La bataille du Sanctuaire

Pas de temps à perdre ; je charge, le poing en avant, en poussant mon fameux cri de guerre. Le Verseau Noir joint ses mains et me repousse par une vague d'énergie. Je suis rattrapé par Marie.

— Du calme ! Nous n'avons même pas fait les présentations. C'est impoli !
— Rien à secouer ! peste Marie. Bougez de notre chemin.
— Tu dois être Marie de la Vierge. À ce que je vois, Muhammad n'a pas réussi à te terrasser, contrairement à ce qu'il imaginait. Cela ne m'étonne guère, lui qui surestimait énormément sa force ; je ne ferai pas la même erreur. Laissez-moi vous présenter mes collègues : voici le Scorpion Noir, Zel…
— Zelda ? Qu'est-ce que tu fous là, bon sang ?

Alors que le Verseau Noir désignait une jeune et charmante femme à la longue chevelure blonde et aux yeux bleus, notre Scorpion vient de réagir : a priori, il la connaît.

— Mario ? Je suis ravie de te retrouver afin de te faire bouffer la poussière une fois pour toutes !
— Putain, non, c'est cliché ! se plaint-il.
— Hein ?
— Bah oui : un combat entre disciples du même maître qui se retrouvent chacun dans un camp opposé, c'est du déjà-vu.
— Bah oui, et alors ? Qu'est-ce qui te dérange ? s'étonne Zelda. C'est dans les vieux pots qu'on fait les meilleures recettes.
— Oui, mais bon, avec Harvey, on avait déjà un ami passé du côté obscur. Après, ça sera quoi le prochain trope ? L'un de nous va devoir affronter son maître ?
— Écoute, un récit se nourrit toujours de conflits ; sans ça, pas de récit. Il y a toujours un impact émotionnel plus important quand les antagonistes sont liés aux héros.
— Mouais, ça reste à prouver…

Le Verseau Noir est prêt à continuer les présentations quand le Sagittaire Noir s'avance, l'air patibulaire, et pointe un doigt bourru dans ma direction.

— Toi, ils te prennent tous pour un saint prêt à tout pour se battre pour leur intérêt, une sorte de Robin des Bois moderne. C'est moi le véritable Robin des Bois ! Je…
— Attends, tu t'appelles vraiment Robin des Bois ?
— Bien sûr que non : je m'appelle Aïoli, et…
— Alors pourquoi tu m'parles de Robin des Bois ?
— Parce que j'atteins toujours ma cible et je vole aux riches. Bref, je…
— Tu voles aux riches pour donner aux pauvres, complété-je.
— Mais, putain, arrête de me couper, fumier ! Non, je vole aux riches tout court. Je…
— Désolé de te couper ; je parle trop par moments.

En même temps, ce n'est pas comme si j'avais grand-chose à faire de ce qu'il raconte. Quoi qu'il en soit, il garde le calme malgré cette nouvelle interruption tout à fait volontaire de ma part.

— Comme je le disais, je suis un véritable Robin des Bois et je vais leur prouver à tous. Sois mon adversaire.
— Ça dépend ; tu as un genre de flèches maudites ?
— Euh, non…
— Alors je veux bien t'affronter.

Bah oui, je n'ai pas spécialement envie que de nouvelles malédictions viennent chambouler encore plus ma vie alors que je suis encore en train de m'adapter à celle d'Hypolita.

C'est au tour du Capricorne Noir d'être présenté. Tête plutôt rectangulaire, dégarni sur le sur le sommet du crâne, il lui reste cependant des longs cheveux sur le pourtour de la tête qui lui donnent un air abruti. Le Verseau Noir se tourne vers lui, prêt à le présenter. Il est cependant stoppé par Judith.

