Piégée

Le reste de la journée m'a semblé bien triste et absolument calme : des étudiants qui bisouillent des étudiantes, une pause déjeuner sandwich pour Karen, et puis rien de plus ludique. J'ai raconté à ma nouvelle copine ce que j'avais vu dans le bureau du prof.

— Ce mec est un gros pervers. Il y a deux ans, il était encore assistant ; il s'est porté volontaire pour aider aux visites médicales, il s'est rincé l'œil, a tripoté et même abusé des étudiantes, jusqu'à ce que le doyen lui demande de faire autre chose… Même Lauréline m'en a parlé ; pourtant, elle est tout sauf coincée.

Je souris. Nous sommes assis sur les marches de l'université et Karen me parle comme si j'étais vraiment près d'elle, mais elle n'a pas vu sa copine arriver et se trouve bien ennuyée quand cette dernière l'interpelle :

— À qui tu parles de moi comme ça ? T'es chiée ! T'es au tel avec qui ?

Faisant mine de raccrocher son téléphone et de le ranger dans sa poche, elle répond :

— C'était Virginie, la petite pimbêche. Le prof d'histoire de l'art l'a un peu taquinée et elle s'en plaint partout.
— Ah, OK, je croyais que tu parlais encore à ton ami imaginaire de cette nuit…

Karen ne relève pas et reprend la dégustation de ce formidable jambon-beurre acheté à la cantine. De mon côté, je me suis levé pour regarder cette jolie Lauréline, que je n'avais vue qu'endormie. Elle est très jolie : grande, des cheveux bruns bouclés descendant jusqu'aux épaules, un sourire flamboyant et de magnifiques yeux bleus. Je l'avais remarqué cette nuit, mais elle a un cul bien rond et qui commence à être un peu trop large ; il va falloir y prendre garde si elle ne veut pas finir comme madame Sarfati (Élie Cacou). Ses seins, eux, peuvent encore s'arrondir ; ils sont déjà bien proportionnés, mais j'aime bien les grandes tailles. Mais de quoi je parle ? Je n'aurai plus jamais l'occasion d'en caresser un !

— Tu vois Arnaud aujourd'hui ? demande Karen pour éluder la précédente question.
— Oui, j'ai hâte : on va passer l'aprèm dans son appart.
— Toi, tu va baiser toute la journée, veinarde !

Bah voilà, j'ai mon programme de l'après-midi : je vais suivre Lauréline et jouer encore les voyeurs. Comme je la sais réceptive à mes demandes, je vais m'amuser un peu… Après tout, je n'ai pas grand-chose d'autre à faire.

Lauréline, qui n'a fait que passer, salue son amie et prend le chemin de l'appartement de son chéri. Je demande alors à Karen son programme mais n'écoute que d'une oreille distraite, cherchant à ne surtout pas perdre mon « programme » de vue.
Me voyant faire, Karen me dit :

— J'ai des cours tout l'après midi ; tu vas faire quoi ?
— … Je vais aller me promener.
— Je vais sucer des bites tout l'après-midi.
— Ah oui ? OK, je te laisse.

Puis, prenant conscience de ce qu'elle vient de dire, j'ajoute :

— Quoi ? Qu'est-ce que tu as dit ?
— Rien d'intéressant, mais comme tu ne m'écoutes plus… T'es vraiment tordu ; tu vas vraiment aller les mater ?
— Oui, j'ai rien de plus excitant à faire.

Et sur ces mots j'emboîte le pas à la jolie brune, laissant ma copine dépitée.

Lauréline avance d'un pas assuré vers un immeuble ancien, un peu défraîchi, qui doit être celui de son amant. Elle entre dans le hall et monte au deuxième, frappe à la porte, et un jeune homme grand et très brun vient lui ouvrir. Elle se jette à son cou, et après l'avoir embrassé avec fougue se recule et lui dit :

— Tu as bu, tu sens l'alcool.

L'entraînant par la main à l'intérieur de l'appartement, il répond :

— Ouais, quelques bières avec Renan en t'attendant.

La jolie brune semble surprise que son homme ne soit pas seul. Je suis moi aussi un peu déçu : ça sent l'après-midi console ou match de foot, loin de ce que j'avais imaginé, comme Lauréline sûrement.

Les deux gars sont installés dans le canapé ; la table basse devant eux et pleine de canettes de bière. Ils sont en train de regarder un match et ne semblent pas s'intéresser à la demoiselle qui, dépitée, s'installe devant l'évier de la cuisine et, pour calmer ses nerfs, entreprend de laver la vaisselle sale entassée là.
Arnaud lui dit alors :

— Tu nous amèneras deux binouzes, ma chérie ?

