Sur le trône d'un roi

Contrairement aux usages, elle ne s'inclina pas, ni ne baissa les yeux. Le monarque n'en fut pas surpris. Au contraire, il descendit de son trône et pria son invitée de s'asseoir à sa place, ce qu'elle accepta. Il se mit à genoux et baisa humblement les pieds troués.

— Tu n'es pas comme les autres femmes, dit-il. Je sens en toi une force qui me dépasse. Devant toi, je ne suis plus digne de régner sur ce peuple. D'ailleurs, si d'aventure quelqu'un me surprenait ainsi, à genoux devant une étrangère, mon autorité en serait compromise.

Une araignée s'avança avec rapidité, puis s'arrêta juste aux pieds de Velléda. Elle avait le diamètre d'une assiette et la couleur du sable, avec des pattes épaisses. Une bête que l'on trouvait habituellement dans les déserts, cachée entre les rochers ; mais celle-ci s'était égarée dans ce palais. Les yeux un instant écarquillés, le roi eut un léger mouvement de recul.

— Veux-tu que je la tue ?
— Non, dit-elle en attrapant adroitement l'arachnide par son abdomen, d'une main vive comme l'éclair, en prenant garde à tenir ses doigts loin des dangereuses chélicères dispensatrices de venin avant de la jeter par la fenêtre ouverte. Cette bestiole aura sa chance dehors. J'ai vu assez de morts pour aujourd'hui, beaucoup trop, jusqu'à la nausée : cela me suffit, assez de sang ! Par contre, je voudrais bien que tu me débarrasses d'Holopherne. Je t'en prie. De n'importe quelle façon, pourvu qu'il disparaisse.
— Il est mon meilleur général. Un homme impitoyable, certes, comme le sont toujours les bons soldats. Impitoyable comme l'aurait été cette bête si elle avait pu te mordre. Mais toi ! Qui es-tu donc, Velléda ? Pythonisse, sybille, prophétesse, demi-déesse venue du Septentrion égarée parmi les mortels ? En général, les femmes ont une peur bleue de ces araignées si rapides et silencieuses qui se faufilent dans l'ombre des maisons.
— Tu as fait ton possible pour me dissimuler ta peur, ou bien ton dégoût, ou les deux en même temps, pour cet animal qui n'a pourtant fait de mal à personne. Tu me fais rire, puissant souverain au masque de grandeur ! Mais en vérité, sais-tu pourquoi tu crains les araignées ? Je vais te le dire : parce que leur toile si fine te rappelle le voile d'illusion qui recouvre ta vie et ton pouvoir. Tout ce que j'ai vu ici est dérisoire ! Demain tombera en poussières ta gloire d'aujourd'hui, dont il ne restera que des ruines sur lesquelles devront survivre tes descendants.
— Dans tout homme, il y a une part féminine, admit-il un peu vexé d'avoir laissé transparaître sa peur instinctive de l'araignée, et déstabilisé par ces propos. Mais tu as raison : je ne mérite plus d'être roi. Plus d'un complote contre moi dans l'ombre de ce palais, et je suis déjà un vieil homme que guette la maladie. Je crains fort que mon fils aîné, Amel-Marduk, qui est destiné à me succéder, manque de poigne face à cette cité si facile à séduire par de belles paroles et cet empire trop grand pour être gouvernable, pendant que dans l'ombre, tapi comme l'était cette araignée, mon gendre Nériglissar n'attend que le moment favorable pour renverser notre dynastie et prendre le pouvoir.

Il fit une pause afin de boire quelques gorgées d'une coupe d'un vin sirupeux que Velléda partagea avec lui. Il lui présenta aussi un somptueux plateau de fruits de mer, avec des huîtres à profusion qu'il appréciait pour leur ressemblance avec la vulve, humides et salées à l'image du sexe féminin, et tout comme cette fleur délicate, frémissantes au premier contact de la langue. Ce mets constituait un luxe inouï car il nécessitait une organisation sans faille afin de garantir la fraîcheur des coquillages ; il était réservé au monarque et à ses charmantes invitées.

