Leçon n° 7 : N'acceptez que vos propres lois

Karl Kari

An de grâce 1240. Après plusieurs mois d'un long voyage dans des contrées lointaines tout à l'Est, je suis de retour à Lyon où l'on m'apprend le récent décès de mon père Léopoldo. Il a beau avoir fait éliminer la moitié de la famille, je pleure sincèrement sa mort et lui réserve une cérémonie des plus exceptionnelles. C'était un grand homme ! Certes, il a utilisé des méthodes un peu tendancieuses ; certes, il a assassiné ses neveux dans des conditions particulièrement horribles dans l'unique objectif d'ajouter un comté à son territoire, mais… bon, OK, c'était un bel enfoiré. Ne faites pas comme lui chez vous, c'est mal ! Quoi qu'il en soit, il a tout de même été un grand dirigeant, et même si mes méthodes seront différentes des siennes, je compte suivre sa trace.

La première étape est de renouveler mes alliances. La Bohême est aussi à nouveau notre alliée. Bon, faut dire que ma mère m'apprécie bien plus qu'elle n'appréciait mon père. La Castille me demande de l'aide pour se défendre contre le duché d'Aquitaine. En tant que dirigeant honorable, je me précipite à son secours et envahis l'Aquitaine. Nos efforts communs pousseront vite l'ennemi à demander la paix.

En 1242, la reine Orabilia d'Écosse me propose des fiançailles entre ma sœur Mélania et son fils Malmure d'Atholl. J'accepte, bien entendu : c'est une bonne position pour ma sœur.

Militairement, j'interviens contre le royaume de Souabe pour défendre celui de ma promise, la Hongrie. J'envoie aussi mon chancelier en mission secrète en Provence afin qu'il me trouve – ou fabrique – des documents affirmant mes prétentions sur ces terres. Depuis le temps que la famille convoite la région, je me donne l'obligation d'être celui qui la conquerra. Mon chancelier semble être efficace : en un rien de temps il m'obtient des revendications sur les comtés de Nice et de Provence.

Souabe dépose les armes en 1244. La victoire est célébrée grâce à mon mariage avec la princesse Orsolya. Je la trouve un peu farouche les premiers mois, alors je préfère prendre le temps de la courtiser et de la dompter plutôt que de la brusquer : je n'ai pas envie de connaître la même relation que ma mère entretenait avec mon père. Orsolya finit par se détendre en ma présence et, même si ce n'est pas le grand amour entre nous, m'accepte dans son lit. Je trouve peu à peu le chemin vers son cœur, et un sentiment d'attachement finit par nous relier l'un à l'autre.

En 1245, j'apprends que la croisade de Novgorod est une victoire. Les catholiques établissent donc des États chrétiens dans la région. C'est vrai que j'aurais pu y retourner après mon couronnement, quand les nouvelles vagues de guerriers chrétiens déferlaient, mais j'avais d'autres affaires à régler. Je n'ai participé qu'à la première phase de la guerre ; c'est déjà bien pour quelqu'un comme moi, pas spécialement religieux.

L'année suivante ma mère Cothilda, reine de Bohême, attaque la Pologne pour prendre le comté de Cracovie. En tant qu'allié, je me joins à elle. Bon, j'avoue que c'est aussi dans mes intérêts puisque je suis l'héritier de la Bohême. Il nous faudra un an pour faire céder l'ennemi. Pas le temps de renvoyer les troupes à la maison puisqu'un autre allié fait appel à nous : la Suède entre en guerre contre la Norvège.

À la maison, ma femme m'annonce sa grossesse. J'accueille la nouvelle avec joie et m'assure qu'elle a tout ce dont elle a besoin. L'accouchement se passe bien. Orsolya est déçue de ne pas m'offrir de fils ; pas grave, ma Sarah est un véritable petit ange.

Plus tard, mon chancelier m'obtient une revendication sur le comté de Forcalquier. Nous avons maintenant un casus belli pour prendre la quasi-totalité du duché de Provence, comme en rêvaient mes ancêtres. Dommage que les lois du Kaiser m'empêchent toujours de m'attaquer à un autre de ses vassaux ; il faudra que je tente quelque chose pour rétablir cette situation.

