Une vie nouvelle

Les quelques jours passés chez mon amie Adeline tirent à leur fin. En premier lieu parce que son copain Marcel rentre ce week-end et que je ne veux pas les déranger, et puis surtout parce que j'ai besoin d'air, de respirer. Je dois aussi avouer que les amours saphiques à trop hautes doses arrivent à me faire regretter l'absence de l'instrument principalement masculin que ni elle ni moi ne possédons. Alors j'ai pris hier attache téléphonique avec notre nouvel ami. Paul m'a immédiatement invitée à venir passer quelque temps chez lui. Mais il me faut aussi reprendre contact avec Alain, et là, je ne sais pas trop comment m'y prendre. Mais il faut pourtant bien que je me jette à l'eau et que j'éclaircisse la situation. Cette fois, c'est vraiment décidé, je ne me remettrai plus en ménage avec lui : son manque de tact, sa petite tranquillité m'indisposent, et les quinze jours passés loin de notre maison m'ont définitivement persuadée qu'il existe bien autre chose.

Comme j'ai un peu la trouille de l'affronter, j'hésite encore sur la façon de m'y prendre. J'ai tout d'abord songé à me faire accompagner par Paul. Puis en y réfléchissant bien, il ne mérite pas non plus de se voir bafoué, et venir avec un homme peut le mettre dans un état pas possible. Donc cet après-midi, mon amie Adeline va venir avec moi chez Alain. C'est simplement préventif, et je pourrai comme cela dialoguer sans que l'on s'engueule trop violemment. Il reste à définir le partage de tout ce que nous avons acquis en commun. Quelques trucs assez personnels aussi qu'il me faut récupérer.

C'est donc le cœur battant que je sonne à la porte de ma propre maison. L'homme qui vient d'ouvrir n'a plus rien de celui que je connaissais. Il porte une barbe de plusieurs jours, sa chemise est mal repassée, je n'ose pas dire chiffonnée. Le mouvement de recul qu'il a, à ma vue, me donne un coup au moral. Je me dis que je ne dois en aucun cas craquer. Un homme avec qui j'ai passé tellement de belles années, et en deux semaines je retrouve une sorte d'épave… Aucun sourire ne m'accueille, pas un mot même quand il s'efface pour nous laisser entrer, Adeline et moi. Je lis dans ses yeux non pas des reproches, mais plutôt de la peur. La trouille de ce que ma visite laisse présager. Et comme en plus je ne suis pas venue seule, j'imagine qu'il doit se contenir.

L'intérieur de la maison est à l'image de la tenue d'Alain. La vaisselle est empilée sur l'évier sale, un trognon de pain campe au milieu de la table du salon, et une banane trop mure ressemble à une crotte de chien dans le compotier où je l'avais personnellement placée avant de partir.

— Bon. Alors je vois que tu vas bien. Tu n'as sans doute plus l'intention de revenir ?
— Non. Je crois que je t'ai laissé assez de temps pour réfléchir : tu aurais dû me prendre au sérieux quand je te parlais.
— Peut-être, mais nous les hommes, on ne pense jamais que cela peut nous arriver. Tu envisages l'avenir comment ? Tu as besoin d'argent, de quelque chose ? Tu es certaine que tu ne veux pas que nous… réessayions encore une fois ?
— Pour quoi faire ? Ce serait reculer pour mieux sauter. Non. Cette fois, Alain, nous devons aller jusqu'au bout de nos idées. Notre couple ne fonctionnait plus que par compromis, et toujours réalisés par moi. Alors tant pis, je ne veux plus de cette vie étriquée. Je chercherai un job et on verra. Ça arrive à bien des autres…
— Allez, arrête. Ce n'est pas pour une escapade de deux semaines ; je veux bien encore fermer les yeux. Je te donnerai ce que tu demandes. Il aurait suffi que tu trouves ce fameux couple dont nous avions tant parlé.
— Tstt-tstt : dont « je » t'avais parlé, nuance ! Il ne m'a jamais semblé que tu t'enthousiasmais tellement pour mon fantasme, et tu es bien vite retourné vers ta petite vie bien réglée, bien rangée. Il fallait te décider plus vite. Je suis partie, et rien ni personne ne me fera changer d'avis.
— Et moi ? Hein ? Moi ! Que me reste-t-il ? Les yeux pour pleurer. Je vis comme un clodo, je passe des soirées à mourir d'ennui…
— Ben, et ta télé, ta maison ? Et puis tu peux aussi apprendre à repasser ton linge, tu peux te raser ; tu verras le monde différemment… et tu as tous tes amis, ceux du bistrot, ceux du tiercé du dimanche. C'est quand même le monde à l'envers que ce soit à moi de te rappeler ces choses-là. Maintenant, je suis là pour voir avec toi, pour régler les essentiels. On s'y colle de suite ou je repars immédiatement.
— Quoi ? Tu ne sais pas, salope ! Toi et ta pute de copine, là, vous dégagez de chez moi ! Demain je ferai changer toutes les serrures. Ouste, du vent, du balai, fichez-moi le camp ! Je ne veux plus te voir ici.
— Alors ce sera mon avocat qui s'arrangera avec le tien.
— Sors d'ici avant que je ne n'explose. Salope, fille de pute… dégage !
— D'accord. Eh bien, au revoir, Alain ; et je te souhaite de trouver une autre salope comme moi. Je ne céderai plus. Sur rien, tu m'entends ? Cette maison, je l'ai payée autant que toi.
— Tu n'as jamais rien su faire de tes dix doigts ; ce n'est pas avec la sueur de ton front que tu as contribué à la payer, la baraque.

