pas d'accord. Pff, fait chier celui-là !
— Patron, intervient Hypolita, vous pourriez peut-être leur parler, histoire de les calmer ; leur faire de fausses promesses.

Emmanuello hoche de la tête en signe d'accord, même si son visage trahit son dégoût. Il s'avance de quelques pas et, les bras grand écartés, hurle : « Je vous ai compris ! »

— Augmentez nos salaires !
— Et nos retraites !
— Baissez nos impôts !
— Ouais, on en a gros !
— Oh, mais ça va ; je vous ai compris, j'ai dit. Maintenant, cassez-vous, bande de troufions !
— Tant d'impôts pour financer des travaux de rénovation dans votre temple, de qui se fout-on ? s'élève une voix.
— Ouais, c'est indécent. Nous ne pouvons même plus nourrir correctement nos familles.
— Faut se sacrifier un peu pour le bien de la communauté, explique Emmanuello. Nous faisons tous des efforts. Maintenant, retournez bosser, les feignasses !
— Des efforts pour tous ? hurle un des manifestants. Vous vous êtes fait augmenter votre salaire de 173 % l'année dernière tandis que vous nous avez baissé nos aides sociales de cinq euros.
— Mais arrêtez de chialer pour cinq euros, bon sang ! C'est rien, cinq euros.
— Cette somme peut permettre à certaines personnes de se nourrir toute une journée.
— N'importe quoi… ricane Emmanuello. Ne vous moquez pas de moi : il n'y a même pas de quoi se payer un plat dans un bon restaurant.
— Et peut-on savoir à quoi vont servir les travaux dans votre temple ?
— Eh bien, pour commencer nous allons installer une piscine chauffante.
— C'est inadmissible ! réagit une partie de la foule.
— Ouais, on en a gros !
— Hé ho, calmez-vous bandes de gueux ! Je suis chevalier d'or des Poissons et je n'ai même pas de piscine chauffante dans mon temple ; non mais allô, quoi ! Ne vous inquiétez pas, ça sera utile à la communauté.
— Ah ouais, et peut-on savoir en quoi ?
— Je pourrais vous l'expliquez mais ma pensée est trop complexe pour vous. Vous ne comprendriez pas toutes les subtilités que ça va me… je veux dire, nous permettre.
— Le Maquereau, au bûcher !
— Y'en a marre des chevaliers d'or qui exploitent les petits gens !
— Qui a parlé d'exploitation ? C'est vous, les feignasses, qui voulez ne rien foutre de votre journée. Vous êtes toujours là à demander plus de congés et des horaires plus légers. Dans le temps, les gens avaient la réelle valeur du travail. Ils bossaient quinze heures par jour, sept jours sur sept, n'avaient pas de congés ni de salaire, et ils ne s'en plaignaient pas. Ah, les vraies valeurs se perdent.
— Oui, ça s'appelait l'esclavage !
— Ah, la belle époque… rêve Emmanuello à voix haute.

Visiblement, l'utopie du Maquereau n'a pas l'air de convaincre les civils qui semblent de plus en plus en colère. Emmanuello les observe quelques secondes avec un regard de mépris puis se décide à rebrousser chemin vers nous, les chevaliers d'or.

— J'ai essayé de les calmer, ces feignasses ! C'est peine perdue, ils n'écoutent rien. Maintenant, débarrassez-moi de ces gueux, nous ordonne-t-il. Défoncez-les !
— Ce sont des civils, interviens-je. Je ne m'en prendrai pas à eux.
— Dois-je te rappeler que tu es chevalier d'or ? me crache-t-il au visage. Et en tant que tel tu es censé défendre le Sanctuaire de toutes les menaces !
— Ces gens font aussi partie du Sanctuaire, lui hurlé-je. Je ne prendrai pas les armes contre notre population.
— Ce sont des rebelles ; ils menacent l'ordre établi. Je t'ordonne de les châtier comme ce que mérite tout misérable rebelle !
— Non. Je ne m'en prendrai pas à des civils, j'ai dit. Et puis, je n'ai pas d'ordre à recevoir de toi. Tu n'es pas le Grand Pope, à ce que je sache.
— Très bien, comme tu veux, mais tu en subiras les conséquences. Mon père te fera payer le prix de ta non-obéissance !
— Vive le chevalier d'or du Bélier ! Il possède la véritable noblesse des chevaliers d'or ! hurle une voix dans la foule.
— Oui, vive Francil du Bélier ! scandent les autres. Francil ! Francil ! Francil !
— Francil ? Putain, bande de demeurés ! leur hurlé-je. Vous voulez vraiment que je vous défonce ou quoi ?

Malgré tout, je tente de garder mon calme. J'ai fait une promesse ; ça la foutrait mal de ne pas la tenir, mais ce n'est pas passé loin. Finalement, je vaux mieux qu'Emmanuello. Ce dernier, toujours furieux, continue de vociférer ses ordres. Ses deux greluches, Irma et Hypolita, s'avancent pour faire face à la foule, suivies peu après par Harvey. Devant mon regard d'incompréhension, il m'explique :

— Désolé, je ne tiens pas à avoir des ennuis avec le fils du boss.