Corps astral

Je me réveille après plusieurs heures d'un sommeil réparateur. C'est toujours autant le bordel dans le cabinet du docteur Lieberman. Que ça soit une des salles de repos ou son bureau n'y change pas grand-chose. Et puis, c'est quoi ces énormes traces de moisissures qui infestent les moindres recoins de la chambre ? Je ne suis pas sûr que ce soit très hygiénique. Enfin bon, mes plaies ont été pansées et mes blessures guéries.

Une forte odeur de beuh plane dans l'atmosphère de la pièce. Je me tourne sur le côté et découvre sur un autre lit un Sanka fixant le plafond avec un regard perdu, un sourire et un joint aux lèvres.

— Ça y est, tu es à peine remis et tu fumes déjà ?
— Tu sais ce qu'on dit : quand on tombe de cheval, il faut se remettre en selle tout de suite… mais putain, le pov' cheval, il a pas demandé à être notre esclave… Putain, c'est la merde ma métaphore en fait !

Ça fait plaisir de le voir égal à lui-même. Il a bien failli y passer lui aussi. La bataille a été violente pour nous tous. C'est un miracle que nous n'ayons eu que deux morts chez les chevaliers d'or. Bon, il y en a eu bien d'autres chez les chevaliers d'argent et de bronze, mais eux, ils comptent quasiment pour du beurre.

— Où est le doc ? interrogé-je Sanka.
— Avec Amalia. Elle aussi s'est remise rapidement en selle, si tu vois ce que je veux dire…
— Oui, oui, je vois très bien… Mais je croyais qu'il ne pouvait plus après une malédiction d'Hypolita : il a perdu certains de ses attributs.
— Et alors ? Il y a plein de moyens de contenter une femme !

Ce n'est pas faux. Connaissant Amalia, elle n'est pas prête à le lâcher. Je ne vais donc pas attendre d'avoir son autorisation avant de quitter les lieux. Je me considère comme guéri. Je me redresse, cherche des yeux partout la boîte de mon armure. Merde ! Elle a disparu.

— Ah oui, j'oubliais ! La Vierge est passée et a embarqué ton armure pour la réparer…
— Elle va bien, alors ? A-t-elle dit quelque chose de particulier ?
— Ouais, elle t'a traité de sombre merde de lève-tard parce que tu n'étais pas encore sur pied.
— Putain, elle exagère ! Sombre merde ? Après tout ce temps, je crois bien que je mérite plus d'égards de sa part.
— Ouais, enfin, ce n'est pas exactement ce qu'elle a dit, mais c'était l'idée. Elle y a tout de même mis plus de gants. Enfin bref, je lui ai dit « Déstresse, woman, y'a pas l'feu au lac. » Je lui ai proposé un joint. Elle m'a envoyé balader, m'a traité de feignasse, de drogué décadent – là, je ne paraphrase pas – et s'est tirée avec ton armure.

Quoi qu'il en soit, il est temps d'aller la rejoindre avant qu'elle ne me le reproche. Mais avant de partir, j'ai encore quelqu'un à voir. Je sors de la chambre et emprunte un couloir afin de me diriger vers l'aile réservée aux populations les plus pauvres. Pas difficile à la trouver : il suffit d'aller vers où les moisissures sont de plus en plus fournies.

Voilà, j'entre dans la « salle de repos » des plus modestes. Purée ! À côté, les chambres réservées aux chevaliers d'or paraissent des cinq étoiles. Là, tous les blessés sont agglutinés dans la même pièce. Pas de lits pour eux : ils sont allongés chacun sur un drap unique, sur un sol qui colle aux pieds, couvert de poussière, de sang et de vomissements plus ou moins séchés. Beaucoup gémissent en attendant encore les soins du chevalier Lieberman du Triangle, trop occupé à soulager les pulsions d'Amalia du Lion. L'odeur âcre est nauséabonde, peut-être pire que celle qui empeste le bureau du Grand Pope.

Il me faut enjamber plusieurs blessés et cadavres avant d'apercevoir la raison de ma venue. Pas difficile de le repérer, avec sa chevelure rousse. Il me fait signe et me sourit en me voyant me diriger vers lui. Bon, me voilà rassuré de voir que Friedrich va bien. Je m'approche, mais en essayant de garder un air sévère.

