Les amours de papier

Elle me narre des instants d'une intimité extrême ; de ceux qui vous font vomir ou sourire. Un amalgame d'amour et de jeux qui se confondent dans des joutes que la profane que je suis a bien du mal de comprendre. Jeanne m'explique comment tout a débuté : une fessée qu'elle a aimée, puis de fil en aiguille une suite de plus en plus poussée. Un curieux mélange, fait de cuir sous forme de cravache, de pinces à seins et autres ustensiles détournés de leur usage premier. Des moments de jouissance alliant tendresse et douleur, un cocktail détonant que j'écoute sans dire un mot.

Je ne fais aucun geste non plus, simple oreille attentive à une narratrice qui se perd dans certains détails pour revenir finalement à l'essentiel : à savoir qu'elle a adoré dans les débuts ces moments d'amour différents, qu'elle les a plébiscités aussi. Tout n'est que dosage, juste une question d'équilibre. Celui, harmonieux, des débuts enchanteurs a lentement dérivé vers un plaisir unique, celui d'un mâle ivre de pouvoir, un mâle qui ne cherchait plus la jouissance de sa partenaire, mais bien seulement la sienne.

Sa toute-puissance avait pris le pas sur le jeu. De plus en plus souvent elle devait lui obéir, se vêtir de la façon qu'il demandait, voire imposait, se fâchant et la punissant si ça ne lui convenait pas. La lente dégringolade vers un enfer quasi permanent. Puis il y a eu ses doutes, entre autres celui que Gabriel ait pu, à son insu, l'avoir prêtée à d'autres. Là-dessus, aucune certitude, seulement des soupçons, des doutes : difficile, lorsqu'on a les yeux bandés, de savoir ce qui se trame dans son dos. L'épouse soumise raconte que certaines nuits, à genoux durant des heures, elle subissait les assauts répétés de son mari ; ses incertitudes venaient de cette longévité dans l'étreinte.

Placée en levrette dès qu'un bandeau la plongeait dans le noir, elle ne savait pas pourquoi ces soirs-là Gabriel la prenait durant des heures, ne s'octroyant que quelques pauses bien courtes. Son sexe la pénétrait toute la nuit. Souvent, lors de ces séances où fouet et pinces devenaient des préliminaires incontournables, il semblait capable de rester tendu durant de longues heures. Contraste saisissant entre cette dureté de circonstance et l'expéditive jouissance qui le faisait se vider après trois ou quatre aller et retour lors de rapports traditionnels.

Tout au long de son exposé, je semble rester de marbre. Pourtant, au fond de moi mes sentiments sont terriblement contradictoires. Une sorte de dégoût que mon esprit enregistre à l'idée qu'elle puisse avoir été dupée de la sorte, mais également une incroyable pointe au ventre que mon corps laisse remonter. Cette guerre entre moi et mon ego me fait peur. Je me sens horrifiée par ces affreuses images qui s'impriment dans mon crâne, et d'un autre côté mon sexe qui s'humidifie aux paroles de cette femme qui raconte ces horreurs.

Heureusement que ton retour me ramène à une réalité perdue de vue depuis quelques minutes. Apparemment, tu es heureux. Tu sifflotes, tu souris. Un samedi magnifique sur un décor de carte postale avec, malgré cela, dans mon esprit un relent de pourriture. Ta risette, ta bonne humeur se figent alors que tes quinquets croisent les miens. Notre complicité est telle que tu devines que je suis mal à l'aise. Mais devant notre hôte, pas question de demander, de dire quoi que ce soit. Tu bricoles dans ton coin sans plus te préoccuper de ce que nous faisons.

Jeanne et moi préparons le repas, bavardant de tout et de rien car ses confidences sont bel et bien achevées. Elle ne dira rien de plus ; du reste, je ne suis pas prête à en écouter davantage. Notre déjeuner se passe dans un climat de fausse sérénité, et à l'issue de celui-ci une sonnerie de téléphone portable retentit. Jeanne porte la main à sa poche, sort l'appareil et blêmit. Elle chuchote, comme si son interlocuteur pouvait entendre…

— C'est Gaby… Je… Excusez-moi, je vais lui répondre.