Nous contractons un mariage entre ma sœur Hélène et Gerbert de Hauteville, le frère du roi Henry de Sicile. Voilà qui nous apporte une nouvelle alliance des plus intéressantes. Désormais, notre poids diplomatique sur le continent est incontestable. Mon prestige personnel et mes talents diplomatiques m'accordent même le surnom de Karl « le Sage »

En 1249, après une éprouvante campagne à se geler les miches en Scandinavie, la Norvège admet sa défaite. Bon, mes soldats vont pouvoir rentrer au chaud et revoir leur famille ; ils l'ont bien mérité. Sauf que des nouvelles nous arrivent de la cour impériale : le Kaiser lève ses troupes pour attaquer la Hongrie et chasser ma belle-sœur – la reine Agata – du trône car elle a été excommuniée. Dommage, voilà un allié de valeur de perdu. Pour remédier à cette perte, je signe une alliance avec l'Écosse et la Sicile avec qui j'avais précédemment contracté des mariages.

L'année suivante nous arrivent des nouvelles d'Égypte. Les chrétiens ont été chassés par les Fatimides chiites. Les chrétiens ne tiennent plus que le royaume de Jérusalem, mais pour combien de temps ? Je sens que nous risquons fortement de voir une nouvelle croisade dans la région dans les décennies à venir.

Hermann de Genève, mon vassal, a obtenu une revendication pour le comté de Chalon, détenu par la France. La cible est difficile, mais avec mes alliés, je devrais l'emporter. En l'honneur de l'amitié qui unit nos familles depuis des générations, je lève les armes pour lui obtenir ce nouveau titre. Les troupes lyonnaises pénètrent sur le sol français en 1251, et quelques semaines plus tard nous apprenons la mort d'Hermann. Oh le con ! Il aurait pu tenir le coup le temps que je prenne le comté ! Du coup, le casus belli n'étant plus valide, nous faisons demi-tour.

Mais mon retour à Lyon m'apporte une excellente nouvelle : ma femme vient d'accoucher d'un garçon, un petit Richard. Je suis le plus heureux des hommes. Pour la remercier de cet immense cadeau, je lui propose de lui en offrir un en retour ; qu'elle me demande n'importe quoi. Elle me réclame le trône de Hongrie. N'ayant plus aucun accord avec ce royaume depuis qu'Agata a perdu le pouvoir, je peux l'attaquer sans me déshonorer. Je lève mes bannières.

L'ennemi est allié à la Rus' de Kiev mais je n'ai aucune crainte : mes alliés de toujours marchent à mes côtés. Il me faut deux ans pour soumettre le pays. Deux ans où ma relation avec Orsolya est des plus sulfureuses. Adieu les jours où elle se contentait de me laisser la prendre ; maintenant elle prend des initiatives et m'en fait voir de toutes les couleurs ! Elle m'accompagne durant tout le long de la campagne, et chaque soir réchauffe ma couche sous le pavillon. Ce sont les deux meilleures années de notre mariage. Orsolya est couronnée en 1253 et m'offre un deuxième fils, Hans.

Retour à Lyon où je retrouve mon fils Richard. Je suis très étonné car le petit a l'air très en retard pour son âge. Il semble avoir quelques difficultés pour apprendre. Inquiet pour son avenir de futur roi de Bohême et de Hongrie, je décide de lui confier le meilleur des éducateurs : c'est à dire moi ! Son enseignement commence dès maintenant.

Ma relation avec Orsolya devient plus compliquée. Nous nous entendons toujours, mais ses affaires en Hongrie la poussent à s'absenter régulièrement de Lyon. Nous nous arrangeons pour nous voir régulièrement. À chaque fois, le peu de nuits que l'on passe ensemble sont agitées. En 1256 naît mon troisième fils, Otto.

Mes revendications en Provence ne sont toujours pas appuyées. J'ai peur de mourir et qu'elles soient perdues. Il me faut trouver un moyen de remporter ces trois comtés tant convoités. Mais les lois impériales sont trop pénibles : elles limitent considérablement nos libertés. C'est intolérable ! J'ai toujours pensé qu'un suzerain ne devrait pas avoir autant de pouvoir. Je cherche parmi les vassaux du Kaiser s'il n'y en aurait pas quelques-uns susceptibles de prendre les armes avec moi pour forcer ce dernier à nous accorder plus d'autonomie.