— Je croyais t'avoir dit de ne pas te mêler de cette bataille.
— Je sais, Maître, baisse-t-il les yeux, mais l'ennemi était à nos portes et menaçait tout le monde. Je ne pouvais pas rester à ne rien faire. Il me fallait agir.
— Tu aurais pu en mourir, grondé-je.
— Mais je suis toujours vivant. C'est que je suis assez fort… D'ailleurs, maintenant que plusieurs bronzes sont morts, il y a pas mal d'armures libres ; je crois qu'il est temps que j'en revendique une. Je…
— Non ! le coupé-je brutalement. C'est hors de question !
— Mais pourquoi, Maître ? Sacha en a une, lui, et je suis plus fort et plus courageux que lui.
— C'est non, j'ai dit ! Il va falloir que tu apprennes à mieux obéir.
— C'est pour me punir alors ? Je vous en supplie, Maître, je suis sûr que je le mérite. Je veux être un véritable chevalier.
— Ça suffit, j'ai dit ! Ma décision est irrévocable : tu ne seras jamais chevalier de bronze. Tu n'as pas de temps à perdre avec ça. Après la guerre, je t'entraînerai pour faire de toi un chevalier d'or.
— Ah ? s'étonne-t-il… OK !

Je lui fais donc promettre de se tenir tranquille le temps de la guerre et lui souhaite un bon rétablissement. Je sors et croise Mario, Amalia et Sanka qui m'annoncent que nous sommes convoqués au palais du Grand Pope. Il semble que l'heure de la confrontation tant redoutée est enfin arrivée. Va-t-il encore chercher ma mort alors que je viens de prouver que je suis un réel défenseur du Sanctuaire et que le véritable traître a été démasqué ?

— Pff, la flemme de grimper jusque là-haut, rouspète Sanka. Vous pouvez pas lui dire que je ne suis pas encore rétabli ?
— Et moi, on me coupe alors que j'étais très occupée ! se désole Amalia. C'est inadmissible !
— Voyons, je vous ai déjà dit que c'était sérieux. Hors de question que Francis et moi soyons les seuls à s'asphyxier là-haut.

Quoi qu'il en soit, j'ai beau ne rien avoir à me reprocher, j'ai quand même une appréhension à me retrouver face au Pope. Nous grimpons rapidement jusqu'au sommet de la colline. À notre arrivée au palais, la plupart de nos collègues sont déjà là ; même le Maquereau et Irma du Verseau, absents lors de la bataille du Sanctuaire, sont présents. Et, ô surprise, Athéna est là ! Merde, j'avais presque oublié qu'elle existait, celle-là !

— Bon, il manque qui encore ? s'impatiente le Pope.
— Marie de la Vierge, intervient Astrid de la Dorade qui m'était cachée dans un coin de la pièce. Je l'ai prévenue, elle va arriver d'ici peu.

Au ton de sa voix, sa Seigneurie n'a pas l'air de super bonne humeur. Difficile d'en savoir plus, son visage étant toujours dissimulé derrière un masque. Son connard de fils ne l'est pas non plus, il me jette un regard noir. Bon, ça doit être plutôt bon signe : si j'avais une raison de m'en faire, il me porterait plutôt un sourire sadique.

Il ne faut attendre que quelques minutes avant l'arrivée de ma Vierge adorée, portant une magnifique robe d'été. Elle a beau avoir la classe dans son armure de la Vierge, j'apprécie qu'elle ne la porte pas, ses admirables formes étant plus visibles. Elle vient à mes côtés et me lance un petit regard de reproche, l'air de me rappeler que je me suis réveillé trop tard. Je lui renvoie le même pour lui faire remarquer qu'elle est celle qui vient d'arriver la dernière.

— Bon, voilà, tout le monde est enfin là ; nous allons pouvoir commencer ce conseil de guerre.
— Grand Pope, intervient Athéna, ce n'est pas par là que nous avions dit que nous commencerions.
— Ah oui ? fait-il semblant.
— Bien entendu. Après avoir défendu courageusement le Sanctuaire, je tenais à annoncer officiellement que tous les reproches que l'on pouvait retenir contre le chevalier du Bélier et ses camarades sont aujourd'hui pardonnés et ne pourront aucunement être retenus contre eux. Francis, Marie, Judith, Sanka, vous voilà désormais réintégrés aux chevaliers d'or.
— Oh, cela m'était complètement sorti de la tête. On est vraiment obligés d'en arriver à de telles extrémités ? On ne peut même pas leur donner une petite punition ?
— Cela suffit ! s'impatiente notre déesse. Vous avez voulu emprisonner, juger et condamner un de mes chevaliers d'or sans même vous donner la peine de m'en parler, et tout ceci sous de faux prétextes. Ainsi, vous êtes responsable du bordel que cela a créé.
— Voyons, très chère déesse, je sais que nombre de responsabilités pèsent sur vos épaules ; je ne voulais pas vous déranger avec des broutilles.
— Des broutilles ? Non, c'était de la plus haute importance. Je sais que j'aime déléguer beaucoup de mes responsabilités, mais là, il fallait me tenir au courant. D'ailleurs, c'est un reproche que je peux vous faire à tous : quand l'ennemi s'attaque au Sanctuaire, il est anormal que la plupart d'entre vous ne se soit pas donné la peine de venir me chercher. Seule Irma du Verseau a pensé à me réveiller !

