Erreur d'aiguillage

Carine et moi faisons l'amour. Oui, l'amour ! Nos ventres se retrouvent, se reconnaissent. Je ne sais plus si c'est bien, si c'est mal, mais ce qui se passe me prouve qu'il ne faut jamais dire « Fontaine je ne boirai pas de ton eau ! » Elle semble avoir une certaine dextérité pour ces amours saphiques qui me sont plus étrangers. Le plaisir que je retenais au début finit par me faire lâcher prise, et c'est bien caresse pour caresse que je rends à cette femme qui se démène dans le lit. Une fois la barrière psychologique franchie, je suis insatiable.

Je devrais dire nous sommes insatiables, parce que mon amie ne donne pas sa langue au chat… quoique c'est bien sur ma chatte que tout se déroule. Sa poitrine me sert également de tremplin pour démarrer une visite que j'aurais quelques heures plus tôt qualifiée de « contre nature », mais elle sait s'y prendre et je me sens surprise que cela soit si… différent de ce que les autres m'ont donné. Si les baisers avec les bouches peuvent sembler bien similaires, en analyser chaque détail les rend diamétralement opposés.

Il n'y a rien pour irriter ma peau : pas de poils piquants de barbe, pas de précipitation, juste une sorte de grande patience. De la persévérance également à s'employer à tirer une musique langoureuse de ces endroits que Carine visite. Elle va partout, sans hâte, prenant le temps de déguster, de revenir sur ces lieux qu'elle explore avec minutie. C'est donc d'une manière naturelle et détachée que sans un mot elle me guide. Oui, c'est bien le bon mot.

Me diriger vers ce qu'elle attend, ce qu'elle veut, ce qu'elle aime, tout bêtement. Alors tout comme ces pauvres vieux diables qui m'ont menée à la luxure, je me berce dans des jeux entre femmes qui nous transportent délicieusement dans une perversité non moins grande que celle, plus répandue, avec les hommes. Je ne me reconnais plus dans cette bacchante aux postures immorales. Je pousse le vice au plus profond de cette amie qui ne renie rien.

Mon inexpérience dans ce domaine devient un atout précieux : elle se délecte de mes hésitations, appuyant sur ma tête pour me faire comprendre que je dois accélérer ou ralentir telle ou telle câlinerie. Et ça fonctionne au-delà de toutes espérances : lorsqu'elle se met à trembler et à jouir, je crois que ça renforce mon propre désir, et je me lâche moi aussi. Le stupre m'entraîne dans des trucs dont je ne me serais jamais crue capable. Je passe du temps à boire ce qui coule de cette conque, fontaine si semblable à celle qu'elle vient de lécher.

Des sécrétions qui me donnent une sorte de frénésie et qui, en dégoulinant partout le long de ses fesses, amènent ma langue à folâtrer avec un endroit perdu, isolé au beau milieu d'une voie inexplorée. Elle relève simplement les jambes, signe qu'elle ouvre le chemin à la pointe qui capte les dernières gouttes de sa jouissance. Je garde les yeux clos et m'emploie alors à tourner autour de ce nombril brun, niché entre deux demi-sphères largement écartées.

Mon manège dure un long moment durant lequel Carine geint, se tortille et crie des mots que je ne veux même pas comprendre. De pute, je passe à lèche-cul, et ça en devient suspect… J'imagine bien ce qu'elle ressent pour avoir vécu d'identiques symptômes en compagnie de pauvres hères qui ne bandaient plus qu'imparfaitement. Ceux-là étaient passés maîtres dans l'art de la léchouille. Et je réactive chez ma copine les mêmes gémissements.

L'effet miroir me laisse pantelante, et je crois que j'ai un orgasme rien que de lui lécher l'anus. Il survient alors que la pointe baveuse de ma langue trouve enfin une ouverture et que les doigts crispés de Carine m'exhortent à aller encore plus profondément dans ce lieu sombre. Je perds pied dans des sentiments mitigés, relents d'exquises abjections. Je me noie dans ce qui devient douloureux tourment.

L'entendre crier, geindre, la voir se tordre en griffant les draps me fait mouiller de nouveau plus que de raison. Je me sens devenir folle au fur et à mesure qu'elle plonge dans un abyme qui ne peut pas avoir de fond, qui ne pourra s'arrêter que par la fin de ce que la langue lui procure… et je suis toute-puissante. Apparemment, je suis bonne élève, et ses leçons portent leurs fruits. Le champ de bataille est d'une humidité sans pareille et le parfum de sexe finit par m'enivrer totalement, me poussant à aller plus loin encore.