Mon Dieu, comme c'est stressant ce bruit qui ne s'interrompt que lorsqu'elle est sur la terrasse ! Et toi qui me regardes…

— Bon, je t'aide à desservir ? Laissons-la discuter calmement avec son mari.
— Oui… Nous aussi avons des choses à régler, non ?
— Ah ? Eh bien ça va être ma fête si j'en juge par le ton que tu emploies.
— Une coucherie à trois ? Ça ne te rappelle rien ? Les échanges entre Jeanne et toi pendant que je dormais… tu vois où je veux en venir ?
— Mais… cette nuit, tu m'as dit oui lorsque je t'ai posé la question !
— Quelle question ? Je ne m'en souviens pas vraiment.
— Pendant que nous faisions l'amour. Bon sang, je ne suis pas fou tout de même ! Je t'ai demandé si ça te plairait de faire ça avec une partenaire devant moi…
— Tu délires, là ! Je n'ai jamais entendu ce genre d'argument… et je suis censée avoir dit quoi ?
— Juste « oui ». Mais n'en parlons plus si tu ne sais plus ce que tu fais ou réponds. Une amnésie qui t'arrange, sans doute.
— Mais non, je t'assure. Pourquoi lui as-tu répété cela aussi ? Elle croit dur comme fer que nous allons… Enfin, tu imagines ? Tu me vois avec elle et toi dans notre lit ?
— C'est une belle femme qui se cherche. Son mari ne semble pas lui avoir fait une existence toute rose.
— Je ne parierais pas là-dessus. Je pense plutôt qu'ils sont adeptes de jeux qui les ont dépassés. Il suffirait peut-être de recadrer leurs amours pour qu'ils repartent du bon pied. Mais toi, si je comprends bien, tu serais disposé à mettre Jeanne dans notre plumard ; tu trouves ça excitant ? Hein, salaud ! Ben, dis-le-moi que ça te fait bander.
— Je n'ai pas vraiment besoin de cela pour m'exciter, mais je veux bien avouer que te regarder faire l'amour avec une femme – Jeanne ou une autre – aurait un pouvoir stimulant important. Et permets-moi de te rappeler que tu as donné un « oui » immédiat à ma demande nocturne.

Bizarrement, je ne ressens aucune colère. J'ai seulement la sensation d'avoir été piégée. Je songe d'un coup que tu as profité de ce moment où la jouissance me fait perdre la raison pour me demander… Puis je réalise que d'ordinaire tu ne fais jamais ce genre de calcul. Peut-être aussi que mon inattention pouvait être interprétée comme un accord. Je ne sais plus trop où j'en suis, pas plus que je ne sais où je vais. En revanche, mon sexe, lui, reste humide ; et cette fois, force m'est de constater que parler de cela déclenche une réaction… mouillée en moi !

Le retour de notre hôte met fin à un débat qui, à coup sûr, reviendra sur le tapis. Maintenant, je vois cette femme sous un autre angle. D'abord, je la trouve plutôt jolie, avec une sorte d'aura qui la rend… désirable. Un mot que je n'ai jamais employé vis-à-vis d'une autre femme. Je me traite d'imbécile, d'idiote de sentir s'éveiller en moi quelque chose pour elle. Il y a aussi tes yeux qui me suivent, qui dissèquent forcément mes réactions. Impossible de vivre autant d'années avec quelqu'un sans ressentir ces choses-là.