Ouais, en même temps, ce n'est pas comme si nous étions occupés à repousser l'ennemi. Et puis elle est censée être capable de sentir un cosmos hostile.

— Vous avez donc été prévenue, commente Marie. Pourquoi alors étiez-vous absente du champ de bataille ? Votre aide aurait été très précieuse.
— Euh… le temps que je me lève, que je déjeune, me lave, m'habille, me coiffe et me maquille, la bataille était finie depuis au moins deux bonnes heures. Changeons de sujet ! Quelqu'un peut-il me dire ce qu'il est advenu d'Arès ?
— Il a été évacué au Jardin d'Aphrodite, chez son allié, interviens-je. Il s'est pris une flèche déicide d'Hypolita.
— Ah-ah ! éclate soudain de rire Athéna. Pour une fois que ce n'est pas moi qui se retrouve avec une flèche plantée en pleine poitrine… Quoi qu'il en soit, le voilà condamné s'il ne se soigne pas. Il lui faudrait une énorme quantité de cosmos pour se débarrasser de cette blessure, plus élevée que celle d'un dieu.
— Il pourrait se servir du cosmos des arbres d'Aphrodite, fais-je remarquer.
— En effet, affirme Irma. Mes visions m'indiquent que c'est ce qu'Aphrodite a prévu. Si nous ne faisons rien, dans trois jours exactement Arès sera soigné et cherchera à nouveau à frapper le Sanctuaire.
— Alors nous devons prendre d'assaut le Jardin d'Aphrodite au plus vite et détruire Arès tant qu'il est encore faible ! s'écrie Marie.
— Il faudra d'abord détruire les arbres un par un, interviens-je. Quand elle est menacée, Aphrodite puise dans le cosmos de ses arbres pour créer un champ de force autour de son palais afin que nul n'y pénètre. Nul doute qu'elle protégera Arès ainsi.
— Très bien. Alors détruisons les arbres pour empêcher Arès de se soigner et terminer le travail ! s'exclame Ayé. Pas de temps à perdre, il faut y aller dès maintenant !
— Par son sacrifice, Hypolita du Sagittaire nous a fait gagner un temps précieux ; ne le gâchons pas en nous précipitant ! reprend Athéna. Nous ne sommes pas assez prêts. Vos armures ne sont pas encore réparées, et certains d'entre vous doivent encore s'entraîner. Je ne vous enverrai que le dernier jour.
— Seulement le dernier jour ? m'étonné-je. Ça risque d'être trop court. Il faudrait vraiment y aller au plus vite.
— Non ! répond Athéna d'un coup sec. C'est moi la déesse de la sagesse et de la guerre. Autrement dit, la stratégie c'est mon affaire. Je vous le dis donc, chevaliers du Bélier, du Cancer, du Lion, de la Vierge, du Scorpion et du Capricorne : vous partirez à l'assaut du Jardin d'Aphrodite dans exactement deux jours, et ce sera Francis qui vous mènera.
— Hein ? Quoi ? réagis-je. Je croyais que la stratégie était votre affaire ? Je ne suis pas fait pour mener, je suis fait pour aller au front briser nos ennemis.
— Il faut savoir déléguer de temps en temps. Etant donné tes connaissances du lieu et de nos ennemis, tu es le plus qualifié pour diriger les chevaliers d'or lors de cette bataille. Mais rassure-toi, tu auras aussi à combattre.
— Mais nous ne pourrons pas rester ensemble au Jardin : nous serons éparpillés partout afin de détruire les arbres. Comment puis-je mener les autres ?
— C'est là que j'interviens, reprend Irma. Avec Athéna, nous avons convenu que je t'enseignerai la projection astrale. Tu pourras ainsi communiquer avec tes alliés à distance.

Euh… la quoi ? C'est quoi ce délire encore ? Je tente de protester, mais au regard d'Athéna, je comprends que je n'ai pas le choix. Dans quoi m'embarque-t-on encore ? Me voilà donc obligé de suivre Irma du Verseau jusqu'à ses appartements privés, pas son temple puisqu'elle refuse toujours d'y mettre les pieds à cause du froid glacial qui y règne encore. Quelle perte de temps ! Me voilà boudeur.

