La résurrection

Alain, face à moi, touille son café depuis un long, trop long moment. Il ne sait pas quoi dire. Je sens parfaitement qu'il s'accroche à une idée, une idée qui a aussi germé dans mon esprit depuis plusieurs jours également. Nos yeux sont les uns dans les autres, comme au temps lointain des débuts de notre amour. Mais je mesure le chemin parcouru entre nos vingt ans et aujourd'hui. Je ne suis pas particulièrement fière de ces mois passés sans cet homme-là. Des flots de souvenirs reviennent en force, hantent ma caboche par des images que, loin d'ici, j'avais oubliées. Les tempes d'Alain se sont grisées, déclinant sur le blanc. Il s'est empâté sans doute aussi quelque peu, et j'imagine que l'alcool y est pour une grande partie.


Je revois le visage surpris de mon amie blonde lorsque je l'ai avertie de mon désir de revenir voir Alain. Elle m'a cru folle au début, et au fur et à mesure que nous en parlions, Adeline m'a avoué que son Marcel, parfois, lui manquait atrocement. Je lui ai proposé de me racheter la maison, et devant mon insistance elle a accepté. Alors quand ce matin-là, alors que j'avais pris rendez-vous avec un tatoueur, elle m'a vu faire ma valise, elle a compris que le jour de la séparation était arrivé. Elle n'a pas crié, pas hurlé. Sa main a seulement caressé ma joue, glissé dans mon cou et nous nous sommes serrées dans les bras l'une de l'autre. Sans un mot, elle m'a suivie alors que j'empilais mon maigre paquetage dans le coffre de ma voiture.

— Dès que j'aurai des nouvelles du notaire, pour la maison, je te téléphonerai. Je te dis le mot magique pour ce que tu espères de la vie ; je te souhaite d'être heureuse. J'irai sûrement revoir Marcel dans quelques jours, le temps que cette décision mûrisse dans ma petite tête de blonde.
— Je te dis « merde » alors, moi aussi, pour le reste de la route… On fait comme cela pour la maison, ne te bile pas pour elle. J'ai largement de quoi vivre et voir venir.

Elle est à nouveau dans mes bras, et le baiser que nous échangeons au milieu de la rue n'a rien de chaste. C'est presque à regret que nos corps se séparent, puis je prends la route. Maintenant, je sais exactement ce que je veux faire.


— Il n'est pas bon, mon café ? Tu veux du sucre ? Je ne serai jamais doué pour recevoir des invités ; ça manque cruellement de personnel féminin dans ce chalet.
— Non, non pardon, j'étais ailleurs. Excuse-moi ; il est parfait, ton café.
— Que comptes-tu faire maintenant ?
— Ben, c'est à toi de décider, mais comme je dois revenir dans quelques jours, je pourrais peut-être occuper la chambre d'amis jusqu'à ce fameux rendez-vous ? Tu m'y accompagneras encore si cela ne te fait pas peur.
— La chambre est libre ; elle l'est toujours. Comme l'autre, du reste. Tu peux la prendre pour le temps qu'il te plaira. Je dois quand même passer à mon bureau dans la journée de demain. J'ai un peu négligé mon travail depuis…
— Je suis fatiguée. Je peux m'installer dans la chambre, alors ? Tout de suite ?
— Vas-y ; il me semble que tu connais la maison, non ?
— Merci ! Je vais chercher ma valise dans mon coffre de voiture.

Les traits du visage d'Alain se sont détendus quand il a compris que j'allais rester chez lui. J'ai eu plusieurs fois envie de le serrer contre moi, de lui dire ce que je ressens, mais la peur d'être repoussée m'a retenue à la dernière seconde. La chambre d'amis ! Ça me fait un drôle d'effet de poser mes affaires sur le lit. Je sens une présence derrière moi et il est là. Un peu plus voûté, un peu moins svelte. Mais toujours ce charme qui émane de lui ; cet homme, finalement, me rassure. Je voudrais, mais n'ose pas tendre la main vers la sienne.

