Le renouveau

Trois ans. Trente-six longs mois que mon épouse est partie. Maryse me manque toujours autant. La colère des premiers mois a laissé place à une sorte de torpeur, de vide, et je suis devenu une espèce d'épave. J'ai bien compris que je l'avais tellement délaissée au profit d'un boulot qui m'absorbait en totalité que je dois reconnaître que, pour elle, la vie devait être… compliquée. Petit à petit, j'ai abandonné mes rêves de fortune, ceux-là mêmes qui m'ont volé ce que j'avais de plus cher. La maison aussi m'est devenue étrangère, comme si le fantôme de cette femme y régnait encore en maître. Partout son odeur, partout des effluves de ces jours heureux ! Cela suffit pour que je n'y trouve plus rien de bon. Elle me manque cruellement.

Mon bureau ne me voit plus beaucoup ; j'ai délaissé, pour l'oublier complètement, le tiercé du dimanche. La femme de ménage qui vient une fois par semaine se contente de faire la vaisselle, de ranger le foutoir que je laisse traîner partout. Enfin, une journée par semaine le chalet est aéré, le jeudi, puisque c'est le jour où la dame portugaise passe l'après-midi à remettre de l'ordre dans le bordel que je mets partout. Elle s'occupe de ramasser les bouteilles vides que je dépose là où je me trouve après les avoir sifflées. C'est aussi elle qui fait les courses. Question libido, je dois avouer que celle-ci s'est fait la valise avec Maryse.

Entre deux beuveries, je repense à tout ce qu'elle me demandait : juste un peu de fantaisie dans nos rapports de couple, juste un brin de folie dans une vie sexuelle monotone. On comprend toujours, quand on l'a perdu, combien l'autre pouvait compter. Les amis qui passaient de temps à autre ont fini par espacer leurs visites, puis je ne les ai plus jamais revus. Les jours ont passé, et les mois ; maintenant, je crois que si un jour j'ai espéré quoi que ce soit de cette chienne de vie, je ne reverrai jamais les plus beaux moments qui sont morts. Maryse était la femme de ma vie ; sans elle, mon existence n'est plus qu'un long enfer qui m'exaspère de plus en plus.

Des fêtes sans saveur, tellement alcoolisées qu'elles se terminent toutes par des gueules de bois qui n'arrangent en rien mes affaires, combien en ai-je passées avec à l'esprit le visage, le sourire de cette… salope, de cette femme dont l'absence me tue à petit feu ? Alors quand ce vendredi, sur le visiophone du portail de la rue, l'image de… Maryse apparaît, il me semble que je rêve. Je ne sais quelle contenance prendre. Et je fais seulement un rapide tour d'horizon de la maison. Sale, pour ne pas dire plus : c'est l'unique constat que je peux en déduire. Tant pis, j'ouvre les deux vantaux, et la petite voiture descend le chemin gravillonné qui mène à l'entrée.

Dans l'encadrement de la porte, la frimousse brune, égale à celle qui est restée dans mon esprit ; elle est là, belle comme un rayon de soleil. Ses yeux toujours bien maquillés, une jupe que je ne reconnais pas, un corsage qui me prouve que sa poitrine n'a rien perdu de sa superbe, Maryse me regarde avancer. Pas rasé, ma chemise froissée, j'ai l'air d'une épave ambulante mais elle ne fait aucun commentaire.

— Bonjour, Alain.
— Maryse ! Pour une surprise… tu… es toujours…

Les mots s'étranglent dans ma gorge. J'ai sans doute un peu de buée qui me monte au regard. Elle esquisse un sourire ; je suis certain qu'elle s'aperçoit de mon trouble.

