Périple océanique

Le lendemain de sa rencontre avec Nabuchodonosor, Velléda avait obtenu le bateau qu'elle demandait, une petite mais solide embarcation munie d'une unique voile triangulaire, et plusieurs mois de vivres pour une personne.
Elle prit possession des cadeaux que le roi, dans son amour à sens unique, lui avait préparés : non seulement ce bateau fabriqué par un artisan de renom, sortant à peine de l'atelier et que le monarque destinait initialement à son usage personnel, mais aussi, dans la cale, posés parmi les provisions et la réserve d'eau douce, un glaive magnifique, un arc et des flèches réunies dans un carquois de bronze sculpté, sans doute dans le but, pensa-t-elle, de se défendre des attaques de pirates. Elle demanda au capitaine du port de remercier vivement le roi pour tous ces luxueux présents.

Refusant l'assistance de tout équipage, elle embarqua seule et quitta Babylone en glissant dans le soir sur l'Euphrate, accompagnée par les acclamations provenant du temple de Moloch où se déroulait un nouvel holocauste humain ; cependant cette clameur s'étouffait progressivement à mesure qu'elle s'éloignait, avant de rejoindre la mer quelques jours plus tard. Elle fut soulagée de quitter cette ville maudite où son cœur s'était égaré dans la haine contre un homme, et comprit enfin que par sa faute, bien d'autres, des innocents arrachés à leurs proches, enrôlés de force ou par la séduction fallacieuse des armes, mourraient dans les combats à venir.

Solitaire au milieu des eaux, elle eut le temps de méditer sur la fragilité de son cœur qu'elle avait imprudemment cru hors de portée du mal. Il lui fallut affronter sa faiblesse lors de cruelles introspections, ce qu'elle fit inlassablement, nuit après nuit, connectée au mystère des étoiles. Par un matin clair, elle vit à nouveau son reflet à la surface de l'eau et constata que ses yeux avaient perdu la teinte orangée causée par le mal qui avait ravagé son cœur. Elle fut alors apaisée.

Alors qu'elle était éloignée de toute terre, elle constata que les nausées qu'elle ressentait n'étaient pas seulement dues au mal de mer, car qu'elle n'avait plus ses règles ; puis son ventre commença à s'arrondir alors qu'elle venait de franchir l'équateur.

Elle navigua plusieurs mois sans rencontrer personne, sinon quelques pêcheurs ou marchands qui la saluaient au loin de grands gestes de leurs bras, et auxquels elle répondait de la même manière. Au large de Madagascar, elle fut poursuivie par des pirates qu'elle parvint à distancer en manœuvrant son bateau mieux qu'eux. Elle contourna le continent africain par le sud, affrontant les tempêtes qu'elle avait annoncées. Aucun homme de son époque n'aurait pu triompher des éléments déchaînés comme des immensités océaniques, seul, sans boussole et avec une embarcation aussi frêle, mais elle possédait en elle à la fois une force physique et une science mystérieuse qui lui permirent cet exploit.

Elle accoucha par une nuit de tempête, secouée en tous sens, alors qu'elle avait été obligée d'affaler la voile pour ne pas chavirer. Et alors que le vent rugissait à ses oreilles et que la pluie l'arrosait par trombes, elle coupa le cordon ombilical avec le glaive que lui avait donné Nabuchodonosor. La Croix du Sud semblait contempler l'enfant, et lorsque celui-ci poussa son premier cri, le grain s'éloignait et l'aurore embrasait l'immensité océanique. C'était une fille aux grands yeux gris d'une pâleur de Lune que Velléda, pour cette raison, l'appela Nanna, en lui murmurant son prénom tout en la portant jusqu'à son sein, en se demandant quel pourrait être le destin de l'enfant d'un roi et d'une prophétesse née en marge du monde.

Au matin, épuisée par sa nuit de travail solitaire, elle accosta sur un rivage qui lui parut accueillant et décida de s'offrir une pause dans son voyage afin de reprendre des forces. Il s'agissait de la Terre de Feu que l'été austral recouvrait d'une prairie d'un vert profond qui était inconnu des contrées méditerranéennes d'où venait Velléda.

