Assaut sur le Sanctuaire

Ils approchent ! La prophétie d'Irma était donc juste. Je sens trois cosmos différents. Ils ne semblent pas spécialement puissants. Dommage pour eux. Ils n'ont pas encore pénétré dans la maison du Bélier que j'entends déjà le son de leurs voix.

— Préparez-vous, camarades, car notre réel défi commence maintenant.

Ça y est, ils entrent. Ils me trouvent en position de méditation, les yeux fermés. Je ne bouge pas d'un poil. Je fais semblant, bien entendu – ce genre d'exercice m'a toujours profondément ennuyé – mais ça fait mystérieux. Je les sens sur leurs gardes, prêts à déchaîner leurs attaques au moindre de mes mouvements.

— On l'attaque ?
— Non, tant qu'il ne se montre pas dangereux, autant éviter le combat. Nous n'avons pas beaucoup de temps pour atteindre le sommet, nous emparer des armures divines légendaires et tuer la fausse Athéna.
— Il médite. Si ça se trouve, il ne sait même pas que nous sommes ici. Passons notre chemin.

Ils avancent donc prudemment, toujours sur leurs gardes. Je ne bouge pas, les laissant traverser la maison que je suis censée défendre.

— Les paris sont ouverts !


Ça, c'était Harvey, juste après la prophétie d'Irma. L'effervescence a traversé le bar. Visiblement, je n'étais pas le seul à me montrer enthousiaste d'une invasion imminente. Enfin on me promettait de l'action. La bière a coulé à flots ce soir-là. J'en ai vidé, personnellement, une bonne rasade tandis que les autres pariaient sur tout ce qu'on pouvait parier : le nombre d'ennemis, leur puissance, et surtout, quel chevalier les arrêterait.

Car oui, on ne savait pas grand-chose de l'identité de nos ennemis. Irma avait juste parlé de chevaliers rebelles. C'était donc forcément des types issus de nos rangs. Combien ? On ne pouvait pas le dire. Un nombre important de chevaliers d'argent et de bronze étaient portés disparus sans que l'on sache s'ils avaient rejoint une rébellion ou s'ils étaient décédés dans un coin paumé.

— Hé, dis, on est potes tous les deux, n'est-ce pas ?
— Bien entendu, Harvey. Pourquoi cette question ?
— Parce que j'ai parié une forte somme sur toi. À la dernière rébellion, j'avais plutôt misé sur Judith, mais là je sens que cette attaque n'ira pas loin du tout.
— Ah, c'est cool de croire en moi… Tu avais vraiment parié sur Judith ? C'était pas un peu risqué comme pari ? La maison du Capricorne, c'était chaud pour que des petits chevaliers arrivent jusque-là.
— Ouais, un peu risqué, mais les évènements m'ont donné raison : je me suis fait des couilles en or !
— Hein ? T'es sérieux ? Comment des chevaliers de bronze ont pu arriver jusque-là ?
— Comme tu le sais, Raoul du Bélier a eu une crise cardiaque. Gomez du Taureau était en arrêt maladie. Ayéfèmi n'était…
— Laisse-moi deviner : c'était sa personnalité pacifique Fèmi qui dominait. Elle les a donc laissé passer.
— Non, c'était bien Ayé.
— Mais je croyais que c'est une sadique et qu'elle n'a aucun scrupule à éviscérer ses adversaires ?
— C'est le cas… mais Ayé est aussi une grosse flemmarde. Elle n'était pas d'humeur ce jour-là.
— Mouais, OK. Et les autres ?
— Sanka était défoncé. Amalia baisait avec Mario. La Vierge encore en mission. Moi, eh ben j'avais plus à me faire à les laisser passer, et Hypolita avait paumé son arc et ses flèches.
— Vous êtes sérieux, vous tous ? n'en ai-je pas cru mes oreilles.
— Bah, personne n'a pris la menace vraiment au sérieux. À part peut-être Emmanuello qui commençait à paniquer en voyant les rebelles investir les maisons sans encombre. Si Judith ne les avait pas arrêtés, il ne serait resté que lui pour défendre le Sanctuaire, étant donné qu'Irma refuse catégoriquement de mettre les pieds dans la froide maison du Verseau.
— Ah-ah ! J'imagine la tronche qu'il devait tirer…

Bref, nous avons bu ensemble quelques bières pendant que nous discutions. Harvey a tout fait pour me motiver, me disant qu'il croyait en mon courage et ma force de volonté, en mon sens du devoir et en mon honneur, et qu'il connaissait mon goût prononcé pour les combats. Franchement, il n'avait pas besoin de tout ça : j'attendais de me battre avec impatience.

Quelques minutes après notre séparation, c'est le Maquereau qui tentait une approche, une bière à la main.