— Tu vas bien ? Ton avocat m'avait dit que tu ne voulais plus jamais me rencontrer, mais… une petite visite de courtoisie. Je passais par ici.
— C'est gentil de te souvenir que j'existe encore un peu !
— Je vais voir un tatoueur, tout près d'ici, alors…
— Un tatouage ? Tu aimes cela ? Je n'y aurais jamais songé. Comme tu peux en juger, je ne reçois plus guère. La femme de ménage – Julia, la Portugaise, tu t'en souviens, celle qui nettoie mon bureau – je ne vois plus qu'elle. Et encore, une fois par semaine, le jeudi. Elle fait une journée nettoyage.
— J'imagine… Et tes amis, le tiercé du dimanche, les dîners de travail, tout ça ?
— Oh ! Pour seules amies, je n'ai plus que mes bouteilles. Et puis j'ai presque arrêté le boulot. Enfin, à quoi l'argent me servirait puisque… Mais parlons un peu de toi ; que deviens-tu ?
— Je me suis acheté une petite maison ; je n'ai pas non plus un vrai travail. Je subsiste également. Pas malheureuse, mais bon… Tu n'aimes pas les tatouages ?
— Ben, je n'en sais foutre rien ! Je suppose que ça dépend du genre de dessin et de l'endroit où il est fait.
— Tu veux m'accompagner, là où je vais ? Au moins ça te sortira de… ta tanière. Tu n'as pas envie de te raser ? Une bonne douche, du linge propre ? Tu n'en aurais pas envie ?
— Tu me demandes d'aller avec toi, j'ai bien entendu ? Tu veux te faire tatouer quoi, et où ?
— Un elfe, là.

Maryse m'a montré le dessus de son sein. Sa poitrine me fait loucher. Dire que ma bouche, mes mains, et parfois, ma queue… mais c'était il y a bien longtemps. C'est bizarre comme situation. La femme qui se tient devant moi est toujours en moi. Pourtant, c'est par un jugement que je n'ai plus aucune autorisation de la regarder comme ma femme. Toutefois, je sens monter au fond de mes tripes un émoi qui je croyais perdu à tout jamais. Elle est belle, elle est désirable, et bien sûr, le seul cul que j'ai croisé depuis tous ces mois, c'était celui de Julia. Comme il était d'une largeur imposante, je n'ai pas vraiment eu l'occasion de fantasmer. Pardon, erreur : il y a eu aussi les culs de bouteilles vides ou pleines que mes mains ont tripotés, mais pas pour les mêmes raisons.

— Sans blague ! Tu veux vraiment m'emmener avec toi ?
— Mais oui. Va te faire beau. Allez, une bonne douche, bien rasé, et tu verras, tu te sentiras mieux.
— D'accord.

Je n'arrive pas à y croire… Elle est là, ma Maryse, celle des bons jours, celle d'avant ! Elle me sourit et je cours littéralement sous la douche. L'eau qui me coule dessus ne m'empêche nullement d'entendre d'étranges bruits qui viennent de la maison. Il ne me faut pas non plus un temps infini pour me raser, et c'est rassurant de voir à quelle vitesse un événement heureux peut me rendre quelques couleurs au visage. Je ne percute pas de suite que je n'ai aucun vêtement de rechange, alors je sors de la salle de bain complètement à poil. Elle me regarde passer, et je m'arrête net en constatant que cette femme qui me suit des yeux n'est plus rien dans ma vie. J'ai une érection spontanée devant elle, ce qui ne semble en aucun cas la gêner outre mesure.

Puis mon regard tombe sur le sac-poubelle qu'elle tient. Les cadavres de boîtes de bière et autres litrons vides s'accumulent dans celui-ci. J'ai soudain honte, honte d'être ce pochetron qu'elle regarde avec pourtant un sourire. Je hausse les épaules, baisse le front, mais elle ne me fait aucun reproche.

— Allons, va t'habiller. S'il te plaît, cache-moi ton perchoir, on ne sait jamais qui pourrait te le voler.
— Je… je m'excuse, je n'ai plus l'habitude…
— Ce sont les habitudes qui tuent l'amour ; tu devrais le savoir, non ?

Je n'ai pas répondu. Mes mains se sont portées devant cette trique que, naturellement, je ne peux pas entièrement masquer. La risette est toujours sur les lèvres de Maryse, mais un petit bout de langue rose dépasse de celles-ci, ce qui n'est pas fait pour faire diminuer le volume de ma gaule. Alors je fais un quart de tour et file directement dans la chambre, ex-chambre commune. J'enfile à la hâte un slip, ce qui me redonne une contenance, puis je passe un pantalon et je reviens vers le séjour où j'entends Maryse qui continue son ramassage. Quand je suis de nouveau face à elle, elle s'exclame :

— Ah non, Alain, tu ne vas pas te mettre ce chiffon sur le dos ! Allez, sors-moi la table à repasser, je vais refaire les plis de ton torchon.