— Tu devrais régner à ma place sur ce peuple turbulent assoiffé d'or et de luxure, reprit-il. Toi seule possèdes la sagesse nécessaire pour cela. Quoi qu'il en soit, sois sans crainte : je ferai en sorte qu'Holopherne soit tué à la guerre : je vais l'envoyer combattre un ennemi contre lequel je crois bien qu'il perdra la vie. Un petit peuple, du moins numériquement, mais qui, d'une manière bizarre, adore un dieu unique qui lui a permis de faire des choses extraordinaires comme de traverser la mer à pied sec et faire tomber une nuée de sauterelles sur les récoltes de son ennemi. J'ai lu des textes qui parlaient de cela et m'ont laissé fasciné. Holopherne périra contre eux, mais je serai finalement vainqueur : je détruirai tout par le feu et l'épée, y compris leur dieu et leur foi qui me font ombrage, et j'appellerai cela la paix.
— Que veux-tu en échange ?
— Que tu deviennes ma femme. Épouse-moi, Velléda, ma chérie, mon amour ! Tu vivras près de moi dans le luxe et le confort, sans avoir de souci à te faire. Je te chérirai sans fin et couvrirai ton corps de merveilles étincelantes, des bijoux extraordinaires que seuls savent forger mes plus talentueux joaillers ; parée de la sorte, tu seras l'égale de nos dieux, et même plus glorieuse encore, vénérée à genoux par chacune et chacun, moi y compris, comme je le fais à présent !
— Comment ton peuple prendra-t-il ce mariage ? Je ne suis qu'une vagabonde, une étrangère, et les mœurs et les dieux sanguinaires de cette cité me font frémir ! Et puis, tu sais bien que je suis une prostituée. Le pouvoir n'est pas pour moi, car sache que j'en ai peur, bien plus que des araignées. Prends mon corps autant qu'il te plaira, mais je ne peux pas t'offrir l'amour que je ne ressens pas pour toi, et je ne veux pas faire semblant. Tu verras, je suis très douce.
— Je t'en supplie ! Aime-moi avec tendresse ou bien avec effroi, comme il te plaira, mais aime-moi ! C'est pour la reine Amytis que j'ai fait construire ces merveilleux jardins suspendus qui répandent à longueur d'été leur fraîcheur sur ce palais. Dès aujourd'hui si tu le veux, je la répudierai, et pour toi seule j'en bâtirai d'encore plus grands, d'encore plus beaux, d'encore plus parfumés ! Si tu l'ordonnes, il te suffit d'un mot : j'interdirai les sacrifices à Moloch et je ferai trancher sous tes yeux la tête des prêtres de son temple, jusqu'au dernier, jusqu'au plus fidèle d'entre eux. Ou bien je ferai brûler notre statue sacrée en même temps que ses servants, et il ne restera rien de ce culte inhumain qui dévore les trop nombreux enfants de Babylone. Mon peuple tout entier sera soumis à la seule loi, et il adorera les dieux que tu lui imposeras, même les plus bizarres ! Toute ma cour sera à genoux devant toi pour te vénérer.

Il parlait en pleurant et en bécotant les pieds de Velléda, et elle vit que ses larmes étaient sincères.

— Puisque tu sembles aimer aussi les femmes, dit-il encore, tu auras à ta disposition les plus belles hétaïres de mon palais. Leur douceur est infinie, leur corps possède des grâces et des parfums incomparables, et leur seule présence suffit à rendre fou quiconque les regarde ; c'est pourquoi j'ai fait de leurs serviteurs des eunuques. Et si les hommes t'attirent aussi, tu auras pour toi seule mes esclaves du Nord dont les muscles saillants, huilés d'argan et oins de musc de cerf te raviront sur ta couche jusqu'à n'en plus finir, nuit et jour si tu le veux. Et si cela ne te suffit pas, j'en ferai venir d'autres du fin fond de mon empire, voire de plus loin encore, de l'Orient, de Perse, d'Inde et jusqu'à Cipango dont les mystères te troubleront. Je n'exige même pas de toi que tu sois fidèle, et ce soir je ne suis plus roi, mais le dernier des mendiants, un mendiant d'amour !

Ses yeux hallucinés la dévoraient du regard. Il poursuivit :

« Je ferai transpercer tes beaux seins de joyaux
Étincelants au point que le soleil lui-même
Pâlira ses rayons sous le pouvoir suprême
Des bijoux ruisselants pour tes charmes royaux.

Tu es belle déjà et je veux t'embellir
Pour que tu sois encore plus couverte de charmes.
Les femmes ont ce pouvoir : terribles sont leurs armes
Dont succombe mon cœur qui va pour toi faiblir.