— Faisons la paix pour de bon cette fois, a-t-il déclaré en me tendant la chope.

J'ai accepté l'offrande, mais avec méfiance. Il a tenté un sourire rassurant mais ça ressemblait plutôt à une grimace d'une hyène sous acide. Il a commencé à me baratiner, à me dire combien il était désolé de toutes nos disputes, à vanter mes mérites et mon courage et à se dire prêt à enterrer la hache de guerre. Je me doutais qu'il y avait anguille sous roche, mais j'ai accepté de faire un effort puisque c'était la volonté du Grand Pope.

— Très bien, très bien. Puisqu'on est potes maintenant, j'ai un service à te demander : j'ai besoin que tu laisses passer nos ennemis quand ils seront là.
— Hein ? Quoi ? Tu te fous de moi, là !
— Pas du tout ; j'ai parié une forte somme contre toi. Sois sympa et laisse-les passer en l'honneur de notre nouvelle amitié.
— Je ne vais pas faire ça.
— Mais, putain, fais un effort pour une fois ! Je me casse le cul à essayer de me montrer cool avec toi comme le veut mon père, et toi tu viens tout foutre en l'air !

Et il est parti en pestant et en me maudissant de tous les noms. Que devais-je faire ? Faire mon devoir de chevalier et affronter nos ennemis, ou les laisser passer dans l'espoir d'améliorer mes relations avec le Grand Pope et son fils ? Un dilemme qui m'a tourmenté jusque-là.


Les trois rebelles viennent de franchir les portes arrière de ma maison et grimpent en direction de celle du Taureau. Voilà, je les ai laissé passer. Je me lève tranquillement, avance doucement jusqu'aux escaliers et observe nos ennemis s'éloigner de moi. Ils doivent être assez loin, maintenant. J'y vais !

En un éclair je les rattrape, les devance et leur barre la route. Ils s'arrêtent net et prennent une position de garde. Pff, il ne s'agit que de trois chevaliers de bronze : le Caméléon, le Petit Cheval et la Petite Ourse. Je gonfle mon cosmos, prêt à attaquer.

C'était dans le journal ce matin : une nouvelle loi d'Athéna faisant partie de la moralisation de la vie chevaleresque. Chaque chevalier d'or doit désormais prendre en charge tous les travaux nécessaires dans sa maison. Tout ça à cause de l'autre con qui voulait se faire construire une piscine aux frais du contribuable. Si j'avais combattu mes ennemis à l'intérieur, j'aurais dû retenir mes coups pour éviter de faire des dégâts et devoir payer les réparations. Là, en plein milieu des escaliers, je vais pouvoir m'en donner à cœur joie.

Et l'autre couillon de Maquereau qui s'imaginait que j'allais accepter son deal… Laisser passer l'occasion de me défouler… non mais, pour qui il se prend, ce connard ? Si je me suis rasé exprès pour l'occasion, ce n'est sûrement pas pour laisser la chance me passer à côté. Je me fous des paris de chacun ; tout ce que je veux, c'est défoncer quelques types.

— Laisse-nous passer, tente le Petit Cheval. Tu défends une fausse Athéna. C'est un imposteur.
— Tu m'en diras tant…
— Mais enfin, ouvre les yeux, chevalier, poursuit-il. Le Sanctuaire n'est plus que l'ombre de ce qu'il était. Où sont la justice et la paix promises par Athéna ? Je ne vois plus que corruption et oppression. Nous savons combien tu es noble ; ta véritable place est de notre côté. Rejoins-nous ! Tu nous seras d'une aide précieuse.
— Ahhhh, bâillé-je, complètement indifférent à son discours. Tu as fini ? On peut combattre maintenant.
— Alors tu choisis le camp du mal, chevalier. Nous allons donc t'éliminer.
— Ah-ah ! ris-je. Vraiment ?
— Ne nous sous-estime pas, rage le Caméléon. Nous ne pouvons pas perdre, parce que la justice est de notre côté.
— Vous maîtrisez le septième sens, au moins ?
— Le quoi ? s'étonnent-ils tous les trois en chœur.
— Non, mais vous êtes sérieux, là ? Vous vous attaquez au Sanctuaire et vous n'avez jamais entendu parler du septième sens ? Quelle bande de branquignols…
— Tais-toi. Nous n'avons pas besoin de ça : nous avons la justice, je te rappelle, et nous allons purger le Sanctuaire du mal qui l'habite.
— Non mais, sortez de vos illusions stupides. Le mal, le bien, ça n'existe pas. Tout est entre ces deux pôles. La justice ne vous sera d'aucun recours dans ce duel.
— Tu mens, chevalier ! hurle le Petit Cheval.
— Vous me saoulez, les gars. Commençons le combat, qu'on en finisse au plus vite. Je vous laisse attaquer les premiers.