Le rouge aux joues, je ne gère plus rien de mon stress. Intérieurement, je bouillonne, mais j'ai aussi cette peur au ventre : la trouille de la voir fuir encore une fois, de repartir comme elle est arrivée. Penaud, j'obéis, et en deux minutes la guenille redevient une chemise digne de ce nom. Je passe le vêtement et me sens soudain un homme neuf. Pendant le temps que je retourne à la salle de bain pour finir ma préparation, Maryse s'affaire dans le chalet. Elle va, vient, et les bruits que me parviennent sont de ceux qui se sont éteints depuis son déménagement. Quand je suis revenu près d'elle, tout a changé ; c'est comme si une tornade s'était abattue sur mon univers quotidien.

— Ce n'est pas mieux comme cela, tu ne crois pas ?
— Si ! Je sais bien que je devrais faire le ménage plus souvent, mais…
— Je parlais de toi, Alain : bien rasé, bien vêtu, te voilà redevenu un homme… abordable.
— Ouais, mais pour combien de temps ?
— Ça ne dépend que de toi…

Je ne comprends pas les allusions qu'elle me fait. Je me contente de tourner la tête.

— Tu vois, Maryse, le lac aussi a un bleu plus profond aujourd'hui.

Là, c'est elle qui ne dit plus un mot, se dirigeant vers la porte-fenêtre du salon, celle qui donne directement sur la terrasse, avec en enfilade la nappe bleutée. J'ai cru deviner dans son regard comme un brin de nostalgie. Avec seulement un zeste d'optimisme, j'aurais pu, l'espace d'une seconde, croire qu'elle avait une larme au coin des yeux.

— Je suis prêt, ma belle, si tu veux aller faire faire ta fée.
— Oui. Pas la peine de rêver plus longtemps. Je conduis, je te ramènerai quand nous aurons fini. Ça te va ?
— Bien sûr ! Passer un moment près de toi après tout ce temps me fera du bien.

Assis à ses côtés, je la redécouvre. Elle reste la petite femme nerveuse, celle qui avec des gestes saccadés passe les vitesses de la petite voiture. Sa jupe relativement courte laisse entrevoir une partie de ses cuisses. Les images qui me remontent sont de plus en plus sexuelles. Je pourrais pratiquement sentir la douceur de sa peau, la texture particulière de ses jambes. Le souvenir de la fourche qui se cache sous le tissu finit par rendre la bosse qui s'est formée sous ma braguette plus visible qu'un nez au milieu d'une figure. Se sentant observée, je la vois qui sourit, pas du tout indisposée par mon insistance toute masculine.

Le tatoueur ne doit pas avoir plus de trente-cinq, quarante ans. Ses deux bras sont des affiches accrocheuses pour son travail. Il ne reste guère d'endroits sur ceux-ci où la peau soit vierge d'encres multicolores. Un véritable roman à lui seul, cet homme-là ! Il nous regarde arriver avec un air goguenard qui ne me plaît pas du tout, mais je ne me permettrais pas de faire un commentaire. Maryse discute avec cet homme, et les dessins qu'il nous montre sont de toute beauté. Il lui précise quelques détails, lui répétant – comme pour la rassurer – qu'à l'endroit où elle veut cet elfe, elle n'aurait aucune douleur. Maintenant il nous dirige vers une arrière-salle et lui demande de s'allonger sur une sorte de table.

Quelque part – et mon cœur se serre à cette idée – cette table ressemble à s'y méprendre à une table d'accouchement. Les étriers de chaque côté permettent sans nul doute d'officier entre les cuisses des patients, à des endroits… particulièrement chauds. Rassérénée, elle le laisse enfin la guider vers cet autel particulier. Sans vraiment se démonter, elle retire son chemisier, et le mec, comme moi du reste, nous voyons un soutien-gorge noir et rouge, affriolant, nous sauter aux yeux. Lui s'appelle Régis. En deux mots, il lui explique que la taille de l'elfe aux ailes déployées qu'elle désire si ardemment va sûrement déborder sur le sein. Alors, dans un mouvement le plus naturel du monde, Maryse passe ses mains dans son dos et les deux boules bronzées sont à l'air libre.

Je suis comme l'homme qui enfile des gants : j'ai du mal à déglutir la salive qui me coule dans la gorge. Cette paire de nibards me rend complètement dingue. Je n'arrive plus à retirer mon regard de ces deux monts d'un beau brun ambré, lesquels sont surmontés de deux magnifiques tétons plus sombres. Elle se cale sur le siège et l'homme commence son office. D'un mouvement net du poignet, il fait glisser une compresse enduite d'alcool, passant sur la surface à travailler. Puis, halluciné, j'assiste à cette séance hors norme : le ronron d'une machine qui pique la peau et enduit d'encre, le pourtour d'un dessin qui se colore de rouge. Ce liquide qui coule est immédiatement épongé par le tatoueur qui change fréquemment la gaze qui s'imbibe de la précieuse mixture.