Voyant que la discussion devenait inutile, nous sommes parties. Adeline n'avait pas dit un mot depuis notre entrée dans la propriété. J'avais un mal de chien à calmer l'afflux de larmes, mais j'ai mis un point d'honneur en n'en montrer aucune. Ni mon amie ni moi n'avons plus dit un mot jusqu'à ce que je la dépose devant chez elle.

— Désolée de t'avoir fait vivre ce moment… difficile.
— Ne t'inquiète pas, je m'attendais bien à un truc délicat. Puis tu vois, par certains côtés, j'arriverais presque à le comprendre. Il voit sa vie qui s'enfuit, il se retrouve seul, comme un con. Il n'a pas forcément compris ; c'est un mec, et de temps en temps ils déraillent. Ils se croient indispensables avec leur argent, et quand il y a un problème de cet ordre-là… ils ne savent plus faire face.
— Embrasse bien ton Marcelino pour moi. Je vous souhaite à tous deux de passer une bonne soirée.
— Rassure-toi ; je pense qu'il va rentrer avec les couilles pleines et qu'il me fera le grand jeu. Mais si tu ne sais pas où aller, si ça ne colle pas avec ton Paul, viens nous rejoindre. Je suis du genre… partageur. Et sa queue ne va pas s'user si on est deux à s'en servir.
— Bise à toi, ma belle.
— Oui, Maryse ; prends garde à toi également.

Je m'éloigne pour la seconde fois de la journée d'une personne avec qui je m'entendais parfaitement, mais les regrets sont vains. C'est moi qui ai provoqué cette situation ; alors, pas la peine de le reprocher aux autres.

J'ai fait seulement cinquante mètres que je dois stopper la voiture. Mes yeux sont embués et je n'arrive plus à suivre le tracé de la route. Enfin je me calme et je file vers l'inconnu. Une sorte de boule au creux de l'estomac ne me quitte plus. Appréhension, peur ? Un mélange des deux : je me rends compte que cet homme avec qui j'ai fait l'amour, avec qui j'ai couché, reste un étranger. Mais je n'ai pas vraiment le choix. Je dois absolument trouver un abri pour la nuit. J'ai au moins l'avantage de savoir comment ce gars-là est fait…

La maison que m'indique le GPS est assez éloignée du centre du village et les plus proches voisins sont à des centaines de mètres. Pour venir me chercher là, il n'y aurait qu'Adeline pour le faire : elle est la seule à savoir où je vais ce soir. Une rangée de cyprès forme une haie qui entoure totalement cette demeure relativement moderne. Quand je sonne au portail, la voix qui me répond est déformée, impersonnelle, métallique. J'entre au pas, roule sur une bonne cinquantaine de mètres sur un chemin gravillonné avant de me retrouver sur une esplanade charmante. Quelques marches surplombées par un large perron, et Paul qui, en bras de chemise, lève la main en guise de bienvenue.

— Bonjour, Maryse ! Heureux de vous accueillir chez moi !
— Vous avez une jolie maison. Bonjour, Paul. Ça ne vous dérange pas trop de me recevoir ?
— Bien sûr que non ! Vous avez des affaires ?
— Une petite valise ; c'est bien peu au regard des années passées avec mon mari… Quelques affaires de toilette aussi, et bien évidemment ma trousse de maquillage.

L'homme me sourit. Il a un regard franc, un de ceux qui me font craquer. Il sait me mettre à l'aise de suite et s'empare de ma valoche ainsi que de ma mallette de beauté.

— Allons ! Entrons que je vous fasse visiter mon intérieur.
— Dites… vous seriez contre le « tu » ? Je trouve un peu trop cérémonieux ces « vous » ; et puis, ne sommes-nous pas déjà suffisamment familiers ?
— J'allais te faire la même proposition. Tu veux bien entrer ? Sur ta gauche c'est mon salon, et à droite la cuisine. Va plutôt au fond du couloir : il y a la chambre qui t'est destinée. Je pose tes affaires sur le lit ?
— Oui merci.
— Bien. Là au fond, c'est un cabinet de toilette, douche et lavabo. Enfin, tu verras, de quoi te faire et rester belle.
— Merci, je ne saurai jamais assez comment te remercier, Paul.
— Oh, mais j'ai bien, moi, une petite idée…

Là encore, son sourire est spontané, comme s'il racontait une bonne blague, et ses babines découvrent deux rangées de belles dents d'une superbe blancheur.

— Bon. Eh bien je te laisse te mettre à l'aise et faire le tour de ton appartement. Je vais nous préparer un verre. Tu prendras bien un alcool ?
— Quelque chose de léger, alors.
— Genre Martini ?
— Euh… oui, ça me convient.
— Blanc ou rouge ?
— Ce que tu as, les deux sont à mon goût.
— Parfait, je t'attends au salon. À tout de suite, Maryse.

Je le regarde s'éloigner et m'assois sur le lit. Voilà donc mon nouvel univers pour quelques jours. Avec Adeline, j'ai bien rencontré un ou deux de ses amis, mais je n'ai obtenu que de vagues promesses et mon capital de départ s'amenuise de plus en plus. Il est temps que je me mette en chasse d'un bon travail. Je ne peux pas vivre indéfiniment aux crochets de ce Paul. Il est fort sympathique au demeurant, mais… je n'ai pas envie d'être dans son lit tous les soirs, même si je dois avouer que durant mon séjour chez mon amie, un sexe masculin m'a parfois manqué. En tous cas, la maison est très calme.