— Je te connais, toi, lance-t-elle. Tu es Jacques Grumeau du Capricorne Noir.
— Ah oui ? se réjouit-il. Aurais-je affaire à une fan ?
— Absolument pas ! Je n'ai jamais vu autant de bullshits et d'inepties réunies dans vos documentaires et vos bouquins. Vous êtes une insulte à la science, ou plus généralement au bon sens !
— Tss… Alors voilà un nouveau troll pseudo-sceptique qui, en prétextant le doute, est prêt à rejeter la moindre information qui viendrait bousculer ses convictions bornées ? Je vois le genre : une fausse sceptique qui ne doute pas mais ne fait que critiquer. Je me donne trois minutes pour vous faire mordre la poussière par ma dialectique et mes attaques incomparables !
— Euh, c'est qui ? demandé-je, curieux.
— Un mec qui a fait un documentaire où il prétend qu'une ancienne civilisation jusqu'alors inconnue, incroyablement puissante, serait à l'origine de la construction de plusieurs sites archéologiques partout dans le monde, et ce sur une durée de plus de trois mille ans afin de laisser un message aux générations futures pour prévenir de l'imminence d'une catastrophe. Message qui est malheureusement incompréhensible, sauf pour un homme : le Capricorne Noir.
— Ouais, confirme Grumeau, je suis le seul à avoir déchiffré le message en mesure de sauver le monde !
— Ah ? Et qu'est-ce que ça dit, ce message ?
— Non mais, oh, ne crois pas que je vais te le révéler comme ça ! La réponse sera donnée dans mes prochains films, mais il faut déjà qu'on me les finance. Si ça t'intéresse, Bélier, j'accepte or, argent et pierres précieuses.

Bon, OK, je vois le genre : « Je suis le seul à pouvoir sauver le monde ; payez-moi ! » C'est un escroc en puissance. Judith sourit. Visiblement, elle est ravie d'avoir l'occasion de lui foutre sur la gueule.

Le Verseau Noir s'avance de quelques pas, prêt à se présenter lui-même. Mais, encore une fois, il est coupé par le Malleus Maleficarum de Marie. Il se prend en pleine face la vague déferlante de cosmos qui le projette cinq cents mètres plus loin.

— En fait, on s'en fout de vous. Vous nous faites perdre notre temps, crache Marie.

Le cosmos du Verseau Noir explose de fureur. Il se relève sans trop de dégâts et de très mauvais poil.

— Rha ! Vous m'agacez, bande de malotrus ! Je vais vous apprendre un peu la politesse. Et je vais commencer par toi, la Vierge.

Cette fois, la bataille est lancée. Je charge mon ennemi tandis que les affres des combats des chevaliers de rang inférieur résonnent derrière nous. Pas de temps à perdre : nous pouvons encore espérer rattraper Arès et l'achever une bonne fois pour toutes.

Cela devrait aller relativement vite de mon côté : Aïoli semble plus lent que moi. Il se défend bien mais peine à me suivre. Là, une ouverture ; je lui écrase la tronche d'un puissant coup de poing. Mon ennemi est projeté contre le mur d'une maison. Très bien, je vais vite lui régler son compte.

— Explosion Cataclysmique !

Je rassemble dans une main mon cosmos sous la forme d'une sphère. Maintenant, plus qu'à le frapper avec cela et j'en aurai fini. Sa gueule inquiète me fait sourire. Je charge en poussant mon cri de guerre. Lorsque je suis tout près de l'atteindre, ce connard disparaît, ou plutôt s'envole. Quoi ? Mais ce n'est pas du jeu !

— Ha-ha-ha, se marre-t-il en encochant une flèche dans son arc. Comment comptes-tu m'atteindre ainsi ?

Il tire sa flèche. Je saute derrière des ruines pour me mettre à couvert et dissipe mon orbe : rien ne sert de gaspiller de l'énergie pour rien. Réfléchissons ; il me faut trouver une stratégie. Sauter dans les airs pour le toucher ? Non, c'est ce qu'a tenté Inanna plus tôt pour frapper Hypolita, et elle n'a réussi qu'à se prendre une flèche : c'est une mauvaise idée.

Alors, je suis dans la merde. Je dois atteindre mon ennemi au corps-à-corps pour mon Explosion Cataclysmique. Ma Déflagration Atomique a une meilleure portée mais elle n'est pas non plus exceptionnelle. Je sens bien que ce connard d'Aïoli va tout faire pour rester à distance.

J'observe autour de moi pour chercher un plan. Où est Marie ? De là où je suis, je ne la vois pas, mais les violentes explosions que j'entends m'indiquent qu'elle est prise dans un très sérieux combat. Mario, alors ? Trop loin pour moi. Lui et Zelda se sont éloignés et s'échangent des coups violents. Visiblement, personne ne semble prendre l'avantage pour le moment. Et Judith ? C'est elle la plus proche. Là, à cent mètre, elle essaye de maintenir Grumeau à distance à l'aide de ses pouvoirs télékinétiques.