— Si tu crois que ça me fait plaisir à moi… râle-t-elle en tournant la clé dans la serrure de sa porte d'entrée. Sous prétexte que je suis la seule à connaître la technique, c'est encore à moi qu'on refile le sale boulot. Comme si j'avais que ça à faire…

Elle ouvre sa porte et me fait signe de m'asseoir sur un canapé. Bon, c'est plutôt propre chez elle – c'est déjà ça de gagné – mis à part le plante complètement desséchée qui agonise sur la table basse.

— Ouais, je sais, je suis passée aux plantes vertes parce que j'oubliais toujours de nourrir mes animaux. Je me suis dis que je ferai moins de dégâts avec les plantes. Visiblement, ce n'est pas encore gagné ; j'ai encore oublié de l'arroser.
— Occupe-toi plutôt d'un cactus, proposé-je ; si tu oublies de l'arroser, ce n'est pas grave.
— J'ai déjà essayé mais j'oubliais tout le temps que je l'avais déjà arrosé. Du coup, il a pourri. Je dois être incapable de garder un être vivant, ici : même les hommes que je ramène chez moi me fuient.

Ah ? C'est rassurant, dis donc ! Qu'est-ce que je viens foutre dans cette galère ? Il me faut trouver une tactique de retrait.

— Bref, change-t-elle de sujet, nous allons commencer par un peu de théorie. Tu verras, c'est plus simple qu'il n'y paraît. La projection astrale consiste à envoyer son esprit en dehors de son corps, ou pour être plus exacte à séparer son corps astral de ses six autres corps. Il suffit de projeter son cosmos à travers les dimensions pour atteindre le plan astral. Pour cela, il faut simplement ouvrir son troisième œil afin de percevoir les différents niveaux de vibrations et d'énergies ondulatoires. Jusque là, c'est compris ?
— Euh… disons que je n'ai jamais cru à ces débilités New-Age.
— En quoi c'est débile ? s'offusque-t-elle. C'est pas plus stupide que des histoires de cosmos et de réincarnation de dieux.

Hum, sur ce coup, elle marque un point.

— Et qu'est-ce qui te fait croire que je vais réussir à maîtriser ton truc en deux jours ? Moi, mon utilisation du cosmos n'a jamais été très subtile ; je dégomme, j'explose, et puis c'est tout. Je traverse pas les dimensions ni projette mon esprit ailleurs.
— Et pourtant tu l'as déjà fait, et très récemment. Sinon, je t'assure que je ne perdrais pas mon temps avec toi.
— Hein ? Comment ça, je l'ai déjà fait ?
— Lorsque tu as combattu le chevalier de la Vierge Noire, ton cosmos a explosé à un niveau inimaginable, et tu as été capable de l'envoyer à travers les dimensions et de briser un instant les ponts qui les relient. Je l'ai senti d'ici.

Maintenant qu'elle me le rappelle, c'était au moment de la mort de Marie. Muhammad avait utilisé sa Takkya qui lui permet de se planquer dans une autre dimension. J'étais tellement désespéré et désireux de me venger que j'étais prêt à aller le chercher, peu importe où il se trouvait. Et puis il y a Marie qui m'a affirmé que mon cosmos lui avait servi de phare pour revenir. Ai-je vraiment su passer à travers les dimensions ?

— Je n'avais aucune idée de ce que je faisais, et puis c'était des conditions particulières… Impossible que je réussisse à refaire un truc du genre.
— Tu es bien plus puissant que tu l'imagines, Francis du Bélier. Tu as un énorme potentiel. Il est temps d'arrêter de te limiter. Je vais te guider, ne t'inquiète pas. Nous allons commencer par des exercices de relaxation. La méditation est la clé de la réussite.

Je ne réponds pas, ne m'oppose plus, signifiant ainsi mon accord. J'veux bien essayer même si je n'y crois pas vraiment. Mais qui sait ? Elle m'ordonne donc de m'asseoir à l'indienne, de fermer les yeux et de faire le vide dans ma tête. Faire le vide ? Facile à dire mais compliqué à faire ! Bon, essayons quand même….J'essaye de m'imaginer plongé dans une mer noire et calme. Faire le vide, chasser toutes images… Merde, j'ai faim ! Chut, tais-toi et fais le vide, crétin ! Bien malgré moi, un hamburger flotte en plein milieu de ma mer. Je mange quoi, au fait, ce midi ? Il faut que j'aille faire les courses, mon frigo est vide.

— Allez, concentre-toi, j'ai dit ! rouspète Irma.
— Ah oui, désolé. C'est juste que je commence à avoir faim.