Je possède en mes coffres un trésor fantastique,
Fruit de guerres et combats de sang, de politique,
Dont le seul but pour moi reste d'orner ton corps.

Car je ferai de toi la déesse vivante,
Adulée comme telle et recouverte d'or ;
Tu garderas de moi l'adoration fervente. »

À genoux, tout en parlant, Nabuchodonosor embrassait les jambes de Velléda, doucement, des chevilles jusqu'aux cuisses. Il tremblait. Par moments, il rampait et ressemblait, d'une manière un peu ridicule, à un serpent se lovant aux pieds d'une femme, se voulant fascinateur mais lui-même fasciné par la beauté féminine, subjugué par ce regard duquel il ne pouvait pas se détacher. Mais elle ne le regardait pas, non qu'elle fût indifférente aux sentiments du roi, mais elle ne voulait rien faire pour lui laisser croire qu'elle était attirée par lui. Elle ne le trouvait pas repoussant non plus et appréciait même son odeur masculine, mais elle craignait de briser le cœur d'un homme dont elle avait absolument besoin pour assouvir son désir de vengeance. Constatant qu'elle refusait de lui octroyer son regard ne serait-ce qu'un instant, Nabuchodonosor se concentra de nouveau sur les pieds et bécota les orteils avec dévotion, un à un, s'estimant déjà heureux qu'elle lui permît cela sans protester.

Pendant ce temps elle se regardait dans la psyché qui se trouvait près du trône, et découvrit que ses yeux étaient devenus orange comme ceux des harpies qu'elle avait combattues dans le désert. Alors elle sut que son cœur était profondément imbibé du poison qui ravage les humains, la haine, et qu'elle était contaminée par cette ville qui rend fou. Elle savait qu'elle seule voyait ses propres yeux de cette manière. Elle frissonna et pleura silencieusement. En se relevant, le roi vit une larme couler sur la joue de son aimée et ne sut que dire. Il crut qu'elle était amoureuse de lui et en fut tout joyeux. Il demanda :

— Toi qui sais tant de choses, d'après ce que l'on m'a raconté car une légende venue du fond des temps court à ton sujet, tu dois savoir cela : la Terre est-elle suffisamment ronde pour qu'on puisse en faire le tour à pied ?
— On pourrait en faire le tour, moyennant quatre-vingt mille pas, s'il n'y avait de si vastes océans qu'aucun chemin ne permettrait de s'y frayer un passage. Avec un bateau, si l'on sait s'orienter, c'est possible. Mais il faudrait affronter des tempêtes d'une violence dont tu n'as pas idée, de sorte que le voyage serait terriblement dangereux.
— Cela ne me fait pas peur. Je voudrais m'embarquer avec toi, juste nous deux, tout abandonner derrière moi : ce trône, cet empire dont la construction a été entamée par mon père Nabopolassar et poursuivie par moi, bâti sur la poussière et le sang, pour affronter ensemble les tempêtes effroyables que tu dis et découvrir des terres nouvelles, inexplorées, afin de nous y aimer, combattre des monstres marins et mordre à pleines dents dans des fruits inconnus.
— Seulement, je ne veux pas faire ce voyage avec toi. Mais toi, si tu m'aimes, me donnerais-tu ce bateau pour que je parte seule à la rencontre de ces territoires inconnus afin de poursuivre ma quête ?

Pour la première fois de sa vie, le grand monarque abaissa son regard dans la défaite, atrocement déçu. Ce fut comme si elle avait planté un poignard dans sa poitrine. Comprenant que rien ne serait jamais possible avec cette femme, il dit d'une voix lasse, tout doucement, « oui ». Même les puissants peuvent avoir le cœur brisé.

Alors qu'il se tenait toujours à genoux, Nabuchodonosor releva un pan de la robe légère et sa bouche progressa lentement le long des cuisses jusqu'à la vulve entrouverte. Il emplit ses poumons et fut stupéfait par ces parfums féminins intimes ; il en devint fou de désir et ne retrouva plus jamais sa raison. La langue balaya méthodiquement le sexe en chaque endroit puis se focalisa sur le monticule érigé tandis qu'il écartait les grandes lèvres à deux doigts, autour du fourreau. Elle tressaillit, surprise par tant d'adresse de la part d'un homme dans la stimulation, puis se cambra en se mordant la main car elle ne voulait pas attirer l'attention en criant. Elle hésita un instant, puis accepta de lui offrir son corps, se positionnant au mieux pour lui faciliter l'accès à ses charmes.