Mes quelques effets sont vite rangés dans l'armoire qui court sur la longueur d'un mur, sur le côté de l'immense lit. Les portes de cette armoire sont entièrement couvertes de glaces. Et, chose étrange, le plafond est lui aussi fait de miroirs, ce qui fait que mon image se projette partout, multipliée par des dizaines de facettes ; mais ce n'est pas pour me déplaire. J'imagine qu'une simple lumière ici doit se répercuter à l'infini, et puis bien d'autres choses aussi me traversent l'esprit…

— Paul, où es-tu ? Je viens te retrouver.
— Là, sur ta gauche, au salon. Viens donc.
— La chambre est une pure merveille. Toutes ces glaces… C'est toi qui nettoies ces miroirs ? Il y a du boulot !
— Non, j'ai une femme de ménage, rassure-toi. À ce sujet, elle est portugaise et passe tous les jeudis. Elle est avertie que la « chambre des glaces » sera occupée, mais elle s'y rendra quand même. Ne laisse rien traîner.
— Vu le peu de fringues que j'ai, elle n'aurait pas vraiment l'embarras du choix.
— Tiens, un Martini-dry pour la dame. À ta santé, ma belle ! C'est la maison qui se réveille : elle n'a pas vu d'invitée femme depuis… un sacré long moment.
— Ah bon ? Pas même une petite aventure de temps en temps, un soir, que tu ramènerais ici dans cette chambre ?
— Non : tu es la première depuis… des années. Je m'arrange pour que mes rencontres aient lieu ailleurs. Tu veux des gâteaux ?
— Des gâteaux ?
— Avec notre apéro. Salés, sucrés ? À ta guise.
— Non, non, ne cherche rien. Je ne serai de toute manière pas très longtemps chez toi : il faut que je me déniche un travail pour subvenir à mes besoins ; il me faut rapidement devenir autonome.
— Et tu voudrais trouver dans quel domaine ?
— Je n'en sais fichtre rien. Mon mari disait – et il le pense toujours sans doute – que je ne sais rien faire de mes dix doigts.
— Il y a bien un domaine dans lequel tu excelles… Je ne vais pas te le rappeler. Dans mon souvenir, c'était… merveilleux.
— Je m'en doute… mais nous étions deux, et ça change la donne.
— Je peux t'assurer que ton amie ne t'arrive pas à la cheville. Et si tu étais d'accord… j'ai parfois des amis qui sont à la recherche de… gentilles dames de compagnie. Tu pourrais ainsi aisément gagner ta vie, et plus que confortablement, je te l'assure.
— Pute ? Tu me demandes de faire la pute, et avec tes amis en plus ?
— Tu emploies de bien grands mots. Disons une escort-girl, une compagne occasionnelle pour une soirée. Ce sont tous des gens très… comme il faut ; de plus, tous très généreux.
— Explique-moi la différence entre une prostituée et ta définition du mot.
— Bon, alors n'en parlons plus ; je ne voulais pas te forcer à quoi que ce soit. Seulement te rendre service.

Le Martini dans le verre a soudain un goût bizarre. L'envie de le boire s'est envolée. Incroyable comme les hommes peuvent être pourris ! Profiter de mon désarroi passager pour me proposer… ça. Merde, j'en ai des frissons, et je sens les yeux de Paul qui ne me lâchent plus. Le froid me donne la chair de poule. Encore un vocable approprié, « chair de poule » : je me fais l'effet d'en être, pour le coup, devenue une, de poule. Lui me regarde et me sourit. Je me force pour me montrer enjouée. Il faut que je trouve rapidement une solution et que je me tire d'ici vite fait. Je pourrais bien sûr retourner chez Marcel et Adeline, mais ce serait gâcher leurs retrouvailles.

— Tu as froid ? Je vois bien que tu frissonnes. J'avais préparé le feu dans la cheminée. Je vais le mettre en route.

Il s'est levé, et ses hanches roulent un peu alors qu'il se met à genoux devant l'âtre. En quelques instants, des flammèches vacillantes se mettent à crépiter, se colorant d'orange, puis de bleu. Il reste un long moment dans la position agenouillée et se baisse pour souffler sur le foyer. Ce faisant, son chandail de laine remonte un peu sur ses reins et la peau de son dos se trouve bien en vue. Pourquoi est-ce que cette vision me donne un creux au ventre ? Suis-je folle ? Voilà que j'ai envie d'un type qui veut faire de moi une pute. N'importe quoi ! Comment est donc fait l'esprit des femmes… Puis je comprends : il me prend pour une femme, une femme désirable, à tel point qu'il est prêt à me livrer à ses amis, que pour lui, c'est un honneur que de penser que je pourrais leur plaire.

Merde, je déraille maintenant ? Je n'ai vu qu'un ridicule morceau de peau et je gamberge sur… des fadaises, sur un fantasme que toutes les femmes ont eu au moins une fois dans leur vie. Mais de là à le réaliser, il y a des kilomètres et je ne sais pas si je suis capable de franchir le fossé qui m'en sépare. Paul vient de se retourner. Je dois être pâle, blanche comme un linge. Il reste toujours à genoux, mais c'est moi maintenant qu'il ne quitte plus des yeux.

— Tu ne vas pas bien ? Tu as peur de moi ? Je te trouve superbe, avec ta crinière brune. J'ai envie de toi, de te faire l'amour, là, maintenant, devant le feu. Mais c'est à toi de choisir.
— Non, tu ne me fais pas peur, et c'est de cela que je me méfie. Moi aussi j'ai une étrange envie, et puis tes paroles de tout à l'heure m'ont perturbée. Tu sais bien que la plupart des femmes ont eu un jour ce fantasme de… jouer les putes. Mais de là à le faire !
— Je n'insisterai pas, rassure-toi. Je ne veux pas t'offusquer.
— Je ne suis pas inquiète, et pour dire vrai, ta proposition, si elle a paru me choquer, a fait son petit bonhomme de chemin dans ma tête. Combien donnerais-tu, là, maintenant, pour me baiser ? Me guiderais-tu sur ce chemin ? Si je te demandais d'appeler un de tes amis, que ferais-tu ? Serais-tu vraiment prêt à me laisser faire mes premières armes avec lui, ici, devant toi ? Chez toi ?
— Si c'est vraiment ce que tu veux, oui, je veux bien te partager encore une fois, que l'homme soit un de mes amis ou non. Il me faut seulement un peu de temps, mais comme cela tu auras le feu pour te redonner des couleurs. À toi de décider : un seul coup de téléphone devrait suffire.
— Alors, vas-y. Qu'attends-tu ? J'ai envie de faire l'amour ; autant que ce soit… bénéfique et profitable. Choisis-en un pas trop… enfin tu vois ce que je veux dire.