Et je te sais fine mouche. Tu as bien saisi que je vais passer en revue dans ma caboche tous les éléments que tu viens de remuer. C'est machiavélique de ta part. Tu me connais mieux que personne et tu dois rire sous cape des tergiversations qui vont me hanter. Par contre, tu ne peux deviner ce qui sortira de ces cogitations internes qui vont me secouer. Déjà ça mouline sous mes tifs alors que notre amie, silencieuse, nous dévisage à tour de rôle. A-t-elle senti ce qui se joue dans ma caboche ? Nous sommes donc si prévisibles ? Si lisibles qu'elle devine nos états d'âme ?


Un week-end qui prend fin avec un vrai soulagement pour moi. Toi, tu es à ton bureau ; Jeanne, partie en ville faire des emplettes. Elle reviendra pour déjeuner en ma compagnie, et moi j'en profite pour revenir voir mes deux jeunes, presque amants. Je suis la seule à pouvoir les faire s'aimer totalement. Paule et Damien refont surface dès l'ouverture du fichier où ils dorment depuis vendredi soir. Ils sont aussi frais, aussi empressés à se rejoindre. Mais je sens que Dimitri aussi pointe le bout de son nez.

Paule réapparaît sur le devant de la scène. Mes doigts frémissent en reprenant sur le clavier la ronde de ceux de Damien que mon week-end a perturbé. Je ris de l'image qui s'imprime dans mon cerveau : deux longues journées avec un index simplement posé sans plus de mouvements sur un clitoris ! Bien que de papier, cette vue me donne un fou-rire. Il est temps pour toi, ma jolie, de retrouver les sensations de ce promeneur que tu désires moins solitaire. Alors la langue de notre jeune puceau arrive à la rescousse de ses phalanges.

Elle remet sa bouche à contribution pour une pipe que je veux mémorable. Tout se joue maintenant puisque leurs sens sont en feu. Les coups de reins du garçon se font moins contrôlés, sont donnés plus sèchement. Paule ne sait pas faire, mais elle est remplie d'une bonne volonté qui sied totalement à son complice. Ensuite, tout va très vite. Pourquoi faire languir notre héroïne ? Elle a envie, son ami aussi : c'est bien qu'ils concluent rapidement. Pour ce faire, je veux mettre toute la tendresse du monde dans mon écrit.

Et je fouille dans ma mémoire. Cette première fois… comment était-elle pour moi ? Ce qui en ressort, c'est ma peur. Oui, j'avais peur. Alors, pour ma gamine dont j'entrevois déjà la défloration, il me faut traduire cette étrange inquiétude. Devenir femme n'est-il pas un bon, un beau moment ? Je pense que ça dépend surtout du partenaire. Celui-ci doit être comme toi, Stéphane : amoureux, mais capable également de donner suffisamment confiance à sa conquête. Puis tout va se jouer en finesse, pour rassurer, pour montrer cet amour qu'il lui voue.

Tout doucettement, de caresses en cajoleries, Paule est amenée à s'ouvrir, à quémander, sûrement. Oui. C'est elle qui réclame, je me souviens l'avoir fait. Donc Damien est doublement sûr. D'abord elle le conforte dans son désir de faire l'amour, puis elle le veut, lui, pour cette initiation. C'est tout doucement qu'il se positionne de manière à ce qu'elle soit la plus confortable possible. Paule sent cette chose qui, d'entre ses lèvres où elle a déposé un parfum inédit, bute contre une entrée toute neuve. Une clé pour une serrure… pour ouvrir celle-là, après s'être assuré que tout est parfaitement… huilé !

Il pousse très lentement son sexe qui écarte les chairs roses de cette fleur. C'est bien, mais la demoiselle est trop crispée et cette tentative échoue. Il recommence pourtant avec un enthousiasme débordant. Et l'inquiétude qui gagne du terrain chez la jeune fille, Damien la reçoit, la ressent. Il pousse à nouveau d'une manière délicate ce tenon pour lequel la mortaise semble trop juste. Ivre d'attente, de trouille, un concentré des deux fait que notre belle brune se tortille maintenant comme un ver.