Après deux longues heures de ce traitement, une fée gracieuse a pris place sur le sein gauche de Maryse. Elle est polychrome, et malgré les boursouflures de l'emplacement qu'elle occupe, elle m'assure en me tenant la main que ce n'est en rien douloureux. Régis lui dit qu'elle devra revenir dans une quinzaine de jours, simplement pour qu'il s'assure que tout se déroule bien et qu'il n'y a pas de retouches à faire.

— Ça va aller ? Vous n'avez pas trop souffert ? Normalement, non ; mais certaines personnes sont plus sensibles que d'autres…
— Non, non, tout est pour le mieux. Mais j'aimerais savoir… Pour un piercing, c'est douloureux ?
— Là encore, ça va dépendre de l'endroit et du matériel choisis.
— Disons que j'aimerais porter deux anneaux, un sur chacune des… des lèvres.
— Les lèvres ? Lesquelles ? Tout est possible, vous savez : les lèvres du visage… ou les autres ?
— Non, pas sur la figure, mais bien là où vous pensez.
— Pour cela, nous prenons un bouchon et une sorte d'aiguille. Nous tirons légèrement sur la lèvre, plantons l'espèce d'aiguille en plaquant le morceau de bouchon sur l'autre face de la lèvre. Nous appuyons jusqu'à ce qu'elle soit percée, et seulement ensuite nous posons l'anneau. Il en existe de plusieurs sortes, des anneaux. Certains sont juste clipsés ; d'autres sont scellés et, de ce fait, impossibles à enlever.
— Vous pouvez m'en montrer un exemplaire de chaque sorte ?
— Bien sûr. Attendez-moi une minute, je reviens.

Quand il est de retour, il nous montre deux anneaux. Le métal est, à ses dires, inoxydable. Le prix semble peu différer entre l'un ou l'autre.

— Ça fait mal ? Pour les poser…
— Je ne vais pas vous faire croire que non. C'est assez douloureux ; mais bon, il faut souffrir pour être belle : c'est bien comme cela que les femmes disent, non ?

Je crois rêver. Me voici en compagnie de la femme dont je suis divorcé, chez un type qui vient de lui tripoter le sein, de lui trouer la peau, de la marquer à vie, et tout cela avec le sourire. De plus, la voilà qui discute avec ce mec de se laisser percer les lèvres de la chatte comme s'il s'agissait de perforer un vulgaire ticket de métro ! Et moi ? Eh bien j'assiste à cette scène délirante sans dire un mot mais, je l'avoue, avec une trique d'enfer, d'une part de voir ce sein que j'ai si souvent sucé, léché, trituré, et de l'autre d'imaginer ce qu'elle veut. Mes cheveux semblent vouloir se dresser sur ma caboche, et pire encore lorsque je l'entends me demander :

— Tu en penses quoi, toi, Alain ?
— Euh…

Je suis comme un con, pris en faute, tel un gamin que sa mère aurait trouvé en train de se masturber. Je n'arrive plus à penser raisonnablement, à aligner deux idées de manière claire.

— Tu n'es pas très loquace ; j'ai bien envie de m'en faire poser deux, de ces anneaux. Mais donne-moi ton avis sur la question. Tu aimerais, toi ?
— Pourquoi tu me demandes mon avis ? Tu n'en as pourtant pas besoin.
— C'est que je voudrais savoir quel effet cela te ferait de… baiser avec une femme qui en porte. Si je le fais, ça demande du temps avant de pouvoir… Monsieur ? C'est bien à vous cette fois que je parle.
— Non, vous pourrez avoir des rapports immédiatement. Enfin, dès que vous serez chez vous, je veux dire.
— Bon, alors je vais choisir ceux-ci.
— Vous êtes bien certaine que vous désirez ce modèle ? Impossible de les enlever, une fois posés et sertis. Ou alors, avec une pince coupante…
— Oui, oui, ce sont ceux-ci que je choisis. Comment je me mets pour la pose ?
— Vous pouvez enlever votre… culotte ? Vous mettrez vos pieds dans les étriers. Vous avez encore quelques minutes pour réfléchir, le temps que j'aille en chercher un second de ce genre. Vous les voulez les deux identiques, n'est-ce pas ?
— Oui, bien entendu. Allez-y ; je me prépare.