Le maître de maison s'est relevé et sa main a simplement frôlé ma joue. Il a quitté la pièce. J'ai bien entendu sa voix assourdie, il devait être au téléphone. J'ai regretté presque tout de suite mes paroles, mais je suis trop fière pour aller le supplier de ne pas faire venir son ami. Les mains tendues vers le feu, la douceur de cette bûche qui brûle, tout me berce et je ferme les yeux, tentant d'oublier pour un moment que peut-être… et pour de l'argent en plus. Le sourire béat qui anime mes lèvres est surtout destiné à Alain. Si tu me voyais, moi l'épouse sage de toutes ces années… qui avec une appréhension bien légitime me forge un moral d'acier pour… tringler avec deux mecs, pour du pognon. Je ne doute pas un instant que tu en ferais un infarctus.

Il n'y a plus aucun bruit nulle part sauf dans l'âtre. Quand je rouvre les yeux, Paul est de nouveau face à moi. Pas un geste déplacé, pas un mouvement pour essayer de me toucher. Mais son regard pesant qui me donne encore plus envie, reste figé dans mes yeux.

— Tu veux bien passer à la salle de bain ? Mon ami se prénomme Édouard. Il sera là dans une demi-heure. Ça te laisse tout le temps pour te préparer. Tiens, viens voir avec moi.

Il m'emmène dans une autre chambre. Paul ouvre un placard et en sort une boîte en carton.

— J'avais acheté ceci en l'honneur de ta venue. Prends, c'est pour toi. Un cadeau qui devrait… si j'ai bonne mémoire… si j'ai gardé le bon œil, t'aller comme une seconde peau.
— Ah, et qu'est-ce que c'est ? Un cadeau ? Tu étais donc si certain que j'allais venir ?
— Oui. Un jour ou l'autre, je savais que je te reverrais. Tu aimes le sexe et je l'aime aussi. Ce que nous avons fait ensemble, tu l'as apprécié, et de cela j'en suis persuadé. Alors je savais que nous nous recroiserions.
— Tu étais sans doute aussi convaincu que j'accepterais ta proposition ?
— Ma proposition ?
— Oui, celle de faire venir ton ami. Tu lis en moi ou tu es devin, à moins que tu ne m'aies droguée ?
— Rien de tout cela ! Mais j'ai côtoyé beaucoup de femmes avant toi et je sais quand je peux faire des allusions ou des offres. Tu es de la trempe des salopes. Mais pas au sens sale du mot, seulement dans les faits. Pour moi, une salope c'est une femme qui aime le cul et qui ne s'en prive pas. Tu es sans nul doute de cette race de femme qui, pour peu qu'elle le veuille, peut devenir une vraie chienne lubrique et donner un plaisir sans fin.
— Tu penses vraiment ça de moi ? Il n'y a pas plus de deux semaines encore j'étais une épouse modèle, une bourgeoise peinarde dans sa tour d'ivoire, et en moins de temps qu'il n'en faut pour y songer, me voilà sur le point de me faire sauter pour de l'argent. Je n'arrive même pas à y croire moi-même ; alors comment peux-tu être aussi affirmatif à mon sujet ?
— Tu as le sexe dans la peau, il déborde de toi. Des années de petit train-train, une routine qui s'installe, et que reste-t-il de ton amour pour ton mari ? Vas-y ! Fais un peu le bilan de ces années et dis-moi quand tu as pris un plaisir aussi intense que celui qui nous a réunis cette soirée-là chez ton amie. Réfléchis bien et dis-le-moi.
— Ben…

Je suis interrompue dans ma phrase par la sonnette du portail. Mon cœur ne fait qu'un tour. Ma poitrine est sur le point d'éclater. Le rythme de mon cœur s'accélère et mes jambes sont cotonneuses. Je n'ose plus bouger.

— Je vais ouvrir et je reviens.
— Je… je vais à la douche.
— D'accord. Ne te presse pas, nous avons tout notre temps ; la nuit nous appartient. Allez, je ne vais pas le faire trop attendre dans la rue. Et ne crains rien, c'est un garçon bien éduqué.

Je m'éloigne en tremblant vers ce lieu salutaire qu'est la douche. C'est vrai que l'eau qui me coule sur la peau me fait un bien fou. Elle m'apaise de sa tiédeur, elle me purifie en quelque sorte. Je m'apprête ensuite pour le sacrifice de mon corps. Je me parfume, partout, prenant même le soin de lisser les poils de ma minuscule touffe du pubis. Le miroir me renvoie l'image de la femme que je suis. Et je me trouve… à mon goût. Mais serai-je au leur ? Ensuite, je passe le déshabillé que la boîte contient et c'est parfait ; il me tombe juste sur les épaules, descend simplement sur mon dos et s'arrête vraiment à ras de mon minou.

Encore un coup d'œil dans la glace ; je me remets un peu de gloss, suffisamment rouge pour avoir l'air de ce que je vais devenir. J'hésite une seconde avant de passer la culotte que contient aussi le carton. Finalement, si c'est pour l'enlever dans quelques minutes, alors autant ne pas la porter. Un dernier coup de doigts dans ma chevelure et j'ouvre enfin la porte de « ma » chambre. Je traverse le couloir, me retrouve au salon, et là, les deux hommes semblent scotchés. Comme s'ils avaient vu une apparition. Je garde un calme apparent et je fais un tour sur moi-même.