— Tu fais comme chez toi. Si tu veux quelque chose, tout est toujours à la même place, alors ne demande pas. Tu es chez toi, comme… avant.

Sa voix a une intonation qui ne me trompe pas. Je lève les yeux vers les siens. Ils sont tout humides, mouillés ; ça me chavire le cœur. Il tourne les talons et j'entends le téléviseur qui se met en marche. Je sors quelques vêtements pour la nuit, me prépare pour la douche. J'irais les paupières closes et dans le noir absolu s'il le fallait. C'est vrai que j'ai immédiatement retrouvé mes marques dans ce chalet où nous avons vécu tant de belles heures. La douche, merveilleux, idyllique endroit qui m'a cruellement manqué. Je me surprends à avoir envie de fredonner sous le jet tiède. Mes doigts sont partout à la fois. Dégoulinante d'eau, je suis heureuse, en paix avec moi-même. Par contre, sur mes lèvres vaginales, la morsure de l'eau est irritante, me rappelant que deux petits cercles métalliques, couleur or, sont bien présents.

Combien de temps ai-je passé dans la salle de bain ? Aucune notion de durée, je ne compte plus. Quand je reviens vers le salon où Alain se trouve, je suis vêtue d'un long déshabillé de mousseline transparent. Sous celui-ci, une culotte légère, mais rien pour masquer ma poitrine. Près du canapé, je retiens mes pas. Il s'est endormi, allongé de tout son long sur le sofa, calme lui aussi. Je reste un instant près de cet homme avec qui j'ai tant de souvenirs et fais demi-tour pour gagner la chambre… conjugale. M'apercevant de ma méprise, je fais machine arrière et me retrouve finalement dans celle qui m'est dévolue. Je saisis une couverture dans la penderie et reviens sur mes pas. Je couvre le dormeur ; je n'ai pas du tout envie qu'il prenne froid.

Dans le noir, les souvenirs affluent. Des rappels à l'ordre aussi ; le retour dans cette maison. Des bruits me racontent dans une langue inconnue, faite de craquements sans doute, la vie de ce chalet de bois qui chante plus la nuit que le jour. Je cherche le sommeil, recroquevillée dans des draps frais, et ne le trouve que lorsque des pas feutrés dans le couloir m'indiquent qu'Alain a lui aussi regagné sa chambre. J'ai la sensation que ceux-ci s'arrêtent l'espace d'une seconde devant la porte close, puis ils reprennent plus lourdement vers l'autre chambre. Je me traite d'idiote, trop bête de n'avoir pas laissé la porte entrouverte. Mais aurait-il osé ? Comme je voudrais qu'il y ait pensé…

Un sommeil lourd m'emporte sans que je m'en rende vraiment compte. Quand j'émerge, tout est calme dans la maison. Je trouve la Senseo prête à me livrer son café tout frais ; Alain m'a laissé au bord du bol vide qu'il a préparé pour moi un petit mot m'indiquant qu'il est parti à son bureau. Je déguste le petit déjeuner rapidement puis, m'armant de courage, je fais un ménage nécessaire dans toutes les pièces. Quand j'ai fini, l'heure de préparer le déjeuner est déjà là. En fouillant un peu dans le réfrigérateur, un peu à la cave et dans le congélateur, j'arrive à concocter un repas qui ressemble à une dînette. Je dresse la table, et lorsque le moteur de la voiture se fait entendre, tout est en place pour accueillir l'homme qui rentre.

— Maryse ? Maryse ? Ah, tu es là ! Un moment j'ai eu peur que tu sois partie sans me dire au revoir.
— Pas du tout : tu vas devoir me supporter trois ou quatre jours.
— Autant que tu voudras… Je t'assure qu'ici tu es chez toi.