Le roi saisit la croupe à deux mains comme un calice qu'il buvait, animé par une soif intense pour les sucs salés de la volupté féminine. Il lui sembla qu'il se désaltérait pour la première fois, que les dieux lui laissaient enfin accéder au nectar suprême qui rend immortel, et qu'aucune boisson terrestre ne lui serait plus jamais digne d'être bue après avoir connu cela. Elle gémit, refusa de s'abandonner, tenta de résister aux vagues de plaisir afin de rester lucide mais n'y parvint pas ; puis, vaincue, elle se laissa emporter par le déferlement de sa jouissance. Des souvenirs défilèrent devant ses yeux fermés : elle revit les harpies aux yeux orange et ne put se défaire de cette image.

Puis ils eurent dans un silence lourd une étreinte qui dura jusqu'à l'aube. Infatigable, il fut pris d'une puissante fureur érotique à la hauteur de sa déception de n'être pas parvenu à conquérir le cœur de la belle Velléda qu'il n'eut de cesse de prendre dans toutes les positions imaginables, sans jamais trouver l'apaisement. Elle découvrit à quel point l'exercice du pouvoir stimule la libido des hommes. Une fois qu'il eût ôté ses vêtements royaux, elle vit qu'il avait, sous un pubis épilé avec soin, les génitoires embijoutées d'anneaux d'or, dont deux petits traversant chacune de ses bourses, reliés par une chaînette, et un autre, plus grand, perforant la verge à la base du gland et ressortant par l'urètre*. L'orgueil des métaux précieux magnifiait le long sexe dressé indiquant résolument minuit, et humide de rosée. Ces joyaux lourds tintaient à chacun de ses mouvements sous la lueur des nombreux candélabres qui entouraient le couple.

Dans la chaleur des nuits de Babylone, on l'entendit de loin feuler comme un chat, en même temps étourdi de volupté et désespéré dans son cœur, et tous les fastes et toutes les dorures de sa cour royale lui parurent soudain à leur juste valeur, c'est-à-dire insignifiants devant les charmes de celle, la seule, qu'il ne pouvait pas garder.

Au matin, afin de se forcer à penser à autre chose qu'à son amour déçu, le roi fit rassembler son armée afin de partir en guerre contre les Israélites coupables d'avoir refusé de s'allier à lui lors d'un précédent conflit. Holopherne fut convoqué d'urgence au palais pour recevoir ses ordres et prit sans délai la tête des colonnes de soldats. Au cours de ce conflit, il mourut décapité sous les murs de Bethalie assiégée, sous sa tente et avec son propre sabre, des mains d'une jeune et pieuse veuve aux charmes fascinants nommée Judith, décidée à prendre tous les risques afin de sauver son peuple du pillage et de l'esclavage. Après la mort de son général dont la tête fut exhibée à l'extrémité d'une lance en haut des murailles de la ville, l'armée babylonienne fut mise en déroute, et peu d'hommes de ce camp survécurent au désastre**.

Derrière une fenêtre de sa chambre royale, en regardant s'éloigner son armée dans un nuage de poussière sous un soleil implacable, Nabuchodonosor pleurait amèrement, en se mordant le poing fermé, de son désir frustré d'étreindre encore la belle Velléda. Dans sa langueur d'aimer, les ors de son palais, le luxe de ses jardins suspendus comme les charmes de ses nombreuses courtisanes, expertes en séduction et surchargées de maquillage, lui parurent dérisoires. En s'avisant qu'il ne reverrait jamais celle au regard de feu, il fut soudain pris d'une rage extrême qu'il tourna contre lui-même en arrachant d'un seul coup les bijoux qui ornaient son sexe, lequel se mit à saigner abondamment d'une hémorragie aggravée par l'érection maximale qui le tenait lorsqu'il pensait à elle, c'est à dire constamment.
Juste avant de le quitter, après avoir récupéré son manteau de loup, elle s'était retournée une dernière fois vers lui pour lui dire :

— Adieu, grand roi : nous ne nous verrons plus. Je te remercie pour ce somptueux bateau, mais je ne serai jamais ta reine. Tu es un enfant gâté qui pleures de ne pouvoir étreindre la seule femme qui se refuse à toi, car je suis le seul désir que tu ne puisses pas satisfaire. Même si je t'avais accordé ma présence, tu te serais lassé de moi. De la sorte, tu ne peux pas être heureux.