— Je vous plais ? Est-ce que ce que vous voyez vous donne envie ?

Cette phrase, je la lance avec la gorge sèche, d'une voix qui se veut ferme. Ils ne sont sans doute pas dupes, et le léger tremblement du timbre de celle-ci me trahit.

— Vous êtes ravissante ! Éclatante d'une beauté épanouie.

Celui qui a prononcé ces mots est à peu de chose près du même gabarit que mon hôte. Ses regards sont déjà portés sur mes hanches, et le tour que je recommence fait remonter la nuisette sur mes hanches. Oh, pas très haut, mais suffisamment pour qu'ils sachent l'un et l'autre que rien ne cache ce qu'ils convoitent.

— Maryse, voici mon ami Édouard. Édouard, Maryse. Tu vois, je n'avais pas menti : c'est une très belle… jeune femme.
— Ou… oui ! Enchanté de faire votre connaissance, Maryse.
— Bonsoir, Édouard.

L'homme a du mal à déglutir et il est devenu rouge comme une pivoine. Je reste là, debout devant ces deux-là qui observent mes moindres faits et gestes. J'ai finalement l'air d'une godiche, et ma superbe en prend un sacré coup. J'ai beau me dire qu'il est là parce que je le veux, parce qu'il va me payer, ce sont d'indéfinissables et troublants sentiments contradictoires qui se bousculent dans ma tête. Mes jambes se remettent à trembler, et l'idée de m'enfuir me reprend. C'est encore Paul qui parle comme pour me sauver :

— Elle débute, et j'ose te le dire, tu vas être son premier… client.
— Ah ? C'est un honneur alors que d'être l'élu.
— …
— Vous êtes belle, et j'avoue que vous me faites déjà bander.
— Allons, Maryse, viens donc t'asseoir entre nous. Et toi, Édouard, si tu réglais immédiatement la partie… pénible de cette affaire ?
— Oh oui, bien sûr ! Vous pratiquez les mêmes tarifs que vos consœurs ?
— … Euh…
— Oui, oui, vas-y : c'est mille cinq cents pour la soirée. Maryse ne me contredira pas, et tu verras, tu ne seras en rien déçu : c'est une perle.

Le rouge m'est encore monté aux joues. L'autre me tend des billets de cent. Je ne compte rien et les attrape d'une main tremblante. Ils me chauffent les doigts. Je sais que ce simple geste m'emporte dans une spirale que je ne saurai pas, plus contrôler. Mais parallèlement à ceci, j'ai comme une vague au creux du ventre. Une envie sournoise, comme si le fait de toucher de l'argent pour me faire baiser devenait un jeu. Et cette envie s'installe en moi de plus en plus, au point que je me sens mouiller.

— Bon, eh bien je vais vous laisser tous les deux.
— Ah bon ? Je pensais que tu allais rester ; j'avais cru que tu voulais bien assister, m'assister. Je croyais que pour ma première… c'était convenu comme ça.
— C'est surtout à Édouard d'en décider.
— Tu peux aussi participer ; je pense que si Madame est aussi… bonne que tu le dis, alors il doit bien y en avoir pour deux. À vous de nous dire ce que vous préférez, Maryse.
— C'est que… pour ce prix, ça ne comprend qu'une seule prestation, non ?
— Je vois avec plaisir que tu as le sens des affaires.
— Tu viens de me montrer le chemin, non ? J'apprends très vite, tu sais !
— Je vois cela, oui. Eh bien… je vais chercher de l'argent.
— Merci.

Nous voici, cet Édouard et moi, seuls. Il me dévisage sans fausse pudeur. Sans doute jauge-t-il déjà, soupèse-t-il le potentiel possible à tirer de mon corps. Je me prends au jeu. Assise face à l'homme, je pousse le haut de mon buste contre le dossier moelleux du fauteuil. Délibérément, je croise haut mes deux cuisses. J'ai bien conscience que par ce simple geste je deviens la cible des prunelles noisette de ce gaillard qui attend. De plus, ma respiration qui s'accélère soulève ma poitrine et tend le haut de la liquette déjà bien moulante. Rien que de penser à ce qui va se passer, mes tétons deviennent sensibles. Ils pointent fortement, marquant la soie du frêle vêtement. Je fixe aussi ce visage tourné dans ma direction.

Lui à aucun moment ne baisse les yeux, gardant son regard rivé, ancré sur la partie haute de mes cuisses bien visibles. Alors par bravade je remets la jambe qui passe sur l'autre bien à plat, juste en écartant très légèrement l'une de l'autre. J'ai immédiatement la sensation qu'Édouard plonge sur le triangle découvert.

— Vous n'avez pas encore commencé ? Vous m'attendiez, sans doute. Hé, Maryse, tu es superbe vue d'ici. J'imagine le plaisir… que ces quelques menues choses vont me donner ; pardon… nous donner.

Il tend vers moi les papiers qu'il tient. Là encore je ne compte rien, me contentant de déposer le tout avec les autres sur la table basse du salon. Paul ne m'approche pas ; il se dirige vers la cheminée, y engouffre deux grosses bûches, puis il se met à genoux, le dos tourné au foyer. Ils sont à deux mètres de moi et m'observent, espérant sans doute que je vais faire les premiers pas. Mais je ne bronche pas, me contentant de jeter un coup d'œil à l'un, puis à l'autre. Étrange comme les comportements sont différents. Édouard joue avec ses doigts, attentif à mon moindre mouvement, alors que Paul sourit, laissant entrevoir ses dents de loup aux abois. Et moi ? Moi, je me tasse un peu plus dans mon fauteuil.