Un groupe de femmes l'attendaient sur la plage. Il n'y avait pas d'hommes dans cette petite communauté d'Amazones qui vivait en autarcie complète, sinon, de temps à autre, quelques voyageurs égarés qui ne restaient que peu de temps avant de repartir après avoir fécondé leurs hôtesses. Velléda fut bien accueillie et prit toute sa part aux travaux des champs, suant comme les autres pour que la récolte soit belle, avant le repas pris en commun et la veillée autour d'un feu sous les étoiles. Pour l'occasion, elle se fabriqua un instrument à cordes dont elle jouait en chantant des poèmes et des histoires du monde qui était de l'autre côté des eaux. Elle chantait inlassablement, parfois toute la nuit, sans s'arrêter, dans une langue que les Amazones comprenaient. Chacune l'écoutait et pleurait avec elle des misères humaines, et riait aussi des travers de leurs semblables.

Quand les Amazones découvrirent le glaive et l'arc que Velléda transportait dans son bateau, elles en furent contrariées car aucune arme ni aucune sorte d'instrument de violence n'étaient tolérés dans leur communauté. Ensemble, elles gravirent une falaise au bord de l'océan pour y jeter les objets proscrits, fracassés sur les rochers, engloutis par les flots. Ainsi remplies de leur sagesse millénaire qu'elles se transmettaient de mère en fille, ces femmes ne tuaient jamais ni humain ni animal, se contentant des produits végétaux que la nature leur prodiguait. Les conflits se réglaient toujours par le dialogue et l'arbitrage de personnes impartiales.

Velléda resta une année entière parmi les Amazones, un an d'insouciance et de bonheur sans nuage, même lorsqu'il fallut enterrer certaines d'entre elles au cœur de l'hiver, lorsque la prairie se recouvrait d'un voile blanc et qu'elle grelottait sous son manteau de loup, les pieds nus dans la neige, en allant ramasser du bois. Les Amazones partageaient tout ce qu'elles possédaient et s'aimaient en ignorant la cupidité des hommes. Certains parmi ceux ayant approché ce peuple, par jalousie inventèrent une légende qui prétendait ces femmes d'une violence encore supérieure à la leur, et cette aberration court toujours.

Elles partageaient le goût de l'effort en commun ; leurs joies comme leurs fêtes étaient simples, mais n'oubliaient personne. Elles haïssaient le mensonge, l'égoïsme et la frivolité. Elles parlaient peu, et lorsqu'elles le faisaient, c'était afin d'exprimer sincèrement ce que disait leur cœur, jamais pour se mettre en valeur ou pour prendre un ascendant sur les autres. Celles qui, dans un moment de faiblesse, s'adonnaient à ces travers sous le regard des autres en éprouvaient une telle honte qu'elles ne recommençaient jamais. Telle était la société des Amazones, dont la vie n'était pourtant pas toujours facile en cette extrémité sud du continent américain particulièrement exposée aux intempéries océaniques.

La petite Nanna était choyée par le peuple tout entier des Amazones qu'extasiait son fascinant regard de Lune et ses progrès rapides. Elle fut élevée par la communauté toute entière, comme l'ensemble des enfants. Vers l'âge de quinze ans, les garçons étaient invités à partir par petits groupes découvrir d'autres horizons, forts de l'éducation complète qu'ils avaient reçue et qui les rendait aptes à affronter cet exil, tandis que les filles prenaient de plus en plus de responsabilités, à la mesure de leurs talents, dans un domaine qu'elles choisissaient librement.

Au printemps, Velléda n'aimait rien tant que courir sur la falaise aux premiers rayons de l'aurore, alors que ses compagnes dormaient encore, à perdre haleine, les pieds nus sur la rosée fraîche, puis se rouler dans l'herbe, se relever et ainsi de suite, avec pour compagnon l'océan à perte de vue, encore gris des cendres de la nuit finissante, mais changeant de couleur à chaque minute. Parfois passait au loin un groupe de baleines qu'elle saluait, auxquelles elle demandait si leur route maritime était belle ; elles lui répondaient en lui souhaitant également une bonne journée. Alors Velléda savait que le jour commençant serait un jour de joie et que le travail des champs jusqu'au soleil couchant lui serait léger en compagnie de ses sœurs d'adoption. Elle avait l'habitude de méditer juste avant d'aller les rejoindre.