Elle se cramponne au garçon, dents serrées, lèvres pincées, attentive à une douleur promise et inéluctable ? Et sans se rendre compte de ce qu'elle fait, empoignant les deux fesses de notre bienheureux Damien, c'est d'un grand coup de reins qu'elle vient se planter sur le dard qui cette fois disparaît au fond de ce couloir, désormais libre au passage. Un cri sec, juste un, poussé comme ça pour conjurer une interminable exaspération. La piqûre qu'elle ressent, petite douleur à peine perceptible, s'estompe déjà. Et son chevalier ne sait plus s'il doit bouger ou rester immobile.

Il opte pour une pause, espérant qu'elle va lui dire… lui donner le feu vert. Mais au bout de quelques minutes, ce qui est entré doit forcément ressortir. Lentement. Ce retour la fait hurler. Il stoppe la progression de sa tige qui n'est qu'à mi-course.

— Je… Pardon, je ne voulais pas te faire mal…
— Mal ? C'est trop tard, idiot ! Maintenant je ne suis plus vierge, alors vas-y ! Autant que nous en retirions un certain plaisir. Bouge, s'il te plaît, montre-moi que c'est aussi bon que tout ce que l'on en dit partout.
— … !

Pas besoin de répéter ces propos. Cette fois il n'a plus aucune retenue, et plus il frictionne l'intérieur d'elle, plus elle geint. Lui aussi est dépucelé, et le souvenir de cette sensation de plénitude qui m'avait gagnée cette nuit-là, je veux la retranscrire sur ma page Word pour ceux qui vont lire ceci. Vais-je parvenir à faire passer ce message ? Je n'en sais fichtre rien. Si au moins les lecteurs pouvaient retenir qu'il faut une infinie douceur lors de ce moment si décisif… ce ne serait déjà pas si mal.

Sur le métier, nos jeunes amants remettent leur ouvrage. Ils réitèrent plusieurs fois ces gestes si normaux lors de cette nuit initiatique. C'est donc repus, las aussi de s'être tant donnés, que le sommeil vient endormir toutes leurs ardeurs. Et loin de l'esprit de Damien, la pensée que son jumeau va rentrer dans pas très longtemps. Le bras posé sur ce ventre qui vient de lui offrir ses premiers émois, sur cette femme dont il est fou, il s'enfonce dans un néant bienvenu.

Moi, je relis mon travail. Je traque un oubli ici ou là, un « s » fautif, une intervalle de trop. Mais mes yeux retracent lentement ce que mon esprit vient de suggérer et que les doigts ont tapé. Ces lignes sont autant de morceaux de moi, de toi aussi, Stéphane. Je sais, suis certaine que si tu lis ceci, tu ne pourras en déduire qu'une seule certitude : j'ai aimé faire l'amour avec toi ; et que tu sois l'unique, le seul jusqu'à aujourd'hui, prouve que je t'aime et que toi aussi tu m'aimes. Eh bien, j'en suis fière, vraiment.

Le repas où nous nous retrouvons face à face est sympathique. Jeanne est pleine d'esprit, de joie de vivre. Elle ne parle pas de Gabriel. Ce qu'ils se sont dit hier soir n'est pas revenu sur le tapis. J'ai de nouveau oublié mes amoureux de papier. Au moins ont-ils fini par concrétiser de la plus belle des manières. Et après le café notre hôte sort pour profiter de l'escarpolette. Se balancer au vent sous un soleil relativement chaud est toujours un moment exquis. Mais à force de se bercer doucement, de loin, je constate qu'elle s'est endormie.

Sa jupe est largement remontée sur deux cuisses qui demeurent attirantes. Je n'ai rien d'une adepte des amours féminines, mais j'admets volontiers que le spectacle qu'elle offre pourrait aisément exciter les sens. Les miens ne font pas exception à la règle. Ses cheveux mi-longs flottent sur ses épaules dans un désordre orchestré par la brise de ce début d'après-midi. Jeanne a replié ses genoux sur l'assise de la balancelle, ramenant de ce fait ses talons sous ses fesses. Et son endormissement a projeté son corps sur le côté, entraînant l'ourlet de son vêtement léger.

