Ilsa, la Gardienne de l'Empire - II

D'après nos informateurs, Ilsa avait établi son quartier général sur la planète Servacos. Cette planète abritait des mines d'andris et de carsunum, deux des épices les plus convoitées de la galaxie. Planète à l'environnement désertique et hostile, on s'y rendait rarement pour son plaisir. C'était là que l'Empire envoyait travailler jusqu'à leur mort les prisonniers politiques dont il souhaitait se débarrasser. Et qui donc était plus qualifié qu'Ilsa pour régner impitoyablement sur ce monde affreux ?

Joaquim avait posé le Faucon Millénium à quelques lieues de la Forteresse Noire dans laquelle Leïa était retenue prisonnière. Obi-Wan nous remit à tous un équipement spécial composé, outre du blaster, d'un masque à oxygène protégeant les yeux et la bouche. L'atmosphère de Servacos était en effet remplie de particules d'épices qui rendaient euphoriques jusqu'à la folie ceux qui y restaient trop longtemps exposés. Il fut entendu que nous partirions à trois et que Joaquim garderait l'appareil.

Entrer dans la Forteresse ne fut pas très difficile. Elle avait été construite à partir des ruines d'un vieux château qui possédait un dédale de souterrains que les Jedi avaient utilisé durant des siècles. Obi-Wan en avait consulté les plans, et nous ne tardâmes pas à nous trouver à l'intérieur.

Toute personne ayant regardé la saga Star Wars made by Lucas (je passe volontairement sur la daube d'une absolue nullité qu'a produite Disney, appelée Le réveil de la Force et qui ne réveille même pas le spectateur) sait avec quelle facilité on peut venir à bout des soldats de l'Empire qui gardent un bâtiment : ils ne voient rien, n'entendent rien, et même lorsque l'on tombe face à face avec eux, leur capacité à réagir est telle qu'il est possible de les neutraliser avant qu'ils n'aient eu la possibilité d'articuler le moindre son. En cela, cet univers divergent ne divergeait pas de celui que je connaissais. Nous n'eûmes donc aucun mal à trouver la pièce dans laquelle la princesse Leïa était retenue prisonnière. Elle était allongée, sans connaissance et totalement nue sur une table d'écartèlement, et la totalité de son corps splendide était couvert de zébrures indiquant qu'elle avait reçu d'innombrables coups de fouet. Obi-Wan s'avança et tenta de la réveiller en lui parlant tout doucement.

— Princesse Leïa… Princesse Leïa… Réveillez-vous… Nous sommes venus vous délivrer…
— Qui êtes-vous ?
— Je m'appelle Obi-Wan Kenobi. Vous avez entendu parler de moi, je crois…
— Qu'est-ce qui me prouve que vous dites la vérité ? Qu'il ne s'agit pas encore d'un tour de cette abomination destiné à me faire parler ?
— Hum… Vous avez envoyé Carter pour me chercher.
— Je ne sais pas qui est… Carter.
— Je suis là, Princesse… J'ai trouvé Obi-Wan comme je vous l'avais promis. Allons, dépêchons-nous, nous n'avons pas beaucoup de temps.
— Vous n'en avez plus du tout ! Ah-ah-ah…

Ilsa venait de faire son apparition, accompagnée d'une dizaine de soldats impériaux.

— Oooh, mais je suis honorée… Recevoir la visite du jeune Luke Skywalker et du dernier Jedi vivant de la galaxie, voilà un événement qui me remplit de joie. Et tout cela grâce à vous, Monsieur Carter. Je vous en remercie… profondément.
— Tu devrais plutôt trembler, démon !
— Allons, Carter… Un peu de respect, s'il te plaît. Messieurs, je suis tellement heureuse que vous preniez si à cœur les affaires de l'Empire… L'extraction de l'andris, voyez vous, est une chose difficile. Et savoir que vous venez volontairement afin de travailler dans nos mines me comble de plaisir. Mais avant, je voudrais vous offrir un petit spectacle…

Elle appuya sur une télécommande, et la table d'écartèlement se mit en marche. Leïa poussa un atroce cri de douleur. Luke dégaina immédiatement son blaster, et une chose proprement incroyable eut alors lieu : il fut désintégré par le laser d'un garde qui lui avait tiré dans le dos.

— Derrière moi, Carter ! hurla Kenobi en sortant son sabre laser.

Les gardes firent feu tous ensemble sur lui, mais il ne put que renvoyer quelques-uns des tirs. Les autres lui firent subir le même sort qu'à ce pauvre Luke.