Un matin, une jeune fille de vingt ans nommée Sîn la trouva là, légèrement au-dessus du sol, et lui demanda de lui apprendre à méditer. Elle était forgeronne, et son atelier se situait au centre du village. Sa force impressionnante lui permettait de frapper au marteau, à longueur de journée, des morceaux de fer portés au rouge qu'elle tenait de l'autre main avec une pince, inlassablement, pour fabriquer avec adresse les outils dont les cultivatrices avaient besoin. On la voyait toujours de bonne humeur et elle aimait beaucoup rire et chanter, mais n'en possédait pas moins une intériorité qui la poussait à rechercher des expériences mystiques. Elle avait deviné que Velléda en savait bien plus que les autres dans ce domaine, aussi recherchait-elle sa compagnie. Elles se tinrent la main dans le vent matinal et Sîn prit conscience de sa respiration, des battements de son cœur, de la Terre sous elle et du ciel au-dessus, et ensuite de l'interconnexion universelle de tout avec tout, et de bien d'autres choses encore que Velléda lui expliqua patiemment et qu'elle entendit résonner en elle dans sa langue maternelle.

Elles se retrouvèrent au même endroit plusieurs jours de rang, et Sîn, aidée par son amie, progressa rapidement dans sa manière d'approfondir sa relation avec le monde. Un matin, elles s'accouplèrent ; cela vint naturellement, sans un mot de l'une ou de l'autre, parce que le désir s'exprimait par le regard et non pas la voix, par le tendre toucher et non pas la parole, par la posture du corps et non pas les mots. Nues sur le bord de la falaise, en se roulant dans l'herbe et les coquelicots, l'une comme l'autre avait l'impression de voler ; peut-être était-ce réel alors que la peau était soudée contre la peau, tétons contre tétons, sexe contre sexe. Mais elles n'auraient pas pu s'en rendre compte car le ciel et l'océan et la terre avaient disparus pour elles, car plus rien n'existait pour chacune que son aimée aux baisers de feu et au ventre blanc d'hirondelle.

À compter de ce matin-là, elles ne se quittèrent plus. Velléda déménagea afin de partager, avec la petite Nanna, la chambre de Sîn dont le cœur était chaque jour plus brûlant encore d'amour et de désir, jusqu'à en allumer un brasier permanent dans ses yeux. La jeune forgeronne fut une seconde maman pour l'enfant, comme si celui-ci était issu de sa propre chair, veilla sur ses nuits et sur ses fièvres. Elle lui offrit, pour son premier anniversaire, un médaillon d'airain qu'elle avait forgé en secret dans son atelier, mêlant le cuivre et l'étain en forme de boule creuse afin de donner au bijou une sonorité joyeuse destinée à apporter à Nanna la paix et la joie durant toute son existence. Velléda fut très touchée par ce cadeau mais, d'une manière qui surprit son aimée, dut ensuite aller se cacher pour pleurer.

C'était dans les jours précédant ceux où l'été, de retour, embrasait l'horizon et annonçait la moisson. Debout au crépuscule sur le bord de la falaise occidentale, Velléda contemplait l'océan sous lequel le soleil disparaissait peu à peu. En bas, sur la plage, son bateau reposait en cale sèche, hissé péniblement un an plus tôt avec l'aide de ses compagnes afin de le protéger des terribles tempêtes hivernales qui sévissaient dans la région. Son cœur était transpercé de mélancolie et de doutes car elle sentait que la route l'appelait à nouveau d'une manière irrésistible, et pourtant elle était pleinement heureuse sur cette terre loin des hommes, auprès de sa fille et de sa compagne.