En m'approchant d'elle, j'aperçois une tache blanche dans ce couloir qui se dessine le long de ses longues cuisses. Et je suis littéralement hypnotisée par ce que je devine. Le voilage couvre bien entendu ce que je sais se cacher à cet endroit. Et je me remémore ses paroles : « Tu sais, Élyse… si vous deviez essayer… j'aimerais que ce soit… que ce soit avec moi. » Et bizarrement, ça me fait frémir. Je sens aussi que mon ventre est remué sans aucune autre raison que celle d'imaginer…

Je m'assois près d'elle sur un siège en osier et je la contemple, si calme, apaisée. Sa poitrine se soulève de façon régulière. Elle semble être si bien… À force de la fixer, je remarque que son chemisier est distendu entre les boutons que sa respiration fait avancer ou reculer. Et là, à mon sens, elle ne porte rien sous ce corsage fleuri. Je reluque sans me poser trop de questions le galbe d'un sein, bien visible à certains moments alors qu'elle expire doucement l'air contenu dans ses poumons.

Comme ça, sans vraiment y prendre garde, ma tête se penche légèrement sur la gauche, voyeuse qui cherche à en deviner plus. Un téton plus sombre se détache soudain sur le blanc et rouge d'un tissu qui masque moins son contour… Elle est très belle, et je réalise d'un coup que si elle n'a pas bougé d'un millimètre, ses quinquets eux, sont béants. Je dois rougir jusqu'à la racine de mes cheveux. Elle me fait une risette. Je ne vois pas de reproche dans celle-là, seulement un sourire amical.

— Ça se voit tellement ?
— Hein ? Pardon, je ne saisis pas…
— Oui. Gabriel ne voulait pas que je porte de soutien-gorge, alors je n'en ai plus à mettre. Ça se voit beaucoup ? Mes seins tombent un peu ; c'est bien ce qui attire ton regard ?
— Euh… non, pas du tout. Je voulais m'assurer que tu dormais dans une bonne position.
— J'ai si souvent dormi dans des situations plus inconfortables que celle-ci. Stéphane et toi avez là un véritable joyau ; cette maison, c'est un vrai nid d'amour.
— Tu as des nouvelles de… ton mari ?
— Il est fou de rage : son jouet est cassé. C'est moi la coupable, tu entends ? Oui, moi, parce que je suis partie. Mais ne t'inquiète pas, il n'a pas la moindre idée d'où je me suis réfugiée.
— Mais même s'il le savait, ça ne changerait rien pour moi, et je suppose que pour Stéphane il en est de même.
— Merci ! Mon cœur est réchauffé de savoir que l'on peut parfois aussi compter sur les amis !

Mon visage doit reprendre quelques couleurs plus normales. Je me lève et elle aussi.

— Tu veux boire quelque chose ?
— Oh non, Élyse… On ne peut pas se baigner dans votre lac ?
— Ce n'est pas « notre » lac, et tu sais, l'eau n'est pas très chaude. En plein été, elle ne dépasse jamais les dix-huit ou vingt degrés. Alors en ce moment, elle doit être glaciale.
— Bof… Tu es frileuse ? Tu ne veux pas que nous allions faire quelques brasses ? Allez, laisse-toi tenter !
— Bon, je vais chercher des draps de bain ; nous serons contentes de nous en servir lorsque nous sortirons de l'eau.