— Ces mesures n'ont aucun sens ! gueule-t-elle en lui balançant un gros rocher à la gueule.
— Mais si ; c'est juste que tu n'es pas assez intelligente pour les comprendre. Elles sont parfaitement sensées. Je les ai prises moi-même.

Grumeau explose le rocher à l'aide de son cosmos. Oh purée, c'est pas qu'ils sont en train de débattre sur le documentaire de Grumeau en pleine bataille, quand même ? Judith, contente-toi de l'éliminer, tu perdras moins de temps !

— Ah ouais, et comment vous les avez faites, vos mesures ?
— Eh ben, tout petit déjà j'avais le nez plongé dans les littératures grecque, italienne, allemande, égyptienne….

Le cosmos de Judith gagne d'un coup en intensité. Elle hurle de rage :

— Putain, mais il m'énerve, cet abruti ! Tu lui poses une simple question, il te répond à côté. Rhaaa !

Ses cheveux noirs se balancent dans tous les sens. Une puissante énergie dorée l'enveloppe et ses yeux se colorent de blanc. Avec ses pouvoirs télékinétiques, elle arrache un gros morceau du sol sous les pieds de Grumeau, morceau qu'elle balance loin, emportant en même temps son adversaire. Le tout va s'encastrer dans une maison avec un vacarme assourdissant. De mon côté, j'ai toujours le mien sur le dos.

— Tu te planques, sale couard ! me hurle Aïoli. Si tu crois m'empêcher de t'atteindre… je ne rate jamais ma cible, je te rappelle. FLÈCHES DE PETIT PLOMB !

Ma position est bombardée par une nuée de flèches. Ça explose partout, mais par bonheur il ne m'a pas touché. Une seconde salve est envoyée ; j'ai l'impression d'être plongé en plein film de guerre, genre débarquement en Normandie. Ma planque est de plus en plus fragile. Encore un peu et je ne serai plus en sécurité. Allez, voilà qu'il me mitraille avec une troisième salve. Une brûlure m'atteint à l'épaule. Argh !

— Ha-ha ! Tu vois, je te l'avais dit : je suis un Robin des Bois.

Un Robin des Bois ? Ben, en couvrant une large zone, forcément qu'il allait finir par me toucher. Bon, là il va me falloir du renfort sinon il finira par m'avoir.

— Judith ! gueulé-je. Il vole, je ne peux l'atteindre.

Elle comprend et envoie une pluie de rochers en direction d'Aïoli. Voilà de quoi couvrir mon attaque. Profitant de l'occasion, je charge avec hâte mon Explosion Cataclysmique et, couvert par les débris envoyés par Judith, saute vers mon ennemi. Aïoli se prend les débris dans la gueule sans pour autant subir trop de dégâts. J'arrive tout de suite derrière, comme un éclair scindant les cieux. Le Sagittaire Noir réagit à temps, se décale juste avant que je ne l'atteigne, pivote sur lui-même et m'emmanche un énorme coup de pied dans le bide. Argh ! J'atterris sur le toit d'une maison.

Aïoli vole pour me faire face et encoche une flèche. Merde, rien à proximité pour me mettre à couvert. J'ai déjà été touché une fois, je ne compte pas que cela se reproduise.

— Prépare-toi à mordre la poussière, vulgaire asticot : le meilleur des tireurs va te régler ton compte.

Il bande son arc et… et louche ? Vraiment, est-ce cela, le meilleur tireur ? Ha-ha, c'est une merde, en fait. Impossible qu'il vise en louchant.

— Flèche à tête chercheuse !

Gloups… De cette manière, oui, il va m'atteindre. Quelque chose me dit qu'il ne vaut mieux pas rester en place. Je cours aussi vite que je le peux. Je saute du toit et fuis vers le champ de bataille. Le chaos règne. Des éclairs cosmiques fusent, des boules de feu calcinent, des rayons pulvérisent de partout tandis que j'entends parfaitement la flèche siffler derrière moi. Perdu au milieu de cette foule désordonnée, il y a bien un truc qui va faire barrage à cette putain de flèche ? J'ai beau slalomer entre les différents protagonistes, personne ne fait obstacle.

Là, un chevalier noir quelconque. Je l'attrape et le balance juste derrière moi. J'entends un grand cri de douleur qui m'indique qu'il a été touché, suivi toujours de ce putain de sifflement. Oh, crotte : ça n'a pas suffi à arrêter cette putain de flèche. « Cours, Francis, cours ! » me hurle une voix dans la tête. Il va me falloir quelque chose de plus gros, mais quoi ? Je lève les yeux au ciel et… mais oui, c'est évident ! Hop, virage serré à gauche. Je cours de toutes mes forces et plonge derrière la statue du Maquereau, de telle sorte qu'elle me protège de la flèche.