Carine est à moi ! Une proie que je déguste sans déplaisir. Elle marque un tournant dans ma sexualité bien pauvre : c'est la première fois que je ne vais rien obtenir en retour, sauf… de l'amour à l'état pur. Mon cœur bat la chamade d'une façon que je n'ai jamais connue, et je suis fière de la sentir se pâmer sous mes lèvres, sous mes doigts. À tel point que je regrette presque de ne pas posséder les attributs nécessaires pour la prendre intensément…


Je me sentis d'un coup secouée alors que le doigt qui jouait sur ma chatte y était toujours. Comment était-ce possible ? Un si frêle vieux bonhomme ne pouvait avoir une telle vigueur. Puis ses paroles me remontèrent dans le cerveau : « Je suis en train de vous expliquer que je peux vous masser, que j'adorerais vous voir sans fard, et que si le feu vous dévorait… mon pompier s'appellerait Charles. »

Il ne pouvait pas avoir fait cela ! Et pourtant… En moi, la queue qui naviguait n'avait eu aucune peine à entrer. Pas la moindre petite douleur, pas la moindre sensation de brûlure. M'avait-il si bien préparée qu'il en avait facilité l'intromission ? Mais mon esprit se refusait à analyser la situation. Transportée par ces coups de reins d'une vigueur exceptionnelle, je me hasardai enfin à entrouvrir les paupières. L'homme entre mes jambes qui s'escrimait à me labourer… Charles, dont je ne savais rien d'autre que son prénom et son travail ; Charles qui me prenait…

Et ce Gérard qui insistait sur mon clitoris alors que la bite allait et venait en moi… une folie qui m'effrayait ! Cette femme baisée par l'un et caressée par l'autre, il ne pouvait en aucun cas s'agir de moi ! Durant de longues minutes, mon cavalier m'avait secouée dans tous les sens ; pour finir, sans même que j'en éprouve une gêne quelconque, il me faisait mettre à genoux, fesses relevées, croupe en l'air.

Il m'empoigna par les hanches et recommença une cavalcade digne d'un western. Quand il était prestement ressorti et que par un autre violent coup de reins son pénis s'était sciemment trompé de canal, je n'avais eu qu'une légère contraction. Pas le temps non plus de me rendre compte que déjà la sodomie se consommait avec une ardeur décuplée. Comble de l'ignominie, le vieux était couché sous mon ventre et se gavait de ma chatte, récupérant au passage les reliefs de ce coït anal des plus singuliers.

Je ne contrôlais plus rien ; je ne savais plus quoi faire ni quoi dire. Les deux mecs m'ont finalement laissé reprendre mes esprits durant un laps de temps que je n'aurais su mesurer. Lorsque mon rythme cardiaque est revenu à la normale, Charles s'était déjà éclipsé et Gérard me tenait la main.

— Eh bien, jolie Sarah, vous avez été merveilleuse ! Une amante extraordinaire et si fraîche… Charles est un homme heureux, et tous nos amis sont déjà prêts à vous rencontrer. Vous n'avez qu'un mot à dire et un choix à faire…
— Comment cela ?
— Vous voyez ces cadres ?
— Vous voulez dires les peintures sur les murs ?
— Oui. Chacune cache un minuscule judas, poste d'observation qui a permis à ces vieux messieurs de suivre vos amours… et je peux vous dire que vous avez fait sensation.
— C'est… c'est dégueulasse, comme plan !
— Mais non… Tenez : ils sont si satisfaits qu'ils ont tous fait une collecte ; et ce qui en ressort vous est réservé : c'est là, dans la poche de votre veste.
— Ils ont… tout vu ? Vous m'avez piégée !
— Mais non. Je pense que Maxime, s'il vous a donné notre adresse, savait que vous aimiez cela.
— Mais pas du tout…
— Écoutez, ma petite, vous avez été à la hauteur et, mon Dieu, vous méritez tous nos remerciements et cette obole que chacun a bien voulu mettre.
— C'est fou, ça !
— Notre porte vous est ouverte. Revenez quand vous le voulez, et l'un d'entre nous saura bien s'occuper de vous sans problème.
— Mais…
— Ainsi vous ne serez pas à un de nous, mais bien au groupe tout entier. Ce qui posera moins de problèmes, et surtout ne fera aucun jaloux. Cela vous convient comme proposition ?
— …

Je me suis rhabillée sans bruit avec un nœud au fond de la gorge. J'étais donc devenue la salope de service de vieux messieurs riches, un groupe à qui l'on aurait donné le bon Dieu sans confession… Et c'est donc ainsi qu'environ deux fois par mois je suis revenue à la Sainte Touche ! Petit à petit je me prenais au jeu ; j'osais plus, et de fourmi je devenais cigale. Avec la profusion vint aussi le gaspillage : il était plus aisé de dépenser, et parfois mes amies dans la panade venaient se faire dépanner.