Je ne réponds pas et il s'approche de la table. Alors qu'il s'assoit à sa place, j'imagine que l'habitude est déjà revenue.

— Ça sent bon. Je crois que depuis bien longtemps je n'ai pas senti une si bonne odeur dans cette maison. Et tu as fait le ménage ? Ce n'était pas nécessaire…
— Je n'ai jamais aimé le laisser-aller. C'est plus fort que moi. En échange, j'aimerais que tu me mettes un peu de gel sur ma fée.

Il s'est brusquement raidi. L'idée de me toucher lui déplaît-elle à ce point ? Je suis à la limite d'être vexée. Mais il se lève, attrape le tube et avance vers moi.

— Lève donc ton top.
— Après le déjeuner, veux-tu ?
— Non, tout de suite ; je ne vais pas te laisser souffrir ou risquer une infection.
— C'est gentil, cela ; alors d'accord. Tu y vas doucement, c'est douillet.

La main sur laquelle une noisette de produit est déposée effleure lentement l'endroit tuméfié et boursouflé. Alain me masse tout en délicatesse, survolant les ailes de mon elfe, revenant sur le tour de celui-là pour repartir lentement. L'onguent entre dans mon épiderme, et les légères démangeaisons se trouvent immédiatement atténuées par les cercles doux qu'il fait décrire à ses doigts. Je sens monter dans mon ventre une piqûre différente, une attente imperceptiblement grandissante. L'envie peu à peu s'installe et je fais un effort pour ne pas tendre la main vers une autre boursouflure que mon regard devine.

Je suis certaine que le simple fait de me frotter le sein avec de la pommade fait bander Alain. Je voudrais que ce soit lui qui fasse le premier pas, mais il ne s'occupe que de son onction, pour le moment. Je ferme les yeux et mon esprit part à l'aventure sur cette queue qui n'a pas servi depuis… c'est ce qu'il dit ! Soudain, il retire sa main chaude qui me faisait un bien pas possible. À plusieurs reprises il est passé sur le téton, mais sans vraiment l'avoir fait sciemment, ni sans doute exprès.

— Nous pouvons déjeuner ? L'odeur de cuisine m'a vraiment ouvert l'appétit.
— Oui ; c'est encore au chaud.

Je regrette que me tripoter le nichon ne lui ait pas ouvert un autre appétit. Je crois bien que je n'aurais pas demandé mieux. Je regarde ses lèvres qui m'ont si souvent embrassée ; je suis chaque mouvement de ses mains, de son buste, assis face à moi. Lui n'ouvre plus la bouche, comme si le fait de parler, de dire quelque chose allait rompre je ne sais quel charme. Le café à peine pris, il se met sur ses pieds, et avec des gestes rapides dessert la table. Puis il se tourne brusquement vers moi.

— Tu… seras là, ce soir ? Je dois absolument retourner à mon bureau. Je te promets de ne pas rentrer tard ; nous pourrions aller au restaurant… enfin, si tu en as envie. C'est comme tu veux.
— Va. Vas-y, Alain. Tu n'as aucune crainte à avoir : je serai ici ce soir. Nous déciderons à ton retour de ce que nous ferons de notre soirée. Il y a tant de façons de… faire passer le temps.

Je ne sais pas s'il a saisi l'allusion plutôt discrète mais directe que je lui fais. Il sort de la cuisine où nous avons déjeuné, s'approche de la porte, se ravise et revient vers moi. Ses lèvres se frottent à ma joue et dans un souffle il me murmure :

— À tout à l'heure, alors ; bon après-midi.

Le jardin, une grande pelouse entourée d'une haie très haute, avec un accès direct sur la nappe bleue du lac. Alain ne s'en est plus préoccupé, et les fleurs jaunes des pissenlits sont nombreuses. Je passe une partie de l'après-midi, un couteau à la main, à faire une chasse effrénée aux mauvaises herbes. Mon téléphone portable se met à vibrer dans la poche du vieux jean que j'ai retrouvé quelque part dans une armoire. C'est Adeline qui inquiète de ne plus avoir de mes nouvelles ; elle vient aux renseignements. En deux mots je lui dis où je me trouve et l'invite à passer me voir, en lui précisant que j'aurai besoin d'elle un soir.