C'est reparti pour l'exercice. Pendant une bonne heure je tente de faire le vide dans ma tête, mais rien n'y fait. Je n'arrête pas de repenser aux derniers évènements et à satisfaire mes besoins de base : manger, boire, dormir et baiser. Putain, ça fait tellement de temps que je n'ai pas baisé ! C'était quand la dernière fois, au fait ? Ah oui, avec Judith juste avant notre assaut du Sanctuaire, c'est à dire hier. Ah oui, c'est tout ? Pourquoi j'ai l'impression que ça fait beaucoup plus de temps que ça ? Hum, c'était si divin… Rien qu'à y repenser, j'ai mes ardeurs qui se réveillent dans le pantalon.

— Je ne te vois pas très concentré ! me gronde Irma. Concentre-toi à la fin si tu veux réussir.

OK, OK, pas la peine de hausser le ton. Ne pensons plus au cul et concentrons-nous… Ah putain, j'ai encore la dalle ! J'me prendrais bien une pizza avec une bonne chope de bière. Et merde, mes pensées se remettent à vagabonder. Concentre-toi, imbécile ! La mer noire… le calme… je flotte… Mon estomac se met à gargouiller même pas dix minutes après, me rappelant ma fringale. Irma grogne.

— Bah oui, mais c'est pas ma faute. J'ai faim. Impossible de me concentrer !
— Bon, OK, cède-t-elle. Mangeons, alors.

Elle m'emmène au resto, prétextant que je risque l'intoxication alimentaire si elle prépare elle-même la nourriture. Durant le repas, elle souhaite mettre à profit le temps afin de m'expliquer plus en détail la théorie. Je n'écoute que d'une oreille qui bite que dalle à son bla-bla et je hoche la tête de temps en temps, faisant style que ça m'intéresse.

Retour chez elle juste après, et nous nous remettons tout de suite au boulot. Dommage, j'aurais bien fait une sieste afin de me remettre de ce copieux repas… et puis une petite baise juste avant. Bon, concentrons-nous. Je replonge dans mes eaux ténébreuses et me laisse porter par les flots. Maintenant que j'ai mangé, ça devrait mieux aller… Une silhouette se dessine au loin. Elle se rapproche lentement, dessinant peu à peu les formes de Marie. Mes pensées ont beau être vaporeuses, Marie n'en reste pas moins magnifique. Nous restons là, tous les deux, à flotter l'un en face de l'autre dans cet océan infini et à nous sourire bêtement. Hum, je me sens si bien d'un coup, apaisé… Et puis soudain Marie se débat. Son visage transpire la terreur. Son corps semble happé par les abysses.

— Concentre-toi, bordel ! rugit Irma.

Je reviens brusquement à la réalité. Que s'est-il passé ? J'ai dû me noyer dans mes pensées.

— Ouais, bah ce n'est pas facile, me plains-je. Rien que de penser à faire le vide, c'est une pensée !
— Ton esprit a l'air tourmenté, reprend-elle plus calmement. Tu n'arriveras à rien si tu ne chasses pas tes soucis… J'ai une idée : allonge-toi sur le canapé et ferme les yeux.

J'obéis, ne sachant pas trop ce qu'elle a derrière la tête. Je la sens là, assise sur un fauteuil à environ deux mètres de moi, à m'observer en tapotant un crayon sur un carnet.