J'entends la statue craquer. Je me retourne et repère une énorme fissure. Ah oui, quand même ! La flèche ne lui a pas fait du bien. Un peu plus et la statue s'écroulait. Oh, il y en a un qui risque encore de gueuler… Pas grave. Je fais une pause rapide, histoire de reprendre mon souffle. J'observe le champ de bataille. Il y a déjà de nombreux cadavres un peu partout. Nos chevaliers ont l'air de tenir bon, même si plusieurs sont malmenés. Il y en a même qui se battent sans armure, comme ce jeune rouquin là-bas, en mauvaise posture.

Mais attends… c'est Friedrich ! Putain, qu'est-ce qu'il fout là encore ? Merde, le chevalier de la Licorne Noire s'apprête à lui mettre un coup fatal. Dans mon cerveau, mon sang ne fait qu'un tour. En un éclair, je fonce et frappe son adversaire. Mon poing le transperce et fait éclater sa poitrine.

— Bon sang, Friedrich, je croyais t'avoir dit de te foutre à l'abri !
— Je sais, mais dame Hypolita a dit tout à l'heure qu'il fallait tous les chevaliers disponibles.
— Mais tu n'es pas chevalier !
— Mais je suis pourtant plus fort que Sacha !

Là, je n'ai pas le temps de réagir : avec une vitesse fulgurante, une masse noire fond du ciel sur mon apprenti et l'emporte. Friedrich hurle de terreur. Je lève les yeux : Aïoli l'a pris en otage. Il le tient fermement contre lui.

— Rends-toi, chevalier du Bélier ! C'est ta vie ou la sienne que je prends.
— Et qu'est-ce qui te fait croire que j'en ai quelque chose à foutre, du môme ?
— Ne fais pas l'innocent : je t'ai vu te précipiter pour le sauver. Rends-toi et il aura la vie sauve, c'est promis.

Merde, quelle situation délicate… Je crois bien que j'ai fini par m'y attacher un peu, à ce gamin. Comment le sortir de là ? Il me faut un plan. Friedrich commence à concentrer son cosmos pour tenter de se libérer lui-même. Non, mauvaise idée. Je lui lance un regard désapprobateur, et pour une fois le petit n'en fait pas qu'à sa tête : il abandonne son projet. J'ai autre chose en tête.

— OK, tu as gagné, Aïoli. Je me rends. Laisse le petit s'en aller sans dommage et je te laisserai m'achever.
— Non, Maître, faites pas ça !
— Non, non, non ! C'est moi qui fixe les règles, ici : je te tue, et après je laisse le môme partir.
— OK, vas-y, souris-je.

Le Sagittaire Noir pointe son arc et semble réfléchir ; gêné, il ne sait pas comment faire. Ben oui, crétin, comment tu comptes tirer à l'arc alors que tu tiens le garnement d'un bras ?

— Bon, OK : je dépose le petit d'abord et je te tue après, mais c'est bien parce que je suis magnanime. Attention, pas d'entourloupe ou tu le regretteras !

Et voilà, tous deux redescendent à terre. Le voilà enfin à ma portée, mais je refuse de l'attaquer, Friedrich n'étant pas en sécurité. Aïoli relâche le rouquin qui lui crache dessus et se prend une beigne en retour, mais il ne se laisse pas impressionner pour autant.

— Gamin, va te mettre à l'abri près de la statue du Maquereau, et surtout n'utilise pas ton attaque.
— OK ! crie-t-il.
— Est-ce que tu as bien compris ce que je te demande ?
— Oui, c'est bon.
— Non mais t'es sûr ? SURTOUT N'UTILISE PAS TON ATTAQUE !
— Ah, d'accord, réalise-t-il soudain. C'est bien compris, Maître.

Et hop, il court se réfugier près de la statue tandis qu'Aïoli, de nouveau dans les airs, commence à bander son arc. Sourire satisfait, regard qui louche, il s'apprête à tirer. S'il croit que je vais me laisser faire, il se met le doigt dans l'œil…

— Flèche du Tireur d'Élite Texan !