Passablement agacée, elle sort deux boissons du frigo et les pose un peu fort, volontairement, sur la table devant eux. Le beau brun lui lance un regard noir et déclare :

— T'inquiète, ma chérie, le match est presque fini ; après, on pourra baiser.

C'est un peu trop pour la jeune femme, qui s'énerve :

— Tu me prends pour quoi ? T'es pas bien ?
— Fais pas ta mijaurée ; t'es une salope, c'est même toi qui l'as dit l'autre soir quand on baisait dans le couloir. Renan s'en fout. T'es venue pour baiser ? Alors on va baiser ! D'ailleurs, tu devrais commencer à me sucer…

Lauréline est rouge écarlate. Elle explose littéralement au visage du mec :

— Tu me prends pour ta pute ? Pauv' mec… Je me casse !
— Même pas tu quittes la pièce, sinon j'envoie la vidéo à toute l'université et à tes vieux. Tu sais, celle où tu me supplies de te baiser comme une chienne sur le canapé chez ta cousine !

Il est gonflé, le mec ! Il est bourré aussi. Lauréline est en larmes et ne bouge plus.

— Tu ne vas pas faire ça ? Tu m'avais promis que tu l'avais effacée, cette vidéo…
— Bah, faut croire que je l'ai pas fait. Allez, maintenant à genoux comme une bonne chienne, et viens nous sucer la queue.

Elle ne semble pas prête à se résigner. Stoïque, elle reste debout derrière le canapé, les bras croisés. Arnaud ajoute alors :

— Si tu te décides pas à venir, je mets aussi la vidéo sur Youporn. Allez, magne, le match va finir !

Là, je suis devant un cas de conscience : dois-je essayer d'empêcher ce gars d'abuser, aider Lauréline à se sortir de là, ou rester à regarder ? Bon, je ne suis pas un gros salaud ; je vais l'aider, la petite. Je glisse alors à l'oreille d'Arnaud :

— Laisse tomber cette meuf, elle est trop coincée.

Comme il est saoul et en plein délire sexuel, il est peut-être réceptif. Lauréline, elle, n'a toujours pas bougé et reste les bras croisés à la même place. Arnaud dit alors :

— Putain, ce que tu es coincée ! Allez, vas-y, bouge, casse-toi !

Lauréline profite de ce que son ex petit ami est de meilleure composition pour ramasser ses affaires et prendre la direction de la porte ; puis, se ravisant, elle se retourne, attrape le portable d'Arnaud sur la table basse et le fracasse contre le mur.

— Mais t'es conne ou quoi ? Mon portable !
— Au moins tu n'auras plus ni la vidéo, ni mon numéro !

Elle sort en claquant la porte derrière elle.
Un peu déçu par la tournure des événements, je la suis dans l'escalier. Je ne suis pas si salaud que ça, finalement… Voyeur, oui ; mais salaud, non !

Me voilà de nouveau de retour dans l'immeuble. Les deux colocataires pleurent dans les bras l'une de l'autre après que Lauréline ait raconté sa mésaventure de l'après-midi. Elle n'a pas compris le brusque revirement de son chéri, ex-chéri, mais avoue qu'elle était prête à s'exécuter pour éviter de voir tourner la vidéo dans toute l'université. Karen la rassure en disant qu'elle a bien fait, que ce salaud d'Arnaud aurait abusé, puis sûrement re-filmé et diffusé quand même. Pire, il aurait sans doute continué à la faire chanter. Jusqu'où ?
Bref, elles pleurent ensemble, et moi je m'ennuie.

Les bobos ne sont pas encore rentrés, la vieille a déjà pris ses cachets, et mes deux nymphettes ne feront rien de drôle ce soir. Je vais m'ennuyer ferme…
Alors que je vais sortir de la pièce, j'entends Karen dire :

— Tu sais, je crois que mon « ami imaginaire » t'a aidée aujourd'hui.
— Quoi ? De qui tu parles ? Je ne comprends rien.

Lauréline essuie son nez d'un coup de mouchoir en papier et fronce ses sourcils en regardant sa coloc qu'elle pense visiblement barrée.

— Le gars que je voyais l'autre nuit dans la chambre. Bah, il est encore là ; je le vois et je lui parle.
— Ouh là là… Tu as fumé quoi ?
— Je te jure qu'il est là ; il m'a même raconté ta mésaventure avant que tu reviennes.
— Arrête, tu me fais flipper, là !

Je reviens sur mes pas et je lui souffle quelques détails pour convaincre son amie.

— La preuve : je peux te dire que tu as balancé le portable sur le mur près de la porte, et qu'Arnaud avait un tee-shirt bleu et blanc marqué « Allée l'OM ». Jeu de mots ou faute ? Il est pourri.

Lauréline reste sans voix. Elle n'y croit pas encore, mais semble surprise.