Pour ma part, je ne tenterai rien militairement avant d'avoir la couronne de Bohême, et donc l'armée qui va avec. En attendant, je tourne mon regard sur l'Italie. Ma vassale Emma von Steyr, comtesse de Montferrat et de Gênes, peut revendiquer le comté de Lucques. Je prends les armes en 1256. Le conflit est résolu l'année suivante.

Enseigner quoi que ce soit à mon fils Richard est laborieux. J'ai beau lui consacrer un temps fou, rien ne lui entre dans le crâne. Ce n'est pas possible, il doit avoir un problème, ce gosse ! Je le fais consulter par les plus grands médecins d'Europe et par des experts en tout genre ; leur diagnostic est sans appel : « Il est juste con, terriblement con. » Apparemment, j'aurai beau tenter tout ce que je veux avec lui, je n'en tirerai jamais rien : il est bien trop atteint. Merde, et dire que c'est ce truc qui va hériter mes terres ! Que faire ? Peut-être qu'avec un peu de chance, la sélection naturelle fera son job d'ici ma mort.

An de grâce 1259 ; ma mère, la reine Cothilda de Bohême, décède de vieillesse. Je me déplace à Prague pour recevoir la couronne de ce pays ; je deviens ainsi le seigneur le plus puissant du Saint Empire Romain Germanique. Pour l'occasion, notre célèbre troubadour Az Navour me compose une chanson. Je n'ai plus trop souvenir des paroles, mais le refrain donne à peu près ceci :

La Bohême, la Bohême,
Qu'est-ce qu'il claque
Votre domaine…
La Bohême, la Bohême,
C'est vous le roi
Le boss du game.

Il y a aussi un autre troubadour du nom de Friedrich Mercury qui nous fait découvrir la musique locale grâce à une rhapsodie bohémienne pas piquée des hannetons.

Il va me falloir du temps pour gérer tout ça. L'avantage, c'est que je suis bien plus proche de la Hongrie. Mon épouse et moi allons pouvoir nous rencontrer plus souvent. Je distribue plusieurs de mes titres de duc et crée une république marchande en Croatie ; elle devrait me rapporter pas mal d'argent dans le futur, même si la concurrence avec d'autres républiques est rude en Méditerranée.

Un an plus tard, j'aide ma femme à lutter contre le duché de Styrie qui l'attaque. Ma belle m'offre une nouvelle fille, une petite Ludivica. Trois ans plus tard, le duché ennemi dépose les armes.

Je n'ai pas abandonné l'objectif de prendre la Provence. Malheureusement, le Kaiser ne veut pas me les céder. Après avoir signé une alliance avec la Bretagne, je me soulève contre mon suzerain pour le forcer à me donner les trois comtés qui me reviennent de droit. Mes alliés me suivent dans ce conflit et j'engage des mercenaires pour faire le poids face au Saint Empire. Même comme cela, affronter le Kaiser n'est pas chose aisée. La plus grande partie de la guerre consiste en un jeu du chat et de la souris entre nos troupes. Je m'efforce d'éviter ses puissantes armées jusqu'au moment où j'arrive à les attirer dans un piège.

J'ai un nouveau fils, Franz, en 1265. La même année, j'obtiens la victoire mais – bien que cela va être mal vu dans toutes les cours d'Europe – je ne me contente pas de la paix et exige maintenant mon indépendance. Bien sûr, le Kaiser ne l'entend pas de cette oreille. En utilisant la même stratégie, un an après, j'arrive à piéger son armée à Senj où je massacre plus de quatorze mille soldats impériaux. Dorénavant, le puissant royaume de Bohême est indépendant. Nous ne nous agenouillerons devant personne !

J'abandonne ma vie à Prague au profit de Lyon qui me manque énormément ; cette ville devient donc la nouvelle capitale de la Bohême. Trouvant que mes vassaux ont trop d'autonomie, je lance une série de lois visant à affermir mon pouvoir et ne leur laisser que peu de marge de manœuvre. J'ai toujours pensé qu'un suzerain devait être le seul véritable maître à bord ! J'use de diplomatie et de pots-de-vin pour convaincre mes vassaux d'adopter mes nouvelles lois. Heureusement, étant plutôt apprécié, je ne rencontre guère de difficultés.