J'accrois mon cosmos à sa moitié, histoire de me montrer menaçant. Les trois imbéciles semblent déjà bien inquiets et chargent leur énergie, prêts à attaquer. Putain, ces cons ne maîtrisent pas le septième sens… ce combat sera vite réglé.

— Par la Danse du Petit Cheval !
— Par les Démangeaisons de la Petite Ourse !
— Par l'Arc-en-ciel du Caméléon !

Trois misérables vaguelettes d'énergie cosmique viennent s'échouer contre mon armure qui absorbe le coup sans broncher. Purée, j'aurais aimé mieux que ça.

— C'est impossible ! s'étonne le Petit Cheval. Il a résisté à nos plus puissantes attaques.
— Grouahaaaaah ! hurlé-je à mon tour, prêt à lancer une attaque. Déflagration Atomique !

Une onde de choc se répand autour de moi, faisant exploser tout sur son passage. Après quelques secondes, quand le nuage de poussière commence à se dissiper, je me retrouve au centre d'un grand cratère de dix mètres de rayon. Deux de mes opposants ont littéralement été désintégrés par mon attaque. Le dernier, le chevalier du Petit Cheval, tient à peine sur ses pieds. Un de ses bras et l'épaule à laquelle il était accroché sont manquants.

— Oh, tu es toujours vivant ! Me voici très étonné… Tu es plus fort que ce que j'imaginais.

Mais bon, je ne vais pas me montrer plus magnanime pour autant. J'adopte la même pose que précédemment, prêt à l'achever.

— Une même attaque ne peut atteindre deux fois un même chevalier, parvient-il à prononcer tandis que son sang gicle de son épaule manquante.
— Déflagration Atomique !

Nouvelle onde de choc. Cratère plus profond. Il ne reste plus que les pieds du chevalier ; le reste est parti en poussière. Pas deux fois un même chevalier, qu'il disait ? Décidément, il était vraiment naïf. Bon, bah, j'ai dû battre le record de l'invasion la plus rapidement arrêtée. Je retourne tranquillement vers ma maison.

— Par l'illusion du Phénix Noir !

Je ne l'ai pas senti, mais quelqu'un d'autre était là, bien caché. Un filet de cosmos me traverse le cerveau, faisant valdinguer mon casque. Ma vue se brouille et mes membres se mettent à trembler tandis qu'une panique intense me saisit.

Je me revois jeune enfant à l'école, en pleine tribune devant tout le monde, devant réciter un poème dont je n'ai pas appris la moindre ligne. Ma maîtresse – madame Bigodine, avec ses grosses lunettes hideuses et sa tronche de pitbull anorexique – fulmine de colère en faisant claquer d'un air menaçant une épaisse règle de métal contre sa main. Tous mes camarades se moquent en me pointant du doigt. Les rires résonnent de plus en plus fort, accompagnés par les vociférations de la vieille tandis que je m'aperçois que je suis complètement nu. Je veux fuir mais mes pieds refusent de bouger. Non, c'est horrible ! Ah, mon Dieu, sortez-moi de là ! Un cri sauvage. Mon cosmos explose. Je retourne à la réalité.

— Oh, tu t'es libéré de mon illusion… Je suis très impressionnée : rares sont mes ennemis à avoir su faire face à leur pire cauchemar.

Un bûcher de flammes noires apparaît à quelques mètres devant moi. En sort mon nouvel adversaire. C'est une femme, plutôt jolie avec ses longs cheveux noirs, dans une armure noire ressemblant comme deux gouttes d'eau à ce qu'était celle du Phénix quand elle n'était qu'une simple armure de bronze. Qui est cette personne ? D'où vient-elle ? Pour qui travaille-t-elle ?

— Ces misérables étaient des bons à rien, déclare-t-elle, dédaigneuse. Ils ne m'auront pas été très utiles.
— Ils travaillaient pour toi ?
— Ils devaient m'amener jusqu'au palais du Grand Pope pour que je m'empare de l'armure divine du Phénix. Elle me revient de droit !
— Alors c'est toi qui t'es fait passer pour Athéna, en conclue-je.
— Non : tu fais erreur, Bélier. Je n'ai jamais prétendu être Athéna. Je suis Sartienpa du Phénix Noir.

Drôle de prénom. J'ignore de quelle origine c'est. Son physique ne m'aide pas davantage : la couleur sombre de sa peau rappelle la teinte de celle des Maghrébins alors que les traits de son visage et ses yeux donnent plutôt l'impression d'une origine extrême-orientale. Pas le temps de tergiverser sur ce mystère : je charge. Un chevalier qui a réussi à me porter une attaque, voilà un combat plus passionnant !