— À toi l'honneur, Édouard. Demande, et elle t'obéira. N'aie pas de crainte ; il faut bien que l'un d'entre nous se dévoue.

Le ton est enjoué, sans tremblements dans la voix, et celui à qui ces mots sont adressés devient presque fébrile. Il s'est redressé sur son siège, se préparant, pareil à un félin, à bondir sur sa proie. Sauf que la proie, eh bien… c'est moi. Lentement, je vois ce grand échalas qui se déplie, se hisse par les deux bras accrochés aux accoudoirs de son siège, se remet sur ses pieds. Il est immensément grand, vu de cette manière.

— Lève-toi ! Et toi, Paul, viens donc te placer là, dans le fauteuil que madame occupe.

Je m'exécute sans dire un mot. Mes jambes sont en coton et je dois vraiment faire un effort pour me relever.

— À genoux ! Oui, là devant le feu : comme ça, il te réchauffera si nous n'y parvenons pas. Tu es bien foutue… Baisse les yeux ! Regarde la moquette, et si tu ne le fais pas, je te donne une fessée. À partir de maintenant, chacun de mes ordres devra être exécuté rapidement. Chaque manquement sera sanctionné par une claque sur les fesses. Tu saisis tout ce que je te dis ? Eh bien, réponds quand je te le demande !
— Ou… oui.
— Oui qui ?
— Oui, Monsieur.
— Pas « Monsieur » : je veux t'entendre m'appeler « Maître ».
— Non ! Je ne suis pas votre esclave. Une salope peut-être à vos yeux, mais une soumise jamais.

Édouard marque un temps d'arrêt, vraisemblablement décontenancé par ce refus auquel il ne s'attendait pas. L'autre semble amusé par cette situation inédite et garde comme un sourire, un rictus qui le rend beau.

— Nous avons les moyens de te faire obéir.
— Sans doute, mais vous ne m'obligerez jamais à me faire dire ce que je ne veux pas. Dans le cadre d'un jeu, je l'aurais sans doute envisagé ; mais la manière dont vous l'avez formulé m'interdit de vous donner satisfaction. Et ce n'est pas votre argent qui va changer la donne.
— Même si j'en rajoute autant ?
— Inutile d'y songer, même une seule seconde.
— Et si je te fessais, là, maintenant ?
— C'est vrai que vous pouvez le faire, mais je ne vous dirai pas, jamais, ce mot que vous espérez de moi.

Il s'assoit, les jambes bien tendues, sur la moquette. J'ai bien compris que mon derrière ne couperait pas à quelques claquements de la part de ses grosses mains.

— Approche, en restant à genoux ! Ça au moins tu peux le faire !
— Oui.

Je rampe pratiquement vers cet homme qui va devenir mon bourreau. Pourquoi est-ce que je fais une chose pareille ? Dans mon esprit tordu, je ne me pose pas cette question. J'avance, c'est tout. Il est sur mon chemin. Je passe mon corps sur ses longues jambes. Il me stoppe alors que mon fessier se trouve juste au-dessus de ses cuisses. Je suis plaquée contre lui. D'une main, il m'appuie sur la nuque.

— Tu aimes ça ? Hein, que tu aimes que l'on te traite comme une chienne ?

Je ne réponds toujours pas et je sens cette main qui vient de remonter le déshabillé sur mes reins. Elle lisse la peau de mes fesses que la position prise fait ressortir. Il en soupèse la fermeté en malaxant une de mes rondeurs. Ensuite un doigt suit tranquillement la fente qu'il écarte. Il glisse dans le fond de cette raie qui semble le réjouir. Je ne bouge toujours pas, m'attendant à recevoir une beigne sur le cul. Pourtant, rien n'arrive : Édouard se contente de masser mon derrière avec une infinie douceur. La manière dont je me tiens pousse mon visage sur la moquette. Je rentre la tête dans les épaules, mais pourtant aucun de ces coups que j'attends n'arrive.

— Paul ! Tu dors ou quoi ? Viens donc nous rejoindre. Ne reste pas tout seul dans ton coin.

J'ai les yeux clos, mais j'entends des bruits insolites. Pas besoin d'être devin pour savoir que c'est le déshabillage de Paul que je perçois. La fermeture Éclair et son sifflement caractéristique, puis le « flop » des fringues jetées pêle-mêle au sol. Je n'ai pas froid ; je me sens presque bien. Mon angoisse a disparu depuis que nous sommes entrés dans l'action. L'homme me roule sur le côté, dégage ses gambettes et je suis sur le dos. La moquette aux longs poils est agréable, le feu donne des reflets dansants à la pièce. Quand j'ouvre à nouveau les paupières, Paul est debout au-dessus de moi, les deux pieds de chaque côté de mon visage.

Il bande fermement et sa verge remonte vers son nombril. Je n'avais pas le souvenir qu'elle était de cette taille. Pendant ce temps Édouard se met, lui aussi, dans une tenue plus… aérée. Maintenant au-dessus de moi, ils sont les deux et je vois ces bites qui se font face. Je ne saurais dire laquelle je préfère. Ils ont aussi le sourire, celui des hommes qui savent qu'ils vont avoir de l'amour, du sexe, du cul. Ils sont béats, heureux sans doute. Mes dernières craintes sont levées et je me sens fondre. Alors, lentement, Paul se laisse fléchir sur ses genoux. Je vois son fondement qui s'approche de mon visage. Je ferme les yeux alors que ses fesses musclées frôlent mon front.