— Quel dommage… Voilà de la main-d'œuvre gâchée alors que nous en avons tant besoin.
— Aaaah !

Je me retournai alors pour voir la princesse dont les membres venaient d'être arrachés de son corps. Un flot de sang commença à inonder le sol de la pièce où nous nous trouvions. Poussant un hurlement de désespoir, je bousculai les deux gardes qui se trouvaient devant moi et m'enfuis dans les couloirs en entendant l'infâme Ilsa crier :

— Rattrapez-le ! Mais ne le tuez pas : je le veux vivant !

Savoir que cette chienne me voulait vivant me donnait un avantage infini sur mes poursuivants : impossible pour eux de tirer. Mais ce n'était pas le cas pour moi… Je réussis à en abattre quelques-uns dans ma fuite éperdue jusqu'aux souterrains dont je parvins à bloquer l'accès. Courant comme un dératé, je finis par arriver jusqu'au Faucon Millénium en hurlant :

— Joaquim ! Vite, on met les bouts ! Tout a foiré !
— Ah-ah-ah… Je m'en doutais : z'êtes vraiment une bande de branquignoles !
— Qu'est-ce qui te prend ? Ils sont tous morts ; ça te fait marrer ?
— Ah-ah-ah… Non, mais j'ai retiré mon masque pendant cinq minutes pour réparer un des réacteurs… Et depuis, je suis pété de rire malgré moi.
— Putain, c'est pas vrai… Tout diverge d'avec ce que je connaissais, ici.
— Et dix verges, c'est énorme ! Ouah-ah-ah…
— Encore un jeu de mots pourri comme ça, et c'est moi qui te pète les dents, Joaquim ! Allez, on jarte !
— Hi-hi-hi… C'est parti, mon kiki !

Nous décollâmes assez rapidement, mais pas assez cependant pour ne pas être repérés par les chasseurs spatiaux de la Gardienne.

— Installe-toi aux canons, Carter, et amuse-les un moment… Je prépare les coordonnées afin de passer à la vitesse de la lumière.
— Fais vite, mec… Je ne sais pas tirer avec ces machins-là.
— C'est bien ce que je dis depuis toujours : les intellos, ça sert à rien ! Attention, on y est presque… « Banzaï ! » comme disent les Sioux dans les films de cape et d'épée !

Et c'est sur cette blague vaseuse du pilote que nous larguâmes nos poursuivants. Je venais cependant de découvrir une chose qui me faisait froid dans le dos : dans les mondes parallèles, le destin de chacun était très différent de celui que nous pouvions connaître : ce qui venait de se passer en était l'illustration parfaite. Ici, Ilsa régnait en Maîtresse. Que faire pour renverser la situation ?

— Et voilà, l'intello, nous avons semé les chasseurs, dit Joaquim alors que le Faucon Millénium reprenait un rythme de croisière normal.
— Ben non…
— Hein ?
— Regarde par toi-même…
— Putain, ils ont réussi à nous suivre ! Mais comment ont-ils fait ?
— Je ne sais pas, mais il va falloir que tu nous montres tes talents de pilote… Parce que là, ça craint quand même un maximum !
— Putain, l'intello, qu'est-ce que c'est que ce bordel ?
— Quoi encore ?
— Là, devant nous…

Une masse sombre qui avait toute les caractéristiques d'un trou noir nous faisait face.

— Je ne contrôle plus le vaisseau, l'intello. Nous sommes perdus !
— Qu'est-ce qui s'est passé ?
— À cause des vapeurs de l'épice ; j'ai dû merder quand j'ai entré les coordonnées…
— Ce qui veut dire ?
— Ben, j'en sais rien… Soit on va finir broyés, soit on va déboucher je ne sais pas où. Tu crois en Dieu ?
— Non.
— Ben, c'est con, parce qu'à part prier, y a plus rien à faire.

Nous fûmes bientôt aspirés par le trou noir, tout comme les chasseurs qui nous poursuivaient. Cela dura de longues, très longues minutes, puis nous fûmes comme projetés dans une partie de l'espace que Joaquim ne connaissait pas. Il commença à vérifier le fonctionnement du Faucon et tenta de se repérer.

— Bon, la bonne nouvelle, c'est que les chasseurs n'ont plus l'air d'être à nos trousses. La seconde bonne nouvelle, c'est que mon vaisseau est intact. Par contre, je ne sais pas où on est.

Nous errâmes quelques heures, croisant un tas de planètes inconnues et inhospitalières, jusqu'à apercevoir une petite planète bleue dont l'atmosphère semblait respirable.