Pourquoi ai-je accepté cette folie ? Aucune idée, mais peut-être que le fait qu'elle m'ait surprise la matant… enfin, je veux croire que c'est la seule raison. Dans notre chambre, j'enfile en vitesse un maillot de bain et attrape au vol deux longues serviettes. De retour, j'ai la surprise de voir seulement le tas de frusques qu'elle a abandonnées sur le ponton où tu remises ton bateau. Dans l'eau, un point blanc à quelques longueurs du rivage me renseigne : Jeanne est déjà dans l'onde frisée par la brise, et du trait qui file sous la surface, juste une main me fait des signes pour le rejoindre.

Je ne veux pas réfléchir, sinon je ne ferais pas cette folie. Les éclaboussures qui retombent tout autour de moi s'estompent alors que mon corps entre dans le liquide. Je n'ai pas le temps de me poser la question de savoir si elle est bonne ou non. Je nage vigoureusement vers la frimousse aux cheveux plaqués sur le crâne. Nous sommes l'une près de l'autre et elle rigole en me jetant des gouttes de flotte. Je m'écarte et elle me poursuit. C'est au moment où elle me dépasse que je réalise qu'elle est totalement nue.

Combien de fois avons-nous croisé devant le ponton ? Je n'ai plus compté au cinquième passage, mais nous sommes restées dans la baille très très fraîche plus d'une heure. Jeanne est passée à quelques reprises carrément sous mon ventre. Mes soupçons sont-ils fondés lorsque je pense qu'elle me provoque ? Si ce n'est pas le cas, c'est rudement bien imité. Et je suis heureuse d'être mouillée de l'eau du lac lors de notre retour sur la berge. Mon imagination débordante me fait sans doute voir des trucs, des situations qui n'existent que dans ma caboche.

Je me frictionne vigoureusement, et à un mètre de moi mon invitée fait de même. Mais quand elle pose sa serviette, je sais du coup que c'est une véritable brune : sans vraie pudeur, elle arbore un buisson qui masque sa chatte, une toison terriblement fournie. Elle est bien taillée, et ça ne lui donne pas l'air vulgaire ou sale. Je revois également les stries sur son dos… celles-ci aussi commencent à virer au violet sombre ; et elles descendent bien bas vers les reins. Comme elle sent que je rezieute ces marques, elle s'empresse de se retourner pour repasser ses vêtements.

Lors de ton retour, nous sommes de nouveau sur la terrasse, et je devine dans tes yeux que tu aimerais bien savoir pourquoi nos tifs sont encore humides. Je m'apprête à raconter notre journée, mais elle, pipelette au possible, me devance :

— Tu sais, Stéphane, nous nous sommes baignées dans ton lac ! Élyse a raison : l'eau est plutôt frisquette, mais ça m'a fait un bien fou.
— Il faut une bonne dose de témérité pour oser ; tu y es allée aussi, ma chérie ?
— Ben, qu'est-ce que tu crois ? Que je suis une poule mouillée ?

Et mes paroles me reviennent comme un boomerang. Je songe qu'effectivement, j'ai tout d'une poule. De luxe avec toi, et mouillée grâce à cette convive qui, sans rien faire, me fait penser à des trucs auxquels jamais je n'aurais, sans sa présence, eu l'idée. Ses seins se rebiffent sous son corsage alors qu'elle discute entre nous deux. L'apéritif que nous prenons sur la terrasse m'oblige à quitter l'endroit pour aller quérir les bouteilles à la cuisine. Et je vous entends rire aux éclats, ce qui ravive une certaine forme de jalousie. Je me pince les lèvres pour ne pas faire une grimace.

Personne ne le verrait, ce rictus. Mais, je ne sais pas pourquoi, je me demande ce que tu trouves à cette femelle pour qu'elle t'attire autant. Et je me dis soudain que ce n'est pas elle que tu veux, mais elle et moi dans le même lit, juste pour te rincer l'œil. Curieusement, cette idée, loin de me déplaire, ne fait que renforcer mon trouble intérieur.

Et si j'entrais dans votre jeu ? Après tout, la peur de te perdre peut aussi me faire faire des folies, cette trouille qui n'appartient qu'aux gens amoureux, dit-on !