Le type, tout heureux de gagner encore un peu de fric, s'évanouit par la porte du fond de son échoppe.

— Tu es sûre que tu veux vraiment cela ? Tu n'as pas peur d'avoir très mal ?
— Non, ça fait un moment que cela me trottait dans la tête. Il faut battre le fer pendant qu'il est chaud. Tu n'as jamais fait l'amour à une femme qui porte ce genre de bijou ?
— Je n'ai fait l'amour qu'à une seule femme dans ma vie… et elle m'a quitté un jour, un dimanche comme cela, sans trop que je comprenne pourquoi. Et celle-là n'avait pas d'anneaux.
— Tu n'as vraiment jamais trompé cette femme ?
— Jamais. Et je n'ai rien à gagner ou à perdre à ne pas dire la vérité.
— Et si un jour elle revenait vers toi, tu ne la reprendrais pas, même si elle portait des anneaux sur les lèvres de sa chatte ?
— Où veux-tu en venir, Maryse ? Je t'ai aimée sans anneaux ; je t'aimerais tout autant si tu en avais.

Elle me regarde, étrangement silencieuse soudain. Mais le calme est de courte durée ; l'autre olibrius est de retour avec deux boucles de lèvres sous un plastique censé les protéger des microbes. Il a aussi apporté une imposante aiguille et une sorte de bouchon qui trempe dans un flacon de ce qui me semble être de l'alcool. Aussi invraisemblable que cela puisse paraître, Maryse retire sans hésitation la culotte qu'elle porte, et nous avons lui et moi le privilège de voir qu'elle est assortie au soutien-gorge. La voir se hisser sur la table, installer ses talons dans les ergots avant de relever sa jupe et de montrer sa foufoune à ce gars me rend dingue d'envie.

L'autre n'a absolument pas bronché. Soit il a une grande habitude de ce genre de chose, soit il est d'une grande résistance à la vue de… la fourche largement ouverte. Pourtant, il passe un coton imbibé d'alcool sur le pourtour du sexe, un peu poilu, puis me fait signe de m'approcher. Se penchant vers moi, il me murmure simplement à l'oreille :

— Vous voulez bien toucher un peu votre femme ? Juste pour lui écarter les grandes lèvres, et ensuite un peu le clitoris. La toucher suffisamment pour qu'elle soit… enfin, qu'elle ait envie, ce qui pourrait atténuer la petite douleur due à la perforation de la chair. Je pourrais le faire moi-même, mais certains maris sont parfois un tantinet… jaloux. Je n'ai pas envie de prendre une gifle ou un coup de poing.

L'homme m'a fait un grand clin d'œil. Surpris par cette demande à laquelle je n'aurais pas pensé, je me tourne vers Maryse. Elle me sourit. Je m'approche d'elle.

— Tu as entendu ce que monsieur m'a demandé ?
— Non. Mais tu vas me le dire, sans doute.
— Il aimerait que je… que je te touche un peu pour faire monter le désir, pour que tu souffres moins.
— Si c'est pour mon confort, tu ne peux guère refuser, non ? Tu ne prendrais pas un plaisir sadique à m'entendre hurler, quand même ?

Ces gestes que je n'ai plus faits depuis… trente-six mois, comme ils sont tellement simples à retrouver ! Ma main tremblante s'est approchée de cette fente qui attend. Je roule donc un majeur tendu vers l'ourlet de ces deux lèvres collées l'une à l'autre. L'homme à mes côtés jette un furtif coup d'œil, puis sans façon il me tend un flacon. Le gel qu'il contient atterrit sur mes doigts et facilite la glisse sur cette fente que j'ai parcourue si souvent… jadis. Le contact avec cet antre doux m'électrise totalement. Je réalise que finalement Maryse m'entraîne là où elle le veut, et que je fais exactement ce qu'elle attend de moi.

Les deux lèvres se sont écartées l'une de l'autre, et sans aucun problème mon doigt avec bonheur a retrouvé le minuscule capuchon qui coiffe le clitoris. En quelques frictions, le bout plus rose apparaît et se gonfle comme une jeune pousse sous la pression de ce majeur trop heureux de le retrouver après tout ce temps. J'ai comme une invitation à y poser ma bouche. Par contre, je m'abstiens de ce geste plutôt équivoque. L'homme a posé le morceau de bouchon contre la face externe de la première lèvre. L'aiguille, qui me semble encore plus énorme de près, est posée sur la face interne ; il pousse d'une seule fois.