Elle savait qu'elle pourrait demeurer là presque éternellement, sans vieillir ou si peu alors que les milliers d'années glisseraient sur elle, en souriant à ses sœurs, en regardant s'écouler les saisons dans la paix, en regardant grandir puis vieillir son enfant, et blanchir les cheveux de son aimée. La terre des Amazones était son paradis, et jamais elle n'eut à affronter d'épreuve plus grande que celle d'avoir à le quitter. Mais elle savait ce mal nécessaire car son cœur le lui murmurait en permanence et elle ne parvenait pas à faire taire cette petite voix, même durant ses fougueuses étreintes avec Sîn.

Une nuée de corbeaux vint tournoyer au-dessus de sa tête. Elle n'avait pas encore rencontré leur silhouette obscure dans ce pays ruisselant de lait et de miel. Elle tendit son bras en avant et fut déséquilibrée, au risque de basculer dans le vide, lorsque l'un de ces oiseaux se posa sur sa main. Il lui dit :

Velléda, il est temps de reprendre ta route.
Vois que la mer est calme et le vent régulier ;
C'est l'heure de quitter ton monde familier :
L'aventure est au loin, bien que cela te coûte.

Tu as fait du chemin dans l'errance et le doute ;
Sache que ce destin à ton nom est lié.
Oui : ton nom mystérieux, que tu as oublié,
Tu le retrouveras si tu restes à l'écoute.

Ce qu'il t'est demandé : renoncer au bonheur !
Tu as su partager, c'est tout à ton honneur,
Des moments de douceur, la vie en plénitude.

Pleure si tu le veux, mais fais-leur tes adieux.
Ta générosité est aussi servitude
Dans le but d'affronter des lendemains odieux.

Velléda hocha la tête, le cœur gros de quitter celles qui l'avaient accueillie comme une sœur égarée dans des pays de violence et d'infortune. Le vent s'était levé au soir, puissant et régulier ; le moment était favorable.

Lorsque la nuit fut tout à fait installée, elle prit le petit chemin côtier qu'elle suivit à tâtons et descendit jusque sur la plage, puis hissa son embarcation dans l'océan, seule, en tirant sur la même corde que celle qui avait servi un an plus tôt. Sans aucune aide, elle espérait ne pas y parvenir, mais sa force physique l'étonna de nouveau, comme au jour de son émergence. Elle sauta à bord, déploya sa voile et partit sans un adieu : elle n'en aurait pas été capable autrement, tant l'amour qui la liait à celles qui lui avaient ouvert leurs bras l'année précédente était puissant.

Elle entendit, venu de sa mémoire, les paroles que Sîn avait prononcées trois mois plus tôt, lorsque Velléda avait évoqué la possibilité de partir :

— Pourquoi nous fuir ? Pourquoi quitter ton enfant chéri ? Ne suis-je pas capable de te donner chaque jour tout l'amour que ton cœur réclame ? Pourquoi faut-il toujours que l'horizon t'appelle et que les vents de l'aventure te murmurent à l'oreille des mots qui te séduisent ? Je t'ai observée quand tu regardais l'océan, te croyant seule, et ton regard était si clair et s'est porté si loin que j'ai compris que, quoi que je fasse, je ne pourrai pas te retenir bien longtemps. Tu n'as pas besoin de parler pour m'avouer cela : mon intuition l'a déjà perçu. Te faut-il vraiment le pouvoir et la gloire, tout ce qu'aiment les hommes jusqu'à basculer dans leurs folies guerrières, tous ces sentiments que nous haïssons toutes, pour que tu sois satisfaite ? Ou bien est-ce la vaine recherche de ta véritable identité ? Une fois que tu auras obtenu tout ce que tu cherches, tu sentiras dans ta bouche un goût de cendre à cause de tout l'amour que tu auras perdu dans ta quête insensée. Que feras-tu ensuite ?

Finissant dans un sanglot, sa voix était chargée de colère et de tristesse mélangée.

— Rassure-toi, je ne vais pas partir tout de suite, avait répondu Velléda en prenant sa compagne dans ses bras. L'hiver n'a pas encore craché ses dernières tempêtes. Je ne te promets rien, et je n'ai pas encore pris ma décision. Profite de ma présence tant que je suis à tes côtés, vis au jour le jour, sachons apprécier notre bonheur sans penser au lendemain. Prends ma main, viens si tu veux puisqu'il est encore temps ; courons nous aimer dans la lande déserte, allons respirer ensemble les parfums du printemps qui s'approche pendant que les autres dorment encore.