Un cercle vicieux où l'opulence appelait le vice et où le vice montait à chaque fois d'un cran. J'avais presque tout accepté, sauf les humiliations : je ne voulais pas que l'on touche à mon intégrité physique. Il aurait été si simple de gagner facilement encore plus en levant certains interdits ; pas question cependant de me dégrader plus que je ne l'étais déjà. Et j'ai toujours refusé de côtoyer un seul et unique type : la peur de m'attacher, de tomber amoureuse influençait mes choix.

Bien entendu, les anciens n'étaient pas tous de sombres satyres ; certains même étaient d'une touchante naïveté. Beaucoup n'avaient plus que ce moyen-là pour garder un contact avec une illusion sexuelle qui, sans moi, se serait trouvée moribonde. Mais ils savaient tous être doux, paternels. Ils aimaient me voir danser pour eux et, comble de la puissance, me caresser des heures durant. Bien sûr que dans ce bas monde il n'est plus rien de gratuit, et finalement je me consolais en songeant que je devenais une infirmière.

Une infirmière spéciale ? J'en étais consciente ; mais combien se croyaient chez leur psy dans ces moments-là ? Il m'eût été facile d'en abuser, de me servir de ce que je pouvais apprendre de ces gens influents qui, finalement, se mettaient plus à nu psychologiquement que lorsqu'ils se déshabillaient. Par ailleurs, mes rapports avec les jeunes de mon âge s'en ressentaient : plus moyen de croire en l'amour après ce que je voyais dans ces moments obscurs où les perversions se montraient sous les lumières crues des chambres de ce fameux club.

Après le dégoût de ma petite personne qui ne trouvait plus grâce à mes yeux, venait celui plus massif de la gent masculine dans son ensemble. Aucun homme, quel que fût le nombre d'années qu'il comptait, ne pouvait plus me faire vibrer le cœur. Et la limite fixée dans ma caboche – la ligne rouge – restait évidemment la fin de mes études. Ensuite, quoi qu'il pût arriver, je me débrouillerais seule et oublierais ces instants plus que moches.

Alors… pourquoi ces deux années qui me restaient à étudier me pesaient-elles autant ? J'avais amassé quelques noisettes, et en en tripotant de bien peu consistantes j'avais rendu plaisir pour plaisir à ces âmes au bord du gouffre. Certains avaient lâché la rampe durant mon apprentissage ; jamais, fort heureusement, durant mes activités. Et le temps qui me filait entre les pattes me rendait plus difficile : j'imposais mes desideratas, et souvent c'était à prendre ou à laisser.

Il y avait plus de demandes que d'offres pour soulager ces gens riches, et il n'était pas question que je les aide auprès de nouvelles recrues. Je n'avais jamais vu ni croisé une autre fille lors de ces rencontres qui avaient toujours lieu le samedi soir. Quant au rythme, je le voulais plutôt espacé, histoire de les faire languir, mais pas seulement : il me fallait sans doute du temps pour atténuer les effets néfastes de ces instants dégradants, et une périodicité de deux semaines minimum n'était pas un luxe.

À la fin de ce nouveau mois, j'allais fêter mon anniversaire. Vingt-cinq ans, mais ici personne n'était, ne devrait être au courant. C'était fini. Pour la dernière fois je venais de franchir les portes du club de ces hommes qui s'offraient quelques heures d'illusoires plaisirs en ma compagnie. Je n'allais pas le chanter sur tous les toits. Cette fois, c'en était bien terminé. Plus question de revenir sur cette décision. Alors là, je venais pour jouer ma dernière partition.


Carine est aux petits soins. C'est petits mamours et grandes embrassades. Notre petit déjeuner matinal est agréable. Je ne suis pas amoureuse de cette nana, mais elle persiste à le croire. De toute évidence, elle s'est amourachée de cette Sarah nouvelle qui refait surface. Elle ne pose aucune question sur mes confidences nocturnes. Après ma douche, je veux filer rapidement, mais elle est près de la sortie.