Il avait alors eu la tentation de la garder comme prisonnière, pour lui seul, afin d'abuser d'elle aussi longtemps qu'il lui plairait. Mais alors, une fois qu'elle serait enchaînée, comment croiser son regard de feu au plus fort de l'étreinte ? Car en supplément à l'amour, elle exerçait sur lui la fascination d'une serpente, une crainte obscure, celle de croiser sa propre âme dans le miroir de ces yeux clairs qui comprenaient tout immédiatement, plus aiguisés que la lame du glaive le mieux affûté. Oui, elle avait raison ; il était obligé d'admettre ce qu'il savait depuis longtemps : il était un enfant gâté pour qui tout désir, à peine formulé, était aussitôt accordé, et sous l'effet de ce lent poison de la facilité, son cœur s'était desséché. Dans sa vie, elle fut la seule femme qu'il n'avait pas regardée comme un bel objet de séduction et de plaisir.

Les images des joies érotiques qu'il avait eues avec Velléda envahissaient son esprit sans rémission. Il revivait ce scénario sans fin, une histoire qui démarrait l'instant où il l'avait découverte par hasard en se promenant la nuit parmi la foule des bas quartiers où régnait la prostitution, ce qu'il faisait souvent, car ce spectacle le distrayait. Négligeant la protection de sa garde personnelle, il se cachait toujours sous une grande cape sombre pour ne pas être reconnu. Aussitôt qu'il avait croisé la belle prophétesse, il fut séduit par cette femme qui ne ressemblait à aucune autre et, tombant sous le charme, il l'avait suivie discrètement, sans être remarqué, l'espionnant dans ses étreintes avec l'un de ses officiers et avec Tanya, puis avait laissé Holopherne procéder à son arrestation.

S'emportant contre le destin qui le privait de cette femme, rendu plus furieux encore par la douleur et l'ivresse de son vin, Nabuchodonosor déchira ses vêtements et se dévêtit complètement. Il lança par la fenêtre de toutes ses forces les bijoux dont il était auparavant si fier. Les anneaux et la chaînette sanguinolents, après une longue trajectoire parabolique au cours de laquelle l'or pur scintilla une dernière fois au soleil matinal, plongèrent dans l'Euphrate, se mêlant au limon du fleuve. Il s'écoulera plusieurs siècles avant qu'un pêcheur les remonte par hasard dans ses filets. Puis il s'allongea au milieu sur son lit immense et contempla ses plaies génitales par lesquelles se vidait lentement son sang, car l'alcool fluidifiait sa sève vitale qui s'échappait de lui, inexorablement.

Une heure plus tard, il s'endormit définitivement, le sourire aux lèvres, car dans son agonie il revivait encore et encore chaque instant de sa rencontre avec Velléda. Une servante qui venait comme habituellement faire le ménage le découvrit sans vie, baignant dans son sang, les yeux restés ouverts, pétillants de joie, comme pour fixer une chose merveilleuse.

Le trône revint à son fils Amel-Marduk, qui ne régna que deux ans avant d'être renversé par le perfide Nériglissar.

* De nos jours, on appelle cela un piercing de type « Prince Albert » (bien que l'époux de la reine Victoria n'ait rien eu à voir avec cette pratique).

** Cette histoire se trouve relatée dans l'Ancien Testament, le livre le Judith :

Judith, la jeune veuve, a brandi triomphante
La tête d'Holopherne : elle a vaincu ainsi
Celui que son regard dans la nuit séduisit ;
Il avait vu en elle une proie succulente.

Voici que se finit la carrière violente
Du fougueux général livré à la merci
D'une femme aux yeux noirs qu'un destin conduisit
À décapiter l'homme enivré sous sa tente.

Ses parfums féminins ont fait battre le cœur
Du guerrier qu'on croyait certainement vainqueur,
Si faible, cependant, devant la grâce exquise !

On a vu abattu le prestige brutal
De celui qui croyait une belle conquise,
Leurre de ses pulsions qui s'avéra fatal.