L'embrasement de haine

Lorsque Velléda s'éveilla, Tanya avait disparu. Des soldats en armes l'attendaient à la sortie. Ils étaient nombreux et menaçants quand ils l'empoignèrent, mais elle ne leur opposa aucune résistance et se laissa couvrir de lourdes entraves de métal qui comprimaient ses bras le long du corps. Les fers qu'ils lui passèrent aux chevilles étaient reliés par une chaîne épaisse et courte qui ne lui permettait de marcher que difficilement, à petits pas. Ils l'emmenèrent ainsi dans la citadelle, et elle gravit péniblement les marches de pierre sous les regards de passants amusés par sa démarche contrainte. Mais dès qu'elle relevait la tête et les regardait, altière malgré ses liens, tous fuyaient par crainte de quelque malédiction prononcée par une détenue possiblement innocente.

Elle fut présentée au général Holopherne qui lui reprocha de ne pas lui avoir reversé l'argent de sa prostitution. Pour la punir, il la flagella dans une cave de sa demeure, à demi nue, suspendue au plafond par les poignets.

Une fois qu'elle eut le dos strié de zébrures sanglantes, il finit de la déshabiller et abusa sexuellement d'elle sans dire un mot, alors que ses liens serrés aux poignets l'empêchaient de se débattre. Elle entendit derrière elle le souffle de son bourreau s'accélérer tandis qu'il poussait des grognements d'animal sauvage. Elle fut alors tentée de fuir par l'imagination afin de permettre au moins à sa conscience d'échapper au viol, puisque son corps prisonnier ne pouvait s'y dérober. Mais même cela, elle ne put y parvenir, comme retenue par une puissance plus obscure encore que cette cave et qui l'agrippait mentalement pour la forcer à percevoir les moindres détails de ses tourments.

L'homme fut impressionné par la résistance dont Velléda faisait preuve : il n'entendit aucun sanglot ni gémissement. Elle serrait seulement les poings, muette de rage devant l'ignominie du traitement qu'elle subissait.

D'une manière étrange, alors que la pièce était fermée, un corbeau surgi de nulle part se posa sur les cheveux blonds de la suppliciée qui, inspirée par cette présence inattendue, murmura dans un état second :

« Je te maudis trois fois, général Holopherne ;
Une première fois pour ces coups de fouet
Dont mon corps douloureux est déjà tatoué,
Mais je ne serai pas celle qui se prosterne.

Je te condamne aussi pour ce qui me consterne :
Mon corps brisé de femme au destin bafoué.
Mais regarde mes mains et vois mon pied troué :
La cruauté toujours sur les esprits gouverne.

Je te voue de la sorte à une étrange mort
Car tu ne seras pas constamment le plus fort :
Une autre femme aura le trophée de ta tête !

Mon cœur est ravagé par la haine au venin
Qui me torture plus que le cuir qui me fouette,
Mais je serai vengée par un bras féminin. »

Ce qu'il entendit le mit dans une fureur telle que même les rudes soldats, qui assistaient à la scène, prirent peur. C'était comme si ses yeux avaient pris feu, et ses mains tremblaient. Il s'apprêtait à la fouetter à mort quand une femme entra. Celle-ci semblait dépositaire d'une telle autorité qu'à son arrivée, les gardes rectifièrent aussitôt leur position. C'était Yssana, une intendante du palais, qui exigea qu'on lui remette la prisonnière.

— Si le roi te fait demander, il n'y aucun doute : c'est qu'il te désire, admit Holopherne en serrant le poing en signe de dépit. Je ne puis que m'incliner devant l'ordre. Tu tiens donc ta vengeance, étrangère ! Nabuchodonosor accorde à celles qui lui plaisent ce qu'elles leur demandent ; et si c'est de ma tête qu'il s'agit pour satisfaire ta soif de représailles à mon encontre, tu l'obtiendras aisément.

Malgré ses blessures, Velléda fut en mesure de suivre, jusque dans un appartement du palais, l'intendante qui la soigna au moyen d'un onguent puis la laissa dormir quelques heures afin de reprendre des forces avant d'être présentée au roi. Yssana était très douce et parlait d'une voix calme du souverain que son invitée allait rencontrer. Elle se vit offrir un bain parfumé de pétales de roses dans une baignoire qui avait la forme d'un coquillage, puis elle s'endormit, pour la première fois, sur un véritable lit au matelas de plumes et aux draps de soie, presque aussi doux que la peau d'une femme.

Mais Velléda n'attachait pas d'importance au confort et ne parvint pas à s'endormir car elle pleurait continuellement. Son cœur était ravagé par la haine contre Holopherne, qui, pour elle, rassemblait en lui toute la noirceur de l'humanité. Elle avait compris que Tanya l'avait trahie en la dénonçant, sans doute moins par appât du gain que victime d'un odieux chantage de la part de leur souteneur. D'ailleurs, quand elle se trouvait dans la sinistre cave, elle avait aperçu au majeur de son bourreau la bague d'obsidienne, signe que le meurtre dont elle avait été témoin la veille était commandité par lui. Tout en elle s'embrasait de fureur. Jamais, même contre les villageois bourreaux de Xénia, elle n'avait éprouvé une colère si vive.

Au réveil, on lui servit un petit déjeuner de fruits frais puis, quand vint le soir, elle fut épilée, parfumée, élégamment habillée d'une longue et légère robe de soie noire, un vêtement sophistiqué qu'elle n'aurait pu enfiler seule, mais Yssana l'aida.

Après avoir franchi seule deux lourdes portes à battants ouvertes par des huissiers en livrée, Velléda s'avança vers le roi Nabuchodonosor II qui l'attendait, assis sur son trône. Ils n'étaient qu'eux deux, l'ensemble des courtisans ayant été éloignés pour l'occasion.