— Il y avait Renan avec lui, qui n'a pas dit un mot. Ils ont bu de la bière ; tu leur en as même servi une chacun. Ah oui… tu as commencé à faire la vaisselle.

La brunette fronce encore un peu plus les sourcils et plisse sont petit nez.

— Tu m'as suivie, c'est ça ?
— Mais non ! Tu sais bien que j'avais des cours cet après-midi ; c'est le gars que tu ne vois pas qui me donne les infos.

auréline s'affale en arrière sur le lit en poussant un soupir déchirant.

— Ma meilleure amie voit des fantômes, et mon mec voulait une partie à trois sous la menace… Quelle journée !

Karen se tourne vers moi et me dit :

— Là, je sais plus comment lui prouver. Tu ne peux pas faire quelque chose ?
— Je suis invisible pour tout le monde sauf toi : je suis mort, rappelle-toi. Que veux-tu que je fasse ?
— Je ne sais pas, moi, viole-la !

Lauréline se redresse d'un coup, affolée.

— C'est à lui que tu demandes de me violer ? Mais t'es dingue ! Si ça se trouve, c'est un barjot !
— Bah, tu crois ce que je dis, maintenant ?

La jolie brune se recouche et ajoute :

— Non, c'est vrai, t'es à l'Ouest ; y a personne ici.

Je m'avance vers Karen pour lui poser la main sur l'épaule, sans succès : ma main traverse sa chair sans aucune réaction de sa part… Sans presque aucune réaction.

— Tu frissonnes quand je fais ça ? dis-je en recommençant.
— Bah oui, c'est froid !
— Mais je suis un ectoplasme ; je n'interagis avec rien, ni personne.
— Bah, moi je sens quelque chose.
— Karen, c'est peut-être parce que tu y crois. Je peux ?

Je lui désigne son genou et y pose ma main. Elle a un léger mouvement de recul, puis sourit.

— C'est génial, tu peux me sentir !
— Un peu : juste une caresse, un courant d'air, pas plus.
— Bah, c'est toujours plus que tout ce que j'ai pu faire ces derniers temps.
— Ouais… Bah, ça va pas changer la face du monde. Et puis enlève tes pattes de mes cuisses !

J'avais glissé ma main sur sa cuisse, ce qu'elle a senti.
Je ne suis pas pervers, juste un peu en manque de caresses et de… femmes.

À ce stade de l'histoire, je dois faire une parenthèse afin de vous donner quelques détails de ma vie précédente.

Je m'appelle Franck. J'avais 45 ans quand je suis décédé ; cela, vous le saviez déjà. Mais dans ma vie, je n'ai pas toujours été le mari aimant et dévoué à sa famille. J'ai toujours eu un physique qui plaît aux femmes ; ne me demandez pas pourquoi, je n'en sais strictement rien, mais les femmes se sont souvent intéressées à moi sans que je fasse quoi que ce soit. Dramatique ? Non, j'en ai usé, beaucoup usé de ce charme magique. J'ai mis dans mon lit – pour ne pas dire ailleurs – beaucoup de jolies femmes, parfois de manière inattendue, parfois calculée (je ne suis pas un saint, après tout). Bref, j'ai profité de ce charme pour m'envoyer en l'air un paquet de fois, jusqu'à ma rencontre avec ma femme ; elle m'a offert tout ce que je pouvais rêver chez une femme et que je n'avais jamais trouvé.

Ceci étant dit, depuis que je suis mort – même si je joue les voyeurs intempestifs – je n'ai évidemment plus aucune relation charnelle. Alors vous pouvez comprendre ce délice des sens lorsque j'ai posé ma main sur sa cuisse et que non seulement elle a ressenti la caresse, mais que j'ai également senti sa chair sous mes doigts.

Se pose alors à moi une question simple : qu'est-ce qui fait qu'elle me voie et puisse maintenant me ressentir ? Le fait qu'elle croit en mon existence ? J'en suis moi-même tout retourné, et cela me laisse dans l'expectative. Si elle peut ressentir la caresse de ma main, me voir, alors pour quelqu'un qui croirait en moi au point d'avoir envie de me toucher, cela rendrait-il la chose possible ? Que de questions sans réponses…

Je laisse mes deux copines à leurs pleurs et je pars me réfugier sur le toit, comme à mon habitude, pour profiter de la vue et des derniers rayons du soleil sur Paris.

Depuis quelque temps je parviens à isoler les voix des vivants quand ils pensent. Avant, cela faisait un brouhaha insupportable ; je saisissais quelques sensations, quelques mots (comme la première fois sous le pont) mais la plupart du temps c'était juste un bruit informe et permanent. Alors, comme cela ne m'apportait rien, j'avais choisi de l'ignorer ; et jour après jour, j'en avais même oublié l'existence. Et puis là, allez savoir pourquoi, assis sur mon toit, j'ai repensé à cette capacité et j'ai ouvert mon esprit pour laisser entrer les voix. Ouais, je sais, ça fait bizarre dit comme ça ; on pourrait penser que je suis barje : mais non, je suis juste mort. Faut bien qu'il y ait quelques avantages à cette situation des plus dramatiques.

