Les bons conseils

Un gin… le verre devant moi, je l'avais siroté sans hâte en retournant dans ma tête toutes les idées qui découlaient de sa phrase bizarre : « J'ai un bon plan, et si tu veux, on peut en parler. Mais pas ici… » Qu'est-ce qu'elle pouvait bien avoir trouvé comme solution ? Les plus folles me venaient à l'esprit. J'ai regardé Peggy avec un œil neuf, et d'une certaine manière elle représentait du coup l'espoir pour moi. Puis nous avons quitté le café pour rentrer dans nos chambres, distantes d'à peine deux cents mètres. Nous marchions l'une près de l'autre dans un silence seulement entrecoupé par les moteurs des voitures que nous croisions.

Je tremblais sans doute un peu en pénétrant dans son antre. Sa chambre était si pareille à la mienne… Tout était en ordre, bien rangé, le lit fait : ça se voyait que nous étions des filles. Quand elle s'est enfin tournée vers moi, elle avait une sorte d'air grave.

— Je peux te faire confiance ?
— … ?
— Ce que je vais te dire doit impérativement ne pas sortir d'ici. Tu ne juges pas et tu fais ensuite selon ta conscience, mais tu ne dois en aucun cas parler à quiconque de ce que je vais te raconter.
— C'est si grave que ça ? Tu ne braques pas des banques, tout de même ? Pourtant, elles le mériteraient bien un peu…
— Mais non. J'ai ta parole ?
— Juré, craché, cochonne qui s'en dédit !
— D'accord, alors écoute…

Peggy, assise près de moi sur son lit, m'a alors raconté comment un soir elle avait fait la connaissance d'un monsieur assez âgé… autant que son père. Et qu'ils avaient sympathisés, puis, de fil en aiguille, elle s'était ouverte à lui sur ses difficultés financières. L'autre lui avait alors proposé de l'aider, moyennant quelques petits « services » : pas besoin d'être bachelière pour comprendre de quoi il retournait. Et en échange d'une nuit de temps à autre, Sarah avait retrouvé une situation plutôt stable et ne s'en plaignait pas, bien sûr.

Ce gentil papa gâteau continuait à la recevoir quand elle en éprouvait le besoin, et ses soucis s'étaient envolés avec lui.

— Il a plein de copains qui sont… comment te dire ça… à la recherche d'un peu de bon temps. Tu comprends ? Et nous sommes des filles : c'est donnant-donnant.
— Un échange de bons procédés ? C'est ce que tu me suggères, là ? Tu sais comment ça s'appelle, ça ?
— Tu as promis de ne pas me juger. Tu sais, et c'est à toi de décider. Mais tes études valent bien un petit sacrifice… d'autant que tu es très douée. Le monde est ainsi fait que les hommes et les femmes ont parfois ce genre de relation… pour des motifs légitimes.
— Ouais, mais de là à coucher pour…
— Arrête ! Tu préfères sans doute aller bosser au McDo du coin et être crevée à ne plus pouvoir suivre tes cours ? Là, ça dure une heure par mois, et le reste du temps tu fais comme bon te semble, ce qui te plaît. Envolé, le stress de la bouffe à payer ; oublié, le manque d'argent. Et un petit plaisir peut en cacher de bien plus grands…
— Mais… tu… enfin… tu étais vierge avant ?
— Ah, je vois… Tu l'es, n'est-ce pas ? Tu n'as jamais couché avec un garçon ?
— Ben… non. Ça… ça fait mal ? Et puis, pour la première fois, faire ça avec un vieux… tu imagines un peu ?
— Tu n'es pas obligée de prendre un tout vieux non plus. Tu sais, celui que je rencontre de temps en temps, il a cinquante ans et il est très doux.
— Quand même… Tu as comme moi vingt ans ; trente ans de plus que nous…
— La douceur n'a pas d'âge, et puis je vis bien mieux depuis que je l'ai rencontré.
— Tu es amoureuse de lui ?
— Ça n'a rien à voir. Il est toujours là pour moi. Quand j'en avais besoin, il a su me tendre la main, et je suis sûre que, pour toi aussi, quelqu'un de ses amis pourrait également te sauver. C'est bien à toi de décider. Tu sais où me trouver, et je ferai passer le message si tu le désires, quand tu le voudras.
— Je… je ne suis pas franchement emballée… Je…
— Réfléchis ! Après tout, c'est ton cul, et tu en fais ce que bon te semble. Mais ma porte t'est ouverte, d'accord ?
— …