En se souvenant de ces paroles alors que sa voile se gonflait et la rive s'éloignait derrière elle dans la nuit, Velléda en eut le cœur brisé, au point qu'elle vomit par-dessus le bastingage le dernier repas qu'elle avait pris parmi les Amazones.

Elle mit cap au Nord-Ouest, fixa les étoiles afin de s'orienter, et y distingua nettement les sourires de Nanna et de Sîn. Lorsque vint l'aurore, elle s'autorisa enfin à se retourner ; elle ne voyait déjà plus la terre des Amazones. Ses larmes se mêlèrent aux embruns et le navire traça son sillage vers le grand large, vers le Pacifique immense qui lui était encore inconnu.

Après quelques jours de navigation au cours desquels elle dut pêcher pour se nourrir, le vent tomba. Dans son bateau immobile, elle vint à manquer d'eau douce et fut obligée de boire son urine. Comme ce n'était pas suffisant, elle essaya de consommer de l'eau de mer, mais elle s'aperçut rapidement que cela ne faisait que la déshydrater plus encore. Le ciel était désespérément bleu profond, sans nulle trace d'un nuage ; elle pensa à la pluie bienfaisante qui ruisselait sur elle et s'abrita sous sa voile flasque afin d'avoir un peu d'ombre.

Elle vit à l'horizon une nuée d'oiseaux noirs voler vers elle et frissonna, craignant de finir dévorée sous leur bec, car trop faible pour se défendre. C'étaient des corbeaux qui tournèrent autour de sa tête sans la toucher. L'un d'eux se posa près d'elle et dit :

Nous t'avons en chemin longuement fait escorte ;
Tu as été fermière, errante, et puis putain.
Il est temps maintenant d'activer ton destin,
Franchir de nos futurs l'impressionnante porte.

Nous t'avons préparée ; à présent tu es forte
Après avoir connu guenilles et puis satin.
Tu as su méditer du soir jusqu'au matin ;
Tu sauras affronter leur espérance morte.

Regarde devant toi, lis les regards, les cœurs
Que la folie humaine a pétris de malheurs
Afin de découvrir une issue radieuse.

Va sans te retourner malgré toutes tes peurs,
Va vers ta destinée que l'on sait prodigieuse,
Mais sache te garder des sentiments trompeurs…

À peine eût-il prononcé ce dernier mot avec sa voix suraigüe que Velléda l'attrapa par le cou, d'un bras qui fut si vif qu'il n'eut pas te temps de s'envoler. Aussitôt, elle l'ouvrit en deux avec ses dents pour étancher sa soif avec le sang épais de l'oiseau qui lui coulait le long de la gorge. Les autres s'enfuirent sans manifester de rancune à celle qui avait pris la vie de l'un des leurs. Peut-être avait-il été désigné pour cette tâche par sa communauté, condamné à subir ce sort après un jugement.

Dans la soirée, le vent se leva et la voile se gonfla de nouveau. Puis des nuages noirs recouvrirent le ciel entièrement, et la tempête se déchaîna. Elle affala hâtivement sa voile, puis fut obligée de peser sur le gouvernail afin de ne pas chavirer sous l'effet des vagues de plus en plus menaçantes. Elle lutta toute la nuit.

À l'aurore, elle rencontra un immense tourbillon qui, sans qu'elle parvienne à l'éviter, avala sa fragile embarcation jusque dans les profondeurs océanes. Sa chute dura si longtemps qu'elle vit, au-dessus de sa tête, les constellations changer de forme – il faut des millénaires pour cela. Les mêmes images que celles du puits à l'intérieur duquel elle avait chuté dans le désert revinrent à elle, additionnées de celles de Babylone et de la Terre de Feu. Le bateau se fracassa finalement dans les remous ; Velléda perdit connaissance et crut se noyer. Finalement elle s'éveilla, flottant inerte sur le dos, et découvrit qu'elle était proche d'un rivage vers lequel elle nagea. En s'approchant, elle vit que cette terre ne ressemblait en rien à celle qu'elle venait de quitter.