Un gémissement se fait entendre, mais il est trop tard : la chair est transpercée par l'acier. Il s'est rapidement emparé d'un coton alcoolisé et s'empresse de frictionner les deux côtés de la chose rose qu'il maintient. Souplement, il attrape la première boucle argentée et en pose une partie sur le bout de l'aiguille qu'il retire en arrière. En la ressortant, il entraîne avec elle l'extrémité de la boucle qui s'enchâsse parfaitement dans le trou percé. Il frotte de nouveau son coton sur les deux orifices remplis par l'anneau. Il lui fait faire ensuite un demi-tour, et avec une sorte de pince étrange il enclenche l'un dans l'autre la partie mâle et femelle du cercle. Un étrange « clic » résonne dans la pièce.

— Voilà, Madame. Pour le premier anneau, c'est fini ; il est serti définitivement. Je passe au second ou vous préférez attendre encore quelques secondes ?
— Non, faites. Plus vite ce sera fait, mieux ça vaudra. Allez-y. Et toi, Alain, donne-moi la main.

Je n'en crois toujours ni mes oreilles ni mes yeux. La chose toute brillante attire mon attention tout entière. Je ne vois plus que cela et la perle de sang qui se forme autour du morceau qui est dans la chair. Je la sens qui se crispe dès que le type a posé le bouchon sur l'autre lèvre. Elle sait, elle connaît la douleur que cela va lui occasionner. Elle appréhende, mais elle serre les dents. Je retrouve bien là cette petite femme, mère courage, qui encaisse dignement. L'autre agit rapidement, et un autre cri étouffé me fait frémir. Puis le bruit renouvelé de la pince qui scelle la seconde boucle, et le cérémonial du tampon alcoolisé se répète.

— C'est fait, Madame. Je vais vous donner une pommade que vous passerez deux à trois fois par jour sur le tatouage. Une autre pour mettre sur les anneaux ; mais vous devrez nettoyer, comme vous le feriez pour des boucles d'oreilles, pendant cinq à six jours, le temps de la cicatrisation. Le gel que je vous donne est antiseptique et calme les douleurs.
— Si je fais… l'amour avec cela dans les prochains jours, ça ne pose pas de problème ?
— Pas du tout. Sauf que les lèvres vont rester légèrement gonflées une journée ou deux. Il vous suffira de laver avec du savon, de passer un peu d'alcool, ou mieux, du gel que je vous fournis. Vous verrez, c'est un antidouleur puissant.

Le gars se tourne à nouveau vers moi. Un clignement d'œil m'indique qu'il va me dire quelque chose.

— Le Maître est satisfait ? Vous allez pouvoir profiter de votre nouveau jouet presque immédiatement.

Je me sens rougir du menton jusqu'au front. Que répondre à cette boutade ? C'est Maryse, qui cette fois a parfaitement saisi les propos de l'homme, éclate de rire. Elle remet en place cache-sexe et couvre-nichons, réajuste sa jupe et sort, entre le tatoueur et moi, de ce lieu insolite. L'autre lui remet ces onguents et pommades ainsi qu'une facture ; il lui demande de repasser le voir en milieu de semaine et nous repartons sous les regards amusés de ce personnage qui n'ignore plus rien de l'anatomie de ma… non : de mon ex-épouse. Comme elle me l'a dit, elle me ramène à la maison.

— Tu veux boire un verre ? Un café ?
— Tu crois que tu as besoin, toi, d'un remontant ? Je veux bien un café si tu m'accompagnes et en bois un également.
— Si tu veux.

La cafetière, simple, pratique pour elle quand elle résidait ici, reste toujours pour moi un obscur mystère. J'ai mis la dosette et arrive péniblement à faire couler un breuvage noir. Quand j'ai deux tasses à peu près présentables, nous sommes assis l'un en face de l'autre. Ses grands yeux se fixent sur moi, plongent dans les miens. Je n'ai plus de mots pour lui exprimer ce que je ressens, alors le mieux est de ne pas gâcher cet instant magique. Elle est là, devant moi, et seul cet état de fait compte à mes yeux. J'avoue que dans ma poitrine, mon cœur bat comme une horloge qui prend de l'avance. Il cogne. Et l'impression qu'il va lui éclater à la figure, c'est la seule image qui me prend la tête à ce moment-là.