Elle évite les premiers coups mais est très vite dépassée par la vitesse de mes attaques. Une frappe l'atteint à l'estomac, lui faisant baisser sa garde. J'en profite pour lancer ma Déflagration Atomique. L'explosion la désintègre comme ses prédécesseurs. Nul doute qu'elle était bien plus puissante que ses sous-fifres, mais le combat a été aussi vite réglé. Me voilà déçu.

— Par l'illusion du Phénix Noir !

Ce coup-ci, je ne suis pas surpris et évite l'attaque. Sartienpa réapparaît dans un torrent de flammes noires. Je souris, heureux que le combat ne soit pas encore terminé.

— Je croyais t'avoir tuée…
— Et tu l'as fait, mais le Phénix Noir renaît de ses cendres.
— Déflagration Atomique !

Cette fois encore elle est broyée dans une explosion de chair et de sang. Plusieurs secondes après, nouvelles flammes noires, nouveau retour de Sartienpa.

— Chaque fois que tu me tueras, je renaîtrai de mes cendres. Tu ne peux me vaincre. Tel est le pouvoir du Phénix Noir.

Je suppose que son pouvoir vient de son armure. Testons cette hypothèse. Plutôt que de provoquer une nouvelle explosion, je me sers de mon poing pour canaliser ma déflagration afin de viser plus précisément. Je charge, échange quelques coups avec elle avant d'enfin l'atteindre en plein dans la poitrine, concentrant tout mon pouvoir pour détruire l'armure plutôt que sa personne. Sans celle-ci, impossible de se régénérer.

Le choc la projette violemment en arrière tandis que les différentes pièces de l'armure noire volent en éclats. Sartienpa retombe sur ses jambes, tel un chat. Elle est essoufflée. Son visage est tuméfié et ses vêtements sont calcinés. Le voilà donc torse nu. M'apparaît alors une très jolie et généreuse poitrine. Subjugué par la beauté du spectacle, j'oublie de l'achever. Elle profite de cette distraction pour me charger et me lancer une attaque.

— Par les ailes du Phénix Noir !

Son cosmos se manifeste en un immense oiseau de flammes noires qui s'abat sur moi. Mon armure encaisse le choc mais l'attaque m'a fait perdre du terrain. Sartienpa est sur moi et ses poings m'atteignent violemment le visage. Ah, la douleur, signe d'un bon combat.

— Déflagration Atomique !

Bon, elle est juste à côté de moi. Aucune chance qu'elle résiste à mon attaque à cette distance. Comme les fois précédentes, mon ennemi disparaît dans un nuage de cendres. Cette fois, c'est terminé. Nouvelle erreur : les flammes noires signent un nouveau retour dans une armure flambant neuve.

— Je te l'ai dit : tu ne peux me vaincre, chevalier. Mon armure et mon corps sont capables de se régénérer. Chaque fois que tu me tueras, je reviendrai. Tu t'épuiseras, et alors tu commettras une erreur : et c'est là que je te tuerai. Tu ne peux gagner ce combat malgré ta puissance.
— Ah-ah-ah… suis-je pris d'un fou rire incontrôlable.

Elle semble désarçonnée par ma réaction, elle qui devait sans doute espérer me faire peur.

— Pourquoi ris-tu alors que je t'ai expliqué ta future défaite ? Il t'est impossible de me tuer. Me suis-je bien fait comprendre ?
— Oui, tout à fait. Depuis le temps que je rêvais d'un combat interminable… souris-je sadiquement. Je vais bien m'amuser !

Je charge, et avec une vitesse monstre abats une série de coups puissants sur tout son corps. Les os craquent, le sang gicle et ses cris résonnent. Elle a beau être puissante, sa vitesse est loin d'égaler celle d'un chevalier d'or. Elle ne peut rien faire contre moi. Je l'achève une nouvelle fois avec une Déflagration Atomique.

Dès son retour des flammes, je suis de nouveau sur elle, faisant éclater les os réparés et lui arrachant des membres. Notre petit jeu dure comme cela pendant plusieurs réincarnations, mais au bout du dixième round, Sartienpa, complètement brisée, est à terre, incapable de se relever. Je charge mon cosmos, prêt à la tuer une nouvelle fois.

— Stop ! hurle-t-elle. Tu as gagné, Bélier, pour cette fois. Je n'en peux plus. On se reverra et j'aurai ma revanche.

Un cri retentit et son corps s'enflamme de lui-même. Sartienpa disparaît dans cette auto-combustion. L'attaque du Sanctuaire est maintenant terminée. Tout du moins, pour le moment. Le Phénix Noir étant toujours en liberté, on risque de le revoir voler par ici.

Les chevaliers du zodiaque II