— On va pouvoir atterrir et faire le plein, l'intello. Regarde…
— Putain… J'en crois pas mes yeux !
— Quoi ?
— La Terre ! C'est de là que je viens.
— Qui règne là-bas ?
— La finance internationale et la connerie. Mais ne t'inquiète pas pour ça. Essaie de trouver un endroit discret pour atterrir.

Nous nous posâmes au milieu d'une vaste forêt, dans une petite clairière qui semblait tranquille et sereine. En descendant du vaisseau, je tombai à genoux et embrassai la terre.

— Tu fais quoi, l'intello ?
— Si tu savais comme c'est bon de se retrouver chez soi, l'ami…
— Ouais… Ben, relève-toi et arrête de faire le con. Regarde ce qui vient d'arriver.

Une sorte de bûcheron venait de faire son apparition, l'air pas vraiment aimable, une barbe courte, des cheveux qui n'avaient pas vu un peigne depuis des mois, un embonpoint évident que cachait mal une chemise à carreaux rouges et noirs.

— Qu'est-ce que vous foutez ici, bordel !
— Ce serait trop long à vous expliquer, Monsieur, mais nous avons besoin d'un abri pour la nuit. Est-il possible…
— Ben ouais, je peux pas faire autrement…
— Je vous présente mon compagnon, Joaquim, et moi je m'appelle…
— Carter, je sais, je sais…
— Pardon ?
— Ah oui, je me présente : je m'appelle Brodsky.

Il était bien étrange, ce Brodsky. Pas vraiment hostile, mais j'avais la sensation qu'il nous regardait comme deux bêtes curieuses et qu'il était à la fois heureux et passablement ennuyé de nous voir. Il nous accueillit chez lui, dans ce qui semblait être une petite cabane et nous versa à boire.

— Comment ça s'appelle, ce picrate ? demanda Joaquim.
— Du porto.
— Hum… C'est vachement bon.
— Tu m'étonnes… répondit Brodsky en souriant. Bon, les gars… je sais bien que ça va vous surprendre, mais c'est pas la peine de me raconter votre histoire. Je suis au courant de tout. Du moins jusqu'à votre fuite de Servacos. Mais après… Qu'est-ce qui vous est arrivé, bordel ?
— C'est ma faute, Simon… Je suis désolée.

Une superbe créature venait d'entrer dans la pièce. Elle nous regarda, apeurée, et se précipita dans les bras de notre hôte.

— Qu'est-ce que tu racontes, Lilas ?
— Eh bien, pendant que tu étais parti chasser, j'ai voulu te faire une surprise et j'ai écrit quelques lignes supplémentaires. Je ne pensais pas que cela aurait une quelconque incidence…
— Oh non… Ma puce, je t'ai pourtant expliqué mille fois que nous donnons vie aux choses que nous écrivons. Chaque mot, chaque situation doivent être choisis avec soin, au risque de créer des univers qui ne cesseront ensuite de s'entrecroiser jusqu'à ce que plus personne n'y comprenne plus rien.
— Je suis vraiment confuse, mon chéri…
— Euh… ce n'est pas pour vous ennuyer, intervins-je ; mais là, je suis paumé.
— Et pourtant, c'est un intello haut de gamme ! reprit Joaquim qui venait de se servir un troisième porto.
— Bon, les gars, je vais vous expliquer… déclara Brodsky en s'installant derrière son ordinateur portable.
— PERSONNE NE BOUGE !

Les soldats de l'Empire venaient de faire irruption dans la pièce. Brodsky ne s'affola pas, et continua son explication tout en tapant furieusement sur les touches de son clavier.

— Les guignols en armure que vous avez devant vous sont des créations de mon esprit auxquelles je donne vie en écrivant mes histoires. Je vais donc immédiatement écrire qu'ils disparaissent, et… Voilà le travail.

Les soldats, en effet venaient tous de disparaître un à un.

— Mais alors, Monsieur Brodsky… Vous voulez dire que, moi aussi, je suis un personnage inventé par vous et dont vous racontez l'histoire ? Et que toutes les saloperies qui me sont arrivées ces derniers temps le sont par votre seule volonté ?
— Carter… je suis ton père. Et quoi que tu en penses, c'est grâce à moi que tu es vivant.
— Putain de fumier de merde ! Je vais te péter la gueule !

Je me levais pour réduire cet enfoiré en poussière lorsque soudain mon collier s'alluma de nouveau.

— Oh non…
— Oh si…

Nausées, vertiges, apparitions du trou noir… Tout allait donc recommencer à nouveau ?