En quelques phrases, je lui explique que j'aimerais la voir, et que j'espère décider Alain à faire l'amour à toutes les deux. Je m'avance beaucoup puisqu'il n'a pas encore tenté de me le faire, alors qu'il en crève d'envie. Moi aussi, du reste, mais je ne ferai pas le premier pas. Je lui explique qu'un soir – lequel ? Je ne sais pas encore – j'aimerais bander les yeux de mon ex-mari et qu'elle entre en douce dans la chambre ou le salon, qu'elle se dévête, qu'ils fassent l'amour les deux sans qu'il sache que c'est une autre avec qui il couche. Je me fais fort de l'amener à cette situation dans le courant de cette semaine.

Bien sûr, Adeline est tout de suite d'accord. Elle m'assure de sa pleine et entière collaboration pour mener à bien mon projet. Le bruit des grilles du portail qui s'ouvrent me fait abréger la conversation. Il est revenu avec un bouquet de roses rouges à la main. Il me les tend en retenant son souffle, craignant vraisemblablement que je les refuse. Je le regarde avec des yeux humides, et sans un mot autre que « merci » je leur choisis un vase, le remplis d'eau, les pose délicatement sur la table du salon. Lui s'est mis en devoir d'allumer un feu dans le barbecue.

— Côte de bœuf ce soir pour le dîner ? J'ai aussi pris un paquet de chips, ça devrait faire l'affaire. Avec ce beau temps, nous allons dîner sur la terrasse ; finalement, je préfère cela au restau.
— C'est une excellente idée ; j'ai toujours aimé cet endroit, coupé du monde par les haies, mais avec une ouverture visuelle sur notre lac. Tu t'en souviens, de « notre » lac ?
— Crois-tu que notre séparation m'a fait tout oublier ? Je ne voulais plus y mettre les pieds depuis…
— C'est idiot, ne crois-tu pas ? Tu te privais de toute cette splendeur !
— Il est des endroits qui ne sont beaux qu'à deux, qu'avec les gens que l'on aime. Ils sont sans attrait, seul.

Je prends cette vérité en pleine figure, et mes regrets sont aussi lourds que mes remords. Ses tempes ont grisonné, ses épaules se sont un peu voûtées, mais son sourire – celui qu'il vient de faire sans s'en rendre compte – c'est celui qui m'a toujours fait craquer.

L'odeur de la viande qui grille doucement sur le lit de braises me rappelle que j'ai faim. Mais c'est aussi d'un autre appétit que je souffre. Lui ne semble toujours pas décidé à faire ce que j'aimerais qu'il fasse. Il tourne, retourne la pièce de bœuf sur la grille, mais c'est moi qui suis sur le gril. Celui de ma mémoire. Ensemble, nous avons mis le couvert. Je maudis le bruit des pétales de pomme de terre qui craquent dans nos bouches.

Le repas se passe gentiment, mais quand mon pied, sans aucune arrière-pensée (menteuse !), frôle celui d'Alain, j'ai une montée d'adrénaline. C'est surtout parce qu'il a retiré sa jambe prestement, comme pour me dire « non ». Pas un mot plus haut que l'autre ; nous n'échangeons que des banalités. Le temps nous file entre les pattes ; rien ne se passe. Il n'est sans doute pas prêt pour… pour quoi ? Pauvre folle qui un instant a pu imaginer que tout s'efface d'un simple claquement de doigts ! J'ai vu danser ses regards sur moi, ses yeux fixer la surface de l'eau ; j'ai espéré qu'il revienne, mais je me dis que peut-être il ne m'aimera plus jamais. Cette unique pensée devient une obsession, un clou qui s'enfonce dans mon cerveau.