Pendant un instant le flot a été intense, puis j'ai commencé à faire le tri. J'ai volontairement écarté les commentaires sur la télévision, le foot, la politique, quand… Tiens, cela est plus amusant ! J'ai isolé une pensée, une seule, et me suis concentré dessus. Vous vous en doutez, il s'agissait de sexe. Mais comment trouver l'auteur de ces pensées ? Une femme… sans doute jeune… un peu inexpérimentée… lesbienne. Je reconnais les constructions des pensées, mais elles sont troublées par… les pensées d'une autre femme. Putain ! C'est Karen et Lauréline qui se font un câlin !

Je redescends précipitamment de mon toit et entre dans la chambre de Karen. Comme je m'en doutais, elles sont l'une sur l'autre, nues, et se lèchent copieusement le sexe dans de doux gémissements. Karen, sur Lauréline, tourne le dos à la porte au travers de laquelle je suis passé ; elle ne peut donc pas me voir. Quant à sa camarade, en dessous, même les yeux grands ouverts, elle ne me voit pas.

L'occasion de faire un test est trop tentante. Je m'avance et pose le bout de mon doigt sur la rondelle anale qui est offerte à ma vue par cette position de 69. Voyons jusqu'où je peux interagir. Elle pousse un petit couinement au moment où je la touche mais reste à sa place, pensant sûrement que Lauréline, entreprenante, lui caresse l'œillet.

Elles gémissent de plus en plus fort sous les coups de langue qu'elles s'offrent, sûrement pour se réconforter. Moi, je continue mon test et force l'entrée de l'anus, introduisant mon doigt jusqu'à la deuxième phalange. Pas plus de réactions, si ce n'est l'accélération de sa respiration. Je commence alors à bouger d'avant en arrière et de plus en plus profondément.
Karen se déhanche pour mieux sentir la pénétration digitale qu'elle pense être l'œuvre de sa partenaire. Les mouvements deviennent désordonnés. Lauréline se raidit en premier, Karen la rejoint dans la jouissance seulement quelques secondes après. Moi, je reste ainsi, un doigt enfoncé jusqu'à la garde dans le cul de la jolie blonde, perdu dans cette nouvelle donne qui vient de m'éclater au visage : je peux agir sur les vivants !

Karen, repue, semble vouloir se relever et dit à son amante d'un jour :

— Tu peux retirer ton doigt ?

Et Lauréline, surprise, de lui répondre :

— Mais quel doigt ? Je ne te touche pas !

Karen se relève alors d'un bond, se dégageant brutalement de ma pénétration et se tourne vers moi, furibonde. Moins surprise que je ne le pensais mais plus en colère, elle balance sa main en direction de mon visage. Évidemment, la gifle n'a aucun effet et la main traverse sa cible sans rien rencontrer. Furieuse, elle me crie :

— T'es vraiment un porc, un salaud, un profiteur !

Lauréline, surprise par ce qui semble être une colère brutale, se redresse sur ses coudes, et interloquée lui demande :

— Mais à qui tu parles ? Que t'arrive-t-il ?

Puis, se ravisant :

— Ah oui, ton ami imaginaire… Il a fait quoi, cette fois ?

Karen se tourne vers sa coloc, la dévisage, puis haussant les épaules lui répond :

— Tu ne me croiras pas, mais ce salaud m'a mis un doigt dans le cul pendant qu'on se caressait ; j'ai cru que c'était toi. Il est vraiment dégueu de me faire ça !

Lauréline, toujours sur le lit derrière Karen, s'assoit.

— Je vais finir par penser que t'es vraiment barje ! Comment il ferait ? Tu m'as dit que c'était un fantôme : il ne peut pas toucher quoi que ce soit ; alors, te mettre le doigt dans le cul… Remarque, ça avait l'air d'être bon : tu prenais du plaisir. J'aurais bien aimé, moi !

La blonde s'écarte du lit en direction de la salle de bain en maugréant :

— T'es vraiment une salope, toi ! Je suis bien entourée, moi, avec ces deux-là…

Alors qu'elle quitte la pièce, je me retrouve face à Lauréline que je dévore des yeux ; elle est vraiment jolie, cette brune pulpeuse, offerte sur le lit. Je promène mon regard sur son corps tant il est appétissant, mais en remontant vers son visage je prends conscience que quelque chose vient de se produire : elle a les yeux écarquillés, la bouche entrouverte, et semble surprise. Elle cligne plusieurs fois des yeux, puis balbutie :

— Karen… T'es pas barje… Je le vois !