Les années ont passé, et la sélection naturelle n'a toujours pas fait son job avec mon fils aîné Richard. Il va falloir que j'intervienne moi-même pour l'écarter du trône. Le tuer ? Non, je ne suis pas mon père, mais j'ai un autre plan. Mon royaume possède la loi d'investiture libre ce qui signifie que c'est le seigneur qui nomme les nouveaux évêque, et non pas le pape. Mon plan est donc de confier un évêché à mon fils, ce qui lui interdira la couronne. Malheureusement, il a rejoint la cour de sa mère en Hongrie. Je l'invite à Lyon, mais il refuse. Il est peut-être con, mais, si ça se trouve, il a flairé l'entourloupe.

L'investiture libre dérange le pape qui me casse les couilles pour que je repasse le pays en investiture papale. Je refuse. Si mon astuce ne marche pas avec mon fils, elle pourra toujours marcher avec d'autres à l'avenir : ce serait donc une erreur de passer en investiture papale. Et puis je n'aime pas vraiment l'idée que les évêques de mon royaume puissent payer des impôts à un souverain religieux étranger. C'est pourquoi je fais du prince-évêque Nicolaus de Vivarais mon antipape. Ainsi, les impôts religieux me reviendront forcément dans la poche, et l'autre vieillard de Rome n'aura plus un seul mot à dire sur ma manière de gérer mon royaume.

1271 ; il est temps d'aller se servir d'un nouveau comté en Italie. Notre cible est cette fois le comté de Pérouse. Il est revendiqué par mon vassal le duc Kuno Premyslid d'Ancône. La pauvre Italie doit nous détester, à force… À la cour, on l'a surnommé « notre bolos officiel » ! Le comté est conquis un an plus tard.

Peu après mon retour d'Italie, des nouvelles de Hongrie m'arrivent. Suite à une fronde de seigneurs hongrois, ma femme Orsolya a préféré abdiquer plutôt que de combattre. Après tout ce que j'ai fait pour la mettre sur le trône et la maintenir en place, j'avoue que ça me reste en travers de la gorge. Et nos descendants, alors ? Ils ne deviendront pas roi et reine de Hongrie ? Elle possède encore un duché là-bas, ce qui fait que je n'ai même pas la satisfaction de voir mon fils revenir à ma cour.

Les dernières lois que j'ai fait voter par mes seigneurs me permettent d'instaurer la succession par primogéniture en 1273. Ainsi, mes différents titres ne seront pas distribués entre tous mes garçons : le domaine royal sera fixe. Bon, en contrepartie je dois céder mes comtés de Savoie et de Piémont à mes vassaux, respectivement les ducs de Savoie et de Suse.

En 1275, mon allié suédois est attaqué par le Saint Empire. Il m'appelle à l'aide. Je me dis que c'est peut-être une occasion de mettre une épine dans le pied de mon ancien suzerain. Nul doute que plusieurs conflits nous opposeront à l'avenir, donc plus je l'affaiblis maintenant, mieux ce sera. En deux batailles, je massacre plus du double d'impériaux que j'en avais massacrés à Senj, mais les pertes subies ne me permettent pas de résister aux autres assauts de ses troupes. Après quelques défaites, je dois battre en retraite, d'autant plus que l'un de mes vassaux, le duc de Vérone, Hartmann di Trevisio, vient de se rebeller.

Tandis que je combats mon ennemi, on m'annonce qu'une croisade se prépare contre l'Égypte. Oh, ne l'avais-je pas prédit ? Autre nouvelle, de l'Ouest cette fois ci : les royaumes de France et de Castille viennent de fusionner. J'ai donc maintenant un puissant potentiel ennemi à mes frontières ouest. Dois-je me méfier ?

Hartmann est écrasé et jeté au cachot en 1278. Quant à moi, la vieillesse me pèse de plus en plus ; je sens que je n'en ai plus pour longtemps. J'avoue avoir peur. Non, pas pour moi, mais pour mon royaume. Savoir que je vais le laisser à mon Richard me terrorise. J'ai peur que ce con ruine les efforts que mon père et moi avons faits pour rendre notre dynastie une des plus puissantes d'Europe. J'espère qu'il saura écouter les sages paroles de ses conseillers…