— Tu veux faire un tour au bord du lac ? J'aimerais revoir des voies que je n'ai pas oubliées.
— Si tu veux ; mais attends : je vais nous chercher deux petites laines. Le frais arrive vite, surtout au bord de l'eau.

Du minuscule sentier qui débute au ponton, où sa barque en cette saison devrait être amarrée, j'en retrouve toutes les saveurs ; je pourrais pratiquement dire où se trouvent les plus importantes pierres, celles à éviter. Je marche souvent devant lui, tant le chemin est exigu. Mon jean est bien rempli, et peut-être suit-il des yeux ma croupe que je prends un malin plaisir à faire onduler, juste pour aguicher cet homme qui, durant de longues années, fut le mien. Mais il persiste à rester à une distance convenable, sans aucun mouvement équivoque, rien qui puisse me rassurer sur ses désirs, ses envies. Un dernier détour et notre sente s'ouvre sur un autre chemin, plus large celui-ci. De nouveau, il marche à mes côtés et je peux apprécier cette bosse qui déforme son pantalon.

Nous rencontrons un autre homme, jeune, qui court sur ce layon perdu dans la forêt de sapins bordant le lac. Le jeune passe avec un signe de tête pour dire bonsoir. Alain se presse plus contre moi, sans doute pour laisser le passage à l'autre qui nous croise, tout dans son effort. La soudaine proximité du corps d'Alain m'électrise ; j'ai la chair de poule, je frissonne. Il s'en aperçoit.

— Tu as froid ? Nous rentrons, si tu veux. Pas la peine de choper un refroidissement.
— Non, je suis bien ; seulement, j'ai des souvenirs… c'est l'émotion.

Là encore, pas de réponse. J'ai envie de lui hurler des choses gentilles, des mots tendres. Mais c'est à lui de décider de l'heure et du moment ; je ne brusquerai rien. Si, jusqu'à mon rendez-vous chez le tatoueur, il ne s'est rien passé, alors je repartirai comme je suis venue, sans plus jamais rien espérer.

Nous rentrons par le même itinéraire, et je me déhanche de manière plus ostentatoire, salope qui tente d'attirer le chaland dans ses rets. Sur la pelouse, le vent léger fait frissonner les feuilles des arbres, et j'ai maintenant froid pour de bon. Je franchis les quelques mètres de terrasse qui nous séparent de la porte d'entrée.

Au moment où il s'efface pour me laisser passer, je sens son souffle sur moi. J'ai encore plus froid. Pourquoi ne me serre-t-il pas contre lui, juste pour me réchauffer ? Simplement pour que mon corps qui tremble se calme ? Dans mon pauvre esprit, je voyais tout en rose. J'allais revenir ; il m'ouvrirait les bras, sa porte et son lit, et tout redeviendrait comme avant. Rien de tout cela ne se produit. Il me garde dans « sa » maison, mais c'est par pure humanité. Pas une seule fois il ne s'est approché pour m'enlacer. Mais qu'est ce que je croyais ? Le père Noël ne vient jamais en cette saison. La saison de la résurrection n'est pas pour moi. Nos amours sont mortes avec mon départ, et je n'ai plus qu'à faire le deuil de ce retour raté.

— Je vois bien que tu gèles ; je vais faire une flambée. Installe-toi au salon, allume la télé. Je vais chercher du bois pour le feu.

Il a dit ces mots comme on dit bonjour, sans que je décèle une quelconque envie chez lui. Le canapé m'accueille et je m'enfonce dans le moelleux des coussins. Alain s'affaire dans l'âtre, et les premiers crépitements des flammèches qui embrassent les brindilles illuminent toute la pièce. Le navet que distille le téléviseur m'endort. Je somnole gentiment avec cette chaleur qui me revient partout. Lui me couvre d'un plaid de laine. Il va dans le bar, se sert un verre, me demande si j'en veux également un. Devant mon refus, il reste un moment planté entre le foyer et le sofa, ne sachant quelle position adopter. Je le devine, dans la lueur des flammes qui dansent, prendre place dans un fauteuil, loin, bien loin de moi.
Je ferme les stores de mes yeux, et finalement je sombre dans une sorte de sommeil.