Je sais de suite ce qui attend, mais je le laisse un peu mijoter. C'est sans compter sur Édouard qui, à mes pieds, ouvre mes jambes en me tenant par les chevilles. Je le devine qui se couche entre elles, enfonçant son visage dans la fourche ainsi bien découverte. Quand la bouche vient se poser sur ma chatte, mon ventre se soulève, je me cabre un peu. Le contact est doux, trop doux. Je regarde où en est Paul. J'ai un aperçu incroyable sur une paire de bourses velues et un œil bien sombre qui me surplombent. Pourquoi est-ce que j'ai soudain envie de toucher les unes et l'autre ? Mes mains sont retenues par celles de Paul.

Il ne me reste que ma langue pour aller découvrir ces paysages lunaires. D'une pointe hardie, je débute un voyage initiatique surprenant. Jamais de ma vie je ne me suis essayée à pareille caresse. Pourtant rien de déplaisant, et lorsque je rencontre cet antre niché au cœur de la raie, je sens frémir l'homme sur moi. Ses mains abandonnent les miennes pour s'agripper à mes seins. Mais le second, lui, sait parfaitement où déposer sa salive, et il le fait avec grâce et délectation. Mon minou est aussi investi par cette chose baveuse qui en découvre les moindres replis. Ça me rend folle. Pour calmer cette ardeur qui monte en moi, je persiste à lécher le minuscule trou de Paul. Le bougre ne s'en plaint pas vraiment.

Apparemment, ma caresse le ravit et je sens cette hampe durcie qui frappe délicatement mon menton. Il se secoue en laissant ses fesses aller d'avant en arrière, et il s'assoit plus encore sur ma bouche. Cette fois le bout de ma langue ne peut plus longer le nid ; il lui faut inspecter l'intérieur, et c'est sans dégoût que je m'y risque. Elle écarte donc ces plis que j'ai humidifiés le plus possible et plonge dans ce conduit étroit. J'entends mon cavalier pousser un large soupir. Cependant, mon deuxième chevalier servant n'est pas resté inactif : il a allié sa bouche à l'une de ses mains. De deux doigts il teste l'élasticité de l'étui à pénis qu'il persiste à léchouiller. Je suis prise d'une frénésie sans bornes, d'un appétit féroce de sexe. Je râle aussi alors que les phalanges me labourent lentement.

Trop occupés à chercher, à prendre un plaisir non feint, les deux hommes se laissent bercer par leurs envies. Mes seins sont aussi l'objet de mille attentions, et Paul penché sur eux ne se prive pas de les suçoter, mâchouiller, de les mordiller aussi. Chaque soubresaut de ma part l'entraîne, lui, dans un gémissement alors que ma langue est désormais profondément fichée dans cette lune qui gîte et tangue sous ses contorsions. Les doigts qui m'habitent sont autant de petites queues qui me liment de belle façon. Ma poitrine est écrasée par le buste de cette grenouille à qui je mange le fondement. Je sens mes chairs qui s'écartent de plus en plus au bas de mon ventre.

Je perçois le clapotis de ces allées et venues sans rien pouvoir voir. Une légère douleur, et je sais, je sens que toute la main vient d'entrer dans cet endroit qui n'est pas destiné à être ainsi rempli. Pourtant, l'homme s'arrête, ne bouge plus, et je peux tout à loisir continuer ma caresse hors norme et sentir cette présence monstrueuse en moi. Même Paul ne me presse plus les nichons. Il s'est seulement un peu redressé. Il admire sans doute cette monstrueuse bite géante qui gentiment démarre des mouvements rotatifs. De plus, mes chevilles sont maintenant relevées. Les fesses de Paul s'éloignent de mon visage. Il s'est juste un peu reculé pour mieux soulever mes jambes. C'est sa tige qui flirte avec ma bouche alors que je suis ramonée par l'autre énergumène. Il n'y a plus aucune douleur ; j'ai juste la sensation que mon sexe va éclater, mais il se prête aux jeux de ce poignet qui part et revient de plus en plus vite.

Je hurle sans m'en rendre compte, je crie sans le comprendre. Alors pour que je me taise, Paul m'engouffre dans le gosier cette chose si dure que je m'en étouffe. Mon Dieu, quel pied d'enfer ! Ces deux salauds, salauds magnifiques, me donnent du plaisir, un vrai bonheur. Et la poignée de billets qui m'attend sur la table renforce encore, dans mon esprit, ce sentiment de suprématie sur ces deux mâles. Je sens couler de ma chatte des sécrétions qui permettent à cet énorme gode vivant de continuer sa course folle. Folle ? Mais c'est moi qui vais le devenir, à force d'être soumise à ce traitement délirant. Et quand je pars dans un orgasme innommable, je sens dans ma bouche la queue qui se trémousse. De mes deux mains, hystérique, je m'agrippe à cette paire de couilles qui me semblent gonflées.

Le premier jet de sperme qui sort brutalement de la bite m'éclabousse tout le palais. Je ne fais aucun geste pour y échapper. Bien au contraire, je presse encore plus fortement ces deux boules entre mes paumes. Paul finit de se vider, par saccades, avec des petits cris de bête affolée. Cela non plus, je ne l'avais jamais fait avec Alain. Pourquoi me remonte-t-il à l'esprit, celui-là ? Pour me rappeler que notre petite vie quotidienne, ses petits coups de queue marginaux n'avaient plus rien de commun avec cette extase qui me surprend, qui m'enchante surtout ? Qu'il aille se faire foutre et qu'il me laisse tranquille ; je ne veux que jouir de la vie, que profiter de celle-ci, quoi. Et tant mieux si en plus ça me rapporte.

Le jouisseur buccal se retire sur le côté et Édouard, lui, me retourne comme une crêpe. Il s'étend sur moi, se colle de tout son long sur mon corps. J'aime cette chaleur particulière et me surprends à songer… qu'il sent bon. Étrange raisonnement à ce stade de la soirée, alors que tout autour de nous a une sorte d'odeur de sexe, je pense que lui a un bon parfum. Je délire ou quoi ? Entre ces images d'Alain et cet Opium qui me ravit les narines, c'est du grand n'importe quoi. Entre mes fesses, le dard toujours excité de mon second amant se frotte éhontément. Il me tient par les deux poignets, et je n'ai guère de latitude pour esquisser un quelconque mouvement.