Pas envie de répondre, et au fond de moi j'étais un peu secouée par ces révélations. Le fait qu'elle m'ait fait aussi suffisamment confiance pour m'en parler me prouvait, s'il en était besoin, que son estime pour ma petite personne était grande. Pas une seule seconde je n'ai songé que, peut-être, ma vulnérabilité du moment pouvait aussi motiver ses confidences, et je suis rentrée dans ma propre petite piaule avec un mot qui tournicotait dans ma caboche : « Pute ! »


Les filles, mes amies, vous êtes ma seconde famille. Je ne vous le dirai jamais assez, mais je vous aime. Pour ce que vous représentez, pour ce soutien si bon lorsque mon moral avoisine le zéro. Je vois ces bouilles sympathiques, rieuses, qui s'empiffrent de ce fantastique moka. Pas pour le dessert lui-même, mais bien pour tout cet amour qu'il représente. Je me sens chavirée par ces attentions tellement… précieuses. Seriez-vous encore aussi proches de moi si vous connaissiez ce secret qui me hante ?

Je souhaite du fond du cœur que jamais vous n'appreniez que j'ai deux visages. Celui de la petite étudiante studieuse et rangée, avec qui vous partagez tant de bons moments. Mais il y a l'autre versant de cette personne, celle dont l'âme est plus noire : la femme qui vend son corps pour une vie plus simple, plus aisée. Cette salope qui durant quelques nuits de sa pourtant si courte existence se montre telle qu'elle est.

Que penseriez-vous de moi si vous me voyiez lors de ces nuits où le partenaire pourrait être votre père, votre oncle ? Et puis ces lèvres qui vous sourient, qui répondent à vos questions, quelles seraient vos réactions de savoir qu'elles sucent, qu'elles embrassent des sexes qui ont les pires difficultés à se raidir ? J'imagine bien votre dégoût, ou au mieux la moue de désapprobation qui pourrait découler de découvrir mes turpitudes.

— Tu le trouves comment ?
— …
— Hé, Sarah, bon sang ! Tu es où ? Pas avec nous, c'est une certitude. Qu'est-ce que tu as, ce soir ? Alors, il est comment ton gâteau d'anniversaire ?
— Super bon ! Vous l'avez acheté en bas ?
— Ouais ; Carine est tombée raide dingue de l'arpette du pâtissier ; ne me dis pas que tu ne l'as pas remarqué : il est beau à tomber !
— Ah bon ? L'apprenti du pâtissier ? Je ne savais pas qu'il avait un apprenti, ce type.
— Mais tu as quoi dans les yeux, de la merde ? Réveille-toi, ma fille ! Tu comptes finir vieille fille pour de bon ? Vierge aussi, sans doute ?
— Mais…
— Mais quoi ? Bon Dieu, sors, vis, ne reste pas le nez dans tes bouquins… tu vas finir par te rider comme une femme de cinquante piges.
— Eh bien, si ta mère t'entendait, elle serait contente !
— Laisse-la où elle est ! Elle me casse assez les pieds quand je rentre les week-ends. Elle s'imagine que j'ai toujours quinze ans ; elle n'a pas compris que j'ai une vie, que j'ai déjà eu un amant.
— Ah-ah… un amant ? Pas de petit ami véritable ?
— Non. Il avait deux ans de plus que moi : un vieux, déjà ! Tu parles que je n'allais pas le garder…

Toutes les autres rigolent, mais j'en ai froid dans le dos. Qu'est-ce que tu dirais, ma pauvre Carine, si tu savais que mes relations « intimes » ont toutes plus de cinquante balais ? Et vous, Clothilde, Chloé et Virginie, me donneriez-vous toujours la main ? Le bisou serait-il encore d'actualité à chacune de nos rencontres ? J'en doute fort. C'est si rapide, le revirement des amis dans ces cas-là ! Et je sens la chair de poule envahir tout mon être. Malgré les éclats de rire et les claques dans le dos que toutes mes copines et moi échangeons, je me sens… honteuse.