C'est le ronron de la télé qui me réveille. J'ai froid. Sauf la neige sur l'écran, il n'y a plus rien d'autre, alors je me lève et me dirige vers la chambre. Les habitudes reviennent vite. J'oublie totalement dans ma demi-inconscience que je suis cantonnée dans la chambre d'amis, et je pousse machinalement la porte de celle où dort Alain. Je me couche sans penser à rien d'autre et me rendors sans même me poser une seule question.

C'est un léger mouvement du lit qui me fait sortir de ce coma qui m'entoure ; Alain vient de bouger, et instinctivement sa main s'est posée sur mon bras. En se retournant, il s'est retrouvé contre mon dos. Le réveil sur la table de nuit n'a pas changé, et l'heure est toujours inscrite en lettres rouges au plafond. Trois heures cinquante. Il continue de dormir, mais moi je réalise que je ne devrais pas être allongée près de lui. Je ne bronche plus, de peur de le réveiller. Sa respiration est calme, il a sa main qui me touche au niveau du ventre, et dans un autre de ses mouvements elle se trouve au contact d'un de mes seins. Cette présence me file un vrai coup de chaleur et je me sens bouillir. Je n'ose plus bouger, de peur que cette main s'imagine… à moins que ce ne soit de crainte qu'elle s'en aille. Ma tête se met en marche dans ce noir tout relatif alors qu'il dort paisiblement.

Sans bruit, je laisse glisser mon bras libre le long de mon ventre. Quand ma main atteint la petite toison qui surmonte mon pubis, je plonge directement un doigt sur les lèvres de mon sexe. Je trouve aussi les deux cercles dont la présence ne m'est pas familière. Mon autre main a bien du mal à rester inactive, juste posée sur le drap, le long du corps d'Alain. Je prends mille et une précautions, ne cherchant pas à retirer la sienne qui reste bien à plat sur moi. Je fouille dans la fourche qui s'éveille à l'envie. Les lèvres bien fermées, encore un peu douloureuses pourtant, s'entrouvrent rapidement dès les premiers passages de mon majeur. Puis l'eau me vient à la bouche au fur et à mesure des frottements que cet ersatz de pénis s'ingénie à lui prodiguer.

Avec cet éveil de mon ventre, les soupirs montent eux aussi et je ne contrôle plus vraiment cette situation. Les mouvements désordonnés de mes cuisses sont autant de risques de réveiller l'homme qui dort à côté. Dans une sorte de grognement incompréhensible, il a de nouveau bougé. Son bras est venu instinctivement encercler ma taille, alors je ne fais plus aucun mouvement. Ma respiration se calme un peu ; mon majeur reste planté en moi, immobile, mais terriblement présent. Puis je suis prise d'une folie ordinaire : ma seconde main, qui jusque là se gardait de tout mouvement, part vers le ventre de cet homme qui fut mien si longtemps. Au diable mes bonnes résolutions ! Aux orties mes attentes pour qu'il fasse le premier pas !

Cette baladeuse que je viens d'envoyer en éclaireuse trouve ce qui différencie l'homme de la femme. C'est en semi-bandaison. Le rêve d'Alain est sans doute érotique. Sans me presser, mais sans y mettre de gants non plus, je serre entre mes doigts l'objet de ma convoitise. Un autre son, grogné dans son sommeil, me parvient. Entre mon pouce et mon index, j'ai attrapé le haut de la bite. De cette pince digitale, je presse délicatement le bout de la queue. Ensuite je fais coulisser la peau encore flasque sur le haut du gland. Une descente, une remontée, et je recommence. Il ne me faut pas plus de quelques secondes pour sentir que cette chose plus tout à fait molle ne se fait pas prier pour gonfler dans ma main.