— Vas-y, parle-moi de ce qui te tracasse.
— Euh… c'est que…
— Vas-y, n'aie pas peur. Tout ce que tu diras ici ne sortira pas de ces murs. Livre-moi ce qui te tracasse, c'est la seule solution pour que ton esprit retrouve la paix.
— Bon, d'accord. Ben, tout petit déjà, je…
— Je n'ai pas le temps pour ces conneries. Viens-en à l'essentiel !
— Eh ben… hésité-je une nouvelle fois, t'es au courant pour la malédiction que m'a lancée Hypolita ?
— Oui : « Un amour qui te fera souffrir. » Elle m'a raconté ça. C'est quoi le problème ?
— Eh bien, je suis tombé amoureux, comme elle me l'avait prédit, mais c'est loin d'être un calvaire. Je ne dis pas non plus que tout est rose ; je suis loin d'être complètement satisfait, mais je m'attendais à pire que ça.
— De qui s'agit-il ?
— Marie de la Vierge…
— Et tu dis que ce n'est pas un calvaire ? Étonnant ! Elle qui ne se soucie que d'elle-même…
— Ben oui, mais nous nous sommes tout de même beaucoup rapprochés l'un de l'autre depuis que je l'ai rencontrée, et elle a fini par vraiment m'apprécier. Nous avons une vraie relation et, même si j'aimerais plus, je suis déjà heureux de ce que nous avons. À vrai dire, je ne me suis jamais senti aussi proche d'une femme que d'elle, alors que je ne l'ai même pas baisée… C'est dingue ! Elle-même a fini par penser que nos destins étaient liés. J'ai même parfois l'impression qu'elle pourrait vraiment tomber amoureuse de moi…
— Donc tu es tracassé parce que ça ne se passe pas aussi mal que tu le pensais ?
— Ben non, mais je m'inquiète pour la suite. C'est une malédiction, c'est censé me rendre malheureux, non ? Et puis cette histoire de destins liés, j'aimerais penser que c'est bien le cas, mais je n'oublie pas que je suis tombé amoureux d'elle uniquement à cause de la malédiction. Nous n'aurions jamais été liés sans ça.
— La malédiction ne veut rien dire. Vos destins pourraient être liés l'un à l'autre sans ça. Et puis, pourquoi la malédiction t'aurait spécialement poussé vers elle et pas vers une autre ?
— Peut-être… fais-je, peu convaincu.
— Écoute. Parfois mon esprit voyage vers d'autres réalités alternatives, et je vois comment les évènements auraient pu se dérouler autrement. J'ai vu une réalité où Raoul n'était jamais mort. Tu ne le remplaçais donc pas et restais au service d'Aphrodite. J'ai vu l'assaut des troupes d'Arès sur le Sanctuaire. Dans cette réalité, tu as demandé à ta déesse de t'envoyer en première ligne te battre. Tu mourais dans cet assaut, mais pas n'importe où : ton chemin s'arrêtait à la maison de la Vierge où Marie te tuait juste avant qu'elle-même se fasse tuer par la Vierge Noire. Dans cette réalité, elle causait ta mort et, par conséquence, causait la sienne puisque tu n'étais plus là pour la sauver. Ça ne prouve encore une fois rien, mais ça me laisse penser qu'un lien fort vous unit, quelles que soient les réalités.
— Alors c'est possible ? demandé-je avec espoir. Que quelque chose d'autre que la malédiction nous unisse l'un à l'autre ? Peut-être que le destin sera plus fort que le mauvais sort et que je trouverai le bonheur avec Marie…
— Possible, mais je ne prendrai pas le risque de me prononcer. Le destin est écrit à l'avance, mais il est très difficile de le lire. Je ne peux donc pas te dire ce qui t'attend avec la Vierge. Peut-être que vous allez vous aimer, ou peut-être que vous vous entretuerez ; il est bien trop tôt pour le dire. La malédiction n'a peut-être aucun rapport avec le destin, tout comme elle peut lui servir d'outil. Je n'ai malheureusement aucune réponse à te donner.

Mouais, en tout cas voilà de quoi me donner un peu d'espoir. Et puis, si la malédiction avait complètement fonctionné, elle m'aurait déjà sûrement bien fait souffrir. Au lieu de ça, je me rapproche de plus en plus de ma belle. Oui, je crois que le bonheur est encore possible, mais pour ça il faudra déjà survivre à la guerre. Une seule solution : je dois ouvrir mon troisième œil et maîtriser la projection astrale afin de vaincre nos ennemis. Je me remets donc en position afin de concentrer mon cosmos et vider ma tête.

Me voilà replongé dans les eaux calmes de mon esprit. Je flotte sereinement. La silhouette de Marie se dessine peu à peu, comme tout à l'heure. Je fais le vide dans mon crâne, me contentant de jouir de sa beauté et de son sourire. Je me sens en paix. Je me laisse aller, laissant échapper et se promener mon cosmos, comme Irma me l'a expliqué un peu plus tôt. Je crois que ça y est, je commence à piger le truc. J'ai l'impression de ressentir l'espace tout autour de moi, et même des espaces inconnus.

Soudain la vision de Marie se convulse ; elle semble paniquer. Comme tout à l'heure, ma belle est happée par le fond. Je tends un bras vers elle pour la retenir. Trop tard. Je sors de ma méditation dans un sursaut. Purée, j'y étais presque !

Irma fronce les sourcils, mais, plus motivé que jamais, je refais un essai avant qu'elle n'ait eu le temps de me gronder. Hop, je visualise les eaux sombres, puis Marie qui flotte et je me laisse aller. Même résultat. Et les deux coups suivants aussi. On dirait que ma petite discussion avec Irma n'a pas été suffisante pour chasser complètement mes craintes.