— Tu reviendras ce soir ?
— J'ai toujours ma chambre au bahut… et puis je ne veux pas te déranger.
— Je… je crois que je suis amoureuse de toi.
— Ce n'est pas possible, Carine ! Je… nous avons fait fausse route cette nuit ; jamais nous n'aurions dû…
— Ne me dis pas cela, Sarah ! Tu es celle que j'attends depuis toujours. Et mon cœur t'est tout dévoué.
— Je ne mérite pas cet amour : je ne suis pas une femme bien selon les critères des gens qui nous entourent.
— Mais on s'en fout de tous ces cons qui jugent, qui condamnent. C'est notre cœur qui décide pour nous. Enfin, chez moi, c'est toujours comme ça que ça fonctionne.
— Je ne peux pas… je ne suis pas amoureuse de toi. Je ne veux pas te tromper, tu es mon amie depuis si longtemps… Alors pourquoi est-ce si soudainement que tu découvres que tu m'aimes ?
— Des mois, des années que je te kiffe en silence ! Toujours je t'ai espérée, mais tu es la seule à n'avoir rien vu.
— Tu plaisantes, là ? Les autres sont donc au courant ? Qu'est-ce qu'elles savent d'autre ?
— Ben… ne te fâche pas, mais… elles savent toutes où tu disparais mystérieusement certains samedis soir.
— Comment ça ? Elles savent quoi ?
— Ben… les petits vieux, les grosses pépettes. Tu vois de quoi je parle.
— Pourquoi personne ne m'en a jamais touché mot ? Pas la plus petite allusion… pourquoi, dans ce cas ?
— Tu ne t'es jamais dit que nous sommes tes amies ? Que nous ne voulions pas te mettre dans l'embarras ? Et puis… c'est ton choix. Nous n'avions pas à intervenir dans tes choix de vie. Pas une seule de nos amies n'aurait osé te faire de réflexions.
— …

Je suis abasourdie par cette révélation. Comment est-ce possible ? Je me suis pourtant toujours montrée discrète. Personne ne devrait être au courant. Carine qui m'ouvre les bras cherche-t-elle à me consoler de cette gifle que je viens de prendre ? Ou bien est-ce encore sa fichue histoire d'amour qui remonte à la surface ? Pourquoi, alors que les larmes me montent aux yeux, pourquoi est-ce que je me love contre ce torse presque nu ? Un asile bien frêle pour un chagrin tellement conséquent… Elle referme ses bras autour de mes épaules ; sa poitrine écrase la mienne. Mais quatre seins qui se serrent les uns contre les autres ne font pas un vrai paradis.

Je pleure doucement. La vie est une vacherie. La vie est merdique. Je sens ses mains qui me caressent le dos et je me dis que je suis bien là. C'est sans doute trop tôt pour savourer ce merveilleux moment. Elle se veut rassurante et ne prononce pas une parole. C'est à moi de digérer sa « confession » qui me donne un cafard terrible. Elles savaient toutes, mais pas une ne m'a fait un reproche ! Les mots – le sens premier de l'amitié – prennent d'un coup, ici, leur vraie valeur.

Sa bouche s'écrase sur mon front. Je me calme petit à petit et lève les yeux vers cette amie aux prunelles si brillantes.

— Merci !
— De quoi, ma puce ? Je suis là pour toi… et je n'attends rien en échange. Ça fait si longtemps que je t'aime sans espoir de retour que cette nuit doit rester mon plus tendre souvenir. Ça, les autres ne le sauront jamais… si tu ne leur dis pas.
— Apparemment, elles arrivent toujours à tout apprendre, on dirait…
— Ce sont tes drôles d'amis qui nous ont raconté…
— Mes drôles d'amis ? Mais ils ne sont pas et ne seront jamais mes amis !
— Alors il y en a au moins un qui s'est trouvé assez jaloux pour venir nous raconter ton histoire…
— Un, dis-tu ? Je ne comprends rien…
— Ben… un nommé Maxime ; ça ne te rappelle donc rien ?

La boucle est bouclée. C'est fini. Le club des anciens ne me reverra plus, et pour quelque temps je réside encore chez Carine. Je passe avec elle des moments tendres, et je la paie en retour par des câlins qu'elle apprécie.

Finalement, dans la vie, ne sommes-nous pas toujours toutes les « putes » de quelqu'un ? Qu'on le veuille ou non.