Il a pris tout tranquillement la position qu'il voulait, a également demandé un coussin à Paul. Bien entendu, le compère lui a passé ce qu'il réclamait. La chose moelleuse est passée sans à-coup sous mon ventre et je me suis retrouvée les fesses légèrement surélevées. J'ai bien compris où il veut en venir. Je laisse faire, alanguie, prête à ce sacrifice peu orthodoxe. Je sens cette main qui guide la bite vers… cet endroit qui ressemble à celui que j'ai visité chez Paul. La barre chaude est maintenant appuyée sur le cercle qui se rétracte, mais la poussée est rectiligne et je ne peux pas vraiment résister.

— Doucement… doucement, Édouard, s'il te plaît.
— Tu ne veux pas m'appeler « Maître » ? Juste une fois.
— No… non !

Alors d'un coup sec, il me fait hurler en pénétrant d'une seule avancée sa queue dans mon anus. La douleur est intense et, les mains en arrière, je le griffe méchamment. Mais il n'arrête pas ses mouvements et s'enfonce jusqu'aux couilles dans mon derrière alors que j'en ai des larmes aux yeux. C'est toujours dans la douleur qu'il entame de longues allées et venues ; il faut un grand moment avant qu'enfin ne s'estompe le mal et qu'un semblant de plaisir s'installe. Alors il continue son petit bonhomme de chemin et s'avise soudain de la nouvelle érection de son complice. Sans rien me demander, il se cramponne à mes hanches et m'entraîne avec lui dans un tour complet. C'est lui qui est couché au sol et je me retrouve le nez en l'air.

L'autre me chope par les chevilles en prenant garde de ne pas éjecter l'engin qui est incrusté en moi. Une fois mes jambes remontées à l'équerre, Paul s'agenouille devant notre tandem : il vient lui aussi à la curée. Il s'engouffre dans ma chatte toujours bien humide et encore distendue par la pénétration monstrueuse de l'énorme patte d'Édouard. Les deux mecs règlent leurs mouvements pour ne pas se gêner. Quand l'un sort, l'autre rentre, et j'ai des étoiles plein les yeux. Ils me font grimper aux rideaux, m'invitent à visiter les couleurs de l'arc-en-ciel. Je suis entièrement à leur merci. Ils me liment chacun de son côté, je hurle à la lune, je crie dans la nuit. Ce pistonnage perdure je ne sais combien de temps. Je sens que je ne peux plus retenir ma jouissance, et lorsque mes deux chevaliers servants s'épanchent dans mes orifices, je suis au sommet de ce plaisir qu'ils ont payé si cher.

Les bras en croix sur la moquette, c'est dans un demi-sommeil que je vois les deux hommes assis devant la cheminée.

— Alors, Édouard, ne t'avais-je pas dit qu'elle était bonne ? Elle deviendra une belle et grande pute.
— La vache ! Elle m'a fait gicler comme je ne l'avais pas fait depuis bien longtemps. En plus, elle un foutu caractère : elle aurait préféré prendre une trempe plutôt que m'appeler « Maître ». Mais alors, quel feu d'artifice, quelle salope ! Elle est… géante, divine. Une pute de première classe ! Aucun regret pour mon pognon. C'est toi qui vas la conduire ? Je ne savais pas que tu… maquereautais un peu.
— Pas vraiment ; c'est l'occasion qui fait le larron. Elle cherche du boulot, alors celui-ci en vaut bien un autre. Elle est taillée pour ce genre de chose. En plus, elle se donne à fond. Elle m'a fait jouir comme un dingue. Une fois dans sa bouche et l'autre dans ce double que bien peu de femelles acceptent. Si elle veut, je lui procurerai quelques bons clients, mais je ne crois pas qu'elle sera soumise un jour. Son mec – enfin, son mari – l'a un peu délaissée, alors elle s'en paie une tranche.
— Oui… Eh bien, c'était même un sandwich complet qu'elle nous a offert ce soir. En tout cas, il avait une bombe dans son plumard et il est bien con de ne pas en avoir profité.
— Chacun ses choix, ses aspirations… et tant pis pour les perdants. Pas de pitié pour les simples d'esprit qui laissent traîner d'aussi jolis bibelots.
— Bon, ce n'est pas le tout, mais ma femme m'attend à la mechta ; elle me croit en réunion, avec des Japonais…
— En tout cas, merci de m'avoir permis de jouer aussi…
— Tu as payé, après tout ! Et un trio de temps en temps, j'adore ça ! Je crois qu'elle est satisfaite, comme nous deux du reste. Allez, j'y vais ; je ne voudrais pas une scène à la maison parce que je suis rentré à l'aube. Bonne continuation ! Fais-moi signe si elle en veut encore.
— Salut alors, et à la prochaine ! Fais gaffe sur la route. Enfin, tu ne risques pas grand-chose avec ce que l'on a bu ici !

J'écoute ces deux-là qui discutent comme si je n'étais rien qu'un meuble ; mais aucune importance puisque leur argent va me permettre de subsister. Tout le monde est content. Finalement, j'aime ce nouveau monde dans lequel je viens de faire irruption. Et si j'ai bien entendu, c'est même d'une façon magistrale que j'y pénètre. J'ai bien la ferme intention d'en profiter, comme le dit si bien Paul. Et c'est vrai que mon idiot de mari serait ahuri de savoir ce métier que je vais endosser. Le plaisir n'a pas de prix… après tout, le mien sera le leur.