— Putain, Francis, je te rappelle qu'il nous reste un peu plus de vingt-quatre heures pour y arriver. Fais un effort !
— Mais j'en fais, me défends-je. Mais j'ai toujours cette vision de Marie tombant dans les abysses qui me sort de ma concentration.
— Tu dois trouver un moyen de te détendre mieux.

Ouais… Bah, facile à dire, mais compliqué à faire, surtout quand quelqu'un te met la pression juste à côté. Je refuse cependant de me laisser abattre. Je suis chevalier d'or, ce n'est pas une petite technique de rien du tout, aussi bizarre soit-elle, qui va me faire baisser les bras ! Les yeux fermés, retour dans les eaux noires. Marie ne met pas longtemps à apparaître comme les fois précédentes. J'essaye d'ignorer le moment où elle se débat, mais rien à faire : j'ai beau savoir qu'il ne s'agit pas de la véritable Marie, mon cœur se tord de douleur chaque fois que ma belle sombre dans les profondeurs.

La soirée avance et je n'ai toujours pas réussi l'exercice. J'arrive à retenir peu à peu le moment où Marie disparaît mais je n'arrive pas à l'empêcher complètement. Irma n'est pas satisfaite mais ne se plaint pas, bien que son visage indique à chaque fois le fond de sa pensée. Le temps passe ; il me reste environ une journée pour maîtriser cette technique.

Au bout d'un énième essai, je sens soudain des mains se poser sur mes cuisses. Quelques caresses réveillent rapidement mes ardeurs. J'ouvre les yeux, surpris : Irma se tient à genoux devant moi. Je l'interroge du regard.

— Je ne connais qu'un seul moyen pour qu'un homme soit parfaitement détendu, explique-t-elle. Laisse-toi faire et profite.
— Es-tu sûre ?
— Aux grands maux, les grands moyens. Nous n'avons plus de temps à perdre.
— Bon, OK.

J'ignore si cela sera efficace mais une chose est sûre, une fellation n'est jamais de refus. Irma me retire mon pantalon et mon boxer. Je me mets dans une position plus confortable et ferme les yeux. Je plonge dans les eaux noires au même moment qu'une divine langue plonge sur mon gland. Irma me lape et me tète avec douceur et délicatesse. Elle semble vouloir s'occuper de moi avec le plus grand soin. Le plaisir me monte rapidement à la tête et me berce. J'ai l'impression de ne faire plus qu'un avec le milieu aquatique dans lequel mon esprit baigne.

Comme les fois précédentes, la silhouette de Marie se dessine peu à peu. Ma belle flotte vers moi, le sourire aux lèvres, mais un sourire coquin cette fois-ci. La Vierge n'a pas l'air de vouloir se contenter de flotter, comme les fois précédentes. Elle s'approche de moi et commence à poser lentement ses mains sur mon corps. Je nous imagine soudain nus. Je visualise deux magnifiques et opulents seins en forme de poires que je caresse tendrement. Nos lèvres se soudent, nos langues se mêlent ; quel sentiment intense ! Cela a beau ne pas être réel, mon esprit le ressent pourtant comme tel. J'ai presque l'impression de sentir sa peau frémir sous mes doigts et de l'entendre gémir adorablement.

Et puis, dans mes songes, Marie se décide à passer à la suite des opérations. Sans hésitation, son visage plonge vers mon entrejambe gonflé de désir. Mon gland est happé par des lèvres désireuses. Une langue amoureuse se promène le long de ma tige. La sensation, écho à celle que me procure Irma dans la réalité, est divine. Avoir l'impression que c'est Marie elle-même qui me suce rend l'expérience encore plus mémorable. Je n'ai jamais mieux rêvé. Je ne me suis jamais senti aussi bien.

Comme les fois précédentes, mon cosmos s'échappe par tous les pores de ma peau et envahit l'espace alentour. Je le laisse vagabonder où bon lui semble, le laissant explorer à sa guise. Des visions m'envahissent, des choses qui se passent à mille lieues d'ici, d'autres dans des mondes que je ne connais pas et des espaces infinis, et d'autres tout proches. Aussi bizarre que ça paraisse, je te vois même toi, là, derrière ton écran à lire ces quelques mots issus de ma pensée. Je crois voir ensuite la véritable Marie s'agiter et gémir doucement dans son sommeil. Sans vouloir te vexer, je préfère nettement cette vision à la précédente. Je me demande à quoi elle rêve. Dommage qu'elle soit recouverte de draps : j'aurais bien voulu vérifier si son corps est le même que dans mes songes merveilleux.