Ouf, c'est pas une flèche à tête chercheuse ! Plus facile à éviter, surtout qu'elle part complètement à l'Ouest et se plante dans un arbre. Je laisse échapper un ricanement quand, soudain je suis comme téléporté à la place de l'arbre. Je me retrouve avec la flèche plantée dans le ventre. Argh, je crache un flot de sang !

— Ha-ha-ha, se marre Aïoli, si elle rate, ma Flèche du Tireur d'Élite Texan a la particularité de déplacer sa cible à son point d'impact. Je t'avais dit que j'atteignais toujours ma cible.

Rha, je pisse le sang mais le combat n'est pas encore fini. J'arrache la flèche et commence à faire quelques pas sur le côté. Dans les airs, Aïoli m'imite dans ce mouvement tout en préparant une nouvelle flèche. Encore quelques pas et j'attends que l'autre fasse de même…

— MAINTENANT, FRIEDRICH !
— Déflagration Atomique ! hurle mon apprenti.

Au pied de la statue du Maquereau déjà fragilisée tout à l'heure, l'explosion du môme retentit. La base de la sculpture est désintégrée et la statue bascule dans le vide. Tournant le dos à cette scène – et de toute façon trop occupé à loucher – Aïoli ne voit pas le danger qui lui tombe sur le crâne : il est écrasé comme une vulgaire merde sous une tonne de pierres. Un fracas retentit et un nuage de poussière s'élève.

Je m'avance vers les débris. Je sens encore le cosmos de mon adversaire : il est donc toujours en vie. Oui, évidemment, c'est l'équivalent d'un chevalier d'or. En revanche, il ne va pas y rester bien longtemps. Je brûle mon cosmos et créé un orbe de mon Explosion Cataclysmique.

Son cosmos explose d'un coup et projette les débris tout autour de lui. Il se relève, son armure mal en point. Il n'ira pas loin. Je fonce sur lui en un éclair.

— Hasta la vista, baby !

Mon orbe l'atteint à la poitrine. Il est projeté à une centaine de mètres puis désintégré dans une gigantesque explosion.

— Wouah, c'était trop cool, Maître. Et la petite phrase, très classe aussi.
— Oui, je trouve aussi. J'ai vu ça dans un vieux film.
— Bon, on s'occupe de qui maintenant ?
— Toi, tu vas rentrer foutre ton cul à l'abri.
— Mais, Maître, rouspète-t-il, je suis capable de me battre. Je crois l'avoir déjà prouvé aujourd'hui.
— T'as eu de la chance, petit ! Mais ce n'est pas parce que tu viens de me donner un coup de main et qu'avec Sacha de la Licorne vous m'avez sauvé la vie aux Gémeaux que ta chance va continuer ; tu es….
— QUOI ? me coupe une voix féminine dans le dos.

Je me retourne et tombe sur Marie, visiblement très exténuée. Et moi qui espérais que personne n'apprenne ma mésaventure aux Gémeaux, voilà déjà un troisième chevalier d'or au courant ; et cette fois c'est Marie… Merde !

— Putain, Francis, t'es sérieux ? peste la Vierge. C'est la loose, quand même…
— Oh, ça suffit ! boudé-je. C'est moi que ça regarde.
— Non, je voulais dire : c'est la loose pour moi ! Moi, la femme la plus proche de Dieu, qui a été sauvée par l'homme qui a été sauvé par des noobs… C'est vraiment ma loose, ma décadence !
— C'est ça, plains-toi d'être encore en vie…

Une pluie de faisceaux lumineux violets s'abat tout autour de nous. Marie et moi nous protégeons à l'aide de notre cosmos. Je fais ensuite signe à Friedrich de déguerpir, et enfin ce p'tit con m'obéit. Le Verseau Noir, dont l'armure a déjà bien morflé, fait son apparition.

— Tu as besoin d'aide avec lui ?
— Pour qui tu me prends ? Je suis la femme la plus proche de Dieu. Il est coriace, mais je vais finir par l'avoir. Va plutôt aider Judith… euh, je veux dire « la mécréante » : elle semblait plus en difficulté avec son adversaire.

Son regard respire la confiance. Bon, me voilà rassuré. Je lui souhaite donc une bonne chance et accours vers le cosmos déchaîné du Capricorne. J'arrive à ses côtés, et en effet, je la trouve affaiblie. Les traits de son visage sont fatigués, désespérés. Oh, est-il si puissant que ça, ce Grumeau ? Judith me voit, fond en larmes et se jette dans mes bras.