Lui a serré les doigts dans un réflexe pur, ou s'est-il réveillé sous ma caresse ? Un de mes tétons est accroché par sa patte. Il n'exerce aucune violence dessus, simplement une présence. Je n'ai plus aucune envie de me toucher : je préférerais que ce soit lui qui s'en charge. J'insiste sur mon début de branlette ; le zob a pris de belles proportions. Alain souffle plus vite, plus fort. Mais toujours aucun signe avant-coureur d'un vrai éveil. Si sa main est sur mon sein, elle ne cherche pas à jouer avec lui. J'ai l'idée de bouger, surtout pour me libérer de son emprise, et celle plus perfide de remplacer mes doigts par ma bouche. C'est au moment où mes lèvres s'ouvrent sur le sexe archi tendu qu'il arrête mon geste fou par quelques mots :

— Tu sais, Maryse, si c'est pour repartir demain ou après-demain, tu peux t'abstenir de cela. Je ne veux plus souffrir de ton absence ; j'ai réussi à trouver un équilibre que tu es revenue perturber. Alors si tu baises avec moi, c'est que tu veux rester aussi avec moi.
— Je croyais que…
— Que je dormais ? Tu sais, avec le traitement de faveur que j'ai en ce moment, difficile de faire le mort. Et surtout, ce n'est pas l'envie qui me manque de te sauter… mais pas à n'importe quel prix. Soit tu restes et on recommence à vivre, soit tu quittes mon lit et demain tu pars, à la première heure, avant que je ne te voie t'en aller.
— Je… je ne voulais pas te faire de mal ; juste te dire… seulement…
— C'est si difficile à dire ?
— Je me suis trompée : je ne veux que toi et je resterai, mais j'ai peur de la routine.
— J'ai compris, et je me rangerai à tes attentes ; mais je veux des garanties que tu ne vas pas encore foutre le camp un jour où je travaillerai.
— Si ma parole te suffit, tu l'as bien volontiers. Pour le reste, nous en reparlons demain. Je retourne dans la chambre d'amis, ou nous… persistons dans ce qui nous fait défaut, là ?
— Ta parole me convient. Et maintenant… à la casserole, la poule revenue au bercail ! J'ai vraiment envie de… faire l'amour, de te faire l'amour !

Le reste de la nuit s'est déroulé sous les meilleurs auspices du monde. Il m'est monté sur le ventre à plusieurs reprises. Ses caresses m'ont démontré combien je lui avais manqué. J'ai retrouvé toutes les merveilleuses sensations que j'avais eues dans nos débuts avec mon Alain. Nous allons reprendre le chemin là où nous l'avions abandonné, en espérant cette fois que nos deux bonnes volontés nous fassent oublier nos querelles. Si chacun y met du sien, aucune raison pour que ce soit un nouvel échec.

La nuit de nos retrouvailles fut somptueuse, à la mesure de nos attentes, à la démesure de nos désespoirs. Au petit matin, les lèvres qui m'embrassent me semblent les plus douces du monde. C'est Adeline qui s'est perdue dans les limbes de cette nuit, celle de ce renouveau. J'avais oublié combien la vie avec Alain pouvait être douce. Il m'a juré être d'accord pour que de temps à autre notre amie vienne, seule ou accompagnée, partager une soirée. Alors la vie reprend un sens, un goût qu'elle avait perdus. Je ne renierai jamais ces longs moments passés loin d'ici : ils m'ont permis de découvrir tant de choses… Mais, que notre nid est douillet ! Alors, que le reste de notre âge soit le plus aimable possible.

En juillet de ce retour, un second livret de famille a été établi par la mairie ; Adeline était mon témoin.