Mon troisième œil est cette fois-ci bien ouvert. Mon esprit se concentre vers l'appartement d'Irma. Il est temps de tester la projection astrale. L'environnement me semble vaporeux. Je vois différentes formes imprécises. Au centre de la pièce, j'identifie le canapé et deux corps. Il est temps de me concentrer sur un unique point de l'espace et d'y déployer mon cosmos tout autour. La vision devient plus claire. J'ai l'impression de faire corps avec cette réalité.

Oui, l'image est parfaitement nette maintenant. Irma m'apparaît de dos, agenouillée devant mon corps d'origine qui semble éteint. La tête du Verseau, garnie d'une épaisse chevelure rouge, oscille au niveau de l'entrejambe de l'autre moi. Bien qu'ultime recours afin de m'aider, la dame semble pourtant prendre elle aussi plaisir à l'exercice. Une de ses mains caresse ses seins et l'autre est plongée sous son pantalon. Je ressens tout ce qu'elle me fait : la suave chaleur de sa bouche et la douceur de sa langue. C'est étrange comme sensation : j'ai l'impression d'être à la fois sur le canapé et derrière elle à nous observer.

Irma accélère la cadence. Mon plaisir grimpe à chaque fois qu'elle engloutit voracement ma hampe au fond de sa gorge. Une main vient d'atterrir sur mes bourses et me les malaxe vivement. Elle est vraiment très douée, la coquine ! Si Mario était là, il me dirait que c'est parce qu'elle s'est longuement entraînée sur le Maquereau. C'est vraiment une idiotie de faire profiter ce crétin de ce talent !

Ça y est, je me sens prêt à exploser. Sa bouche aura finalement raison de moi. Je vois mon autre corps s'agiter légèrement et je m'entends gémir. C'est comme s'il avait sa vie propre, indépendante de ma volonté, mais que je ressentais tout de même tout ce qu'il ressent. Je m'imagine mettre une main sur le crâne d'Irma pour la convaincre de prendre ma semence en bouche, et c'est ce que fait mon autre moi. Intéressant : je garde tout de même un certain contrôle sur mon corps physique quand je suis sous forme astrale. L'orgasme est là, sensationnel. Mon corps astral est soudain brisé. Je ne fais plus qu'un avec mon corps physique tandis que mon sperme se déverse au fond de la gorge du Verseau. Il me faut quelques secondes pour retrouver complètement mes esprits.

— Bravo ! Tu as réussi ! me félicite Irma, souriante, et du sperme aux lèvres.
— Ah oui, tu l'as remarqué ?
— Bien sûr ! Mais je n'ai pas voulu arrêter la fellation, histoire que tu maintiennes ton corps astral aussi longtemps que possible.

Vraiment ? Ou bien a-t-elle continué car la situation lui plaisait ? Peu importe, du moment que j'en profite. Après cette victoire, nous nous donnons rendez-vous pour le lendemain et nous séparons pour la nuit. Arrivé chez moi, je m'écroule comme une masse sur le lit. Mine de rien, la journée a été épuisante et m'a demandé énormément d'énergie.

La nuit est courte. J'ai l'impression de n'avoir dormi qu'une simple heure, et pourtant je me sens en forme, ou plutôt très motivé pour continuer l'entraînement. L'objectif de la journée est de recommencer plusieurs fois la projection astrale afin que j'y arrive de plus en plus facilement. Je me sens capable d'en réaliser une sans fellation, mais je fais semblant que non. Irma se propose donc pour me sucer une nouvelle fois. Hé-hé, comme je l'avais prévu ! Faut pas déconner non plus : si je peux me faire sucer toute la journée, je ne vais pas cracher dessus !

Tout se passe à merveille et la journée file à une vitesse ahurissante. L'heure de la grande bataille est maintenant proche et je dois quitter ma collègue afin d'aller reprendre des forces avant l'assaut et préparer avec les autres notre plan de bataille. Les autres et moi devons partir de bonne heure demain. Mais avant de la quitter, il me reste une chose à lui dire :

— Au fait, je suis désolé pour Hypolita. Je sais que c'était ton amie ; je m'en veux de ne pas t'avoir encore présenté mes condoléances. C'était quelqu'un de bien, finalement. Je l'avais mal jugée à cause de cette histoire de malédiction et du fait qu'elle était au service du Maquereau, mais c'était un grand chevalier.
— Merci, sourit-elle tristement. Ça me fait du bien de l'entendre.
— Toi aussi, tu es quelqu'un de bien, Irma. Merci pour ce que tu as fait pour moi. Surtout qu'avec un élève comme moi, c'était pas gagné d'avance.

Les chevaliers du zodiaque IV