— Oh, Francis, j'en peux plus de lui !
— Quoi ? Il est vraiment si horrible que ça ?
— Tu n'as pas idée : dès qu'on lui pose une question, on se prend une attaque ad hominem et…
— Ah ? Et c'est puissant comme attaque, ça ?
— Puissant ? Mais non, crétin, c'est un sophisme. Il n'arrête pas ! Il n'argumente pas. Il t'insulte, change de sujet ou prétend qu'il expliquera ça dans ses putains de films ! Ça fait dix ans qu'il en parle de ses films, dix ans qu'il réunit des fonds pour les financer, et dix ans qu'il n'a toujours rien tourné. Qu'il ne se foute pas de ma gueule avec ses putains de films ! Et tu verrais les conneries qu'il me sort… En plus de ses délires sur les pyramides, il m'a affirmé qu'on n'était jamais allé sur la Lune, et a même commencé à nier la Shoah quand il a appris que je suis Israélienne. J'en peux plus !
— Mais, Judith, bon sang, t'es là pour le tuer, pas pour le convaincre !
— Oui, c'est vrai, mais t'inquiète : ça, ça va aller. Je veux juste lui faire admettre ses torts avant.

D'ailleurs, il est passé où, au fait ? Je sens son cosmos mais ne le vois pas. C'est là qu'une pile de débris se met à trembler. Une petite explosion envoie tout ça valser. Notre ennemi, très amoché, se relève. Son armure a pris cher ! Une jambière a sauté, ainsi qu'une épaulette, une bonne partie de son plastron et son casque.

— Tu pensais m'avoir eu, espèce de fausse sceptique qui ne fait que critiquer mes fabuleuses et brillantes découvertes ? Détrompe-toi : je tiens encore debout, et je n'ai pas fini de te clouer le bec avec ma dialectique hors du commun. Je vais remettre en question toutes tes théories fumeuses et idiotes, et après t'iras pleurer dans les jupes de ta mère. On continue sur quel sujet ? Ah oui, je sais : je parie qu'une idiote comme toi défend encore la théorie de l'évolution.
— Quoi ? Vous êtes sérieux ? m'étonné-je. Le consensus scientifique n'a plus aucun doute à ce sujet. Vous affirmez qu'elle est fausse ?
— Ah ? Je te croyais un peu plus intelligent que cette troll de Capricorne. Non, je ne dis pas qu'elle est fausse ; je dis juste qu'elle n'est pas correcte.
— Mais… mais quoi ?
— Excellente question, Francis, enchaîne Judith. Mais tu aurais dû te taire. En fait, je crois que je ne supporterai pas plus d'âneries de sa part.
— Oui, elle n'est pas correcte ! reprend Grumeau. Regardez le rat-taupe nu, regardez le tardigrade.

Il me regarde avec un grand sourire satisfait, comme s'il pensait m'avoir cloué le bec.

— Et ? Qu'est-ce qu'ils ont ? En quoi ils montrent que la théorie ne serait « pas correcte » ?
— Bah, vas-y, Bélier ; dis-le moi.
— Pardon ?
— Je te demande de me dire en quoi ces deux animaux prouvent l'incompétence de la théorie. Fais tes recherches et tu verras.
— Tu vois, Francis, se plaint Judith, il n'argumente pas : c'est à toi qu'il demande d'argumenter sa position. C'est complètement débile ! Je n'en peux plus de ce type !

D'un signe de main agacé, elle lui envoie plusieurs briques sur la tronche. Le choc le fait se ramasser comme une vulgaire merde par terre. Il se relève, la tête en sang et les yeux rouges. Il semble furieux.

— Cette fois, j'en ai marre ! hurle-t-il en brûlant son cosmos. Vous voulez vraiment connaître le résultat de mes recherches ? Eh bien je vais vous montrer le SECRET DES PYRAMIDES.

Avec ses mains, il forme un triangle. Son cosmos augmente de façon brutale et impressionnante. La terre est prise de spasmes violents. Tous les bâtiments autour de nous s'écroulent. Le ciel s'obscurcit. Son énergie est lourde et menaçante. J'ai rarement vu un aussi haut niveau, et il ne fait qu'augmenter.

— Les anciens bâtisseurs nous ont transmis un message pour nous mettre en garde contre l'imminente inversion des pôles magnétiques, c'est-à-dire de la fin du monde. Ils ont révélé le secret pour la stopper : le pouvoir absolu, au-delà du septième et du huitième sens. J'en suis le seul et unique maître. Moi seul peux stopper la fin du monde, mais aussi la provoquer. Préparez-vous à la vivre : APOCALYPTO !

La fin du monde ? S'il dit la vérité, on est mal. Même dans le cas contraire, ça va être compliqué de lutter contre un si haut niveau de cosmos. Au-delà du huitième sens ? Je ne sais pas ce que c'est censé donner, mais en tout cas sa puissance est phénoménale.

Ses mains qui dessinent toujours un triangle brillent maintenant d'une intense lumière noire. Ça respire la destruction, ça respire la mort. Je ne me sens pas vraiment fier. Je ne sais pas comment on va pouvoir résister à ce qu'il nous prépare. Judith semble plus confiante. Oui, je me souviens : elle peut toujours utiliser son bouclier cosmique comme elle avait fait pour résister au Deus Vult de Marie lors de son combat contre Amalia. Je me colle à ma collègue pour être moi aussi protégé.

Ça y est, le Capricorne Noir vient de relâcher la puissance de son attaque. Judith invoque son bouclier au même moment. Nous sommes engloutis sous un flot furieux de ténèbres. Des fissures commencent à apparaître sur le mur lumineux du bouclier cosmique. Le cosmos de Judith vacille. Elle hurle de rage et de douleur. Elle ne va pas tenir !

D'une main sur son épaule, je lui transmets mon cosmos pour renforcer son pouvoir. Je suis en connexion avec elle. Je sens la fureur monstrueuse qui se déchaîne sur la paroi cosmique du bouclier. C'est trop ! Comment résister à ça ? Je fais appel à toutes mes forces, mais mon cosmos, fatigué après cette journée de guerre, peine à faire un miracle. C'est trop ! Je sens mes membres faiblir. Je lâche !

Judith cède à son tour. Son bouclier est brisé en mille morceaux. L'énergie sombre nous arrive sur la face comme un raz-de-marée. La suite s'enchaîne à une vitesse ahurissante. Je suis emporté dans un torrent de mort. Secoué dans tous les sens, je ne sais plus où est le haut, le bas. J'ai l'impression de brûler de toute part. Je crois sentir mes os se briser. Je perds connaissance un bref moment.

J'ouvre les yeux. Suis-je toujours en vie ? A priori, la douleur qui me foudroie les côtes m'indique que oui. J'ai survécu. J'ai eu de la chance. Non, Judith et moi avons tenu suffisamment de temps. Nous aurions résisté une seconde de moins, nous serions peut-être morts.

Je sens le cosmos de mon adversaire : il a gravement chuté. Grumeau semble épuisé. Son arcane a dû consommer toute son énergie. Il est prêt à être abattu, mais pour le moment, impossible de me relever ; je suis bien trop cassé.

Où est Judith ? Je sens à peine son énergie. Est-elle mourante ? C'est alors que je ressens une chaleur irradier à une centaine de mètres de moi. Une lumière intense m'aveugle, et le cosmos de Judith resplendit de plus belle : son Sol Invictus toujours invaincu !

Alors que Grumeau jure de rage, mon amie avance tranquillement vers lui. Elle concentre son énergie au septième sens, prête à donner le coup de grâce.

— Je le savais, affirme-t-elle calmement. Toute cette histoire sur les pyramides était de la merde. Le secret de la fin du monde ? Un cosmos au-delà du huitième sens ? Du flan ! Une grosse bullshit emballée dans un joli papier cadeau ! Je reconnais que tu es puissant, mais tu es loin de pouvoir provoquer l'apocalypse. Même un dieu peinerait pour un tel résultat. Tu n'as rien découvert du tout : tu n'es qu'un escroc, et maintenant il est temps de t'écraser. PAR LA PORTE DES DIEUX !

Judith, les bras en croix, déchaîne son cosmos. Je reconnais les gestes : il s'agit de la technique qu'elle s'apprêtait à lancer pour tuer Mario juste avant que les chevaliers noirs envahissent le Sanctuaire. Je vais donc enfin voir de quoi il s'agit.

Un immense carré lumineux se dessine dans le ciel juste au-dessus du champ de bataille. Je sens une puissante énergie qui semble tout aspirer vers ce carré. Grumeau hurle et se tord de douleur. Son énergie vitale est aspirée par l'attaque de ma collègue, puis la porte se referme. Le Capricorne Noir s'écroule.